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Maintenant disponible : L’identité des familles, la troisième section de La famille compte 

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Maintenant disponible : L’identité des familles

L’IMPACT DE LA COVID-19 : La famille et sa réalité, ses traditions et ses rituels

26 février 2021

Si la pandémie de COVID-19 a affecté les familles partout au Canada, perturbant ainsi nos habitudes, nos rôles et nos relations, elle n’a pas pour autant interrompu la vie familiale. Que ce soit pour se réunir afin de célébrer des étapes de vie importantes ou pour apporter du soutien dans les moments difficiles, les gens font preuve de créativité et de diversité pour continuer de faire ce que font les familles, souvent en ayant recours à la technologie.

Selon un récent sondage de la firme Léger1, certaines familles ont organisé leurs traditions, leurs célébrations et leurs rassemblements – qu’ils soient heureux ou tristes – par le biais de plateformes de vidéoconférence comme Zoom et Teams de Microsoft. Ces expériences ne font certes pas le poids face à la chaleur des câlins et des discussions en personne avec nos proches, mais ces adaptations permettent à plusieurs familles de continuer de sourire, de rire, de pleurer et de vivre leur deuil ensemble. Les données montrent que pour la plupart d’entre elles, ces réunions virtuelles sont moins significatives qu’en personne, mais pour beaucoup, elles valent quand même mieux que rien.

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Le mariage et les noces

Dans les premiers mois de la pandémie, en raison des mesures de santé publique qui restreignaient les rassemblements en personne à l’échelle du Canada, plusieurs couples qui avaient prévu de se marier ont décidé de reporter leur projet de mariage. Mais avec le prolongement des restrictions relatives aux événements sociaux, certains ont décidé d’aller de l’avant et d’officialiser leur union de façon virtuelle, se réunissant avec leur famille et leurs amis à l’aide de plateformes de vidéoconférence.

Le sondage a révélé que :

  • au cours de la dernière année, 7 % des répondants avaient assisté à un mariage par le biais d’une plateforme de vidéoconférence (ex. : Zoom, Teams de Microsoft);
  • les répondants comptant des enfants dans leur ménage (13 %) étaient plus de deux fois plus susceptibles que ceux vivant sans enfant (5 %) d’avoir participé à un mariage en ligne;
  • la probabilité d’avoir pris part à un mariage en ligne diminuait avec l’âge :
    • 12 % des personnes de 18 à 34 ans;
    • 8 % des personnes de 35 à 54 ans;
    • 2 % des personnes de 55 ans et plus.
  • parmi ceux qui ont assisté à un mariage en ligne, une légère majorité a affirmé que l’expérience leur a semblé moins significative qu’en personne; les répondants ayant des enfants ainsi que les jeunes étaient plus susceptibles d’indiquer qu’elle était plus significative.
    • Un peu plus de la moitié (54 %) ont affirmé que l’expérience était moins significative, alors que 25 % ont dit qu’elle était « sensiblement pareille ». Toutefois, 21 % ont trouvé cette expérience « plus significative »;
    • Les répondants comptant des enfants dans leur ménage (32 %) étaient plus de deux fois plus susceptibles que ceux n’ayant pas d’enfant (12 %) de déclarer que cette expérience était plus significative;
    • La probabilité d’affirmer que l’expérience était plus significative diminuait fortement avec l’âge :
      • 32 % des personnes de 18 à 34 ans;
      • 14 % des personnes de 35 à 54 ans;
      • 0 % des personnes de 55 ans et plus.

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Le deuil et le sentiment de perte

Les familles vivent également leurs deuils en ligne, alors que plusieurs d’entre elles tiennent des funérailles sur les plateformes de vidéoconférence (ex. : Zoom, Teams de Microsoft). Les répondants au sondage étaient deux fois plus susceptibles de déclarer avoir participé à des funérailles en ligne (14 %) qu’à un mariage en ligne (7 %).

  • Environ 1 Canadien interrogé sur 7 (14 %) a déclaré avoir participé à des funérailles sur une plateforme de vidéoconférence au cours de la dernière année.
    • Les répondants comptant des enfants dans leur ménage (16 %) étaient plus susceptibles que ceux n’ayant pas d’enfant (13 %) d’avoir pris part à des funérailles en ligne.
    • La probabilité d’avoir participé à des funérailles en ligne augmentait avec l’âge :
      • 12 % des personnes de 18 à 34 ans;
      • 14 % des personnes de 35 à 54 ans;
      • 16 % des personnes de 55 ans et plus.
  • Lorsqu’on a demandé aux répondants ayant assisté à des funérailles en ligne dans quelle mesure leur expérience leur a semblé significative comparativement à des funérailles en personne :
    • plus du tiers ont répondu que cette expérience était « sensiblement pareille » (25 %) ou « plus significative » (9 %), alors que les deux-tiers restants (66 %) ont confié qu’elle était « moins significative »;
    • les répondants comptant des enfants dans leur ménage (14 %) étaient deux fois plus susceptibles que ceux vivant sans enfant (7 %) d’affirmer que cette expérience était plus significative;
    • le groupe d’âge le plus jeune était le plus susceptible de déclarer que cette expérience était plus significative :
      • 17 % des personnes de 18 à 34 ans;
      • 4 % des personnes de 35 à 54 ans;
      • 8 % des personnes de 55 ans et plus.

Afin de maintenir des liens familiaux solides pendant la pandémie de COVID‑19, il est fondamental de faire preuve d’adaptabilité et de créativité. Même si ce sondage a montré clairement que les familles s’ennuient de leurs rassemblements en personne, l’adaptation virtuelle des mariages, des funérailles et d’autres réunions de famille se poursuivra, dans une forme ou une autre, après la pandémie de COVID‑19 (peut-être en parallèle aux événements en personne), car elles permettent aux membres de la famille et aux amis qui vivent loin de garder le contact et de vivre les événements familiaux importants avec leurs proches.


Note

  1. Un sondage a été mené par la firme Léger pour le compte de l’Association d’études canadiennes les 12 et 13 février 2021 auprès de 1 535 répondants. Alors qu’aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste, l’échantillon national de 1 535 répondants aurait, à des fins comparatives, une marge d’erreur de ±2,5 %, et ce, 19 fois sur 20.

 

La complexité et les répercussions des cas familiaux très conflictuels

Rachel Birnbaum, Ph. D., RSW, LL. M., et Nicholas C. Bala, L.S.M., B.A., J.D., LL. M.

21 janvier 2021

Bien que la plupart des parents qui vivent une séparation parviennent à gérer la garde de leurs enfants sur une base consensuelle, parfois avec l’aide d’avocats ou de médiateurs, le nombre de différends très conflictuels qui doivent être réglés par les tribunaux de la famille du Canada connaît une hausse importante. Nous présentons ici quelques résultats préliminaires de notre projet de recherche sur les cas familiaux très conflictuels en Ontario.

Ce projet de recherche est le fruit d’une collaboration entre des professionnels de la justice familiale, des agences de protection de l’enfance et le Bureau de l’avocat des enfants. Le projet entend favoriser la compréhension des cas très conflictuels et vise à formuler des recommandations afin d’aider le système de justice familiale et les professionnels à mieux y répondre.

Augmentation du nombre de décisions judiciaires en langue anglaise liées à des cas « très conflictuels »

Une partie de la recherche a été consacrée au repérage et à l’étude de décisions judiciaires publiées au cours de la dernière décennie. Nous avons consulté divers jugements familiaux publiés en langue anglaise, dont les cas étaient qualifiés par les juges de « très conflictuels ». En Ontario, le nombre de ces cas est passé de 35 à 144 au cours de la décennie 2009-2019.

Si une partie de cette augmentation peut être attribuée à une sensibilisation accrue des juges aux répercussions de tels conflits et à une plus grande volonté de ceux-ci de confronter les parents à leur propre réalité, on assiste manifestement à une augmentation de l’incidence réelle de ces cas, comme le rapportent également d’autres pays.

Bien que nos recherches n’abordent pas directement les causes de cette augmentation, l’incidence croissante des troubles de la personnalité pourrait en être un facteur. L’utilisation de plus en plus importante des médias sociaux, des SMS et de l’Internet pourrait également y jouer un rôle. Le fait que les pères s’impliquent davantage dans la parentalité, aussi bien au sein des familles unies qu’après une séparation, représente dans l’ensemble une évolution socialement positive, mais le nombre croissant de cas de partage des responsabilités parentales multiplie également les possibilités d’interactions entre les ex-conjoints, dont le degré d’hostilité l’un envers l’autre est parfois élevé.

Quelles qu’en soient les causes, la tendance se manifeste clairement, et il en ressort de nombreux défis pour le système judiciaire, en plus des préjudices causés aux enfants qui sont exposés à des conflits parentaux.

Les différents types de cas très conflictuels nécessitent des approches différentes

Afin que les tribunaux, les avocats et les cliniciens puissent traiter les cas très conflictuels de manière adéquate et élaborer des plans dans l’intérêt véritable des enfants, il est important de distinguer les différents types de cas très conflictuels.

Dans la majorité des cas, les deux parents contribuent de manière significative au conflit et peuvent donc être tous deux responsables d’une mauvaise communication. Mais dans une minorité considérable de cas, la responsabilité principale est de toute évidence attribuable à l’un d’entre eux, notamment dans les cas de violence conjugale, ou lorsqu’un comportement aliénant est adopté par un seul parent. Il est également important de reconnaître les cas où l’un des parents connaît d’importants problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

On constate une tendance croissante des parents impliqués dans un cas très conflictuel à faire intervenir les services de protection de l’enfance et la police dans leurs différends à la suite d’une séparation. Or, bien que ces organismes puissent jouer un rôle essentiel dans la protection des personnes vulnérables, en particulier des enfants, ils enquêtent de plus en plus fréquemment sur des cas dont les faits demeurent très contestés, et où les parents, et souvent les professionnels qui leur viennent en aide, notamment les thérapeutes, proposent des versions fort différentes des événements.

En outre, des défis supplémentaires se posent lorsque les procédures adoptées par la famille, les services de protection de l’enfance et le système de justice criminelle se font concurrence. Il est donc nécessaire d’améliorer la coordination et la communication entre les différents acteurs afin d’obtenir des réponses à la fois plus efficaces et plus efficientes.

Les travailleurs sociaux soulignent la complexité des cas très conflictuels

Dans le cadre de ce projet de recherche, des groupes de discussion ont été organisés avec 53 travailleurs de la protection de l’enfance et cliniciens du Bureau de l’avocat des enfants. Près de la moitié des participants ont indiqué que les cas très conflictuels étaient plus difficiles à gérer que les cas sur lesquels ils travaillaient sur une base régulière.

De nombreux travailleurs de la protection de l’enfance considéraient ces cas plus stressants que ceux impliquant des allégations de maltraitance et de négligence sans séparation parentale, et qualifiaient ceux-ci de chaotiques, compliqués, difficiles, émotifs, épuisants, effrayants, éprouvants, toxiques et vindicatifs. Ces travailleurs sociaux soulignaient que ces cas étaient difficiles pour l’ensemble des professionnels concernés, y compris pour les juges et les avocats.

Les parents impliqués dans ces cas démontrent souvent de faibles aptitudes pour la communication (p. ex. certains crient, argumentent ou se montrent violents) et pour la résolution de problèmes, ce qui entraîne d’autres malentendus et conflits susceptibles de nuire à leur capacité de travailler de manière coopérative à titre de coparents de leurs enfants.

Voici ce qu’exprimait un participant au sujet des parents impliqués dans les cas très conflictuels : « Je les trouve très rarement aptes à réfléchir à la façon dont leur propre comportement peut affecter l’enfant ». Un autre répondant faisait remarquer que ces cas impliquaient trop souvent « des parents qui parlent en mal de l’autre parent à l’enfant, et qui sont incapables d’entretenir des conversations ciblées par courriel ou par SMS afin d’assurer une planification favorisant le bien-être de l’enfant ».

Ce projet de recherche se penche sur les cas familiaux très conflictuels qu’il explore sous différents angles afin de mieux comprendre leurs dynamiques complexes. Il a toutefois été réalisé avant la pandémie de COVID-19 et le confinement qui en a découlé. Or, nous craignons que la pandémie n’ait entraîné plus de tensions entre les parents et exacerbé la violence conjugale. Il apparaît donc nécessaire d’étendre cette recherche afin de tenir compte de l’évolution des circonstances.

Rachel Birnbaum, Ph. D., RSW, LL. M., est professeure en travail social, nommée conjointement au sein des programmes d’études sociales et sur la petite enfance (programmes interdisciplinaires) et de travail social du King’s University College, pour l’Université Western Ontario, et chercheuse principale de ce projet..

Nicholas C. Bala, L.S.M., B.A., J.D., LL. M., de la Faculté de droit de l’Université Queen’s, est cochercheur de ce projet.

Les chercheurs offrent leurs sincères remerciements à la Fondation du droit de l’Ontario pour son soutien dans le cadre de ce projet.

Cet article a d’abord été publié dans The Lawyer’s Daily (28 octobre 2020) et a été réimprimé avec la permission des auteurs.

L’IMPACT DE LA COVID‑19 : Les relations de couple au Canada

Ana Fostik, Ph. D.

9 octobre 2020

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Lorsque les milieux professionnels et les écoles ont fermé en mars 2020 en vue d’atténuer la propagation de la COVID-19, la vie de famille dans l’ensemble du Canada a été grandement bouleversée. Ce contexte particulier a intensifié la tension au sein des couples, alors que bon nombre d’entre eux se sont retrouvés confinés ensemble 24 h/24, 7 j/7 – parfois avec des enfants – tout en devant rapidement adapter leur domicile afin de partager des espaces de travail et/ou d’apprentissage. Compte tenu de ces ajustements à la fois importants et imprévus par rapport à la vie professionnelle et familiale, en plus des incertitudes et des craintes persistantes liées au coronavirus lui-même, certains se sont demandé si les effets de la COVID-19 pourraient entraîner une hausse des taux de séparation et de divorce.

Des millions de familles ont dû demeurer à la maison pendant plusieurs semaines en raison de la pandémie de COVID-19. Or, pour de nombreux parents d’enfants d’âge scolaire, cela impliquait qu’ils scolarisent eux-mêmes leurs enfants tout en continuant de travailler à domicile, en plus de devoir partager les ressources (p. ex. : bureaux de travail, bande passante Internet). D’autres ont pour leur part dû faire face au chômage ou à une baisse de revenus, et se sont retrouvés à passer beaucoup plus de temps que d’habitude avec leur partenaire ou leur conjoint. Chez les couples hétérosexuels, l’inégalité des rôles entre les sexes au sein du ménage a également pu être amplifiée dans un contexte où ils passent plus de temps ensemble : des conflits sur la répartition du travail rémunéré et non rémunéré ont pu ainsi survenir, et ce, particulièrement chez ceux qui doivent scolariser leurs enfants à la maison tout en continuant à travailler à domicile.

Le contexte de la pandémie a diverses répercussions sur les couples

Les recherches ont démontré que les périodes de stress peuvent accroître les tensions dans les relations de couple, alors que les difficultés économiques ont été identifiées comme une source de conflit au sein de ceux-ci (couples mariés et en cohabitation)1. Ainsi, étant donné que la pandémie a eu des incidences sur le marché du travail et les finances familiales dans tout le pays, la dissolution des couples pourrait connaître une hausse.

Lorsqu’interrogée sur les conséquences possibles de la pandémie sur la stabilité des relations de couple, Céline Le Bourdais, professeure émérite en sociologie de la chaire James McGill, soutient que les effets sur les couples peuvent être négatifs, mais qu’ils peuvent également être positifs2. Ainsi, chez ceux qui disposaient de peu de temps ensemble avant l’adoption des mesures de santé publique et des restrictions en matière de mobilité, celle-ci suggère qu’il pourrait y avoir un effet positif sur leur relation, dans la mesure où la pandémie amènerait les deux partenaires à travailler à domicile – à condition qu’ils aient tous deux accès aux ressources adéquates et à l’espace nécessaire pour s’y adonner. Pour d’autres, toutefois, le confinement à la maison dans ce contexte incertain pourrait avoir créé de nouvelles tensions ou eu pour effet d’intensifier d’anciens conflits.

Cela pourrait notamment être le cas des couples et des familles dont l’espace à la maison est restreint, ainsi que de ceux qui ont de faibles revenus. Mme Le Bourdais souligne également que la pandémie pourrait avoir compliqué la vie de couple des personnes « vivant chacun chez soi », c’est-à-dire les couples dont les membres vivent dans des logements séparés (soit 9 % des personnes de 25 à 64 ans en couple en 2017)3. Le défi aurait en outre été encore plus grand pour les couples dont les membres demeuraient dans des régions différentes entre lesquelles les mouvements étaient limités en vertu des mesures de santé publique.

Selon Benoît Laplante, professeur de démographie familiale à l’Institut national de la recherche scientifique de Montréal, « les tensions vont augmenter dans les couples, c’est certain. Est-ce que ça va se manifester rapidement par des ruptures dans des conditions où il est difficile de déménager, de se trouver un nouvel appartement, difficile de mettre sa maison en vente? C’est embêtant4 .» En d’autres termes, si l’augmentation du stress et des conflits au sein du ménage peut accroître la probabilité que les couples envisagent une séparation ou un divorce, les conditions socioéconomiques peuvent pour leur part compliquer la logistique associée à la dissolution de leur union.

Chômage et instabilité au sein du couple : une relation complexe

L’une des principales conséquences des mesures de confinement est l’augmentation fulgurante des taux de chômage – du jamais-vu pour les générations actuelles – touchant 14 % des adultes sur le marché du travail en mai 20205. Des recherches antérieures ont mis en relief un effet en apparence contradictoire du chômage sur la stabilité des unions : en moyenne, les risques de séparation d’un couple augmentent lorsque l’un des partenaires se retrouve au chômage. (Chez les couples hétérosexuels, cela se produit plus souvent lorsque c’est le partenaire masculin qui se retrouve au chômage.) Toutefois, alors que notre société connaît dans l’ensemble des taux de chômage élevés, on constate que les taux de séparation et de divorce stagnent, voire diminuent.

Des recherches effectuées dans 30 pays d’Europe et aux États-Unis entre 2004 et 2014 ont clairement montré que lorsque les hommes de couples hétérosexuels se retrouvent au chômage, les risques qu’ils divorcent augmentent6, 7. Des recherches réalisées aux États-Unis entre 1980 et 2005 ont pour leur part révélé que les taux de chômage selon les États étaient associés de façon négative à la séparation et au divorce (en tenant compte de plusieurs caractéristiques de chacun des États et des effets de la période)8. Ainsi, à mesure que le chômage dans les États augmentait, les taux de séparation et de divorce diminuaient.

Lors de l’étude d’une période légèrement différente (de 1976 à 2009), mais toujours aux États-Unis, Mmes Hellerstein et Sandler Morrill ont quantifié l’effet négatif du chômage sur le taux de divorce selon les États et constaté qu’une augmentation de 1 point de pourcentage du chômage était associée à une diminution du taux de divorce de 1 %9.

Des résultats similaires ont été obtenus lors de l’étude de 29 pays d’Europe entre 1991 et 2012 : une augmentation du chômage a été associée à une diminution du taux de divorce dans ces pays (en tenant compte de plusieurs variables, tant sur le plan individuel qu’à l’échelle du pays), bien que l’effet ne soit pas très important – celui-ci n’étant lié qu’à environ 1,2 % du taux de divorce moyen au cours de cette période10. Par ailleurs, dans le cadre d’une autre étude portant sur les tendances au Canada entre 1976 et 2011 chez les personnes de 25 à 64 ans, une telle association entre les taux de chômage et le divorce et la séparation n’a pas pu être établie.

Plusieurs séparations et divorces sont retardés en périodes de difficultés économiques

Ce qui de prime abord peut sembler paradoxal – à savoir la baisse des taux de divorce lors de conjonctures économiques difficiles, alors que les couples seraient soumis à un stress accru – pourrait être en partie dû au coût que représente le divorce ou aux aspects connexes à la fin d’une relation de couple.

Une étude ayant analysé l’effet du niveau de revenus sur la probabilité des divorces aux États-Unis entre 1979 et 2009 a révélé que plus les revenus augmentaient, plus le taux de divorce dans chaque État augmentait également11. Des données plus récentes concernant les États-Unis montrent que les taux de divorce au pays ont diminué pendant la Grande Récession de 2008 : au cours de la période de 2009 à 2011, les chercheurs ont estimé qu’environ 4 % des divorces qui auraient autrement été enregistrés n’ont pas eu lieu – toutefois, par la suite, les taux de divorce sont revenus à leur niveau précédent12. Cela pourrait indiquer que les divorces sont simplement reportés lors de moments difficiles financièrement, sans pour autant être évités13. Les chercheurs présument donc que les coûts associés au divorce (p. ex. : les frais de justice, le besoin d’un nouveau logement ou la perte de revenus au sein du ménage) sont trop élevés lorsque la situation économique se révèle moins favorable pour que de nombreuses personnes envisagent une séparation ou un divorce14.

Au cours de la Grande Dépression de 1929, on a également assisté à une baisse des taux de divorce (entre 1930 et 1933) et à une augmentation subséquente de ceux-ci (de 1934 jusqu’au milieu des années 1940)15, ce qui, selon le sociologue et démographe de la famille Andrew Cherlin, peut être interprété comme un simple report pour des raisons économiques16. En effet, les taux de divorce au cours d’une année donnée sont influencés par le moment auquel le divorce est envisagé; par conséquent, toute baisse des taux de divorce observée pourrait simplement indiquer un report des séparations lors de périodes plus difficiles sur le plan économique17, les individus étant confrontés à l’incertitude quant à leurs perspectives économiques et financières futures. Une étude sur les liens entre les cycles économiques et les taux de divorce aux États-Unis de 1978 à 2009 a conclu que les effets négatifs des récessions sur le divorce dans ce pays étaient effectivement temporaires plutôt que permanents18.

Les données empiriques confirment donc un lien entre l’économie et l’attitude face au divorce : lorsque l’économie stagne ou connaît un ralentissement, les taux de divorce et de séparation en font autant. C’est particulièrement le cas dans les pays où les taux de divorce étaient déjà élevés avant le ralentissement économique19. Cela peut indiquer que la perception qu’ont les gens de la situation économique influence leur décision de divorcer ou de se séparer, même s’ils ne sont pas directement touchés par ledit bouleversement économique20.

Une nouvelle recherche afin de faire la lumière sur la complexité des répercussions sur la vie de famille

Lorsqu’on lui a demandé comment se portaient les couples au Canada, M. Laplante a répondu : « Il est très difficile de le savoir… » Bien que les conflits puissent être appelés à s’intensifier, cela ne signifie pas nécessairement qu’un plus grand nombre de personnes se sépareront ou divorceront, du moins à court terme, alors que les couples au Canada ont été confrontés au même type de tensions économiques qu’aux États-Unis pendant la récession de 2008. Il insiste sur le fait qu’aux États-Unis, moins de couples se sont séparés au cours de cette période, ceux-ci étant nombreux à ne pas avoir eu les moyens de le faire, certains partageant notamment une hypothèque.

Afin de mieux comprendre le phénomène, M. Laplante travaille sur un projet qui devrait lui permettre d’évaluer si les changements dans la composition des ménages, y compris le départ d’un conjoint ou d’un partenaire, ont été plus importants après le mois de mars 2020 qu’au cours des années précédentes au Canada. Il compare son initiative à celle qui consiste à estimer la surmortalité pendant la période associée à la COVID-19 en vue d’évaluer l’ampleur de la pandémie. Ainsi, il évaluera si « un nombre plus important ou une diminution du nombre de ruptures » peut être observé au Canada au cours de la période de pandémie, comparativement aux années précédentes.

Les relations, comme celles que vivent les familles, sont diverses et complexes, et les couples ont dû s’adapter et réagir à un contexte unique et en constante évolution tout au long de l’année 2020, parfois tout en élevant des enfants. Bien qu’il soit encore trop tôt pour avoir une idée précise de l’impact global de la pandémie de COVID-19 sur les taux de séparation et de divorce au Canada, de nouvelles recherches continueront à guider ceux qui s’emploient à étudier, à servir et à soutenir les familles.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. J. Halliday Hardie et A. Lucas, « Economic Factors and Relationship Quality Among Young Couples: Comparing Cohabitation and Marriage » dans Journal of Marriage and Family, vol. 72, no 5 (2010), p. 1141-1154.
  2. C. Le Bourdais (17 juin 2020). Communication personnelle [courriel].
  3. Statistique Canada, « Histoire de famille : les couples vivant chacun chez soi » dans Infographies, no 11-627-M au catalogue de Statistique Canada. Lien : https://bit.ly/2GJDIl1
  4. B. Laplante (26 mai 2020). Entretien individuel [entretien individuel]. Révisé dans un souci de clarté.
  5. Statistique Canada, « Enquête sur la population active, mai 2020 » dans Le Quotidien (5 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2I0RL6D
  6. P. Gonalons-Pons et M. Gangl, Why Does Unemployment Lead to Divorce? Male-Breadwinner Norms and Divorce Risk in 30 Countries (CORRODE Working Paper #6) [Frankfurt: Goethe University, 2018]. Lien : https://bit.ly/2F2QE5f (PDF)
  7. H. Ariizumi, Y. Hu et T. Schirle, « Stand Together or Alone? Family Structure and the Business Cycle in Canada » dans Review of Economics of the Household, vol. 13, no 3 (2015), p. 135-161.
  8. P. Amato et B. Beattie, « Does the Unemployment Rate Affect the Divorce Rate? An Analysis of State Data 1960–2005 » dans Social Science Research, vol. 40, no 3 (2011), p. 705-715.
  9. J. K. Hellerstein et M. Sandler Morrill, « Booms, Busts, and Divorce » dans The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, vol. 11, no 1 (2011).
  10. R. González-Val and M. Marcén, « Divorce and the Business Cycle: A Cross-Country Analysis » dans Review of Economics of the Household, vol. 15, no 3 (2017), p. 879-904.
  11. A. Chowdhury, « ’Til Recession Do Us Part’: Booms, Busts and Divorce in the United States » dans Applied Economics Letters, vol. 20, no 3 (2013), p. 255–261.
  12. P. N. Cohen, « Recession and Divorce in the United States, 2008–2011 » dans Population Research and Policy Review, vol. 33, no 5 (2014).
  13. B. Ambrosino, « Recent U.S. Divorce Rate Trend Has ‘Faint Echo’ of Depression-Era Pattern », Johns Hopkins University (2014). Lien : https://bit.ly/2Pgln0h
  14. Amato et Beattie, « Does the Unemployment Rate Affect the Divorce Rate? An Analysis of State Data 1960–2005 ».
  15. R. Schoen et V. Canudas-Romo, « Timing Effects on Divorce: 20th Century Experience in the United States » dans Journal of Marriage and Family, vol. 68, no 3 (2006), p. 749-758.
  16. Ambrosino, « Recent U.S. Divorce Rate Trend Has ‘Faint Echo’ of Depression-Era Pattern ».
  17. Schoen et Canudas-Romo, « Timing Effects on Divorce: 20th Century Experience in the United States ».
  18. J. Schaller, « For Richer, If Not for Poorer? Marriage and Divorce Over the Business Cycle » dans Journal of Population Economics, vol. 26, no 3 (2013), p. 1007-1033.
  19. González-Val and Marcén, « Divorce and the Business Cycle: A Cross-Country Analysis ».
  20. T. Fischer et A. C. Liefbroer, « For Richer, for Poorer: The Impact of Macroeconomic Conditions on Union Dissolution Rates in the Netherlands 1972–1996 » dans European Sociological Review, vol. 22, no 5 (2006), p. 519-532. Lien : https://bit.ly/36Dai2U

 

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Le bien-être des jeunes au Canada

Edward Ng, Ph. D., et Nadine Badets

27 août 2020

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Le printemps et l’été 2020 ont été une période unique pour les enfants et les adolescents au Canada. Les familles partout au pays ont adapté leurs habitudes, leurs plans et leurs activités pour respecter la distanciation physique et autres mesures de santé publique mises en place pour prévenir la propagation de la COVID-19. Après la fermeture des écoles au printemps, près de cinq millions d’élèves se sont retrouvés en ligne plutôt qu’en classe, sans pouvoir côtoyer leurs camarades et leurs amis; en famille, ils ont apprivoisé la situation évolutive1.

Si les études montrent que la plupart des jeunes respectent les mesures de santé publique et font preuve de résilience, ils sont nombreux à trouver ces bouleversements ardus. Un sondage mené par UNICEF Canada auprès des jeunes révèle les éléments les plus difficiles pour eux : l’impossibilité de sortir de la maison, d’aller à l’école et de passer du temps avec leurs amis2. Ces activités sont importantes pour le bien-être des enfants et des adolescents. Les recherches soulignent en effet le caractère essentiel des interactions sociales pour le développement des jeunes, l’influence positive des pairs étant déterminante dans la réussite scolaire et le succès à l’âge adulte3.

Les jeunes s’inquiètent davantage que les membres de leur famille contractent la COVID-19 que de la contracter eux-mêmes

Les jeunes se sont pour la plupart isolés à la maison, mais certains membres de leur famille immédiate ont continué à se rendre au travail, risquant ainsi de contracter la maladie et de la transmettre.

Dans le sondage sur les impacts sociaux de la COVID-19 mené auprès des jeunes à la mi-mai par l’Association d’études canadiennes, en partenariat avec Expériences Canada et l’Institut Vanier de la famille, près de 4 adolescents de 12 à 17 ans interrogés sur 10 (39 %) ont dit être inquiets de contracter la maladie4, comparativement à plus de la moitié (56 %) des répondants adultes questionnés au début du mois de mai5. Cet écart peut s’expliquer en partie par la perception actuelle d’un plus faible risque de complications de la COVID-19 chez les groupes plus jeunes. En outre, les mêmes ensembles de données du sondage révèlent une plus grande peur des jeunes et des adultes (71 % et 67 %, respectivement) qu’un membre de leur famille immédiate contracte le virus.

De l’ennui, mais du bonheur aussi pour la plupart des jeunes dans le contexte des mesures de santé publique et de la distanciation physique

Dans le même sondage, plus de 80 % des répondants ont signalé qu’ils s’ennuyaient, mais, fait intéressant, une proportion semblable a aussi exprimé être heureuse (89 % des 12 à 14 ans et 84 % des 15 à 17 ans)6. Ces émotions peuvent être en partie causées par les changements d’emploi du temps occasionnés par la fermeture des écoles. Près de 7 jeunes sur 10 ont répondu qu’ils se détendaient plus qu’avant la pandémie : parmi les activités habituelles, ceux-ci disaient visionner des vidéos, des films et des émissions télévisées, ou écouter des balados (78 %), passer du temps sur les médias sociaux (63 %), écouter de la musique (59 %) et jouer à des jeux électroniques (51 %). Les jeunes qui ont déclaré s’ennuyer ou être heureux pendant la pandémie étaient plus susceptibles de répondre qu’ils avaient passé plus de temps à regarder des vidéos, des films ou des émissions télévisées pendant la pandémie qu’avant celle-ci (79 % et 81 %, respectivement).

Bien que la technologie puisse avoir pris plus de place dans la vie de quantité de personnes, elle ne constitue pas la seule façon de s’occuper des jeunes. Près de la moitié (45 %) des participants au sondage ont mentionné qu’ils contribuaient davantage qu’avant aux tâches ménagères, et plus du tiers s’adonne plus à l’art ou au bricolage (36 %), ou font plus de casse-têtes (35 %) qu’avant la pandémie7.

Par ailleurs, même avant la crise sanitaire, les parents exprimaient déjà leurs inquiétudes en lien avec l’obsession des jeunes envers la technologie8, 9. Pendant le confinement, quelque 64 % des parents ayant répondu à une enquête de production participative (crowdsourcing) menée par Statistique Canada étaient inquiets de la quantité de temps passé devant les écrans par leurs enfants10. Toutefois, selon l’UNICEF, les études les plus fiables soutiennent que l’utilisation modérée de la technologie numérique tend à être positive pour le bien-être mental des enfants et des adolescents; à l’inverse, l’utilisation excessive ou l’absence d’utilisation peut avoir un léger effet négatif11. Quant à Internet et à la technologie numérique, bien qu’ils procurent aide et sens d’inclusion, ils présentent aussi un risque de cyberintimidation, peuvent influer sur la santé mentale et aggraver des troubles du sommeil12.

Plus du tiers des jeunes sondés estiment leur santé mentale affectée

Avant la COVID-19, les faits étaient connus : les taux de maladies mentales et de mauvaise santé mentale étaient plus élevés chez les jeunes que chez les groupes plus âgés au Canada. Par exemple, le taux de dépression des 15 à 24 ans surpassait celui de tout autre groupe d’âge13. Une étude récente des données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes montre une baisse de 6 % des jeunes de 12 à 17 ans signalant une excellente ou une très bonne santé mentale de 2015 à 2019 (78 % et 73 %, respectivement)14. Qui plus est, en 2018, le suicide était la cause première de décès chez les garçons de 15 à 19 ans, et la deuxième chez les jeunes filles du même groupe d’âge au Canada15.

À la mi-mai, plus du tiers (37 %) des répondants au sondage sur les jeunes ont indiqué avoir ressenti des effets négatifs sur leur santé mentale16. Comparativement à des participants de 18 ans et plus interrogés au début du mois de mai17, les 12 à 17 ans ont exprimé davantage de tristesse (57 % contre 45 %, respectivement) et d’irritabilité (65 % et 39 %) que les adultes. Ils ont aussi signalé plus de troubles de sommeil (50 % contre 35 %).

Un autre sondage mené du 10 au 14 avril 2020 auprès d’adolescents et de jeunes adultes de 14 à 27 ans pour le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) a aussi noté un déclin sur le plan de la santé mentale au début de la pandémie, autant chez les jeunes souffrant de problèmes de santé mentale préexistants que chez ceux qui n’en vivaient pas18.

Un effet immédiat des répercussions de la pandémie sur la santé mentale est la hausse de la demande de services de soutien pour les jeunes dans ce domaine. Jeunesse, J’écoute, un service téléphonique national 24 h/24, 7 j/7 de soutien et d’aide en situation de crise pour les enfants et les adolescents, a reçu près de 2 000 appels et textos par jour19 à la mi-mars 2020, soit deux fois plus que l’année précédente. Le nombre d’appels liés à des crises a aussi augmenté, ce qui s’est traduit par davantage d’interventions des services d’urgence qu’à l’habitude, l’organisme effectuant chaque jour 8 à 10 appels à ces services depuis le début de la pandémie.

Passer plus de temps de qualité en famille, mais s’ennuyer de ses amis

Le transfert du travail et de l’école à la maison, de même que les changements d’habitudes et d’horaires, a offert aux familles plus d’occasions de tisser des liens. Les données du sondage de la mi-mai mené auprès des jeunes le confirment : les deux tiers (67 %) des répondants affirment avoir tenu des conversations plus significatives en famille pendant la pandémie qu’avant20. En comparaison, seulement 50 % des adultes sondés au début du même mois ont indiqué avoir entretenu des échanges plus enrichissants avec leur conjoint ou partenaire.

Sur le plan familial, près du quart (24 %) des parents ont répondu qu’ils avaient passé plus de temps avec leurs enfants pendant le confinement21. La grande majorité des répondants, jeunes comme adultes (74 % et 81 %, respectivement), ont indiqué que les membres de leur famille s’aidaient les uns les autres. Par contre, quelque 43 % des jeunes ont signalé qu’ils se querellaient davantage avec eux, et seulement 19 % des adultes ont affirmé qu’ils se disputaient davantage avec leur conjoint ou partenaire.

En revanche, les jeunes ressentent une grande perte de liens avec leurs amis. Environ 70 % d’entre eux ont affirmé s’être confinés durant la pandémie, sauf pour combler des besoins essentiels. Seuls 24 % ont mentionné avoir visité des amis ou des membres de leur famille pendant la semaine précédant le sondage22.

Selon l’Angus Reid Institute, les jeunes ont affirmé que le pire du confinement à la maison était de s’ennuyer de leurs amis (54 %)23. Plus de la moitié (53 %) d’entre eux ont mentionné que l’isolement dû à la COVID-19 avait eu des effets négatifs sur leurs relations avec leurs amis24. L’enquête de production participative menée par Statistique Canada fournit aussi le point de vue des parents. Près des trois quarts (71 %) des participants étaient inquiets du manque de contacts de leurs enfants avec leurs amis, et 54 % d’entre eux se faisaient du souci au sujet de l’isolement social de leurs enfants25.

L’apprentissage à distance pendant la pandémie de COVID-19 : une leçon difficile?

La gestion de l’école virtuelle à la maison s’est avérée un défi pour de nombreuses familles et quantité d’enseignants partout au Canada. On a décrit cet apprentissage en ligne imposé par la pandémie comme la plus importante expérience d’apprentissage à distance de l’histoire26. À la suite de la fermeture soudaine des écoles, les enseignants ont dû adapter leur façon d’enseigner avec peu de formation et de ressources.

Plus de la moitié (51 %) des jeunes ont affirmé que la pandémie a eu un effet très négatif sur leur année ou leur réussite scolaire27. Seulement 27 % ont répondu qu’ils sont entièrement d’accord et 43 %, partiellement d’accord, avec l’énoncé indiquant qu’ils accomplissent bien leurs travaux scolaires à la maison.

Environ 41 % des 12 à 17 ans ont confié que l’école leur manquait « beaucoup » et 31 %, « un peu ». Parmi les nombreux défis de l’apprentissage à distance, citons la perte de contacts avec les amis, l’école et les ressources scolaires, le manque de motivation, la gestion du temps et l’organisation en ligne28. Bien que 75 % des jeunes soutiennent qu’ils ont gardé le cap sur leurs études pendant le confinement, quantité d’autres se sentaient démotivés (60 %) et n’aimaient pas la façon de faire (57 %) (p. ex., l’apprentissage en ligne et les classes virtuelles)29.

L’apprentissage à distance nécessite un accès à Internet, et si l’Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet de 2018 a révélé que 94 % des Canadiens disposaient d’un tel accès à domicile, il existe néanmoins des inégalités dans la capacité des élèves à participer activement à l’éducation en ligne. Quelques raisons invoquées par ceux qui n’avaient pas accès à Internet : le caractère abordable du service (28 %), l’équipement (19 %) et la non-disponibilité du service (8 %)30.

Bien qu’environ 8 jeunes sur 10 ont déclaré avoir toujours assez d’argent pour subvenir à leurs besoins essentiels, comme l’alimentation, les vêtements, les soins de santé et le logement31, répondre aux besoins fondamentaux et accéder à un endroit confortable pour étudier pendant la pandémie peut être encore plus difficile pour les jeunes et les familles à faible revenu ou qui viennent de perdre leur emploi et leur revenu. En outre, les fermetures d’écoles peuvent avoir des répercussions sur la sécurité alimentaire, car certains programmes de repas scolaires ont été conçus pour atténuer l’insécurité alimentaire des élèves issus de familles à faible revenu32.

Le suivi à long terme des effets de la COVID-19 est important pour le bien-être des jeunes

Sans école, sans activités parascolaires, sans autres occasions de voir leurs pairs, les jeunes perdent un temps précieux pour socialiser avec leurs amis, leurs camarades de classe, leurs enseignants, leurs entraîneurs et d’autres professionnels, alors que toutes ces relations pourraient être fondamentales pour leur parcours scolaire et le développement de leur personnalité. Bien que les médias sociaux, les textos, les appels téléphoniques et autres technologies de communication ont certainement permis d’atténuer quelque peu ce manque de contacts, la santé mentale des jeunes au Canada a été grandement affectée pendant la pandémie.

Des études antérieures sur les répercussions des interruptions scolaires, comme les grèves d’enseignants et les fermetures d’écoles pendant la pandémie de polio de 1916, ont cerné les effets négatifs à court et à long termes sur le développement scolaire et l’acquisition de connaissances33, 34, 35. Une étude récente concernant les répercussions potentielles de la pandémie sur l’éducation des jeunes au Canada a souligné que les effets négatifs pourraient accroître l’écart en termes de compétences socioéconomiques de 30 %, rien de moins36. Pendant que les autorités provinciales et les conseils scolaires étudient la manière de procéder pour rouvrir les écoles de manière sûre afin de limiter la propagation de la COVID-1937, il sera important de faire preuve d’innovation pour adapter notre système d’éducation et ainsi éviter ou atténuer les écarts en matière de rendement scolaire, dès aujourd’hui et dans les années à venir.

Edward Ng, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Erin Duffin, « Enrollment in Public Elementary and Secondary Schools in Canada in 2017/18, by Province » dans Statista (29 octobre 2019). Lien : https://bit.ly/311SjPn
  2. UNICEF Canada, U-Report Canada: Impacts of the COVID-19 Pandemic on Young People in Canada – Poll 2: Examining the Issues (mai 2020). Lien : https://bit.ly/2YuMCcr (PDF)
  3. Shqiponja Telhaj, « Do Social Interactions in the Classroom Improve Academic Attainment? » dans IZA World of Labor (juin 2018). Lien : https://bit.ly/3hPqGzR
  4. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne (21 mai 2020). Lien : https://bit.ly/31oB8sA (PDF). Le Réseau COVID-19 sur les impacts sociaux de l’Association d’études canadiennes, en partenariat avec Expériences Canada et l’Institut Vanier de la famille, a mené un sondage Web national sur la COVID-19 auprès de la population des 12 à 17 ans au Canada du 29 avril au 5 mai 2020. Au total, 1 191 réponses ont été reçues, et la marge d’erreur probabiliste était de ±3 %.
  5. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 1er au 3 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 526 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  6. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  7. Ibidem
  8. Monica Anderson et Jingjing Jiang, « Teens, Social Media & Technology 2018 » dans Pew Research Center (31 mai 2018). Lien : https://pewrsr.ch/30aWglE (PDF)
  9. Wesley Sanders, et autres. « Parental Perceptions of Technology and Technology-Focused Parenting: Associations with Youth Screen Time » dans Journal of Applied Developmental Psychology (mai-juin 2016). Lien : https://bit.ly/30gsCeV
  10. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur les familles et les enfants canadiens » dans Le Quotidien (9 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/3liSn6u
  11. Daniel Kardefelt-Winther, How Does the Time Children Spend Using Digital Technology Impact Their Mental Well-Being, Social Relationships and Physical Activity? An Evidence-Focused Literature Review, UNICEF (décembre 2017). Lien : https://bit.ly/33b3TKQ (PDF)
  12. OCDE, « Children & Young People’s Mental Health in the Digital Age » (2018). Lien : https://bit.ly/3jXBFcg (PDF)
  13. Leanne Findley, « Dépression et idéation suicidaire chez les Canadiens de 15 à 24 ans » dans Rapports sur la santé, no 82-003-X au catalogue de Statistique Canada, vol. 28, no 1, 3-11 (18 janvier 2017). Lien : https://bit.ly/3hre1mN
  14. Statistique Canada, « Comprendre l’état de santé mentale perçu des Canadiens avant la pandémie de COVID-19 » dans Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, 2019 (6 août 2020). Lien : https://bit.ly/3hmrWdX
  15. Statistique Canada, « Les principales causes de décès, population totale, selon le groupe d’âge », tableau 13-10-0394-01 (consulté le 13 août 2020). Lien : https://bit.ly/2QphM0l
  16. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  17. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 1er au 3 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 526 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  18. Robert Cribb, « Youth Mental Health Deteriorating Under Pandemic Stresses, New CAMH Study Reveals » dans The Star (28 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3ikLMaf
  19. Jeff Semple, « Kids Help Phone Calls for Back Up Amid Record Demand – and Canadians Respond » dans Global News (28 juin 2020). Lien : https://bit.ly/3gbeDMr
  20. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  21. Ibidem
  22. Ibidem
  23. Angus Reid Institute, Kids & COVID-19: Canadian Children Are Done with School from Home, Fear Falling Behind, and Miss Their Friends (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3kVRReK
  24. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  25. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur les familles et les enfants canadiens » dans Le Quotidien (9 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/3liSn6u
  26. Paul W. Bennett, « This Grand Distance-Learning Experiment’s Lessons Go Well Beyond What the Students Are Learning » dans CBC News (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/33bNEgo
  27. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  28. UNICEF Canada, U-Report Canada: Impacts of the COVID-19 Pandemic on Young People in Canada – Poll 2: Examining the Issues (mai 2020). Lien : https://bit.ly/2YuMCcr (PDF)
  29. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  30. Statistique Canada, « Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet » dans Le Quotidien (29 octobre 2019). Lien : https://bit.ly/2EtokZ4
  31. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  32. Canadian Medical Association Journal, « Indirect Adverse Effects of COVID-19 on Children and Youth’s Mental, Physical Health » dans EurekAlert (25 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2BWMvOr
  33. Michael Baker, « Industrial Actions in Schools: Strikes and Student Achievement » dans Canadian Journal of Economics (mars 2011). Lien : https://bit.ly/3gaona6
  34. Michèle Belot et Dinand Webbink, « Do Teacher Strikes Harm Educational Attainment of Students? » dans Labour Economics, vol. 24, no 4, p. 391-406 (2010). Lien : https://bit.ly/3aYuJI3
  35. Keith Meyers et Melissa A. Thomasson, « Paralyzed by Panic: Measuring the Effect of School Closures During the 1916 Polio Pandemic on Educational Attainment » dans NBER Working Paper Series 23890 (septembre 2017). Lien : https://bit.ly/3hSzswU (PDF)
  36. Catherine Haeck et Pierre Lefebvre, « Pandemic School Closures May Increase Inequality in Test Scores » dans Série de cahiers de recherche du Groupe de recherche sur le capital humain (juin 2020). Lien : https://bit.ly/30elgbN (PDF)
  37. Carly Weeks, « Rising Rates of COVID-19 in Children, Adolescents Spark Concerns About Back to School Plans » dans The Globe and Mail (23 juin 2020). Lien : https://tgam.ca/3hTmFuk

 

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Les familles et le logement au Canada

Nadine Badets, Gaby Novoa et Nathan Battams

21 juillet 2020

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La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions sur les familles et la vie de famille partout au Canada, et les mesures de confinement économique et de distanciation physique ont eu une incidence sur le paysage socioéconomique, culturel et contextuel qui teinte le bien-être des familles. Le logement n’y fait pas exception : les acheteurs potentiels voient le secteur immobilier ralenti par l’incertitude, et les mesures de distanciation physique ne sont pas facilement applicables pour de nombreuses familles vivant dans des logements surpeuplés ou inadaptés.

Le confinement dû à la COVID-19 a considérablement ralenti le marché immobilier au Canada

Dans la plupart des grandes villes du Canada (16 sur 27), le prix des logements neufs n’a pratiquement pas changé en avril 2020. Cependant, les ventes de maisons neuves et la revente de maisons moins récentes partout au Canada ont diminué considérablement au plus fort de la pandémie. Les constructeurs interrogés par Statistique Canada en avril 2020 ont déclaré avoir observé une baisse de près des deux tiers (64 %) des ventes de maisons neuves par rapport au même mois en 2019. L’Association canadienne de l’immeuble a signalé une diminution de 58 % des reventes de maisons en avril entre 2020 et 20191.

Compte tenu de la fermeture des économies et des pertes d’emplois importantes, les provinces et les territoires ont imposé des interdictions d’expulsion et des suspensions de paiement pour soutenir les locataires. La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a également exhorté tous les propriétaires, y compris ceux qui bénéficient d’une assurance ou d’un financement de la SCHL, à s’abstenir d’expulser les locataires pendant la pandémie de COVID-192. Cependant, au fur et à mesure que les restrictions liées à la pandémie seront levées, de nombreuses personnes et familles au Canada pourraient être confrontées à une expulsion et/ou être tenues de rembourser des sommes importantes en raison d’un loyer impayé.

La demande dans les refuges pour sans-abri a augmenté considérablement pendant le confinement

Avant la pandémie de COVID-19, les problèmes d’accessibilité et d’abordabilité du logement étaient inégalement et excessivement répandus parmi certains groupes au Canada, notamment chez les nouveaux arrivants et les réfugiés, les groupes racialisés, les personnes LGBTQ2S, les personnes âgées, les Autochtones et les personnes handicapées ou souffrant de problèmes de santé mentale3.

L’itinérance4 est particulièrement préoccupante pendant la pandémie, car elle expose les gens à des conditions de vie dangereuses qui peuvent présenter des conséquences graves pour la santé physique et mentale, en plus de rendre difficile le respect des nouvelles ordonnances de santé publique telles que la distanciation physique.

Qu’elles déménagent de domicile en domicile (ce que l’on qualifie souvent de « sans-abri cachés »), passent du temps dans des refuges5, vivent selon des modalités provisoires ou dorment à divers endroits, ou encore qu’elles conjuguent une combinaison de ces options, les personnes en situation d’itinérance se trouvent souvent à proximité de plusieurs autres personnes et n’ont pratiquement pas accès aux ressources nécessaires pour appliquer les pratiques d’hygiène recommandées6.

En 2014, on estimait que le Canada comptait au moins 235 000 sans-abri au cours d’une année donnée, et environ 35 000 au cours d’une nuit donnée. En général, les individus passent en moyenne 10 jours dans des refuges, et les familles y passent le double de ce temps7. Tout au long de la pandémie de COVID-19, les refuges situés dans les villes canadiennes ont signalé leur utilisation accrue par la clientèle habituelle et de nouveaux bénéficiaires8. Cependant, en raison des restrictions relatives à la distanciation physique, les refuges ont dû réduire considérablement le nombre de lits et de places qu’ils offrent, ce qui a privé beaucoup de gens d’un endroit où loger9, 10.

L’augmentation du nombre de signalements de violence familiale11, de maltraitance12 et de problèmes de santé mentale13 a également laissé de nombreuses personnes et familles sans logement. Plusieurs refuges ont augmenté le soutien aux sans-abri en créant des places dans des centres communautaires, des hôtels et des logements permanents, mais ils n’ont pas la capacité financière de répondre à la demande accrue pour des services d’hébergement14, 15.

Les problèmes de logement dans les collectivités des Premières Nations et des Inuits sont associés à l’augmentation du risque lié à la COVID-19

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les dirigeants et les peuples autochtones ont attiré l’attention sur la dévastation continue causée par la tuberculose chez les Premières Nations, les Inuits et les différentes collectivités, rappelant au Canada que la COVID-19 n’est pas la seule pandémie à laquelle ils sont confrontés16, 17.

En 2017, le taux associé à la tuberculose chez les Inuits était de 205,8 cas pour 100 000 habitants, et il était de 21,7 cas pour 100 000 habitants au sein des Premières Nations (dans les réserves). La tuberculose était également répandue chez les immigrants, avec un taux de 14,7 pour 100 000 habitants chez les personnes nées à l’extérieur du Canada, alors que pour les personnes non autochtones nées au Canada, ce taux était de 0,5 pour 100 000 habitants18. Au 19 avril 2020, la seule région inuite à avoir signalé des cas de COVID-19 était le Nunavik, avec 14 cas (5 guéris et 9 actifs)19. Chez les Premières Nations, les données recueillies auprès des différentes collectivités montrent qu’au 10 mai 2020, on dénombrait 465 cas de COVID-19 et 7 décès20.

En 2016, les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat21 (la patrie des Inuits) étaient plus susceptibles de vivre dans des ménages surpeuplés22 (52 %) et dans des maisons nécessitant des réparations majeures23 (32 %)24. Le logement inadapté est également répandu chez certaines Premières Nations, où des problèmes tels que le surpeuplement des ménages (27 %)25, 26 et les maisons nécessitant des réparations majeures (24 %)27 sont beaucoup plus fréquents que chez les non-Autochtones au Canada (9 % et 6 %)28.

Le surpeuplement des ménages aggrave le risque de contracter des maladies respiratoires infectieuses comme la tuberculose et la COVID-19, cette dernière étant considérée comme encore plus contagieuse que la tuberculose29. Les conditions de logements insalubres ont été directement associées à la qualité de la santé et du bien-être, et des études montrent un risque accru de propagation des maladies infectieuses et respiratoires, de maladies chroniques, de blessures, de malnutrition, de violence et de troubles mentaux30. Le surpeuplement des ménages complique aussi – et exclut peut-être – la distanciation physique et l’isolement des personnes malades au sein d’un ménage. Les maisons nécessitant des réparations majeures peuvent poser divers risques pour la santé. En particulier, l’accès insuffisant aux infrastructures d’approvisionnement en eau chez certaines Premières Nations engendre des risques supplémentaires d’infection et de transmission.

Les ménages multigénérationnels se heurtent à davantage d’obstacles à la distanciation physique

Les ménages multigénérationnels constituent un atout important pour de nombreuses familles au Canada, car ils peuvent faciliter les soins et le soutien entre les générations, permettre à certains parents d’économiser sur les services de garde, en plus de faciliter l’apprentissage intergénérationnel31. Entre 2001 et 2016, les ménages multigénérationnels ont connu la croissance la plus rapide au Canada, soit une augmentation de 38 % pour atteindre près de 404 000 foyers32.

Ces types de ménages peuvent être confrontés à des obstacles particuliers à la distanciation sociale, étant donné que les personnes âgées vivant au sein du foyer sont considérées comme faisant partie des populations les plus vulnérables au virus33.

En 2016, 11 % des immigrants vivaient dans des ménages multigénérationnels34, tout comme 5 % des non-immigrants35. Les enfants autochtones de 0 à 14 ans étaient plus susceptibles de vivre au sein de ménages multigénérationnels36 que les enfants non autochtones (8 %), avec 13 % des enfants des Premières Nations, 13 % des enfants inuits et 7 % des enfants métis37.

Le développement durable est intimement lié au logement

La pandémie de COVID-19 a touché de nombreux aspects du logement au Canada et intensifié les inégalités préexistantes chez les communautés marginalisées du pays. Comme le Canada s’est engagé à mettre en œuvre les objectifs de développement durable des Nations Unies – lesquels portent sur des facteurs comme la pauvreté (ODD 1), la santé et le bien-être (ODD 3) et la réduction des inégalités (ODD 10) –, le logement sera un élément important des réponses et des discussions stratégiques sur ce sujet, ce qui revêt une importance particulière dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Gaby Novoa est responsable des communications à l’Institut Vanier de la famille.

Nathan Battams est directeur des communications à l’Institut Vanier de la famille.

 


Notes

  1. Statistique Canada, « Indice des prix des logements neufs, avril 2020 » dans Le Quotidien (21 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2Cw1Tlo
  2. Société canadienne d’hypothèques et de logement, « COVID-19 : Expulsions – Interdictions et interruptions pour soutenir les locataires » (25 mars 2020). Lien : https://bit.ly/3jetOH6
  3. Homeless Hub, « Communautés racialisées » (s.d.). Lien : https://bit.ly/3fLQjkB
  4. On peut décrire l’itinérance comme étant de très courte durée (être sans logement pendant une nuit ou plus), épisodique (entrer et sortir de l’itinérance) ou chronique (de longue durée). Pour plus d’information, consultez le site Web de Homeless Hub. Lien : https://bit.ly/2OK81Jo
  5. Les refuges comprennent les refuges d’urgence pour sans-abri, les refuges pour femmes victimes de violence et les logements institutionnels temporaires. Pour plus d’information, consultez le site Web de Homeless Hub. Lien : https://bit.ly/32HhzwO
  6. Jennifer Ferreira, « The Toll COVID-19 Is Taking on Canada’s Homeless » dans CTV News (22 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2N7AcB8
  7. Stephen Gaetz, Erin Dej, Tim Richter et Melanie Redman, « L’état de l’itinérance au Canada 2016 » dans Observatoire canadien sur l’itinérance, Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance (2016). Lien : https://bit.ly/3fYiL2s (PDF)
  8. Ferreira, « The Toll COVID-19 Is Taking on Canada’s Homeless ».
  9. Nicole Mortillaro, « It’s Heartbreaking: Homeless During Pandemic Left Out in the Cold – Figuratively and Literally » dans CBC News (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2NcOQao
  10. Matthew Bingley, « Coronavirus: Toronto Officials Call for Provincial Pandemic Plan for Shelters to Avoid “Mass Outbreaks” » dans Global News (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3dhnWII
  11. Cec Haire, « Increase in Domestic Violence Calls Persists Throughout Pandemic, Says Non-Profit » dans CBC News (2 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/32eJp3p
  12. Santé publique Ontario, « Examen rapide : Mesures communautaires de santé publique en situation de pandémie (dont la COVID-19) : répercussions négatives sur les enfants et les familles » (2020). Lien : https://bit.ly/3jki8Tl (PDF)
  13. Aisha Malik, « CAMH Expands Virtual Mental Health Services Amid COVID-19 Pandemic » dans MobileSyrup (4 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3gVt73i
  14. Mortillaro, « “It’s Heartbreaking”: Homeless During Pandemic Left Out in the Cold – Figuratively and Literally. »
  15. Ferreira, « The Toll COVID-19 Is Taking on Canada’s Homeless ».
  16. Olivia Stefanovich, « COVID-19 Shouldn’t Overshadow Ongoing Fight Against TB, Inuit Leaders Say » dans CBC News (12 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3doVTr3
  17. John Borrows et Constance MacIntosh, « Indigenous Communities Are Vulnerable in Times of Pandemic. We Must Not Ignore Them » dans The Globe and Mail (mis à jour le 21 mars 2020). Lien : https://tgam.ca/2YYhTDY
  18. M. LaFreniere et autres, « La tuberculose au Canada, 2017 » dans Relevé des maladies transmissibles au Canada (7 février 2019). Lien : https://bit.ly/3fFFWP3
  19. Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, « COVID-19 : 14e CAS CONFIRMÉ AU NUNAVIK », communiqué (19 avril 2020). Lien : https://bit.ly/32qU5vH (PDF)
  20. Courtney Skye, « Colonialism of the Curve: Indigenous Communities and Bad Covid Data », Yellowhead Institute (12 mai 2020). Lien : https://bit.ly/37W5kgi
  21. L’Inuit Nunangat est composé de quatre régions inuites : le Nunatsiavut (nord du Labrador), le Nunavik (nord du Québec), le Nunavut et la région désignée des Inuvialuit (nord des Territoires du Nord-Ouest). Inuit Tapiriit Kanatami, « Inuit Nunangat Map » (mis à jour le 4 avril 2019). Lien : https://bit.ly/2WgN4de
  22. Statistique Canada (Recensement de la population, 2016). « Personnes par pièce » est un indicateur du niveau de surpeuplement dans un logement privé. On l’obtient en divisant le nombre de personnes dans le ménage par le nombre de pièces se trouvant dans le logement et les logements comptant plus d’une personne par pièce sont considérées comme surpeuplés. Dans Dictionnaire, Recensement de la population, 2016 (3 mai 2017). Lien : https://bit.ly/2ZC1hmN
  23. Les réparations majeures, telles que définies par Statistique Canada (Recensement de la population, 2016), comprennent une plomberie ou une installation électrique défectueuse, et les logements qui ont besoin de réparations structurelles aux murs, aux sols ou aux plafonds. « État du logement » dans Dictionnaire, Recensement de la population, 2016 (3 mai 2017). Lien : https://bit.ly/2ZCxB9d
  24. Thomas Anderson, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada » dans Recensement en bref (25 octobre 2017). Lien : https://bit.ly/3eEolpe
  25. Ibidem
  26. Statistique Canada, « Logement » dans Un aperçu des statistiques sur les Autochtones : 2e édition (24 décembre 2015). Lien : https://bit.ly/3fEQ5eO
  27. Anderson, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada ».
  28. Institut Vanier de la famille, « Les familles autochtones au Canada » dans Faits et chiffres (13 juin 2018).
  29. Olivia Stefanovich, « COVID-19 Shouldn’t Overshadow Ongoing Fight Against TB, Inuit Leaders Say ».
  30. Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, « Le logement : un déterminant social de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis » (2017). Lien : https://bit.ly/30lIwn2 (PDF)
  31. Asfia Yassir, « Having Grandparents at Home Is a Blessing » dans South Asian Post (4 mars 2018). Lien : https://bit.ly/2WhlrR5
  32. Institut Vanier de la famille, « Les données du Recensement de 2016 mettent en relief la diversité familiale au Canada » (25 octobre 2017).
  33. Caroline Alphonso et Xiao Xu, « Multigenerational Households Face Unique Challenges in Battling Spread of Coronavirus » dans The Globe and Mail (mis à jour le 21 mars 2020). Lien : https://tgam.ca/2O9ss24
  34. Définis par Statistique Canada (Recensement de la population de 2016) comme les ménages où au moins une personne vit avec un enfant et un petit-enfant.
  35. Statistique Canada, « Catégorie d’admission et type de demandeur (47), statut d’immigrant et période d’immigration (11B), âge (7A), sexe (3) et certaines caractéristiques démographiques, culturelles, de la population active et de la scolarité (825) pour la population dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) », tableaux de données, Recensement de 2016 (mis à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/3fP0tko
  36. Définis comme vivant dans un ménage avec au moins un parent et un grand-parent.
  37. Statistique Canada, « Caractéristiques de la famille des enfants, incluant la présence de grands-parents (10), identité autochtone (9), statut d’Indien inscrit ou des traités (3), âge (4B) et sexe (3) pour la population âgée de 0 à 14 ans dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) », tableaux de données, Recensement de 2016 (mis à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/39e0VGr

 

Insécurité alimentaire et finances familiales pendant la pandémie

Nadine Badets

12 juin 2020

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Le confinement lié à la COVID‑19 et les répercussions économiques qui en découlent ont engendré un stress financier important chez les familles au Canada. Entre février et avril 2020, environ 1,3 million de personnes au Canada étaient au chômage, dont environ 97 % avaient récemment été mis à pied sur une base temporaire, ce qui signifie qu’elles peuvent s’attendre à retrouver leur emploi lorsque les restrictions liées à la pandémie seront assouplies1.

Des recherches ont démontré que l’insécurité financière peut considérablement limiter l’accès à la nourriture pour les familles à faible revenu en plus d’accentuer les inégalités socioéconomiques2. D’autres facteurs, comme la santé et l’incapacité, le niveau de soutien social et la disponibilité restreinte de certains produits alimentaires, contribuent également à l’insécurité alimentaire pendant la pandémie de COVID‑19.

Les inégalités financières sont renforcées en ces temps de distanciation physique et de confinement

Dans l’ensemble, 5,5 millions d’adultes au Canada ont été touchés par la perte d’un emploi ou ont vu leurs heures de travail diminuer pendant le confinement lié à la COVID‑19, ce qui indique que ces personnes et leur ménage ont subi une importante réduction de leurs revenus destinés aux nécessités, comme la nourriture et le logement3. En 2018, environ 3,2 millions de personnes vivaient en deçà du seuil officiel de la pauvreté au Canada4, et il est fort probable que ces chiffres aient augmenté compte tenu des répercussions économiques de la pandémie.

Ce contexte contribue également à accentuer les inégalités financières actuelles5. En 2015, la fréquence du faible revenu à l’échelle nationale au Canada était de 14 %, mais elle était beaucoup plus élevée chez certains groupes, comme les immigrants (les Arabes, les Asiatiques occidentaux, les Coréens, les Chinois), les peuples autochtones (les Premières Nations, les Inuits, les Métis) et les Noirs6, 7. Ces groupes étaient plus susceptibles de vivre avec un faible revenu avant le confinement lié à la COVID‑19, et d’indiquer que la pandémie avait eu un effet négatif sur leurs finances. Selon les données d’un récent sondage mené par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger8, plus de la moitié des minorités visibles (51 %) ont vu leurs revenus diminuer pendant le confinement, et les Autochtones (42 %) étaient plus susceptibles de signaler avoir éprouvé de la difficulté à respecter leurs obligations financières, notamment à payer leurs factures à temps9, 10.

Le recours aux banques alimentaires de partout au Canada est en forte hausse depuis le début de la pandémie de COVID‑19

Avant la pandémie de COVID‑19, l’organisme Banques alimentaires Canada estimait que la fréquentation des banques alimentaires à l’échelle du pays s’était stabilisée, ayant comptabilisé en 2019 presque le même nombre de visites qu’en 2018, soit un niveau semblable à celui de 2010. Au cours du mois de mars 2019, on enregistrait près de 1,1 million de visites dans les banques alimentaires dans l’ensemble du pays, et plus de 374 000 visites visaient à nourrir les enfants11.

Statistique Canada estime qu’en 2017-2018, environ 9 % des ménages canadiens, soit 1,2 million, étaient en situation d’insécurité alimentaire, ce qui signifie qu’ils éprouvaient des difficultés financières à se procurer de la nourriture et qu’ils n’en avaient pas suffisamment pour que tous les membres du ménage puissent manger des repas nutritifs sur une base régulière12, 13. Comme dans le cas de l’insécurité financière, l’insécurité alimentaire touche certains groupes de manière disproportionnée au Canada. Par exemple, en 2014, l’insécurité alimentaire chez les Noirs (29 %) et les Autochtones (26 %) était plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale (12 %)14.

Les recherches démontrent systématiquement que les personnes vivant dans des collectivités isolées et du Nord sont plus susceptibles de connaître l’insécurité alimentaire, c’est notamment le cas des collectivités inuites de l’Inuit Nunangat, la terre natale des Inuits15. Il a également été constaté que les peuples autochtones vivant en milieu urbain sont particulièrement touchés par l’insécurité alimentaire. En 2017, 38 % des Autochtones de 18 ans et plus vivant en milieu urbain étaient en situation d’insécurité alimentaire16.

Depuis le début de la pandémie de COVID‑19, l’organisme Banques alimentaires Canada a signalé une augmentation moyenne de 20 % de la demande pour les services des banques alimentaires dans l’ensemble du pays, se rapprochant de façon alarmante de l’augmentation de 28 % observée pendant la Grande Récession. Selon les projections de Banques alimentaires Canada, on estime que la demande pourrait continuer d’augmenter pour atteindre des niveaux de 30 % à 40 % supérieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie. Certaines banques alimentaires – comme The Daily Bread à Toronto, l’une des plus grandes banques alimentaires au Canada – ont vu la demande augmenter de plus de 50 %17.

L’augmentation des ventes d’épicerie est associée à l’obtention du soutien financier de la PCU

Au début de la pandémie (entre la fin de mars et le début d’avril 2020), 63 % des gens ont déclaré avoir fait des provisions de produits alimentaires et pharmaceutiques essentiels par mesure de précaution18.

Les ventes d’épicerie à l’échelle du Canada ont connu une forte hausse en mars 2020, augmentant de 40 % vers la fin du mois et demeurant élevées jusqu’à la mi-avril19. L’octroi d’une aide financière fédérale aux chômeurs, comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU)20, semble directement relié à une augmentation des ventes d’épicerie, ce qui contribue probablement à atténuer l’insécurité alimentaire pour certains Canadiens21.

Actuellement, les bénéficiaires de la PCU ne peuvent toutefois soumettre leur demande de prestations que quatre fois, pour un total de 16 semaines. Or, à l’approche du mois de juillet 2020, de nombreux Canadiens utiliseront leur dernier versement de PCU, et ils ne seront pas tous admissibles à un transfert vers l’assurance-emploi, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur l’insécurité alimentaire au Canada.

Les parents seuls et les aînés disposant d’un faible niveau de soutien social sont ceux qui éprouvent le plus de difficultés à se procurer des denrées alimentaires

Les mesures de distanciation physique (sociale) ont également créé de nouveaux obstacles pour les individus et les familles qui tentent de s’y retrouver dans les nouvelles règles indiquant quand et comment s’y prendre pour faire l’épicerie, ou auprès de qui ils peuvent ou devraient se tourner pour faire faire leur épicerie. Pour certains, comme les aînés, les parents seuls, les personnes ayant des incapacités et celles qui ont un système immunitaire affaibli (ou qui s’occupent d’une personne présentant une telle condition), le fait de disposer de moyens financiers limités et d’un faible soutien social peut restreindre sérieusement l’accès à la nourriture.

En 2017-2018, les parents célibataires ayant des enfants de moins de 18 ans connaissaient les niveaux d’insécurité alimentaire les plus élevés au Canada. Les mères de famille monoparentale affichaient le plus fort taux d’insécurité alimentaire avec 25 %, suivies par les pères de famille monoparentale avec 16 %22. À titre comparatif, les hommes et les femmes vivant seuls affichaient un taux de 12 %, les couples avec enfants de moins de 18 ans, 7 %, et les couples sans enfant, 3 %23.

Les mesures de distanciation physique peuvent s’avérer particulièrement complexes pour les parents seuls n’ayant pas accès à des services de garde, car ils peuvent être contraints d’emmener les enfants à l’épicerie, enfreignant ainsi les règles de distanciation physique et risquant d’exposer les enfants au virus, ou encore de s’adresser à des organismes comme les banques alimentaires pour obtenir du soutien24.

Les aînés ayant un faible revenu sont moins susceptibles de bénéficier d’un haut niveau de soutien social (77 %) que les aînés vivant avec un revenu élevé (89 %). Durant les périodes d’isolement, comme dans le cas du confinement actuel, l’accès aux produits essentiels comme la nourriture peut être complexe, surtout pour les aînés ayant un faible revenu qui sont malades, inquiets pour leur santé ou incapables de se rendre à l’épicerie par eux-mêmes en raison de restrictions physiques ou financières25.

L’accaparement de certains aliments limite l’approvisionnement et l’accès pour les familles à faible revenu et les banques alimentaires

La pandémie de COVID‑19 a engendré dans le monde entier une série de tendances d’achats dictées par la panique, notamment de désinfectant pour les mains et de papier hygiénique26. Plusieurs épiceries et pharmacies ont vu certains de leurs stocks de produits épuisés à plusieurs reprises au cours de la pandémie.

À la mi-mars 2020, les ventes d’aliments secs et en conserve au Canada dépassaient celles des aliments frais et surgelés. Les ventes de riz ont augmenté de 239 % comparativement à la même période en 2019, les ventes de pâtes de 205 %, les ventes de légumes en conserve de 180 % et les ventes de préparations pour nourrissons de 103 %27. Ces aliments ayant une longue durée de conservation constituent en général une part importante des produits fournis par les banques alimentaires28, mais ont été plus difficiles à trouver pendant la pandémie, ce qui a limité l’approvisionnement pour les familles en situation d’insécurité alimentaire29.

Il serait nécessaire de procéder à des recherches supplémentaires afin de mieux comprendre les effets de la pandémie sur la faim, la nutrition et l’insécurité alimentaire dans les ménages du Canada en vue de soutenir et d’élaborer des programmes visant à réduire les inégalités liées à l’accès à la nourriture.

Pour trouver une banque alimentaire locale ou faire un don, visitez le site Web de Banques alimentaires Canada.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Statistique Canada, « La COVID‑19 et le marché du travail en avril 2020 » dans Infographies (8 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3csM8HC
  2. Visitez le site Web de PROOF Food Insecurity Policy Research pour en savoir plus sur l’insécurité alimentaire et les inégalités sociales. Lien : https://bit.ly/2MQH8T8
  3. Statistique Canada, « La COVID‑19 et le marché du travail en avril 2020 ».
  4. Statistique Canada, « Défis en matière de santé et enjeux sociaux liés à la situation de la COVID‑19 au Canada » dans Le Quotidien (6 avril 2020). Lien : https://bit.ly/36UnyhJ
  5. Pour en savoir plus au sujet de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les inégalités au Canada, consultez la Déclaration – Les inégalités amplifiées par la crise de la COVID-19 de la Commission canadienne des droits de la personne (31 mars 2020).
  6. Statistique Canada, « Minorités visibles (15), statistiques du revenu (17), statut des générations (4), âge (10) et sexe (3) pour la population âgée de 15 ans et plus dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) » dans Tableaux de données, Recensement de 2016 (mis à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/2YEGihM
  7. Statistique Canada, « Identité autochtone (9), statistiques du revenu (17), statut d’Indien inscrit ou des traités (3), âge (9) et sexe (3) pour la population âgée de 15 ans et plus dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) » dans Tableaux de données, Recensement de 2016 (mise à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/3eJOx2m
  8. Le sondage réalisé par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril, du 24 au 26 avril, du 1er au 3 mai et du 8 au 10 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. De plus, du 1er au 10 mai environ, un suréchantillon de 450 Autochtones a été ajouté. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  9. Il est important de souligner qu’il existe une grande diversité au sein des groupes de minorités visibles et des populations autochtones. Tous ces groupes connaissent des expériences uniques et distinctes en matière d’insécurité financière et alimentaire, tout comme le sont les histoires, les régions, les cultures, les traditions et les langues qui leur sont propres.
  10. Pour en savoir plus sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les familles d’immigrants et les Premières Nations, les Métis et les Inuits, consultez Laetitia Martin, « Les familles nouvellement établies au Canada et le bien-être financier pendant la pandémie » (21 mai 2020) et Statistique Canada, « Premières Nations, Métis, Inuits et la COVID-19 : Caractéristiques sociales et de la santé » dans Le Quotidien (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2N2v8ht
  11. Banques alimentaires Canada, « Bilan-faim 2019 ». Lien : https://bit.ly/2Mkxp78
  12. Ibidem
  13. Statistique Canada, « Sécurité alimentaire du ménage selon la disposition de vie », tableau 13-10-0385-01 (consulté le 27 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2yXGVtP
  14. Santé Canada, Insécurité alimentaire des ménages au Canada : Survol (dernière mise à jour le 18 février 2020). Lien : https://bit.ly/30un7K5
  15. Valerie Tarasuk, Andy Mitchell et Naomi Dachner, « L’insécurité alimentaire des ménages au Canada, 2014 », PROOF Food Insecurity Policy Research (19 mai 2016). Lien : https://bit.ly/2Bw77Nd (PDF)
  16. Paula Arriagada, « L’insécurité alimentaire chez les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat » dans Regards sur la société canadienne, no 75‑006X au catalogue de Statistique Canada (1er février 2017). Lien : https://bit.ly/2YpZcbR
  17. Paula Arriagada, Tara Hahmann et Vivian O’Donnell, « Les Autochtones vivant en milieu urbain : Vulnérabilités aux répercussions socioéconomiques de la COVID‑19 » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur (26 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2Y0Uv8u
  18. Beatrice Britneff, « Food Banks’ Demand Surges Amid COVID‑19. Now They Worry About Long-Term Pressures », Global News (15 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3boEHRe
  19. Statistique Canada, « Comment les Canadiens vivent-ils la situation liée à la COVID‑19? » dans Infographies (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2BsWieL
  20. Statistique Canada, « Étude : Les consommateurs canadiens s’adaptent à la COVID‑19 : un aperçu des ventes d’épicerie canadiennes jusqu’au 11 avril » dans Le Quotidien (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3e8GPis
  21. En avril 2020, le gouvernement fédéral du Canada a créé la Prestation canadienne d’urgence (PCU), qui fournit 2 000 $ toutes les quatre semaines aux travailleurs qui ont perdu leur revenu en raison de la pandémie. Cette prestation vise les personnes qui ont perdu leur emploi, qui sont malades, qui sont mises en quarantaine ou qui prennent soin d’une personne atteinte de la COVID‑19. Elle s’applique aux salariés, aux travailleurs contractuels et aux travailleurs autonomes qui sont dans l’incapacité de travailler. Les personnes peuvent gagner jusqu’à 1 000 $ par mois tout en percevant la PCU. En raison de la fermeture des écoles et des garderies partout au Canada, la PCU est offerte aux parents qui travaillent, mais qui doivent rester à la maison sans rémunération pour s’occuper de leurs enfants jusqu’à ce que les écoles et les garderies puissent rouvrir et accueillir à nouveau les enfants de tous âges en sécurité. Gouvernement du Canada, « Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19 ».  Lien : https://bit.ly/36UssLS
  22. Statistique Canada, « Étude : Les consommateurs canadiens s’adaptent à la COVID‑19 : un aperçu des ventes d’épicerie canadiennes jusqu’au 11 avril ».
  23. Statistique Canada, « Sécurité alimentaire du ménage selon la disposition de vie ».
  24. Ibidem
  25. La Banque d’alimentation d’Ottawa, « COVID‑19 Response Webinar – The First 5 Weeks » (13 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2MsQCUl
  26. Kristyn Frank, « La COVID‑19 et le soutien social des aînés : les aînés ont-ils quelqu’un sur qui compter pendant les périodes difficiles? » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur (30 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3dsQlN6
  27. Statistique Canada, « Les consommateurs canadiens se préparent pour la COVID‑19 » dans Série analytique des prix (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2MsReJD
  28. Ibidem
  29. Banques alimentaires Canada, « Soutenez votre banque alimentaire locale ». Lien : https://bit.ly/2U79s7x

 

Les finances familiales et la santé mentale pendant la pandémie de COVID‑19

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

26 mai 2020

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En mars 2020, la pandémie de coronavirus a entraîné l’interruption soudaine des activités socioéconomiques dans l’ensemble du Canada, les données montrant d’importantes répercussions sur l’activité du marché du travail. Selon de récentes estimations de Statistique Canada, le nombre de Canadiens ayant un emploi en mars s’élevait à un million de moins qu’en février, ce qui a affecté la participation habituelle au marché du travail de 3,1 millions de Canadiens (c.-à-d. qu’ils ont travaillé moins d’heures ou perdu leur emploi)1.

D’après des données recueillies lors d’un sondage mené du 10 au 12 avril 2020 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes (AEC) et la firme Léger2, 38 % des hommes et 34 % des femmes de 18 ans et plus ont déclaré avoir perdu leur emploi de façon temporaire ou permanente ou avoir subi des pertes de salaire ou de revenus en raison de la pandémie de COVID‑19. Dans ce contexte, 27 % des hommes et 25 % des femmes ont dit subir des conséquences financières négatives (affectant leur capacité à payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures).

C’est sans surprise que Statistique Canada a récemment constaté que les adultes ayant subi des répercussions importantes ou modérées de la pandémie étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer une santé mentale passable ou faible que ceux qui ont été moins touchés (25 % et 13 %, respectivement)3.

Les données recueillies à la mi-avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger montrent que les plus jeunes adultes ont été particulièrement touchés : plus de la moitié (52 %) des 18 à 34 ans ont déclaré avoir subi des répercussions négatives sur leur participation au marché du travail (pertes d’emploi, de salaire ou de revenus), par rapport à 39 % des adultes de 35 à 54 ans et à 21 % des 55 ans et plus. Cette situation se reflète également dans la proportion d’adultes ayant subi des conséquences financières négatives immédiates, qui ont été signalées par 33 % des adultes de moins de 55 ans et 15 % des 55 ans et plus.

Les adultes en difficulté financière sont plus susceptibles de signaler des problèmes de santé mentale

Parmi la population en âge de travailler (de 18 à 54 ans), un peu plus de la moitié a indiqué éprouver souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (53 %), de l’irritabilité (49 %) ou de la tristesse (48 %) pendant la pandémie de COVID‑19, selon le sondage mené par l’Institut Vanier, l’AEC et la firme Léger. Quatre personnes sur 10 ont affirmé avoir souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (40 %) ainsi que des sautes d’humeur (40 %).

Parmi les personnes ayant essuyé des conséquences négatives immédiates, comme l’incapacité de payer le loyer, l’hypothèque ou les factures, environ 6 sur 10 ont dit avoir ressenti souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (63 %), de l’irritabilité (60 %) ou de la tristesse (57 %), alors que la moitié a indiqué avoir eu souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (50 %) ou des sautes d’humeur (52 %) (figure 1).

Les femmes en difficulté financière souffrent de problèmes de santé mentale dans des proportions plus élevées que les hommes

D’après l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2018, les femmes étaient légèrement moins susceptibles que les hommes de signaler avoir une santé mentale excellente ou bonne (66 % et 71 %, respectivement)4. Pendant la pandémie de coronavirus, toutefois, Statistique Canada a constaté que la différence était beaucoup plus marquée, avec 49 % des femmes et 60 % des hommes ayant une bonne ou une excellente santé mentale5.

Les données du sondage de l’Institut Vanier, de l’AEC et de la firme Léger montrent que les femmes de 18 à 54 ans déclarant connaître souvent ou très souvent des problèmes spécifiques de santé mentale sont représentées dans des proportions beaucoup plus grandes que les hommes du même groupe d’âge. Environ 6 femmes sur 10 ont indiqué ressentir souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité, de l’irritabilité ou de la tristesse, comparativement à 4 hommes sur 10. De même, environ la moitié des femmes ont eu souvent ou très souvent de la difficulté à dormir ou des sautes d’humeur, par rapport à 3 hommes sur 10 (figure 1).

Cette différence entre les sexes à l’égard des problèmes de santé mentale déclarés est maintenue même lorsque l’on compare les proportions d’hommes et de femmes ayant subi des conséquences financières négatives immédiates et les proportions de ceux qui n’en ont pas subi. Par exemple, les trois quarts des femmes (76 %), par rapport à la moitié des hommes (51 %), qui ont eu de la difficulté à payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures ont dit ressentir souvent ou très souvent de la nervosité ou de l’anxiété. Près de 7 femmes sur 10 ayant des difficultés financières éprouvent de l’irritabilité (67 %) ou de la tristesse (67 %), comparativement à environ la moitié des hommes vivant la même situation (53 % et 48 %, respectivement) (figure 1).

Environ 6 femmes sur 10 ayant des difficultés financières disent avoir souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (55 %) et des sautes d’humeur (62 %), par rapport à 4 hommes sur 10 vivant la même situation (45 % et 42 %, respectivement) (figure 1).

Les adultes ayant des difficultés financières, qu’ils vivent ou non avec de jeunes enfants, signalent des problèmes de santé mentale semblables

Si les femmes sont beaucoup moins susceptibles que les hommes de déclarer une santé mentale positive pendant la pandémie, même en tenant compte des répercussions financières, quels facteurs peuvent entrer en jeu dans l’établissement de ces différences entre les sexes? Ces problèmes de santé mentale peuvent-ils être associés aux responsabilités familiales?

Une analyse des données recueillies du 10 au 12 avril 2020 indique que la présence d’enfants à la maison ne semble pas associée à l’aggravation des symptômes d’une mauvaise santé mentale. Les femmes vivant avec des enfants de 12 ans et moins au sein de leur ménage disent éprouver souvent et très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (69 %), de l’irritabilité (60 %), de la tristesse (59 %), de la difficulté à dormir (51 %) et avoir des sautes d’humeur (51 %) dans des proportions semblables à celles des femmes vivant sans enfant (63 %, 57 %, 60 %, 47 % et 48 %, respectivement). Les hommes vivant avec de jeunes enfants signalent également de tels problèmes dans des proportions semblables à celles des hommes vivant sans enfant (figure 2).

Parmi les femmes en difficulté financière, on observe peu de différences entre les proportions de celles déclarant l’un ou l’autre de ces problèmes de santé mentale, qu’elles aient ou non de jeunes enfants au sein du ménage. Cela est également le cas pour les femmes qui n’ont pas subi de conséquences financières négatives immédiates : la cohabitation dans le ménage avec des enfants de 12 ans et moins ne semble pas changer les choses (figure 2).

L’analyse de l’état de santé mentale autodéclaré démontre la persistance de certaines différences selon le sexe lorsque l’on tient compte de la province de résidence, de l’âge, de la difficulté financière, de la perte d’emploi ou de salaire, de la présence d’enfants de 12 ans et moins, du revenu du ménage, de l’état matrimonial et du niveau de scolarité. En contrôlant ces variables et en les comparant à celles des hommes qui sont en difficulté financière, les femmes en difficulté financière sont environ deux fois plus susceptibles de souffrir d’anxiété, de tristesse ou de sautes d’humeur. Parmi les adultes n’ayant pas subi de conséquences financières négatives, on n’observe aucune différence marquée entre les hommes et les femmes à l’égard de la santé mentale, une fois ces facteurs contrôlés.

Cette analyse n’a pas permis d’identifier les raisons potentielles expliquant pourquoi les femmes sont plus susceptibles que les hommes de signaler des symptômes de mauvaise santé mentale, mais les recherches futures pourraient se concentrer sur les différences psychologiques qui existent entre les femmes et les hommes lors d’une situation de crise, afin de déterminer si oui ou non les femmes et les hommes réagissent différemment dans une situation de crise ou devant une menace immédiate pour la santé ou le bien-être de leur famille ou d’eux-mêmes. Des recherches plus approfondies examinant l’impact des aspects sexospécifiques par rapport à la charge de travail et à la prestation de soins au sein du ménage, y compris la charge mentale associée à ces tâches non rémunérées, pourraient également contribuer à faire la lumière sur ces différences.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur le marché du travail canadien » dans Infographies (9 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3cQDBzj
  2. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril et du 24 au 26 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  3. Statistique Canada, « Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes 1 : Répercussions de la COVID‑19 sur la sécurité d’emploi et les finances personnelles, 2020 » dans Le Quotidien (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3e7yaMC
  4. Leanne Findlay et Rubab Arim, « Les Canadiens perçoivent leur santé mentale comme étant moins bonne pendant la pandémie de COVID-19 » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 45-28-0001 au catalogue de Statistique Canada (24 avril 2020). Lien : https://bit.ly/36l4Gs7
  5. Ibidem

 

Réflexions parentales sur l’avenir postpandémie au Canada

Nadine Badets

6 mai 2020

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Les restrictions relatives à la pandémie de COVID-19 ont transformé la vie des familles au Canada. En raison de la fermeture des écoles, des garderies, des restaurants et de plusieurs commerces, ainsi que des importantes pertes d’emplois et des nouvelles mesures favorisant le travail à domicile, plusieurs parents et enfants passent beaucoup plus de temps ensemble qu’auparavant.

Comment les familles conçoivent-elles la vie après la pandémie? Selon des données recueillies pendant six semaines par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, les familles ne sont pas prêtes à renvoyer leurs enfants à l’école cette année, mais les parents sont disposés à réintégrer leur milieu de travail après la pandémie. C’est ce qu’indiquent certains résultats de cette série de sondages en cours1.

La peur du coronavirus est plus forte chez les familles qui ont des enfants

Au 6 mai 2020, les enfants et les adolescents de 19 ans et moins représentaient une faible proportion des cas de COVID‑19 au Canada (5 %)2. Toutefois, près de 30 % des adultes vivant avec des enfants et des adolescents de moins de 18 ans craignent fortement qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID-19, comparativement à 22 % de ceux qui vivent sans enfant3 (figure 1).

Malgré cela, plus de la moitié des adultes vivant avec des enfants (56 %) affirment qu’ils appuieraient une politique gouvernementale visant à assouplir les restrictions de distanciation sociale (physique) pour toutes les personnes de moins de 65 ans, alors que 42 % des personnes vivant sans enfant appuieraient une telle politique.

La plupart des parents ne veulent pas que leurs enfants suivent des cours d’été pour rattraper le retard

Plus de 80 % des parents vivent avec leurs enfants pendant la pandémie, et 7 % partagent la garde de leurs enfants avec un parent vivant au sein d’un autre ménage. Six parents sur 10 (60 %) déclarent qu’ils discutent davantage avec leurs enfants actuellement qu’ils ne le faisaient avant le confinement. Les parents d’enfants d’âge scolaire explorent également le système éducatif avec leurs enfants en tant que nouveaux enseignants, tuteurs et aides aux devoirs. L’éducation à domicile est difficile pour plusieurs familles4, en plus de susciter des inquiétudes à l’égard du retard que prennent les élèves.

La plupart des provinces n’ont pas encore annoncé leur intention de rouvrir les écoles, et les trois territoires ont confirmé qu’ils comptaient maintenir les écoles fermées jusqu’en septembre. Toutefois, le Québec s’est engagé à rouvrir la plupart des écoles primaires le 11 mai et, en date du 29 avril 2020, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont prévu des dates d’ouverture provisoires plus près du mois de juin, mais leurs dates butoirs changent constamment5. Lorsqu’on les a interrogés à cet égard, les deux tiers (66 %) des parents ont affirmé que, même si les écoles au Canada ouvrent avant la fin de juin, ils préfèrent que leurs enfants ne retournent en classe qu’en septembre, plutôt que d’aller à l’école durant l’été (en juillet et en août) en vue de rattraper le temps perdu.

Plus de la moitié des parents sont disposés à retourner au travail, mais ils ne veulent pas utiliser les transports en commun

La pandémie de COVID-19 a engendré d’innombrables pertes d’emplois à l’échelle du pays6, et les parents vivant avec des enfants qui considèrent la crise sanitaire comme une « menace importante » pour leur emploi sont plus susceptibles d’affirmer se sentir tristes, anxieux ou nerveux, par rapport aux personnes vivant sans enfant7.

Parmi les personnes qui ont conservé leur emploi, celles qui vivent avec des enfants sont plus susceptibles de se déclarer satisfaites des mesures instaurées par leur employeur afin de réagir à la COVID‑19 (59 %) que les personnes sans enfant (37 %). Cet écart peut s’expliquer par le fait que la situation permet aux parents de travailler à domicile tout en s’occupant de leurs enfants, les garderies et les écoles étant fermées. Environ 55 % des adultes vivant avec des enfants déclarent travailler actuellement à domicile (figure 2). Les personnes vivant avec des enfants sont également plus susceptibles (54 %) que les personnes sans enfant (37 %) d’affirmer qu’elles seraient à l’aise de réintégrer leur milieu de travail une fois les restrictions liées à la COVID‑19 levées.

Cependant, plus de 60 % des parents ont affirmé qu’ils ne seraient pas à l’aise d’emprunter les transports en commun, et ce, même lorsque les restrictions liées à la COVID‑19 commenceront à être assouplies, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les déplacements lorsque les gens se rendront à leur lieu de travail (figure 3). Les adultes vivant avec des enfants sont plus susceptibles de dire qu’ils préféreraient se rendre au travail seulement lorsque c’est nécessaire (39 %) que les personnes sans enfant (27 %).

Les parents abandonnent leurs projets de vacances, la plupart ne voyageront pas en 2020

En plus d’exprimer leur malaise à l’égard des transports en commun, les parents ne se disent pas moins préoccupés par rapport aux voyages. Environ 6 adultes sur 10 (59 %) vivant avec des enfants ont indiqué avoir dû modifier leurs projets de vacances en raison de la pandémie de coronavirus de 2020, probablement en lien avec le confinement au Canada et la fermeture des frontières autour de la semaine de relâche. Lorsqu’on leur a demandé s’ils comptaient prendre des vacances en 2020, 72 % des parents ont répondu que c’était peu probable.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril et du 24 au 26 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Agence de la santé publique du Canada, Maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) : Mise à jour quotidienne sur l’épidémiologie (consulté le 6 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2z9rMFJ
  3. Voir la note 1.
  4. Jessica Wong, « Frustrated Parents in Ontario Pivot from Official Distance-Learning Program Amid COVID-19 », CBC News (30 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3aTOMFR
  5. CBC Kids News, When Will Your School Reopen? Check Out This Map (29 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2KMhcGW
  6. Statistique Canada, « Enquête sur la population active, mars 2020 » dans Le Quotidien (9 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2YDGkIm
  7. Jennifer Kaddatz, « Les familles peinent à composer avec les conséquences financières de la pandémie de COVID‑19 », Institut Vanier de la famille (9 avril 2020).

 

Les familles au Canada expriment une « vive préoccupation » à l’égard de la santé et du bien-être des aînés durant la pandémie de COVID‑19

Nadine Badets et Ana Fostik, Ph. D.

30 avril 2020

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L’Agence de la santé publique du Canada considère que les personnes plus âgées sont particulièrement vulnérables à la COVID‑19, qui les expose à un risque élevé de maladie grave et de décès1. En 2019, 9,1 millions de Canadiens étaient âgés de 60 ans et plus, ce qui correspond environ au quart de l’ensemble de la population2.

Au 27 avril 2020, environ 37 % des cas confirmés de COVID‑19 au Canada avaient été diagnostiqués chez des adultes âgés de 60 ans et plus, et ce groupe d’âge représentait plus de la moitié (56 %) de tous les cas de coronavirus avec pneumonie. Les adultes de 60 ans et plus affichaient les plus fortes proportions de conséquences graves, soit 66 % des hospitalisations, 63 % des admissions aux unités de soins intensifs et 95 % des décès déclarés liés à la COVID‑193.

La forte sensibilité des personnes plus âgées au virus a engendré un niveau de stress accru chez les aînés, leur famille et leurs aidants alors qu’ils sont confrontés à la pandémie de COVID‑19.

Faits et statistiques clés :

  • Environ 37 % des cas confirmés de COVID‑19 au Canada ont été diagnostiqués chez les adultes de 60 ans et plus (27 avril 2020).
  • Les adultes de 60 ans et plus représentaient 66 % des hospitalisations, 63 % des admissions aux unités de soins intensifs et 95 % des décès déclarés en lien avec la COVID‑19 (27 avril 2020).
  • Chez les adultes de 18 ans et plus, 70 % ont affirmé avoir assez ou très peur qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID‑19 (27 avril 2020).
  • Parmi les adultes, 15 % ont indiqué que certains de leurs proches âgés vivent actuellement dans des CHSLD ou des établissements de soins de longue durée, et 85 % d’entre eux se disent préoccupés par la santé de ces membres de leur famille (27 avril 2020).
  • Près de 8 décès sur 10 (79 %) liés au coronavirus au Canada sont survenus dans des CHSLD et des établissements de soins de longue durée (28 avril 2020).

Les familles comptant des proches aînés vivant en CHSLD sont les plus préoccupées

Dans le cadre d’un sondage mené du 17 au 19 avril 2020 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, près de 70 % des adultes de 18 ans et plus ont affirmé avoir assez ou très peur qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID‑194. Pour remettre les choses en perspective, Statistique Canada révélait en 2018 qu’environ 7,8 millions d’adultes de 15 ans et plus prenaient soin d’un membre de la famille ou d’un ami5, et que près de 4 bénéficiaires de soins sur 10 au Canada en 2018 étaient âgés de 65 ans et plus6.

Pendant la pandémie de COVID‑19, 11 % des adultes ont déclaré qu’au moins un proche aîné vivait avec eux7. Près de 47 % ont indiqué que les aînés de leur famille habitaient séparément dans leur propre maison, et 15 % ont affirmé que certains de leurs proches aînés vivaient actuellement dans des CHSLD ou des établissements de soins de longue durée.

La plupart des adultes (85 %) dont les proches aînés vivent dans des établissements de soins se disent préoccupés par la santé de ces membres de leur famille, alors qu’une proportion légèrement plus faible d’adultes vivant avec des aînés (77 %), ou dont les membres âgés de la famille vivent dans une maison séparée (72 %), ont exprimé leur inquiétude à l’égard de la santé de ces aînés.

Les aînés vivant dans des établissements de soins de longue durée peinent à s’adapter aux restrictions liées à la pandémie

La dévastation causée par la pandémie de coronavirus s’est produite en grande partie dans les CHSLD et les établissements de soins de longue durée. La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, a annoncé à la mi-avril 2020 qu’environ la moitié des décès dus à la COVID‑19 au Canada était liée à des éclosions dans des établissements de soins de longue durée pour aînés8, et qu’en date du 28 avril 2020, près de 8 décès sur 10 (79 %) liés au coronavirus au Canada étaient survenus dans des CHSLD et des établissements de soins de longue durée9.

Près de 61 % des proches ont affirmé se sentir assez ou très inquiets à propos de la qualité des soins offerts aux aînés dans les CHSLD et les établissements de soins de longue durée. Par ailleurs, près des deux tiers (63 %) des adultes dont des proches aînés vivent dans des établissements de soins de longue durée croient que ces membres de leur famille éprouvent assez ou beaucoup de difficulté à s’adapter aux restrictions liées à la COVID‑19, comme celle les obligeant à rester dans leur chambre sans pouvoir recevoir de visiteurs ou entrer en contact avec d’autres personnes. Environ 12 % sont incertains quant à la réaction de leurs proches à l’égard de ces restrictions.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Agence de la santé publique du Canada, Personnes susceptibles d’être gravement malades si elles contractent la COVID‑19 (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3eZIqI2
  2. Statistique Canada. Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe (tableau 17-10-0005-01). Lien : https://bit.ly/2xlmw18
  3. Agence de la santé publique du Canada, Maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) : Mise à jour quotidienne sur l’épidémiologie (29 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2VLV7ik
  4. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril et du 17 au 19 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de celui du 10 au 13 mars, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  5. Statistique Canada, « Les aidants au Canada, 2018 » dans Le Quotidien (8 janvier 2020). Lien : https://bit.ly/2yRDWCP
  6. Statistique Canada, « Les soins en chiffres : Les bénéficiaires de soins au Canada, 2018 » dans Infographies, no 11‑627‑M au catalogue de Statistique Canada (22 janvier 2020). Lien : https://bit.ly/2Siz40t
  7. Sondage mené du 17 au 19 avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger (voir note 4).
  8. Olivia Bowden, « Long-term care homes with the most coronavirus deaths in Canada » dans Global News (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2Y2Lihn
  9. Beatrice Britneff et Amanda Connolly, « Coronavirus Spread Slowing in Canada; Death Rate Rises Due to Long-Term Care Fatalities » dans Global News (28 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2xlWjQ4

 

Les habitudes en matière de santé pendant la pandémie de COVID-19

Jennifer Kaddatz et Nadine Badets

27 avril 2020

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Au Canada, le confinement lié à la pandémie de COVID-19 a infligé de lourdes restrictions aux personnes et aux entreprises, ce qui a engendré des changements dans la pratique de nombreuses activités courantes, comme la préparation et la consommation d’aliments, les achats, l’exercice physique et le temps passé à l’extérieur. La santé des adultes au Canada est en pleine métamorphose, non seulement à cause du virus, mais aussi en raison des habitudes en matière de santé déjà instaurées ou nouvellement adoptées.

Depuis le début de cette période d’isolement social, les adultes consacrent plus de temps à préparer des repas et à boire de l’alcool à la maison, mais ils passent moins de temps à faire de l’exercice et à aller dehors, selon des données recueillies dans un récent sondage réalisé sur quatre semaines par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger1 ainsi que d’autres sources de données portant sur la pandémie.

Il sera important de suivre l’évolution de ces habitudes pendant toute la durée de la pandémie, compte tenu des conséquences potentielles qu’elles peuvent avoir sur la santé physique et mentale des familles dans l’ensemble du pays.

Environ 4 adultes sur 10 consacrent plus de temps à préparer des repas à la maison

Une alimentation saine est primordiale pour avoir une bonne santé : elle constitue un facteur essentiel au développement optimal de l’humain en plus d’être importante pour réduire le risque associé à plusieurs maladies chroniques. Le fait de préparer et de cuisiner de la nourriture à la maison permet à la fois de diminuer la quantité de sodium, de sucre et de graisses saturées qui se retrouvent dans nos repas, mais aussi d’augmenter notre consommation de légumes, de fruits, de grains entiers et de protéines végétales. Par conséquent, manger ou commander des mets qui viennent de l’extérieur peut avoir un impact négatif sur notre santé, car il est possible que les mets soient plus fortement transformés, et qu’ils contiennent moins de légumes, de fruits et de grains entiers2.

Il était donc prévisible qu’au cours de l’isolement relié à la COVID-19, les Canadiens soient plus nombreux à manger des repas faits maison. En effet, 41 % des adultes disent consacrer actuellement plus de temps à préparer des repas qu’ils ne le faisaient avant la pandémie, selon des données recueillies du 9 au 12 avril (figure 1). Les femmes, en particulier, semblent passer plus de temps dans la cuisine, alors que 44 % d’entre elles indiquent préparer des repas « plus souvent », contre 38 % des hommes. Notamment, près de la moitié des femmes (48 %) de 35 à 54 ans consacrent plus de temps à préparer des repas, ce qui est le cas de 44 % des hommes de ce groupe d’âge.

Par ailleurs, une plus faible proportion de femmes (18 %) que d’hommes (24 %) ont commandé des mets pour emporter d’un restaurant dans la semaine précédant le sondage du 9 au 12 avril, bien que les femmes sont presque aussi susceptibles (18 % c. 16 %) que leurs homologues masculins de se faire livrer de la nourriture à la maison ou au travail (figures 2 et 3). Les jeunes hommes de 18 à 34 ans sont plus susceptibles d’avoir commandé des mets pour emporter (24 %) au cours de la semaine précédente, alors que les jeunes femmes de 18 à 34 ans constituent l’association sexe-groupe d’âge le plus susceptible de se faire livrer de la nourriture (27 %).

Un adulte sur 5 boit plus d’alcool à la maison

L’alcool peut avoir d’importantes conséquences sur la santé physique et mentale si on le consomme en grande quantité, ce qui peut aggraver les problèmes de santé mentale actuels, augmenter le risque de blessure ou de maladie aigüe à court terme et accroître le risque de maladies graves à long terme, comme les maladies du foie et certains cancers3. Par conséquent, si la consommation d’alcool augmente pendant la crise du coronavirus, on pourrait observer, suivant la pandémie, d’importantes répercussions sur la santé des personnes et de leur famille ainsi que sur le système de santé au Canada.

Un sondage mené par Statistique Canada du 29 mars au 3 avril a révélé que 20 % des Canadiens de 15 à 49 ans boivent davantage d’alcool à la maison pendant la pandémie de COVID-19 qu’ils ne le faisaient avant qu’elle débute4. D’ailleurs, un autre sondage mené du 30 mars au 2 avril par Nanos pour le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a permis de constater que 21 % des adultes de 18 à 34 ans et 25 % de ceux de 35 à 54 ans s’étaient mis à consommer davantage à la maison depuis le début de la crise de COVID-195.

Les répondants du sondage Nanos ayant déclaré rester davantage à la maison et boire plus d’alcool ont indiqué que leur consommation avait principalement augmenté en raison de l’absence d’horaire régulier (51 %), ainsi qu’en réaction à l’ennui (49 %), au stress (44 %) ou à la solitude (19 %).

Selon des données recueillies du 9 au 12 avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, 14 % des adultes se sont rendus dans un magasin de vins et spiritueux au cours de la semaine précédente, les hommes (18 %) l’ayant fait davantage que les femmes (11 %).

Près de 4 adultes sur 10 font moins souvent d’exercice

Si le fait d’être confinés à la maison semble avoir augmenté la quantité d’alcool que les adultes consomment, il ne semble pas avoir eu le même impact sur la quantité d’exercices physiques qu’ils pratiquent.

Au contraire, près de 4 femmes sur 10 (38 %) et 33 % des hommes affirment, comme le montrent les données recueillies du 9 au 12 avril, qu’ils font actuellement « moins souvent » de l’exercice qu’ils n’en faisaient avant la pandémie. Les Québécois (42 %) sont d’ailleurs ceux qui déclarent avoir le plus réduit leur fréquence d’exercice, comparativement aux habitants des autres provinces.

Du reste, il semble que les jeunes familles consacrent plus de temps à faire de l’exercice. Une plus grande proportion d’adultes vivant avec des enfants (23 %) disent faire plus souvent de l’exercice depuis le début de la pandémie, comparativement à ceux qui vivent sans enfant (18 %) (figure 4). Par ailleurs, près de 3 adultes sur 10 de 18 à 34 ans (28 %) affirment qu’ils font plus souvent de l’exercice depuis le début de la crise, contre 14 % des adultes de 55 ans et plus.

L’augmentation de l’anxiété liée à la COVID-19 et la diminution de l’exercice peuvent être reliées

Selon la Société canadienne de psychologie, une activité physique régulière peut réduire le stress quotidien, prévenir la dépression et les troubles de l’anxiété, en plus de s’avérer aussi efficace que les traitements psychologiques et pharmaceutiques dans les cas de dépression et d’anxiété6. D’un autre angle, il est possible qu’il soit plus difficile pour une personne souffrant de problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression, d’adopter ou de poursuivre un programme d’exercice, plus particulièrement pendant une période inhabituelle.

En fait, les données recueillies du 9 au 12 avril révèlent que les personnes qui déclarent éprouver « très souvent » de l’anxiété ou de la nervosité depuis le début de la crise de COVID-19 sont plus susceptibles d’affirmer qu’ils font actuellement « moins souvent » de l’exercice (20 %) qu’ils n’en faisaient avant la pandémie, alors que 13 % disent en faire « aussi souvent » qu’avant le début de la crise de COVID-19.

Par comparaison, les adultes qui disent avoir ressenti « très peu » d’anxiété ou de la nervosité depuis le début de la pandémie sont plus susceptibles d’affirmer que leur fréquence d’exercice n’a pas changé depuis le début de la pandémie (24 %) que de dire qu’ils en font actuellement plus souvent (17 %) ou moins souvent (17 %).

Près de la moitié des adultes vont moins souvent à l’extérieur

Passer du temps en plein air, dans la nature, a une incidence importante sur la santé mentale et le mieux-être7. Par ailleurs, en 2016, l’Enquête sociale générale de Statistique Canada a révélé que 7 Canadiens sur 10 prenaient part à au moins une activité extérieure, ce qui démontre que le temps passé en plein air fait partie intégrante du mode de vie des Canadiens8.

Néanmoins, pendant la pandémie de COVID-19, près de la moitié des femmes (46 %) et des hommes (45 %) déclarent aller dehors moins souvent actuellement qu’ils ne le faisaient avant la crise. La proportion des personnes disant aller dehors moins souvent varie selon la province, oscillant entre un faible 39 % au Québec ainsi qu’au Manitoba et en Saskatchewan et un maximum de 49 % en Ontario.

Ce qui s’avère particulièrement intéressant, toutefois, est d’observer comment la proportion des personnes qui vont dehors moins souvent varie selon la région urbaine ou rurale de résidence. Plus de la moitié (54 %) des citadins déclarent qu’ils vont présentement dehors moins souvent qu’avant la pandémie, contre 45 % des adultes vivant en banlieue et 29 % des personnes vivant en région rurale.

À l’autre extrémité, à propos de ceux qui affirment aller dehors plus souvent, on constate qu’une plus forte proportion de femmes (25 %) que d’hommes (15 %) signalent en ressentir un effet positif.

Il sera intéressant d’observer, au moment où le printemps fera place à l’été, si les proportions de Canadiens qui vont dehors et qui font de l’exercice plus souvent augmenteront en même temps que les températures.

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données de recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Santé Canada, Guide alimentaire canadien. Lien : https://bit.ly/2W54WH8
  3. Peter Butt, Doug Beirness, Louis Gliksman, Catherine Paradis et Tim Stockwell, L’alcool et la santé au Canada : résumé des données probantes et directives de consommation à faible risque, Ottawa (Ontario), Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies (25 novembre 2011). Lien : https://bit.ly/3eVZZZQ (PDF)
  4. Statistique Canada, « Comment les Canadiens vivent-ils la situation liée à la COVID-19? » dans Infographies (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2VBpZ4R
  5. Entre le 30 mars et le 2 avril 2020, Nanos a mené un sondage aléatoire hybride par téléphone et en ligne à double base d’échantillonnage (lignes terrestres et cellulaires par composition aléatoire) auprès de 1 036 Canadiens de 18 ans et plus dans le cadre d’un sondage omnibus. Les participants ont été recrutés au hasard par téléphone par l’entremise d’agents réels et ont répondu à un sondage en ligne. La marge d’erreur pour ce sondage est de ±3,1 points de pourcentage, et ce, 19 fois sur 20. Cette recherche a été commandée par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances et a été menée par Nanos Research. Lien : https://bit.ly/3aybEue (PDF)
  6. Société canadienne de psychologie, Série « La psychologie peut vous aider » : L’activité physique, la santé mentale et la motivation (novembre 2016). Lien : https://bit.ly/3d04dxN (PDF)
  7. Conseil canadien des parcs, Connecter les Canadiens à la nature : un investissement dans le mieux-être de notre société (2014). Lien : https://bit.ly/33LBQBs
  8. Statistique Canada, Les Canadiens et le plein air (26 mars 2018). Lien : https://bit.ly/2S6HM1E

Les adultes en couple ont-ils une meilleure santé mentale durant la pandémie de COVID‑19?

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

22 avril 2020

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Près de la moitié des adultes de 18 ans et plus au Canada disent se sentir « très souvent » ou « souvent » anxieux ou nerveux (47 %) ou encore tristes (45 %) depuis le début de la crise de COVID‑19, selon les données d’un sondage mené par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, recueillies du 9 au 12 avril 20201 (figure 1).

Quatre adultes sur 10 affirment se sentir irritables (39 %) et environ le tiers disent éprouver des troubles du sommeil (35 %) et des sautes d’humeur (32 %) « très souvent » ou « souvent » depuis le début de la crise (figure 1).

Mais les adultes qui sont actuellement en couple – qu’ils soient mariés ou en union libre – sont-ils aussi susceptibles que les personnes célibataires ou séparées, divorcées ou veuves de se sentir déstabilisés?

L’anxiété ou la nervosité et la difficulté à dormir durant la pandémie ne semblent pas liées à l’état matrimonial

Les adultes vivant au sein d’un couple (48 %), les célibataires (47 %) ou les personnes séparées, divorcées ou veuves (43 %) (figure 1) sont tous, dans une proportion similaire, susceptibles d’affirmer se sentir anxieux ou nerveux très souvent ou souvent.

De même, la probabilité d’éprouver très souvent ou souvent de la difficulté à dormir est également comparable pour les personnes en couple (35 %), les adultes célibataires (36 %) et les personnes séparées, divorcées ou veuves (35 %).

Célibataires ou en couple, les femmes disent éprouver de l’anxiété et des troubles du sommeil plus fréquemment que les hommes

Des études antérieures sur la santé mentale ont révélé que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de souffrir de troubles anxieux et de dépression2. Il semble que ce soit également le cas en période de pandémie.

Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’affirmer qu’elles éprouvent très souvent ou souvent de l’anxiété durant la pandémie de coronavirus : près de 6 femmes sur 10 vivant en couple (58 %) ou célibataires (59 %)3 déclarent se sentir anxieuses ou nerveuses très souvent ou souvent, comparativement à moins de 4 hommes sur 10 vivant en couple (37 %) ou célibataires (37 %) (figure 2).

En ce qui concerne les troubles de sommeil, plus de 4 femmes 10 indiquent avoir très souvent ou souvent de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie, qu’elles soient en couple (44 %) ou célibataires (44 %). En comparaison, ils sont moins de 3 hommes sur 10, qu’ils soient en couple (26 %) ou célibataires (29 %), à connaître les mêmes troubles.

Les célibataires sont plus susceptibles d’éprouver de l’irritabilité et des sautes d’humeur

L’irritabilité et les sautes d’humeur sont plus fréquentes chez les personnes qui sont actuellement célibataires (figure 1). Près de la moitié des adultes célibataires (48 %) déclarent se sentir très souvent ou souvent irritables depuis le début de la pandémie, comparativement à 37 % des adultes en couple et à 30 % de ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs. Les adultes célibataires (39 %) disent aussi éprouver des sautes d’humeur dans des proportions plus élevées que ceux qui sont en couple (31 %) et que ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs (27 %).

Encore une fois, les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sont plus susceptibles que les hommes d’éprouver de l’irritabilité ou des sautes d’humeur. Environ 6 femmes célibataires sur 10 (59 %) et 42 % des femmes en couple déclarent se sentir irritables très souvent ou souvent depuis le début de la pandémie. Quant aux hommes, ils disent se sentir irritables très souvent ou souvent dans des proportions plus faibles que les femmes, qu’ils soient célibataires (38 %) ou en couple (32 %) (figure 2).

Les femmes célibataires (46 %) présentent la plus forte probabilité d’éprouver très souvent ou souvent des sautes d’humeur depuis le début de la crise de COVID-19, suivies par les femmes en couple (38 %). Les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’indiquer qu’ils ont des sautes d’humeur fréquentes, mais ceux qui sont célibataires (31 %) ont tendance à éprouver des sautes d’humeur très souvent ou souvent dans de plus fortes proportions que les hommes en couple (23 %).

 

Les femmes séparées, divorcées ou veuves sont plus susceptibles de ressentir de la tristesse

Les adultes séparés, divorcés ou veufs (51 %) et les célibataires (48 %) sont plus nombreux que les adultes en couple (43 %) (figure 1) à déclarer se sentir très souvent ou souvent tristes durant la crise de coronavirus.

Les fréquents sentiments de tristesse sont également plus courants chez les femmes, qu’elles soient célibataires (59 %) ou en couple (53 %), que chez les hommes, qu’ils soient célibataires (37 %) ou en couple (33 %) (figure 2).

La santé mentale a une incidence sur le bien-être des familles

Il sera important de surveiller, à court, à moyen et à long termes, les tendances en matière de santé mentale, en fonction de l’état matrimonial et du sexe, ainsi que d’autres facteurs, dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. Une première analyse a permis de démontrer que la perte de revenus ou d’emploi et les contraintes financières immédiates affectent également les symptômes de santé mentale, comme l’anxiété et la difficulté à dormir pendant la pandémie. Par ailleurs, la santé mentale et la santé physique sont interreliées : les personnes souffrant de troubles de l’humeur sont beaucoup plus susceptibles de développer un problème de santé à long terme que celles qui n’en ont pas4.

Les problèmes de santé mentale peuvent avoir une incidence profonde sur la scolarité, le travail et la vie sociale d’une personne, ainsi que sur les interactions qu’elle entretient avec sa famille5. Parmi les Canadiens dont au moins un membre de la famille souffrait d’un problème de santé mentale en 2012, plus du tiers (35 %) considéraient que la santé mentale de ce dernier avait affecté leur vie et, de ce nombre, environ 71 % ont affirmé avoir prodigué des soins à ce membre de la famille6.

Ainsi, le bien-être des familles au Canada repose sur la santé mentale des personnes qui les composent. Une prise de décision fondée sur des données probantes permettra de mieux orienter les mesures de soutien sociales ciblées, tant pour les personnes sur le plan individuel que pour les familles, suivant l’évolution de cette période de coronavirus tout comme lorsque la crise actuelle sera passée.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril 2020 et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Caryn Pearson, Teresa Janz et Jennifer Ali, « Troubles mentaux et troubles liés à l’utilisation de substances au Canada » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (septembre 2013). Lien : https://bit.ly/2KsCEAW (PDF)
  3. Les comparaisons selon le sexe sont impossibles à obtenir pour les adultes séparés, divorcés ou veufs sur cette question en raison du faible taux de réponse.
  4. Patten et autres, « Long-Term Medical Conditions and Major Depression: Strength of Association for Specific Conditions in the General Population » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 50, p. 195‑202, 2005. Comme mentionné dans le texte du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), intitulé « Mental Illness and Addiction: Facts and Statistics ». Lien : https://bit.ly/3eEjyWc
  5. Commission de la santé mentale du Canada, Changer les orientations, changer des vies : Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada (Calgary, Alberta, 2012). Lien : https://bit.ly/2XXTM9q (PDF)
  6. Caryn Pearson, « L’incidence des problèmes de santé mentale sur les membres de la famille » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (7 octobre 2015). Lien : https://bit.ly/3eJVl0Q

Un sondage révèle des écarts entre les sexes par rapport aux expériences et aux réactions relatives à la pandémie de COVID-19

16 avril 2020

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Pendant une pandémie, comme c’est le cas dans la vie en général, les femmes et les hommes ont souvent des réalités et des comportements différents. Selon les données du sondage réalisé au cours des trois dernières semaines1 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, une proportion plus élevée de femmes que d’hommes perçoivent la pandémie de COVID-19 comme une menace et ont subi des conséquences physiques, émotionnelles et sociales résultant de la distanciation sociale et de l’isolement à domicile.

  • Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’éprouver de l’anxiété ou de la nervosité, de la tristesse, de l’irritabilité ou de la difficulté à dormir durant la pandémie.
  • Les femmes sont également plus susceptibles de respecter les consignes de sécurité, se disent satisfaites des mesures fédérales et provinciales mises en œuvre pour aplanir la courbe et affirment qu’elles accepteraient des mesures d’application plus strictes.

Les femmes sont plus susceptibles de percevoir le coronavirus comme une menace, mais avec le temps, les différences convergent

En général, les femmes perçoivent la COVID-19 comme une menace plus grave que ne la perçoivent les hommes à l’égard de ses répercussions sur la société. Dans le plus récent cycle du sondage, mené du 3 au 5 avril 2020, une plus forte proportion de femmes que d’hommes disent percevoir le virus comme une menace pour l’économie canadienne (94 % c. 91 %), une menace pour la vie quotidienne au sein de leur communauté (81 % c. 75 %) et une menace pour la santé de la population dans son ensemble (83 % c. 74 %). Une proportion égale de femmes et d’hommes (53 %) affirment que la COVID-19 est une menace pour leur situation financière personnelle.

À l’égard de l’impact personnel sur la santé*, les femmes ont également tendance à exprimer une inquiétude plus vive. Près de 7 femmes sur 10 (68 %) de 18 ans et plus indiquent qu’elles ont « très peur » ou « assez peur » de contracter le coronavirus, par rapport à 63 % des hommes (figure 1). En parallèle, 8 femmes sur 10 (80 %) craignent qu’un membre de leur famille en soit infecté, comparativement à 73 % des hommes.

Lorsqu’on leur demande si le pire de la crise est derrière nous, si on le vit actuellement ou s’il est à venir, 69 % des femmes indiquent qu’elles croient que le pire est à venir, par rapport à 64 % des hommes. À l’autre extrémité, 11 % des femmes et 18 % des hommes disent penser que le virus ne constitue pas une menace réelle et qu’on le présente de façon « démesurée »*; néanmoins, les données se rapportant aux femmes et aux hommes recueillies au cours des trois dernières semaines suggèrent qu’avec le temps, ces écarts se sont resserrés (figures 1 et 2).

On remarque des différences marquées entre les sexes chez les jeunes adultes à l’égard des relations avec la famille et les amis

Les données montrent que les femmes et les hommes au Canada se sont appliqués à aplanir la courbe de la COVID-19. Près de 9 femmes et hommes sur 10 disent pratiquer la distanciation sociale, maintenir une distance sécuritaire de 2 mètres des autres personnes, laver leurs mains plus souvent qu’à l’habitude et ne sortir que lorsque c’est nécessaire (figure 3).

Les différences entre les femmes et les hommes sont peu prononcées par rapport aux activités d’achat déclarées au cours de la dernière semaine. Les femmes sont légèrement moins susceptibles de s’être rendues à l’épicerie (69 % c. 72 %), dans un magasin de vins et spiritueux (13 % c. 17 %) ou à un comptoir de mets à emporter d’un restaurant (20 % c. 22 %). Toutefois, les écarts sont plus importants entre les femmes et les hommes ayant fréquenté un dépanneur au cours des 7 derniers jours (15 % c. 22 %).

Des différences plus marquées entre les sexes ont été relevées en matière de gestion des relations avec la famille et les amis durant la pandémie, plus particulièrement lorsque l’on prend l’âge en considération. Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de déclarer avoir demandé aux autres de pratiquer la distanciation sociale (86 % c. 79 %), comme le montre la figure 3. L’écart entre les sexes le plus marqué à cet égard se trouve chez les femmes et les hommes de 18 à 24 ans (une différence de 13 points de pourcentage), mais il demeure perceptible à une échelle réduite au sein du groupe des 35 à 54 ans (une différence de 2 points de pourcentage) et de celui des 55 ans et plus (une différence de 8 points de pourcentage), comme on peut le constater à la figure 4.

Par ailleurs, les hommes – plus particulièrement les jeunes hommes – sont plus susceptibles de visiter les amis et la famille durant la pandémie de COVID-19 : 30 % des hommes de 18 à 34 ans affirment avoir visité des amis ou des membres de la famille depuis le début de la crise du coronavirus, ce qui représente plus du double de la proportion (14 %) des femmes du même groupe d’âge et environ quatre fois la proportion des hommes (8 %) et des femmes (6 %) de 55 ans et plus (figure 5).

Les femmes acceptent mieux les mesures potentiellement plus strictes visant à aplanir la courbe

Près des trois quarts des femmes au Canada (74 %) sont satisfaites des mesures instaurées par le gouvernement fédéral dans le but de combattre la COVID-19, et 84 % le sont des mesures instaurées à l’échelle provinciale, selon les résultats du sondage réalisé du 3 au 5 avril 2020. Ces données sont comparables à 69 % et à 79 % des hommes, et révèlent un écart entre les sexes semblable à ce qui avait été observé lors du cycle du sondage du 10 au 13 mars.

Les femmes indiquent aussi plus couramment être en accord avec des mesures potentiellement plus strictes qui pourraient être appliquées afin de contenir la pandémie de COVID-19. Comme le montre le sondage du 3 au 5 avril, 7 femmes sur 10 (68 %) sont entièrement d’accord à ce que les policiers puissent remettre des contraventions aux citoyens qui ne respectent pas les mesures instaurées, comparativement à 62 % des hommes, alors que 49 % des femmes et 46 % des hommes sont d’avis que les policiers devraient même pouvoir arrêter des gens. Si les villes devaient se mettre en quarantaine complète, 43 % des femmes affirment qu’elles seraient entièrement d’accord avec cette mesure, comparativement à 36 % des hommes.

Une proportion plus élevée de femmes éprouvent de l’anxiété, de la tristesse, de l’irritabilité et de la difficulté à dormir

Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de déclarer qu’elles ont « très souvent » ou « souvent » éprouvé de l’anxiété ou de la nervosité, de la tristesse, de l’irritabilité ou de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie de COVID-19. En effet, c’est à l’égard de ces indicateurs que l’on observe la plus grande différence entre les sexes dans le cadre du sondage mené du 3 au 5 avril, avec une proportion de femmes plus importante de 9 à 15 points de pourcentage par rapport aux hommes affirmant avoir connu de tels épisodes (figure 6).

Les jeunes femmes, de 18 à 34 ans, sont plus particulièrement susceptibles de déclarer éprouver « très souvent » ou « souvent » de l’anxiété ou de la nervosité comparativement à leurs homologues masculins (63 % c. 40 %). En outre, elles sont aussi beaucoup plus susceptibles de déclarer ressentir de la tristesse (56 % c. 36 %) et de l’irritabilité (61 % c. 41 %). Près de la moitié (45 %) des femmes de 18 à 34 ans indiquent éprouver de la difficulté à dormir, comparativement à moins de 3 hommes sur 10 (29 %) du même groupe d’âge.

Les hommes se sentent plus proches de leur partenaire, mais sont aussi moins susceptibles d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas d’urgence

Malgré certaines différences qui existent entre les sexes en matière de sentiments et de réactions à l’égard de la pandémie de COVID-19, les femmes et les hommes déclarent en proportions égales qu’ils gèrent mieux (7 %), à peu près de la même façon (65 %) ou moins bien (25 % à 26 %) leur vie qu’avant la pandémie.

Il est toutefois intéressant de noter qu’une plus grande proportion d’hommes mariés ou vivant en union libre indiquent que la pandémie de COVID-19 les a rapprochés de leur conjoint(e) (49 %) et/ou a donné lieu à des conversations plus enrichissantes (52 %), comparativement aux femmes (41 % et 49 %).

Pour ce qui est d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas d’urgence, près de 9 femmes et hommes sur 10 (85 % dans chacun des cas) disent avoir des personnes sur qui ils peuvent compter. Toutefois, 6 % des hommes, comparativement à 3 % des femmes, affirment n’avoir personne sur qui compter dans une période de crise.

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.

* Les données portant sur la menace relative à leur propre santé, sur la menace relative à la santé d’un membre de leur famille et sur le fait que le virus constitue une menace réelle ou démesurée excluent les femmes et les hommes ayant indiqué qu’eux-mêmes ou un membre de leur famille a déjà contracté le virus ou ayant répondu « Ne sais pas » à la question sur la menace concernée (ces personnes ont été incluses dans les données des autres questions du sondage faisant l’objet de ce rapport).

Faits et chiffres : La santé mentale maternelle au Canada

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La santé et le bien-être maternels constituent un important enjeu de santé publique, et la santé mentale y tient un rôle clé. Selon les données recueillies, la plupart des nouvelles mères et des femmes enceintes se disent en bonne santé mentale et très satisfaites de leur vie, mais les cas de dépression post-partum (DPP) et d’anxiété sont courants au Canada.

La recherche démontre que la DPP et une santé mentale déficiente nuisent au bien-être des mères et, en l’absence de traitement, peuvent compromettre le développement du nourrisson (ex. : engendrer un faible poids à la naissance, une naissance prématurée, un risque accru de problèmes de santé mentale plus tard dans la vie de l’enfant), en plus d’accabler le partenaire et les autres membres de la famille (y compris les pères, qui courent un risque accru de dépression ou d’anxiété).

Heureusement, de nombreuses options de traitement efficaces et bien documentées peuvent aider les femmes à se rétablir, et les études démontrent que le soutien social et émotionnel des partenaires et des autres membres de la famille tout au long de la période périnatale contribue à réduire la probabilité de DPP et de troubles émotionnels, tant pour les mères que pour les nouveau-nés.

Le présent numéro de la série Faits et chiffres se penche sur la santé mentale des nouvelles mères et des femmes enceintes au Canada, tout en mettant l’accent sur le bien-être de la famille.

Quelques faits saillants :

  • En 2018-2019, la plupart (60 %) des mères ayant récemment donné naissance à un enfant ont indiqué que leur santé mentale était excellente ou très bonne, alors que près du quart (23 %) ont déclaré éprouver des sentiments qui correspondant à la DPP ou à un trouble anxieux.
  • En 2018-2019, 30 % des mères de moins de 25 ans ayant récemment donné naissance à un enfant ont déclaré éprouver des sentiments qui correspondent à la DPP ou à un trouble anxieux, comparativement à 23 % chez les nouvelles mères de 25 ans ou plus.
  • En 2018-2019, près du tiers (32 %) des femmes récemment devenues mères ayant déclaré éprouver des sentiments qui correspondent à la DPP ou à un trouble anxieux disent avoir reçu un traitement à l’égard de leurs émotions ou de leur santé mentale depuis la naissance de leur enfant.
  • La santé mentale maternelle est influencée par le statut socioéconomique : la recherche démontre des taux plus élevés de DPP et de symptômes de dépression chez les mères issues de groupes marginalisés, y compris les personnes ayant des incapacités; les mères récemment immigrées, les demandeuses d’asile et les réfugiées; et les mères s’identifiant comme Noires ou membre des Premières Nations.
  • Les mères ayant vécu des expériences de vie difficiles courent également un risque accru de développer des troubles mentaux, comme celles qui vivent au sein d’un ménage en situation d’insécurité alimentaire ou en situation d’urgence ou conflictuelle, ainsi que celles ayant été victimes de violence (familiale, sexuelle et fondée sur le sexe) ou d’un désastre naturel.

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Ce document sera régulièrement mis à jour afin de tenir compte des nouvelles données et études (les versions antérieures demeureront néanmoins disponibles à partir de notre section réservée aux feuillets de renseignements).

Les sources d’information sont disponibles dans la version PDF de ce document.

Faits et chiffres : Maison, foyer et finances familiales (mise à jour de 2019)

Le foyer est au cœur de la vie de famille. C’est là que les liens familiaux se forgent et évoluent tout au long de l’existence. C’est là aussi que prend racine une large part de nos souvenirs de famille. Les liens qui se tissent entre la famille et son foyer sont tributaires du contexte socioéconomique et culturel en constante évolution dans lequel nous vivons. Les choix de chacun quant à son lieu de résidence sont appelés à changer au fil du temps, c’est-à-dire au gré des attentes et des aspirations que l’on entretient au regard de ce contexte évolutif.

Afin de mieux comprendre la nature des liens qui unissent les familles à leur foyer, nous procédons à une mise à jour de notre fiche de renseignements intitulée « Maison et foyer au Canada », à laquelle nous intégrons cette fois de nouvelles données portant sur les finances familiales et le foyer.

Parmi les faits saillants, vous trouverez :

  • En 2016, le coût de logement mensuel médian au Canada s’élevait respectivement à 1130 $ pour les ménages propriétaires et à 910 $ pour les ménages locataires.
  • En 2016, 16 % des ménages propriétaires et 40 % des ménages locataires au Canada avaient des coûts de logement mensuels considérés non abordables.
  • D’après de récentes estimations, il faut maintenant 13 ans à une personne moyenne de 25 à 34 ans pour économiser une mise de fonds de 20 % sur une maison à prix moyen au Canada, alors qu’il fallait 5 ans en 1976.
  • De récentes estimations démontrent qu’une personne moyenne devrait gagner au moins 22,40 $ l’heure pour pouvoir se permettre de louer un appartement de deux chambres à prix moyen au Canada.

Téléchargez notre fiche de renseignements intitulée « Maison, foyer et finances familiales (mise à jour de 2019) ».

Ce document sera continuellement mis à jour afin de tenir compte des nouvelles données et études (les versions antérieures seront néanmoins disponibles à partir de notre section réservée aux fiches de renseignements).

 


Publié le 15 août 2019

 

Recherche en bref : La réalité scolaire pour les enfants des familles de militaires

Emily Beckett

Téléchargez le document Recherche en bref : La réalité scolaire pour les enfants des familles de militaires

Le Canada compte plus de 64 000 enfants au sein des familles de militaires1, et plusieurs d’entre eux sont confrontés à une importante mobilité. D’après certaines études, les familles des militaires déménagent de trois à quatre fois plus souvent que leurs homologues civils2. Or, même si la plupart des familles des militaires manifestent une grande capacité d’adaptation et beaucoup de résilience lorsqu’elles sont confrontées à une réinstallation, plusieurs recherches récentes ont permis de constater que les déménagements récurrents risquent de nuire au bien-être de la famille3.

Près des trois dixièmes (27 %) des conjoints des militaires interrogés disent avoir dû déménager au moins quatre fois à cause des impératifs de la vie militaire4.

Les réinstallations fréquentes peuvent bousculer la vie de famille à plusieurs égards, et certaines études suggèrent que les perturbations les plus marquées du point de vue des jeunes se font sentir à l’école et dans les activités parascolaires5. Les parents des familles de militaires sont d’ailleurs conscients de ces effets : plus de la moitié des conjoints de militaires interrogés (54 %) s’accordent pour dire que « les enfants des militaires sont désavantagés par la méconnaissance de la réalité des militaires dans les écoles civiles publiques »6. Toutefois, des travaux de recherche ont aussi montré que le milieu scolaire de l’enfant permet souvent de faciliter la transition et, par conséquent, de favoriser le bien‑être des jeunes dans les familles des militaires.

Heidi Cramm, Ph. D., et Linna Tam-Seto, doctorante, ont réalisé une recension des écrits (School Participation and Children in Military Families: A Scoping Review, en anglais seul.), où elles s’intéressent à l’impact de ces transitions sur le bien-être des enfants et des jeunes des familles de militaires, particulièrement en ce qui concerne leur réalité scolaire. Après avoir passé en revue quelque 112 articles spécialisés, les deux chercheuses ont constaté que certaines réalités communes aux familles des militaires finissent souvent par nuire à la qualité et au degré de participation des enfants dans les activités scolaires ou parascolaires, que ce soit à cause de l’éloignement d’un parent en déploiement, d’une réinstallation, des risques associés aux missions militaires des parents, ou des perturbations de la dynamique familiale pendant ou après un déploiement. Même si la vaste majorité des articles recensés dans le cadre de cette initiative reflètent la situation en contexte américain, il semble que les familles des militaires au Canada partagent à peu près la même réalité et les mêmes préoccupations, comme en témoignent les Résultats de l’évaluation des besoins de la communauté des Forces armées canadiennes (FAC) de 20167.

Se réinstaller progressivement dans une nouvelle collectivité

Les enfants des familles de militaires qui fréquentent une nouvelle école n’éprouvent pas nécessairement des difficultés scolaires, mais l’état actuel de la recherche montre qu’il leur faut néanmoins de quatre à six mois à chaque déménagement pour s’habituer complètement à leur nouvelle réalité scolaire. Bien que ces situations soient temporaires, les interruptions successives risquent d’entraîner des incidences à long terme en limitant les possibilités plus tard dans la vie de ces élèves, notamment quant à leur capacité de prendre des risques ou de relever des défis.

Axées surtout sur la réalité aux États-Unis, les études recensées par Mmes Cramm et Tam-Seto révèlent que les difficultés des élèves en transition semblent surtout associées à la durée des déploiements (nombre total de mois d’absence des parents en mission), au degré de résilience, de même qu’à la santé mentale du parent qui prend le relai du conjoint en mission. Ces travaux de recherche mettent aussi en relief les difficultés de réinsertion dans la routine et la structure familiale qui touchent parfois les militaires au terme d’un déploiement. D’après les données probantes, ces effets négatifs s’intensifient en fonction du nombre de mois de déploiement. Il sera particulièrement important d’en tenir compte dans le portrait de la situation des familles des militaires au Canada.

La vie militaire : des répercussions sur le parcours scolaire et l’accès aux mesures de soutien

Les travaux de recherche examinés par Mmes Cramm et Tam-Seto mettent en relief diverses incidences sur le rendement scolaire des élèves (majoritairement américains) qui déménagent d’un territoire à l’autre (ex. : déficits ou dédoublements dans les apprentissages). Différents facteurs entrent en ligne de compte selon les régions, notamment en ce qui concerne les normes en vigueur, les crédits exigés ou encore l’âge d’entrée à la maternelle. Les chercheuses ont aussi constaté que le niveau de stress à la maison durant un déploiement et au cours de la période de réinsertion qui s’ensuit influence souvent le comportement à l’école et la dynamique en classe, alors que ces élèves vivent parfois des difficultés sur le plan affectif, des problèmes de concentration ou d’anxiété, ou des relations conflictuelles avec leurs pairs. L’enquête sur l’évaluation des besoins de la communauté des FAC ne précise pas si la mobilité est la principale cause des difficultés qu’éprouvent les enfants des répondants, mais 13 % d’entre eux avouent que ceux-ci ont manifesté des problèmes comportementaux ou affectifs à l’école durant l’année précédente. D’autres recherches seront nécessaires pour compléter le tableau et mieux comprendre la situation des familles des militaires au Canada.

En 2016, plus d’un septième (13 %) des militaires des Forces armées canadiennes interrogés affirmaient que leur enfant avait éprouvé des problèmes comportementaux ou affectifs à l’école durant l’année précédente.

D’après certaines études, l’adaptation comportementale et affective influencerait le rendement scolaire des jeunes (ex. : comportement, présence, attitude vis-à-vis de l’école ou de l’approche éducative). On peut penser que les difficultés associées au changement d’école sont encore plus grandes pour les élèves ayant besoin de ressources éducatives spécialisées8. À ce chapitre, 8,2 % des familles des FAC interrogées ont des enfants ayant des besoins spéciaux9, et plusieurs d’entre elles nécessitent des ressources et des mesures de soutien. Or, chaque déménagement complique l’accès à de tels services.

Les nombreux parents des familles de militaires qui ont un enfant atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) sont confrontés aux mêmes difficultés que toutes les autres familles où quelqu’un a des besoins particuliers : non seulement doivent-ils trouver les ressources adéquates dans le dédale du système d’éducation et du réseau de soins de santé, mais ils sont aussi confrontés à la difficulté d’obtenir une évaluation et un diagnostic10. Or, les familles restent parfois des mois voire des années sur une liste d’attente pour recevoir enfin un diagnostic. Dans un tel contexte, certaines familles de militaires sont contraintes de repartir à la fin d’une affectation avant même d’avoir eu accès à des soins ou à des services.

En fait, plusieurs ressources éducatives spécialisées ne sont pas accessibles sans diagnostic. Mmes Cramm et Tam-Seto ont constaté que l’école freine parfois l’accès à certaines ressources en présumant que les difficultés scolaires de l’élève sont uniquement liées au mode de vie des militaires ou qu’elles sont temporaires en lien avec le déploiement d’un parent. À l’inverse, certains intervenants privilégient des ressources éducatives spécialisées pour pallier des déficits d’apprentissage qui sont en réalité liés aux réinstallations et nécessiteraient des mesures moins ciblées. Dans le réseau scolaire américain, plusieurs se sentent mal outillés pour pouvoir bien cibler les élèves des familles de militaires qui méritent un traitement auprès de spécialistes cliniques.

Consolider les collectivités malgré l’importante mobilité

D’après les études consultées, l’importante mobilité entrave souvent la capacité des enfants des familles de militaires à nouer et à entretenir des relations personnelles et à s’intégrer à un cercle social avec les enfants de leur âge. Il n’est pas rare que leurs homologues civils ne comprennent pas la réalité que supposent ces déménagements successifs ou le déploiement d’un parent – ou qu’ils n’y soient pas sensibles –, ce qui teinte leurs relations avec les enfants des militaires. Néanmoins, les interactions entre les jeunes des familles militaires et non militaires sont fréquentes, puisque de nos jours 85 % des familles des militaires au Canada vivent à l’extérieur d’une base, c’est-à-dire dans les collectivités civiles (comparativement à seulement 20 % vers le milieu des années 90)11.

Mmes Cramm et Tam-Seto ont constaté que les enfants des familles de militaires qui vivent en milieu civil aux États-Unis sont particulièrement vulnérables à l’isolement et à la solitude, et il s’agit là de données importantes puisqu’il existe des liens nets entre le bien-être et l’adhésion à un cercle social solide, d’après les études12. En outre, l’état actuel de la recherche laisse entrevoir que le sentiment d’appartenance communautaire est souvent déterminant pour la santé mentale et la résilience13.

La mobilité risque également d’entraver la participation à certaines activités parascolaires pour les jeunes des familles de militaires. Par exemple, il pourrait être trop tard pour un jeune qui emménage avec sa famille et qui souhaiterait se joindre à une équipe de soccer, alors que la période d’entraînement est peut‑être terminée et que l’équipe a été complétée avant le début de l’année scolaire. Certaines équipes de sports d’élite ou d’autres programmes de leadership hésitent parfois à recruter les élèves des familles de militaires de crainte d’avoir à les remplacer s’ils doivent déménager à nouveau.

D’après le rapport de 2016 sur l’évaluation des besoins de la communauté des FAC, près des trois dixièmes (29 %) des répondants qui considéraient le bien-être de leurs enfants comme leur principal souci durant l’année précédente disent avoir besoin d’aide dans leurs démarches pour assurer le bien-être de leurs enfants (ex. : mise en forme, gestion du stress, consolidation des liens familiaux). Dans certains cas, les parents dont le conjoint est en déploiement ne sont pas en mesure d’aller reconduire leurs enfants aux activités parascolaires ou d’assumer toutes les responsabilités compte tenu des besoins accrus à la maison pour s’occuper des enfants (23 % de tous les répondants affirment avoir eu des problèmes liés à la garde des enfants, qu’il s’agisse de la qualité et de la disponibilité des services, de la distance à parcourir, du coût, etc.).

Les professionnels de l’éducation sont en position privilégiée pour faciliter les transitions

Les études montrent que les enseignants, les conseillers et d’autres professionnels de l’éducation sont en situation privilégiée pour faciliter la transition des jeunes des familles de militaires. La recension de certaines études aux États-Unis suggère que le milieu scolaire offre parfois un facteur « de protection » durant une réinstallation, et que les éducateurs sont susceptibles d’aider les élèves des familles de militaires en consolidant leur résilience et leurs mécanismes d’adaptation.

De fait, les déménagements sont déstabilisants en soi et perturbent les habitudes et la routine, si bien que plusieurs familles de militaires et leurs enfants dépendent largement du personnel et du milieu scolaire relativement au soutien socioaffectif. Parmi les parents des FAC qui considéraient le bien‑être de leurs enfants comme leur principal souci durant l’année précédente, plus du tiers des répondants (34 %) disaient avoir besoin de soutien affectif ou social. Les études tendent à montrer que l’implication éventuelle des familles dans la vie scolaire de leur enfant favorise souvent l’engagement et la réussite scolaires, diminue les risques de décrochage et augmente les chances de faire des études postsecondaires.

Toutefois, Mmes Cramm et Tam-Seto ont aussi constaté que plusieurs intervenants du milieu de l’éducation aux États-Unis se disent dépassés par l’ampleur des besoins de leurs élèves, si bien qu’il leur semble difficile de tenir compte des enjeux particuliers des familles des militaires (réinstallations successives, déploiement des parents, peur de voir leurs parents blessés ou tués dans le cadre d’un déploiement), de répondre aux besoins de ces familles et de communiquer efficacement avec elles.

Même si plusieurs des études et des rapports analysés et cités par Mmes Cramm et Tam-Seto portent sur la réalité vécue à l’étranger, leurs conclusions permettent néanmoins de mieux comprendre la situation des familles des militaires au Canada, qui ont en commun plusieurs « éléments stressants de la vie militaire » avec leurs homologues américains, entre autres l’importante mobilité, les périodes récurrentes d’éloignement ainsi que les risques14. Les études recensées donnent à penser que les écoles et les professionnels de l’éducation ayant une bonne littératie militaire (conscientisation à l’égard de ces stresseurs et de la réalité des familles des militaires) peuvent jouer un rôle majeur pour faciliter la transition des jeunes. Au cours des prochaines années, il sera impératif de disposer d’études axées plus particulièrement sur le milieu scolaire en contexte canadien.

Des ressources et de l’information pour favoriser le soutien aux familles des militaires

Les initiatives visant à accroître la littératie militaire des professionnels de l’éducation ont un important rôle à jouer pour épauler les jeunes des familles de militaires ainsi que leurs proches, et plusieurs ont déjà exprimé le souhait d’avoir accès à des ressources pour les aider en ce sens. Divers outils existent déjà pour favoriser la création et la consolidation d’équipes de conseillers scolaires (et de collègues) bien au fait de la « littératie militaire » dans les écoles au Canada, afin de transmettre de l’information et des ressources ciblées à propos du mode de vie des militaires et des vétérans. À ce chapitre, le Cercle canadien du leadership pour les familles des militaires et des vétérans et l’Association canadienne de counseling et de psychothérapie ont publié en 2017 un guide intitulé Les conseillers et les conseillères en milieu scolaire travaillant auprès des familles des militaires et des vétérans.

Les familles des militaires et des vétérans sont fortes, diversifiées et résilientes, et leur contribution unique s’avère précieuse pour les collectivités du pays. Bon nombre d’entre elles sont confrontées à une importante mobilité, ce qui se répercute sur le bien-être des enfants et des jeunes dans l’entourage des militaires et, finalement, sur le mieux-être et l’efficacité des militaires eux-mêmes parmi les Forces armées canadiennes15. Pour permettre à ces familles de prospérer au sein de collectivités et de milieux de travail inclusifs, il faudra accroître la conscientisation vis-à-vis de leur réalité et du « mode de vie des militaires », auprès des professionnels de l’éducation et des intervenants qui s’emploient à étudier, à servir et à soutenir les familles des militaires.

Pour consulter la version intégrale de l’étude :

Heidi Cramm, Ph.D., et Linna Tam-Seto, doctorante, « School Participation and Children in Military Families: A Scoping Review » dans Journal of Occupational Therapy, Schools, & Early Intervention (1er mars 2018). Lien : https://bit.ly/2qiWfcU

 

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Emily Beckett est une auteure professionnelle qui habite à Ottawa (Ontario).

Publié le 22 mai 2018

Cet article a été révisé par le colonel Russ Mann (retraité), conseiller spécial de l’Institut Vanier de la famille et ancien directeur des Services aux familles des militaires, en collaboration avec Heidi Cramm, Ph. D., et Linna Tam-Seto, doctorante.

Notes

  1. Heidi Cramm et autres, « L’état actuel de la recherche sur les familles des militaires » dans Transition (19 janvier 2016).
  2. Kerry Sudom, « Quality of Life among Military Families: Results from the 2008/2009 Survey of Canadian Forces Spouses » dans Director General Military Personnel Research and Analysis, Chief Military Personnel (août 2010). Lien :  http://bit.ly/2b8Hp3U
  3. Pour en savoir davantage : Coup d’œil sur les familles des militaires et des vétérans au Canada
  4. Sudom, 2010
  5. Pamela Arnold et autres « Needs of Military-Connected School Divisions in South-Eastern Virginia » dans Old Dominion University, Center for Educational Partnerships (septembre 2011), lien : https://bit.ly/2EQGs9F; Angela J. Huebner et autres, « Parental Deployment and Youth in Military Families: Exploring Uncertainty and Ambiguous Loss » dans Family Relations, vol. 56, no 2 (avril 2007), lien : https://bit.ly/2qT6zrH; Kristin N. Mmari et autres, « Exploring the Role of Social Connectedness among Military Youth: Perceptions from Youth, Parents, and School Personnel » dans Child and Youth Care Forum, vol. 39, no 5 (octobre 2010), lien : https://bit.ly/2vm4aey.
  6. Sanela Dursun et Kerry Sudom, « Impacts of Military Life on Families: Results from the Perstempo Survey of Canadian Forces Spouses » dans Director General Military Personnel Research and Analysis, Chief Military Personnel (novembre 2009). Lien : http://bit.ly/1pbjBgC.
  7. Prairies Research Associates, Résultats de l’évaluation des besoins de la communauté des FAC de 2016 (septembre 2017).
  8. Cramm, 2016
  9. Heidi Cramm, « L’accès aux soins de santé pour les familles des militaires ayant un enfant touché par l’autisme » dans Transition (6 novembre 2017).
  10. Cramm, 2017
  11. Ibidem
  12. Maire Sinha, « Rapports des Canadiens avec les membres de leur famille et leurs amis » dans Mettre l’accent sur les Canadiens : résultats de l’Enquête sociale générale, no 89-652-X au catalogue de Statistique Canada (dernière mise à jour au 30 novembre 2015). Lien : https://bit.ly/2FCPTtI
  13. Statistique Canada, « Appartenance à la communauté » dans Gens en santé, milieux sains, no 82-229-X au catalogue de Statistique Canada (janvier 2010). Lien : https://bit.ly/2rercj2
  14. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes, « Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire » dans Rapport spécial au ministre de la Défense nationale (novembre 2013). Lien : https://bit.ly/2Ktqtm2
  15. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes

 

Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada

La mort est un stade naturel de la vie, mais plusieurs Canadiens hésitent pourtant à aborder la question fondamentale du processus de fin de vie. L’Institut Vanier de la famille souhaite contribuer à faire changer les choses à cet égard en publiant le document Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada, qui vise à amorcer le dialogue dans les ménages, les milieux de travail et les collectivités au pays, en s’intéressant à la question de la mort et de la fin de la vie du point de vue des familles.

Le document Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada illustre l’évolution des questions entourant la mort et la fin de la vie au fil des générations au pays, en mettant en relief la réalité et les volontés des familles relativement à ces enjeux, le rôle de ces dernières dans les soins de fin de vie, de même que les incidences sur leur bien-être. À partir d’analyses sur les données et les tendances actuelles, d’entretiens avec des aidants et leur famille, ainsi que de ses réflexions personnelles à propos du bénévolat en résidence, l’auteure Katherine Arnup, Ph. D., brosse un tableau de la situation au sujet de la mort et du processus de fin de vie, en fonction des facteurs actuels et émergents qui modulent le contexte socioculturel et politique.

Points saillants

– Les soins palliatifs en résidence peuvent jouer un rôle important pour aider les mourants et leur famille, mais la plupart des Canadiens n’y ont pas accès.

  • Jusqu’à 85 % des personnes en fin de vie sont susceptibles de bénéficier des soins palliatifs.
  • On estime que 16 % à 30 % des Canadiens ont accès à des soins palliatifs, selon leur lieu de résidence.
  • Les trois quarts (74 %) des Canadiens interrogés disent avoir déjà réfléchi à la question des soins de fin de vie, mais seulement le tiers (34 %) en ont déjà discuté avec un membre de la famille. 

– L’aide médicale à mourir est un facteur déterminant dans le dialogue sur la mort et le processus de fin de vie au Canada. 

  • Depuis juin 2016, plus de 2 600 personnes ont eu recours à l’aide médicale à mourir au Canada.
  • Plus d’un huitième des aînés au Canada (12 %) disent qu’eux-mêmes ou un membre de leur famille ont déjà discuté de l’aide médicale à mourir avec un fournisseur de soins.

– Le tabou entourant la mort est de moins en moins lourd au Canada, grâce entre autres aux fournisseurs de soins et aux initiatives communautaires. 

  • Les accompagnatrices en fin de vie, le personnel et les bénévoles en résidence ainsi que les autres praticiens du processus de fin de vie fournissent un éventail de services auprès de nombreuses familles au Canada, qu’il s’agisse de faciliter la planification préalable des soins et les discussions à propos des soins de fin de vie, de coordonner les soins en tant que tels ou de fournir du soutien aux endeuillés.
  • Un peu partout au Canada, les gens se réunissent dans le cadre de « cafés mortels » pour exprimer leur point de vue sur la mort et la fin de la vie.

« Même si plusieurs hésitent à parler de la mort et du processus de fin de vie avec leur famille et leurs fournisseurs de soins de santé, les Canadiens ont toutefois réussi à briser le silence entourant ces questions, et c’est certainement un pas dans la bonne direction, souligne Mme Arnup, Ph. D. En discutant de la mort avec la famille et en planifiant les choses en fonction de ses aspirations et du soutien pour les proches, on finit par voir la mort comme un stade tout naturel de la vie qui n’a rien d’indigne en soi, et par apprécier le présent pour mieux enrichir nos vies. »

« La naissance et la mort font partie des réalités familiales les plus universelles, précise la directrice générale de l’Institut Vanier, Nora Spinks. De nombreux Canadiens et leur famille craignent d’aborder la question de la mort, malgré l’importance d’un tel dialogue pour planifier et organiser les soins dont bénéficient les êtres chers en fin de vie. Nous espérons que l’étude Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada contribuera à faire progresser le dialogue à l’occasion des célébrations de la Semaine nationale des soins palliatifs. »

Téléchargez la version anglaise du document Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada

 


Publie le 7 mai 2018

Faits et chiffres : les familles et la santé mentale au Canada

La plupart des familles sont confrontées à la santé mentale un jour ou l’autre, qu’il s’agisse de troubles mentaux vécus personnellement par un ou plusieurs des leurs, ou par l’entremise des soins prodigués à quelqu’un d’autre. La plupart du temps, les personnes touchées par la maladie mentale réussiront à s’en remettre avec le soutien et les traitements adéquats1. À cet égard, les familles jouent souvent un rôle de premier plan par leur aide directe et leur soutien au chapitre de l’encadrement et du financement des soins.

Notre nouvelle fiche de renseignements propose un aperçu des incidences de la santé mentale sur les familles au Canada, notamment en ce qui a trait à la prévalence des troubles mentaux au sein des familles, aux facteurs déterminants ainsi qu’au rôle de la famille pour favoriser la prise en charge en santé mentale.

Téléchargez le document Faits et chiffres : les familles et la santé mentale au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille.

Notes


  1. Centre de toxicomanie et de santé mentale, Mental Illness and Addiction: Facts and Statistics (s.d.) (page consultée le 20 septembre 2017). Lien : http://bit.ly/2jLyV6Y

Coup d’œil sur les familles et l’alimentation au Canada

L’alimentation est au cœur de la vie de famille. Il s’agit bien sûr d’une nécessité biologique dont dépendent la survie et le bien-être, mais le portrait est en fait beaucoup plus large… Les choix alimentaires sont-ils seulement guidés par des caprices et des préférences individuelles? Bien souvent, l’alimentation n’est pas étrangère à l’identité culturelle, communautaire et familiale. Et parfois, ces choix nous sont en quelque sorte imposés en fonction de l’accessibilité et de la disponibilité des aliments.

Peu importe la situation, les familles parviennent à s’adapter et à réagir pour répondre aux besoins nutritionnels de chacun. Certaines familles ont souvent l’occasion de manger ensemble, et les repas familiaux sont alors l’occasion de « moduler » ces relations familiales en procurant un cadre favorable à l’expression des dynamiques internes, qu’il s’agisse de déléguer les responsabilités pour faire la cuisine, de discuter des prochaines vacances ou de négocier la corvée de vaisselle… D’autres familles sont plutôt contraintes de manger « sur le pouce », parfois en raison d’horaires chargés ou à cause des impératifs de la mobilité pour le travail.

Le document intitulé Coup d’œil sur les familles et l’alimentation au Canada jette un regard sur l’évolution des rapports qu’entretient la famille avec l’alimentation au pays, en mettant notamment en lumière diverses études et statistiques au sujet des repas familiaux, des habitudes alimentaires, de la nutrition, de la sécurité alimentaire, etc.

Quelques faits saillants…

  • En 2017, plus des six dixièmes des Canadiens interrogés (62 %) disent souper en famille au moins cinq fois par semaine.
  • Au Canada, plus du quart des personnes interrogées en 2017 (26 %) s’accordent pour dire qu’il leur est « impossible de préparer des repas ou de manger à la maison en raison des impératifs de la conciliation travail-vie personnelle ».
  • Selon les plus récentes données, 12 % des ménages au Canada (1,3 million) ont été affectés par l’insécurité alimentaire en 2014, soit 3,2 millions de personnes.
  • Plus de la moitié (52 %) des Inuits de l’Inuit Nunangat1 âgés de 25 ans ou plus vivaient au sein d’un ménage touché par l’insécurité alimentaire en 2012.
  • En 2015, les ménages au Canada ont dépensé en moyenne 8 600 $ en épicerie, soit une hausse de 9,9 % par rapport à 2010.
  • Devant la hausse des prix, les quatre dixièmes des répondants qui trouvent que la facture d’épicerie s’alourdit affirment devoir faire des compromis dans leurs choix pour une saine alimentation.
  • D’après une étude menée en 2017, plus des trois quarts des Canadiens négligent de consommer le nombre recommandé de portions quotidiennes de fruits et légumes recommandées par le Guide alimentaire canadien, ce qui entraîne un fardeau socioéconomique annuel estimé à 4,39 milliards de dollars.
  • Pour le seul mois de mars 2016, plus de 863 000 personnes ont eu recours aux banques alimentaires au Canada (soit 28 % de plus qu’en 2008), et les familles avec enfants représentaient 40 % des ménages ayant eu recours à une telle aide.
  • Des travaux de recherche révèlent que la malnutrition généralisée qu’ont connue les enfants autochtones ayant fréquenté les pensionnats indiens au Canada a eu des incidences multigénérationnelles (qui persistent aujourd’hui) sur la santé et le bien-être de leurs enfants et petits-enfants, accentuant ainsi la prévalence de maladies chroniques.

Cette publication bilingue sera régulièrement mise à jour en fonction des nouvelles données. Inscrivez-vous à notre infolettre mensuelle pour connaître les mises à jour et les autres nouvelles concernant les publications, les projets et les initiatives de l’Institut Vanier.

Téléchargez le document Coup d’œil sur les familles et l’alimentation au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille

 


Cette publication de la série Coup d’œil sur les statistiques est dédiée à David Northcott, CM, OM, directeur général retraité de la banque alimentaire Winnipeg Harvest, et fondateur de l’Association canadienne des banques alimentaires et de l’Association manitobaine des banques alimentaires. David a récemment achevé son deuxième mandat complet au sein du conseil d’administration de l’Institut Vanier. Toute l’équipe de l’Institut a largement bénéficié de son enthousiasme, de son dévouement pour le bien-être de la famille, ainsi que de sa grande générosité.

 

Notes


  1. Selon Statistique Canada : « Inuit Nunangat est la patrie des Inuits du Canada. Elle comprend les communautés incluses dans les quatre régions inuites : Nunatsiavut (la côte nord du Labrador), Nunavik (Nord du Québec), le territoire du Nunavut et la région Inuvialuit des Territoires du Nord-Ouest. Ensemble, ces régions englobent le territoire traditionnellement habité par les Inuits au Canada. » Lien : http://bit.ly/2xQYE0A

La santé des grands-parents et le bien-être de la famille

Rachel Margolis, Ph. D.

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Au Canada, quelque 7,1 millions de grands-parents et d’arrière-grands-parents procurent un apport unique, diversifié et précieux aux familles et à la société, entre autres par leur mentorat, leur rôle d’éducateurs et leur savoir-faire, ou en tant que dépositaires de la mémoire familiale. À l’instar de la population canadienne, le groupe démographique des grands-parents connaît un vieillissement rapide qui suscite certaines préoccupations dans les médias et l’opinion publique quant à l’impact éventuel de ce « tsunami gris ».

Toutefois, même s’il gagne en âge, le groupe des grands-parents serait en meilleure santé qu’il y a 30 ans si l’on se fie aux statistiques dans ce domaine. Il s’agit là d’une tendance éventuellement favorable aux familles, puisque la bonne santé des grands-parents leur permet de mieux contribuer à la vie de famille et d’aider les plus jeunes générations à assumer diverses responsabilités familiales, comme les soins aux enfants et le budget du ménage.

L’amélioration de la santé des grands-parents leur permet de mieux contribuer à la vie de famille et d’aider les plus jeunes générations à assumer leur diverses responsabilités familiales.

Le Canada vieillit, et les grands-parents aussi…

Le vieillissement du groupe démographique des grands-parents fait écho à celui de l’ensemble de la population canadienne. Selon les plus récentes données du Recensement de 2016, les aînés occupent désormais 16,9 % du poids démographique au pays, soit presque deux fois plus qu’en 1981 (9,6 %). Il s’agit de la proportion la plus élevée jamais enregistrée jusqu’ici, et cette croissance devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies : si la tendance se maintient, les Canadiens de 65 ans ou plus représenteront près du quart de la population (23 %) d’ici 2031. En outre, la tranche des Canadiens les plus âgés (100 ans ou plus) connaît actuellement la croissance la plus rapide : on comptait 8 200 centenaires en 2016 (soit 41 % de plus qu’en 2011), et ils seront vraisemblablement 40 000 d’ici 2051.

Dans un tel contexte, le vieillissement global du groupe démographique des grands-parents n’est pas une surprise. Ainsi, alors que 41 % des grands-parents avaient 65 ans ou plus en 1985, cette proportion était passée à 53 % en 2011. La représentation des grands-parents âgés de 80 ans ou plus a connu une croissance encore plus marquée, passant pratiquement du simple au double pour atteindre 13,5 % en 2011 (contre 6,8 % en 1985).

Des grands-parents plus âgés compte tenu de l’espérance de vie

L’augmentation de l’espérance de vie figure parmi les facteurs qui sous-tendent le vieillissement du groupe démographique des grands-parents. Statistique Canada estime que l’espérance de vie à la naissance suit une courbe ascendante constante, qui atteignait 83,8 ans chez les femmes et 79,6 ans chez les hommes pour la période de 2011 à 2013. Il s’agit d’un gain d’environ une décennie de vie en à peine un demi-siècle : les hommes et les femmes vivent respectivement 9,5 années et 11,2 années de plus qu’en 1960-1962.

Par ailleurs, puisque le taux de mortalité recule chez les personnes de moins de 65 ans, le nombre de Canadiens à passer ce cap s’accroît. Selon les données colligées par Statistique Canada, 86 % des filles nées entre 1980 et 1982 pouvaient espérer franchir le cap des 65 ans, mais 92 % de celles nées entre 2011 et 2013 pouvaient en espérer autant. Chez les garçons nés durant les mêmes intervalles, la proportion est passée de 75 % à 87 %.

Du reste, les gens vivent aussi plus longtemps au sein du groupe des aînés, comme en fait foi l’augmentation constante de l’espérance de vie à l’âge de 65 ans. (Cette mesure s’avère particulièrement utile pour évaluer le bien-être des populations plus âgées puisqu’elle ne tient pas compte du taux de mortalité des personnes qui n’atteignent pas 65 ans.) Selon les estimations de Statistique Canada pour la période de 2011 à 2013, l’espérance de vie à l’âge de 65 ans se situait à 21,9 années pour les femmes et à 19 années pour les hommes, soit respectivement 3 années et 4,4 années de plus qu’en 1980-1982.

Les femmes deviennent mères plus tardivement qu’auparavant, ce qui se répercute sur l’âge auquel on devient grands-parents. Par conséquent, le groupe démographique des grands-parents augmente en âge.

Parmi les facteurs responsables du vieillissement du groupe démographique des grands-parents, il faut aussi tenir compte du fait que, en règle générale, les femmes deviennent mères plus tardivement qu’auparavant, et cette tendance de la fécondité fait augmenter l’âge auquel on devient grands-parents. Depuis 1970, l’âge moyen des mères à la naissance d’un premier enfant a suivi une ascension soutenue, passant de 23,7 ans pour atteindre 28,8 ans en 2013. De même, le nombre de mères âgées de 40 ans ou plus à la naissance d’un premier enfant est en hausse : on en comptait 3 648 en 2013, comparativement à 1 172 en 1993 (+210 %). Par conséquent, si les femmes sont de plus en plus nombreuses à retarder l’âge de la procréation, elles repoussent vraisemblablement l’âge de la grand-parentalité. De nos jours, les nouveaux grands-parents sont des baby-boomers, cette génération qui a différé l’âge de la procréation des femmes pour leur permettre de se consacrer à leurs études et d’acquérir de l’expérience professionnelle. Dans le sillage de celles-ci, la génération suivante tend aussi à avoir des enfants tardivement. L’effet cumulatif de ces deux générations influence certainement la tendance à la hausse de l’âge d’accession au statut de grands-parents.

Cependant, même si le groupe démographique des grands-parents se fait vieillissant, la grand-parentalité occupe une portion de l’existence plus longue qu’auparavant. De fait, si les grands-parents accèdent à ce statut plus tard, ils vivent aussi plus longtemps pour en profiter. Cet allongement favorise les occasions de nouer, d’entretenir et de consolider des relations avec les plus jeunes générations. D’après les conclusions de mes récents travaux, compte tenu du portrait démographique actuel au Canada, les femmes pourraient être grands-parents pendant 24,3 ans en moyenne au cours de leur vie, et les hommes durant 18,9 ans. Bref, ils auront plus ou moins deux décennies pour assumer ce rôle important pour la vie de famille.

Des grands-parents plus âgés, mais en meilleure santé

Selon les données de l’Enquête sociale générale (ESG), non seulement les grands-parents canadiens vivent-ils plus longtemps, mais ils sont également susceptibles de vivre en meilleure santé qu’auparavant. Alors que 70 % d’entre eux qualifiaient leur santé de « bonne, très bonne ou excellente » en 1985, cette proportion atteignait 77 % en 2011. Corollairement, la proportion de grands-parents estimant leur état de santé « passable ou mauvais » avait reculé de 31 % à 23 % dans le même intervalle. Dans l’ensemble, les grands-parents étaient 44 % plus susceptibles de s’estimer en bonne santé en 2011 qu’en 1985.

Durant le dernier demi-siècle, diverses tendances ont favorisé la santé des grands-parents et de l’ensemble des aînés au Canada. D’une part, d’importants progrès en santé publique ont amélioré la prévention, le dépistage et le traitement des maladies. Combinés à d’autres éléments, ces progrès ont contribué à réduire considérablement les décès causés par les maladies du système circulatoire (ex. : cardiopathies), soit l’un des principaux facteurs ayant permis d’allonger l’espérance de vie chez les hommes depuis 50 ans.

D’autre part, l’amélioration de l’état de santé des grands-parents au Canada est aussi attribuable à l’augmentation du niveau de scolarité au sein de ce groupe démographique. En effet, des études ont montré que l’éducation peut avoir des incidences favorables directes et indirectes pour la santé au cours de la vie. Parmi les retombées directes, on compte notamment l’amélioration de la littératie ou des connaissances en matière de santé, des rapports entre les patients et le système de santé, ainsi que de la capacité et de la volonté de ces derniers de faire valoir leur point de vue auprès des fournisseurs de soins de santé. Quant aux retombées indirectes, elles concernent notamment la diversification des ressources disponibles (notamment les revenus) et des possibilités d’emploi (travail à plus faible risque ou moins exigeant physiquement, emploi assorti d’indemnités en cas de maladie, etc.).

Il existe un lien entre le niveau d’éducation et l’état de santé : il s’agit là d’un facteur important puisque la proportion des grands-parents ayant fait des études postsecondaires a plus que triplé en trois décennies.

Il s’agit là d’importants facteurs à prendre en compte en contexte canadien, puisque la proportion de grands-parents ayant un diplôme d’études postsecondaires a plus que triplé au pays depuis trois décennies, passant de 13 % en 1985 à près de 40 % en 2011.

La santé des grands-parents au bénéfice de la famille

L’état de santé des grands-parents peut avoir des répercussions importantes pour les familles. De fait, lorsque la santé de l’un ou de plusieurs grands-parents se dégrade, les membres de la famille sont souvent les premiers à fournir et à structurer les soins pour contribuer à leur bien-être, et à en payer la facture. Cet état de fait n’est pas à négliger dans le portrait des soins à domicile au pays, puisque les aidants familiaux assument de 70 % à 75 % des soins à domicile fournis à l’ensemble des aînés, selon le Conseil canadien de la santé.

D’après l’ESG de 2012, près des trois dixièmes des Canadiens (28 %) affirmaient avoir prodigué des soins à un membre de la famille durant l’année précédente, et le motif le plus souvent évoqué à cet égard concernait les problèmes liés au vieillissement (28 % des aidants). De tous les bénéficiaires de soins au Canada, 13 % étaient des grands-parents, et ces derniers représentaient aussi le principal groupe de bénéficiaires des jeunes aidants (de 15 à 29 ans). De fait, les quatre dixièmes d’entre eux affirmaient que leur principal bénéficiaire était un grand-parent.

Même si 95 % des aidants disent s’acquitter plutôt bien de leur charge de soins, des études ont montré que de telles responsabilités entraînent parfois des répercussions négatives selon les contextes, notamment pour le bien-être, l’avancement professionnel et le budget de la famille. Ces risques guettent particulièrement ceux qui occupent aussi un emploi rémunéré, ce qui implique les trois quarts des aidants et le tiers de tous les Canadiens en emploi.

Par contre, lorsque les grands-parents sont en bonne santé, ce sont les familles elles-mêmes qui peuvent en bénéficier, de diverses façons. Non seulement ces grands-parents nécessiteront-ils moins de soins, mais ils seront mieux à même de contribuer de manière constructive à la vie de famille, entre autres en s’occupant des enfants et en participant financièrement au budget familial.

Des grands-parents pour s’occuper des enfants des générations montantes

Bon nombre de grands-parents jouent un rôle de premier plan en s’occupant de leurs petits-enfants, épaulant ainsi les parents de la « génération intermédiaire » qui tentent de conjuguer soins aux enfants et responsabilités professionnelles. Au cours des dernières décennies, certaines tendances socioéconomiques et contextuelles convergentes ont accentué l’apport important de ces grands-parents soucieux de participer aux soins aux enfants pour le bien-être des familles.

Bon nombre de grands-parents jouent un rôle de premier plan en s’occupant de leurs petits-enfants, épaulant ainsi les parents de la « génération intermédiaire » qui tentent de conjuguer soins aux enfants et responsabilités professionnelles.

Au Canada, le nombre de couples à deux soutiens est en hausse depuis 40 ans. Alors que seulement 36 % des familles avec enfants comptaient sur deux soutiens en 1976, cette proportion a pratiquement doublé pour atteindre 6 % en 2014. Or, plus de la moitié de ces couples (51 %) sont des parents qui travaillent tous deux à plein temps. Dans un tel contexte, les services de garde non parentaux sont de plus en plus sollicités. Les données de l’ESG de 2011 en font foi : alors que presque la moitié (46 %) de tous les parents disaient avoir eu besoin de services de garde quelconques pour leurs enfants de 14 ans ou moins durant l’année précédente, cette proportion était plus marquée chez les couples de parents à deux soutiens ayant des enfants de 0 à 4 ans (71 %) ou de 5 à 14 ans (49 %).

Compte tenu de l’évolution de la structure et de la composition des familles au fil des générations, un nombre accru d’entre elles se tournent désormais vers les services de garde non parentaux. Par exemple, la proportion de familles monoparentales a fait un bond important depuis un demi-siècle : alors que celles-ci représentaient 8,4 % de toutes les familles en 1961, elles occupaient une portion de 16 % en 2016. Les données recueillies dans le cadre de l’ESG de 2011 montrent que près des six dixièmes (58 %) des parents seuls ayant des enfants de 4 ans ou moins recouraient à des services de garde non parentaux.

Dans certains cas, en l’absence de génération intermédiaire (c’est-à-dire les parents), ce sont les grands-parents qui assument l’entière responsabilité d’élever leurs petits-enfants. Cette situation touchait 12 % de tous les grands-parents vivant sous le même toit que leurs petits-enfants selon l’ESG de 2011, qui fait état de 51 000 familles caractérisées par « l’absence d’une génération » au Canada. Les familles sans génération intermédiaire sont plus fréquentes parmi certains groupes, notamment chez les Premières Nations (28 %), les Métis (28 %) ou les Inuits (18 %), comparativement à 11 % au sein de la population non autochtone.

Enfin, lorsqu’il s’avère impossible de dénicher une place en service de garde structuré et de qualité au sein de leur collectivité, plusieurs parents se tournent vers les grands-parents. En 2014, les centres de la petite enfance réglementés ne pouvaient accueillir plus du quart (24 %) des enfants de 5 ans ou moins au pays. Même s’il s’agit là d’une amélioration notable par rapport au taux de 12 % enregistré en 1992, il n’en demeure pas moins que plus des trois quarts des enfants de ce groupe d’âge n’ont pas accès à une place en garderie réglementée. La disponibilité (ou le manque) de places en garderie n’est pas négligeable : pour les familles formées d’un couple de parents, il s’agit d’un élément déterminant susceptible d’influencer la décision de participer ou non au marché du travail.

Par ailleurs, le coût des services de garde pourrait également inciter certains parents à faire appel aux grands-parents pour s’occuper des enfants, particulièrement pour les familles vivant dans les centres urbains. En 2015, une étude sur le coût des services de garde dans les villes canadiennes a été réalisée à partir de données administratives sur les frais de garde et au terme de divers sondages téléphoniques aléatoires auprès de garderies à domicile ou de centres de la petite enfance. On a constaté que les tarifs les plus élevés au Canada étaient concentrés à Toronto, où le coût médian des services de garde non subventionnés était évalué à 1 736 $ par mois pour la garde à plein temps d’un nourrisson (moins de 18 mois) et à 1 325 $ pour les tout-petits (d’1 an et demi à 3 ans).

L’engagement des grands-parents peut favoriser le bien-être des enfants

Peu importe les raisons qui motivent les grands-parents à consacrer du temps à leurs petits-enfants, il n’en demeure pas moins que leur engagement dans la vie de famille peut contribuer au bien-être de ces derniers. Des études ont permis de constater que l’implication des grands-parents dans la vie de famille exerce un ascendant marqué sur le bien-être des enfants, et pourrait notamment favoriser leur engagement scolaire et l’adoption d’un comportement social positif. D’ailleurs, cette situation n’est pas seulement bénéfique aux enfants puisque, comme l’ont révélé d’autres travaux de recherche, les relations étroites entre grands-parents et petits-enfants ont des retombées positives pour la santé mentale des uns et des autres. Au sein des familles des Premières Nations, les grands-parents jouent aussi un rôle important auprès des générations montantes quant aux aspects culturels associés à la santé et à la guérison.

Selon certaines études, l’implication des grands-parents dans la vie de famille exerce un ascendant marqué sur le bien-être des enfants, et pourrait notamment favoriser leur engagement scolaire et l’adoption d’un comportement social positif.

Dans l’ensemble, l’amélioration de la santé des grands-parents représente une bonne nouvelle pour de nombreuses familles. En effet, plus ceux-ci sont en santé, plus ils seront en mesure de participer à diverses activités avec leurs enfants et petits-enfants. À cet égard, des études ont montré que l’état de santé des grands-parents influence directement la qualité de leurs interactions avec les jeunes.

Un appui financier important de la part de nombreux grands-parents

En outre, les grands-parents en meilleure santé sont plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré pour consolider leur propre situation financière ainsi que leur capacité d’aider les plus jeunes générations à cet égard.

Les grands-parents en meilleure santé sont plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré pour consolider leur propre situation financière tout comme leur capacité d’aider les plus jeunes générations.

Il n’existe pas beaucoup de données récentes portant précisément sur les tendances de l’emploi des grands-parents au Canada, mais l’augmentation du nombre d’aînés qui travaillent est largement documentée depuis quelques décennies. Pour la période de 1997 à 2003, le taux de participation des aînés au marché du travail a oscillé entre 6 % et 7 %, avant de connaître une hausse constante jusqu’à atteindre environ 14 % pour la première moitié de 2017 (le taux étant encore plus élevé pour le groupe des 65 à 69 ans, à hauteur de 27 %). Par conséquent, puisqu’environ 80 % des aînés au pays sont aussi des grands-parents, on peut penser qu’un nombre croissant de grands-parents occupent un emploi à l’heure actuelle.

Sachant que 8 % des grands-parents vivent au sein d’un ménage multigénérationnel, leur capacité d’y contribuer financièrement n’est donc pas à négliger. D’après les données du Recensement de 2016, ce type de ménage connaît la plus forte croissance à l’heure actuelle, en fonction d’une augmentation de près de 38 % entre 2011 et 2016, culminant à 403 810 foyers. De même, le nombre de familles sans génération intermédiaire connaît une tendance similaire, et ce mode de cohabitation s’avère plus fréquent parmi les familles autochtones et immigrantes, lesquelles occupent une portion grandissante du portrait familial au Canada.

Les ménages sans génération intermédiaire sont plus fréquents parmi les familles autochtones et immigrantes, lesquelles occupent une portion grandissante du portrait familial au Canada.

D’après les données de l’ESG de 2011, plus de la moitié (50,3 %) des quelque 584 000 grands-parents ayant adopté de tels modes de cohabitation affirmaient jouer un certain rôle sur le plan financier au sein du ménage. Toutefois, la participation au budget familial est variable et s’avère beaucoup plus élevée chez les grands-parents vivant au sein d’un ménage sans génération intermédiaire (80 %) ou d’un ménage multigénérationnel où la génération intermédiaire se compose d’un parent seul (75 %).

Diversification des liens familiaux avec les grands-parents

Au Canada, le vieillissement de la population totale en général – et du groupe démographique des grands-parents en particulier – pose certains défis sociétaux, notamment en ce qui a trait aux soins communautaires, au logement, au transport et à la sécurité du revenu. En contrepartie, l’augmentation de l’espérance de vie des grands-parents ainsi que l’amélioration globale de leur état de santé ouvre certains horizons pour les individus et leur famille. Plusieurs grands-parents contribuent déjà aux diverses responsabilités familiales en aidant les plus jeunes générations, entre autres pour les soins aux enfants et la gestion du budget familial, et cette tendance devrait se poursuivre au cours des années à venir. Il s’agit là d’une facette positive parfois oubliée lorsqu’il est question du « tsunami gris ».

Par ailleurs, puisque leur état de santé s’est généralement amélioré, bon nombre de grands-parents peuvent désormais entretenir de meilleures relations avec les plus jeunes au sein des familles, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. En misant sur leur capacité de s’adapter et de réagir au contexte socioéconomique et culturel, les grands-parents continueront de jouer un rôle important – et probablement grandissant – dans la vie de famille, au bénéfice des générations à venir.

 


Rachel Margolis, Ph. D., est professeure agrégée au Département de sociologie de l’Université Western Ontario.

 

Vous trouverez toutes les références et les sources d’information dans la version PDF de cet article.

Publié le 5 septembre 2017

Faits et chiffres : les familles et les loisirs actifs au Canada (mise à jour de 2017)

Qu’il s’agisse d’une baignade à la plage en été, de glissades en hiver ou de sports structurés l’année durant, plusieurs familles privilégient un mode de vie physiquement actif dans le cadre de leurs loisirs, ce qui peut favoriser le bien-être individuel et familial. Toutefois, il est de plus en plus inquiétant de constater que le niveau d’activité physique de plusieurs Canadiens demeure en deçà du seuil recommandé, souvent à cause d’horaires trop chargés ou faute de passer un peu trop de temps « devant un écran ».

Pour en apprendre davantage sur les moyens mis en œuvre par les Canadiens de tous âges afin de rester en forme tout en s’amusant, consultez notre fiche de renseignements actualisée portant sur les familles et les loisirs actifs au Canada!

Téléchargez le document Faits et chiffres : les familles et les loisirs actifs au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille.

 


Publié le 25 juillet 2017

En contexte : comprendre les soins de maternité au Canada

S’il est vrai, comme le veut le dicton, qu’« il faut tout un village pour élever un enfant », il faut certainement toute une collectivité pour faciliter sa naissance. Tout au long de la période périnatale, plusieurs personnes prodiguent des soins aux femmes enceintes et aux nouvelles mères. Les réseaux et les relations sur lesquels s’appuient ces intervenants jouent un rôle majeur pour assurer la santé et le bien-être des nouvelles mères et de leurs nourrissons.

La naissance représente un jalon important et exaltant, qui voit la famille s’élargir et la venue d’une nouvelle génération. Il s’agit également d’une période cruciale pour le développement de l’enfant, très vulnérable à ce stade, mais également susceptible de bénéficier grandement d’un milieu sain.

La grossesse, la naissance, l’accouchement et les soins postnataux évoluent sans cesse au fil des générations. Compte tenu des avancées médicales et de l’amélioration globale des soins de maternité, de l’alimentation et du niveau de vie en général tout au long du XXe siècle, on a constaté des progrès considérables en ce qui concerne le taux de mortalité maternelle (décès d’une femme à la suite de complications de la grossesse ou de l’accouchement), le taux de morbidité maternelle (complications pour la mère en lien avec l’accouchement) et le taux de mortalité infantile.

Mortalité Maternelle et infantile au Canada 

En 1931, la mortalité maternelle représentait 508 décès pour chaque tranche de 100 000 naissances vivantes, mais on ne comptait plus que 7 décès par tranche de 100 000, en 2015.

De 1931 à 1935, le taux de mortalité infantile moyen atteignait 76 décès pour chaque tranche de 1 000 naissances vivantes, mais se limitait à 4,9 décès par tranche de 1 000, en 2013.

À partir du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, l’accouchement se passait généralement à la maison et les soins de maternité au Canada étaient dispensés au sein de la collectivité. En règle générale, il incombait aux familles et aux sages-femmes de prendre soin des femmes enceintes et des nouvelles mères. Toutefois, avec l’instauration des régimes d’assurance-maladie au XXe siècle, les hôpitaux et les services médicaux ont graduellement pris le relais pour encadrer les naissances et les soins de maternité, principalement sous la supervision de professionnels de la santé comme les médecins et les obstétriciens. On a parfois parlé de « médicalisation de la naissance » pour évoquer cette tendance.

Par conséquent, au début des années 80, la vaste majorité des femmes accouchaient désormais dans les hôpitaux régionaux, sous la supervision d’un médecin de famille ou d’un obstétricien, avec l’aide d’infirmières en obstétrique. Du même coup, les conjoints et les autres membres de la famille se retrouvaient en marge du processus de l’accouchement, souvent confinés à des salles d’attente. Après la naissance, les mères aussi étaient séparées de leurs bébés gardés en pouponnière, ce qui s’avérait parfois traumatisant tant pour la mère que pour son nourrisson.

Puis les centres hospitaliers ont progressivement instauré des politiques de cohabitation pour la mère et son bébé en vue de faciliter l’allaitement et de favoriser les liens d’attachement mère-enfant, au bénéfice de la santé et du bien-être de chacun. Dans le cadre de cette cohabitation, les infirmières ont commencé à transmettre de l’information aux nouvelles mères relativement à leur rétablissement, en leur donnant notamment divers conseils sur l’allaitement et les soins postnataux. Au fil de ces changements subséquents dans les pratiques de soins postnataux, on a réussi à raccourcir considérablement la durée d’hospitalisation des femmes suivant l’accouchement, qui est passée de cinq journées d’hospitalisation en moyenne en 1984-1985 dans le cas d’un accouchement vaginal, à une ou deux journées actuellement.

De nos jours, les conjoints sont beaucoup plus impliqués qu’autrefois dans l’accouchement et le processus périnatal. La plupart assistent à l’accouchement et assument ensuite un rôle accru dès les premières heures de vie de leur enfant de même qu’au cours des années suivantes. Il n’est pas rare d’entendre les couples modernes parler de l’accouchement comme d’une expérience conjointe, et cette tendance se reflète d’ailleurs dans les propos de plusieurs (« Nous attendons un enfant… », etc.).

Qu’est-ce que les soins de maternité?

Les soins périnataux ou de maternité (on emploiera ici soins de maternité) sont des termes génériques pour désigner le continuum de soins auprès de la mère et de son bébé, et ce, avant, pendant et après la naissance. On parle plus précisément des soins prénataux ou anténataux (c.-à-d. les soins durant la grossesse), des soins pernataux (soit durant le travail et l’accouchement) ainsi que des soins postnataux ou post-partum (c.-à-d. les soins à la mère et au nouveau-né après la naissance). Puisque la mère et l’enfant vivent tous deux d’importants changements au cours de la période périnatale, les soins de maternité supposent un large éventail de mesures de suivi et de soins de santé.

Les soins prénataux ou anténataux (on emploiera ici les soins prénataux) visent à surveiller et à favoriser la santé et le bien-être de la mère et de son fœtus en développement avant la naissance. Diverses techniques de surveillance et de diagnostic sont mises à contribution pour assurer la santé fœtale, notamment au moyen d’échographies et de prélèvements sanguins. Pendant cette période, la santé de la mère est aussi suivie de près par les professionnels de la santé. Les femmes enceintes reçoivent de l’information sur la grossesse, le développement du fœtus, le confort physique, les différents tests, la planification en vue de l’accouchement, ainsi que sur la préparation au rôle de parent.

La plupart des femmes (87 %) disent avoir reçu le soutien de leur partenaire, de leur famille ou de leurs amis durant la période prénatale.

Selon l’Enquête canadienne sur l’expérience de la maternité de 2009, la plupart des femmes (87 %) disent avoir reçu le soutien de leur partenaire, de leur famille ou de leurs amis durant la période prénatale. Au cours de cette période, ce soutien ainsi que les soins des praticiens de la santé s’avèrent particulièrement importants puisque plusieurs femmes (57 %) affirment que la plupart des journées sont stressantes. Durant la grossesse, le stress chez la mère peut affecter le bien-être du bébé, et parfois causer une naissance prématurée ou un faible poids à la naissance.

Selon la vaste majorité des femmes enceintes interrogées (95 %), les soins prénataux débutent généralement au cours du premier trimestre de grossesse. Parmi certains groupes toutefois, ces soins commencent parfois plus tard qu’au premier trimestre, notamment pour la tranche des 15 à 19 ans, pour les femmes moins scolarisées ou pour celles vivant au sein d’un ménage à faible revenu. À cet égard, l’une des principales raisons évoquées pour expliquer les soins tardifs en cours de grossesse concernait les difficultés d’accès à un médecin ou à professionnel de la santé.

Les soins pernataux ou intrapartum (on emploiera ici les soins pernataux) désignent les soins et l’assistance auprès des mères durant le travail et l’accouchement, notamment pour que la naissance se déroule dans un cadre sécuritaire et hygiénique, et pour surveiller la santé de la mère et de l’enfant tout au long du processus. La plupart du temps, ces soins sont prodigués en milieu hospitalier, où les mères bénéficient des services de divers professionnels de la santé, notamment des obstétriciens et des gynécologues (principaux fournisseurs de soins de santé durant l’accouchement, selon 70 % des mères interrogées), des médecins de famille (15 %), des infirmières ou des infirmières praticiennes (5 %) ou encore des sages-femmes (4 %).

L’importance du soutien affectif n’est pas négligeable durant cette période, qu’il provienne d’un conjoint ou partenaire, d’un ami, d’un membre de la famille, d’une sage-femme ou d’une accompagnante à la naissance (ou d’une combinaison de ces intervenants). Les études ont montré que les femmes qui bénéficient d’un soutien social constant seraient plus susceptibles d’accoucher rapidement (quelques heures de moins) et par voie vaginale, de considérer l’accouchement et la naissance comme un épisode heureux, et d’avoir moins recours à divers analgésiques.

Les études ont montré que les femmes qui bénéficient d’un soutien social constant seraient plus susceptibles d’accoucher rapidement et par voie vaginale, et de considérer l’accouchement et la naissance comme un épisode heureux.

Les soins postnataux ou post-partum (on emploiera ici les soins postnataux) visent à soutenir la mère et le nouveau-né après la naissance, ce qui suppose le suivi de leur état de santé ainsi que diverses évaluations de routine en vue de cibler tout écart par rapport à la courbe normale de rétablissement après l’accouchement, pour pouvoir intervenir au besoin.

La période postnatale couvre les six premières semaines de vie de l’enfant, soit une « phase critique » au cours de laquelle les professionnels de la santé fournissent divers soins et procèdent à plusieurs examens importants pour assurer le bien-être de la mère et de l’enfant, comme le confirme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Dans ses lignes directrices de 2013 concernant les soins postnataux, l’OMS cible les pratiques exemplaires à privilégier, entre autres en ce qui concerne les soins postnataux auprès des mères et des bébés durant les 24 premières heures (peu importe où l’accouchement a eu lieu), l’importance de garder la mère et l’enfant au moins 24 heures dans un établissement de santé sans précipiter le congé, et la nécessité de prévoir au moins quatre suivis postnataux durant les six semaines suivant l’accouchement.

D’après l’Enquête canadienne sur l’expérience de la maternité, plus des sept dixièmes des femmes (73 %) considéraient que leur santé était « excellente » ou « très bonne » après un délai de cinq à quatorze mois suivant l’accouchement. Cependant, plus des quatre dixièmes des Canadiennes (43 %) affirmaient avoir connu au moins « un gros problème » de santé post-partum au cours des trois premiers mois suivant l’accouchement, notamment des douleurs aux seins (16 % des femmes), des douleurs dans la région vaginale ou de l’incision de la césarienne (15 %), ou encore des maux de dos (12 %).

Le soutien postnatal peut aussi s’avérer important pour contrer la dépression post-partum, qui toucherait 10 à 15 % des mères dans les pays développés. Des études ont révélé que la dépression post-partum dépend de certains facteurs déterminants, notamment le stress vécu par la mère durant la grossesse, l’accessibilité à des mesures de soutien social, ainsi que les antécédents personnels de dépression. Selon les données de recherche, le soutien affectif du partenaire et des autres membres de la famille tout au long de la période périnatale contribuerait à réduire les risques de dépression post-partum et de troubles émotionnels chez la mère tout comme chez le nouveau-né.

Du reste, les services offerts en soins postnataux varient d’une région ou d’une collectivité à l’autre au Canada, qu’il s’agisse de soutien informationnel, de visites à domicile par une infirmière en santé publique ou un éducateur non-spécialiste de la santé, ou encore du soutien téléphonique d’une sage-femme ou d’une infirmière en santé publique.

Depuis quelques décennies, le secteur privé offre une panoplie grandissante de services postnataux, notamment des services intensifs d’accompagnantes post-partum pour s’occuper des nouveau-nés, de l’aide à l’allaitement naturel ou au biberon, ou encore des services de garde d’enfants, de préparation des repas ou d’aide aux tâches ménagères, etc. Toutefois, ces services privés ont un coût et, par conséquent, ne sont pas accessibles à toutes les familles.

D’où proviennent les soins de maternité?

Outre les soins et le soutien des proches et des amis, la réalité moderne des soins de maternité dépend aussi de nombreux professionnels de la santé qui contribuent chacun à leur façon au continuum de soins, notamment les médecins de famille, les obstétriciens ou gynécologues, les infirmières, les infirmières praticiennes, les sages-femmes de même que les accompagnantes à la naissance.

D’abord, les médecins de famille fournissent des soins à la plupart des nouvelles mères tout au long de la période périnatale. Ils sont susceptibles d’intervenir à tous les stades des soins de maternité ou des soins aux nourrissons, mais tous n’offrent pas nécessairement la gamme complète des soins. Par rapport aux décennies antérieures, on constate cependant un recul du nombre de médecins prodiguant des soins de maternité au Canada. En effet, la proportion des médecins de famille qui procèdent à des accouchements a fléchi au pays de 1997 à 2010, passant de 20 % à 10,5 %. De nos jours, une proportion croissante des tâches et des responsabilités de soins reviennent à d’autres professionnels de la santé, comme les obstétriciens ou les sages-femmes.

La plupart des médecins de famille qui participent aux soins de maternité ou aux nourrissons le font dans une approche de « soins partagés », c’est-à-dire que leur suivi ne dépasse pas un certain stade de la grossesse (souvent entre 24 et 32 semaines), après quoi les soins sont confiés à un autre fournisseur comme un obstétricien, une sage-femme ou un autre médecin de famille accoucheur. De fait, certains médecins de famille participent à l’accouchement, mais leur nombre varie considérablement d’une province à l’autre ou en fonction de la disponibilité d’autres fournisseurs de soins de santé.

Au Canada, les obstétriciens et gynécologues assument une part grandissante des soins pernataux, mais ce n’est pas le cas de tous ces spécialistes, et les proportions à cet égard varient d’une province à l’autre. Puisqu’ils possèdent une expertise et des connaissances spécialisées au sujet de la grossesse, de l’accouchement, de la santé sexuelle féminine et des soins génésiques (y compris une formation en chirurgie pour effectuer notamment des césariennes), plusieurs agissent également comme experts-conseils auprès des autres médecins, ou encore supervisent les grossesses à haut risque.

Les infirmières et infirmiers représentent le groupe le plus important en nombre parmi les fournisseurs de soins de maternité au Canada. Appelés à jouer un rôle actif tout au long de la période périnatale, ces intervenants prodiguent un éventail de soins, ce qui se traduit notamment par de l’éducation au sujet de l’accouchement, ainsi que par des services prénataux à domicile auprès des femmes ayant une grossesse à haut risque, de l’assistance durant l’accouchement, et parfois aussi des soins de suivi auprès des nouvelles mères. Après la naissance, les infirmières et infirmiers sont souvent appelés à transmettre de l’information aux nouvelles mères tout en les préparant en vue de leur congé, y compris en ce qui concerne l’allaitement, les soins du bain, les symptômes de la jaunisse, la sécurité pendant le sommeil, la santé mentale post-partum, l’alimentation, etc.

Quant aux infirmières praticiennes, ce sont des infirmières agréées assumant une gamme élargie de responsabilités en soins de santé. Dans bien des cas, elles fournissent des soins de première ligne en suivi de grossesse à faible risque, et interviennent à plusieurs niveaux (examens physiques, tests de dépistage ou de diagnostic, soins postnataux, etc.). Lorsqu’elles sont appelées à assumer ou à faciliter des soins de maternité, les infirmières praticiennes travaillent souvent au sein d’équipes multidisciplinaires en collaboration avec d’autres professionnels de la santé, dont les médecins et les sages-femmes. En milieu hospitalier, on les retrouve également en salle d’obstétrique et d’accouchement, dans les unités de soins post-partum, dans les unités néonatales de soins intensifs ainsi que dans les services de consultation externes. Compte tenu de leur expertise et de leur formation élargie, les infirmières praticiennes jouent un rôle important dans les collectivités rurales ou éloignées, où elles fournissent dans bien des cas la gamme complète des services de soins de santé.

Compte tenu de leur expertise élargie et de leur formation, les infirmières praticiennes jouent un rôle important dans les collectivités rurales ou éloignées, où elles fournissent dans bien des cas l’éventail complet des services de soins de santé.

Les sages-femmes, quant à elles, prodiguent des soins de santé primaires auprès des femmes enceintes et des nouvelles mères, et ce, durant toute la période périnatale. Assumant un rôle de plus en plus important dans le paysage moderne des soins de maternité au Canada, les sages-femmes procurent toute une gamme de services, comme demander des tests de dépistage et en assurer le suivi, accompagner les femmes qui accouchent à domicile ou dans les centres de naissances, superviser l’admission des mères qui doivent accoucher à l’hôpital, ou encore épauler les nouvelles mères pour faciliter l’allaitement, leurs premiers pas comme parents ou leur rétablissement post-partum. Selon les cas, les sages-femmes travaillent en consultation ou en collaboration avec d’autres professionnels de la santé.

Leur rôle a largement évolué au cours des dernières décennies, si bien qu’un nombre grandissant de sages-femmes sont désormais mises à contribution dans divers milieux, que ce soit à domicile, dans les collectivités, dans les hôpitaux, dans les centres médicaux ou dans les unités de soins. La formation et la spécialisation des sages-femmes sont de plus en plus encadrées, puisque ces dernières sont désormais reconnues et intégrées dans les réseaux de soins de santé de la plupart des provinces et territoires au pays (mais pas tous).

Parallèlement, les accompagnantes à la naissance (doulas) fournissent du soutien non clinique et non médical auprès des nouvelles mères et de leur famille, de concert avec les praticiens de la santé comme les médecins, les sages-femmes et les infirmières. Le rôle des accompagnantes à la naissance n’est pas réglementé, et vise surtout à offrir un soutien affectif et informationnel. Celles-ci ne prodiguent pas de soins directs et ne prennent pas en charge les accouchements.

Il existe différents types d’accompagnantes à la naissance, selon les stades de la grossesse. D’abord, les accompagnantes antepartum offrent du soutien affectif, physique et informationnel au cours de la période prénatale, qu’il s’agisse de renseigner les futures mères et leur famille au sujet des groupes de soutien existants ou des techniques pour favoriser le confort physique, ou encore de les aider dans certaines tâches comme les courses ou la préparation des repas. Ensuite, les accompagnantes à la naissance se chargent d’épauler les nouvelles mères et leur partenaire durant le travail et l’accouchement, en leur fournissant notamment du soutien affectif et informationnel tout en favorisant leur confort sur le plan physique. Enfin, les accompagnantes post-partum soutiennent les nouvelles mères après la naissance du bébé, en leur fournissant de l’information au sujet de l’allaitement et des moyens d’apaiser le nourrisson, tout en se chargeant parfois de quelques tâches ménagères et de la garde des enfants.

Finalement, les spécialistes en périnatologie s’occupent des soins liés aux grossesses à haut risque (ex. : maladie chronique de santé maternelle, naissances multiples, diagnostics génétiques). Ces intervenants ont une formation d’obstétricien ou de gynécologue, doublée d’une spécialisation axée sur les grossesses à risque. Au besoin, les obstétriciens et gynécologues dirigent donc leurs patients vers ces spécialistes en périnatalogie, et travaillent de concert avec eux pour assurer le suivi de la santé maternelle.

Une réalité particulière : l’accouchement en régions rurales ou éloignées au Canada

Les soins de maternité posent des défis uniques en régions rurales ou éloignées (y compris dans les régions nordiques du Canada), et ce, parce que les installations médicales et les équipements spécialisés sont parfois éloignés sur le plan géographique, parce que les fournisseurs de soins ne bénéficient pas d’autant de soutien de leurs pairs, et parce qu’il y a moins de médecins disponibles sur appel pour réaliser des césariennes et des anesthésies (et aussi moins d’installations et de services que dans les centres urbains à cet effet).

En milieu rural, les soins de maternité sont généralement pris en charge par des équipes formées de médecins de famille, d’infirmières et de sages-femmes. Dans certaines collectivités, il s’agit d’ailleurs des seuls professionnels de la santé offrant des soins de maternité. De fait, les médecins de famille en milieu rural sont beaucoup plus susceptibles de devoir assurer des soins obstétricaux que leurs homologues des centres urbains. Depuis quelques décennies cependant, plusieurs collectivités rurales sont confrontées à la fermeture des maternités et à une baisse du nombre de médecins de famille offrant des soins de maternité.

Compte tenu du nombre limité de services et de fournisseurs de soins de maternité dans les régions rurales et éloignées, plusieurs femmes enceintes doivent donc se tourner vers les centres urbains pour accoucher. Selon un rapport publié en 2013 par l’Institut canadien d’information sur la santé, plus des deux tiers (67 %) des femmes des milieux ruraux au Canada disent avoir accouché dans un hôpital urbain, et 17 % d’entre elles ont dû faire plus de deux heures de route pour donner naissance à leur enfant. La proportion est encore plus élevée dans les régions nordiques, alors que les deux tiers des mères interrogées au Nunavut et la moitié de celles interrogées aux Territoires du Nord-Ouest disent avoir accouché hors de leur collectivité.

Les deux tiers des mères interrogées au Nunavut et la moitié de celles interrogées aux Territoires du Nord-Ouest disent avoir accouché hors de leur collectivité.

Or, cette réalité affecte le bien-être de plusieurs femmes autochtones des régions nordiques, dont plusieurs doivent même prendre l’avion pour se rendre dans un centre hospitalier afin d’y recevoir des soins de maternité secondaires ou tertiaires loin de leur foyer, de leur territoire, de leur collectivité et de leur environnement linguistique. (Voir l’encadré Les sages-femmes autochtones au Canada.) La plupart des mères interrogées admettent qu’avoir dû s’éloigner de leur foyer pour accoucher s’était avéré stressant et avait eu des répercussions sur leur famille. En avril 2016, le gouvernement fédéral a annoncé des compensations financières pour que les mères autochtones puissent être accompagnées d’un proche lorsque l’accouchement doit se produire loin de la collectivité.

Dans les régions nordiques, le nombre d’hôpitaux communautaires offrant des soins obstétricaux a chuté depuis les années 80. Toutefois, plusieurs centres de naissances ont ouvert leurs portes pour combler le déficit, comme à Puvirnituq (Nunavik), à Rankin Inlet (Nunavut) et à Inukjuak (Québec). Ces installations permettent aux femmes ayant une grossesse à faible risque d’accoucher dans leur propre collectivité. Toutefois, les mères nécessitant une césarienne ou présentant des risques de complications doivent quand même se déplacer pour donner naissance à leur enfant.

Une réalité particulière : les femmes enceintes et les nouvelles mères arrivées depuis peu au Canada

Le Canada accueille plusieurs familles d’immigrants, qui représentent une proportion grandissante de la population. En 1961, 16 % des habitants du Canada disaient être nés à l’étranger, et cette proportion atteignait 21 % en 2011.

L’immigration influence la maternité, notamment en ce qui a trait au moment choisi pour avoir un enfant. Les études montrent que les naissances sont généralement peu nombreuses chez les immigrants au cours des deux années avant leur arrivée, mais la fécondité « rebondit » ensuite la plupart du temps. Selon les chercheurs Goldstein et Goldstein, « les choix des arrivants en matière de fécondité répondent plus souvent aux tendances du pays d’accueil qu’aux préférences qui prévalaient dans leur pays d’origine avant leur départ » [traduction].

Des études ont exploré un certain nombre de raisons pour lesquelles la fécondité peut être affectée par l’expérience de l’immigration, notamment la séparation temporaire du conjoint pendant le processus de migration, le choix volontaire de repousser une grossesse jusqu’à l’admissibilité aux diverses mesures de soutien (ex. : allocations pour enfants), ainsi que les perturbations financières pendant la migration et au début de l’installation (jusqu’à ce que les parents trouvent un emploi rémunéré).

Par ailleurs, les immigrants récents sont beaucoup plus susceptibles que les Canadiens nés au pays de se retrouver dans un ménage multigénérationnel (abritant au moins trois générations). En 2011, 21 % des immigrants de 45 ans ou plus (arrivés au Canada entre 2006 et 2011) déclaraient vivre une telle cohabitation, contre seulement 3 % des Canadiens nés au pays. Par conséquent, les femmes enceintes et les nouvelles mères vivant au sein d’un ménage multigénérationnel bénéficient éventuellement de la présence de proches capables d’offrir des soins et du soutien.

En ce qui concerne l’accès aux soins de maternité, les études ont montré que, même si plusieurs immigrantes ont généralement accès aux soins de maternité dont elles ont besoin, leur taux de satisfaction à cet égard semble varier considérablement selon les régions du pays. En effet, plusieurs affirment avoir rencontré des obstacles liés à l’accès ou à l’utilisation des services de soins de maternité, notamment parce qu’elles n’avaient pas été suffisamment informées des services (parfois à cause de la barrière linguistique), parce qu’elles ne disposaient pas de soutien suffisant pour accéder aux services (c.-à-d. naviguer à l’intérieur du système de soins de santé), ou à cause d’une disparité entre les attentes des femmes immigrantes et celles des fournisseurs de services. Dans certaines régions, les femmes immigrantes bénéficient d’un précieux soutien affectif, informationnel et logistique de la part des accompagnantes à la naissance (doulas) durant la période périnatale.

Selon les parents immigrants, le soutien social (famille, amis et membres de la collectivité) représente un facteur crucial pour favoriser l’accès aux soins de maternité. En effet, ce cercle de soutien peut jouer un rôle important pour jeter des ponts entre les nouvelles ou futures mères provenant de l’extérieur du Canada et le réseau de soins de maternité. Parfois, ces personnes peuvent intervenir auprès des fournisseurs de services et de soins de santé pour s’assurer que les mères bénéficient de soins de maternité « conformes à leur culture et respectueux de leur réalité culturelle » [traduction].

Les soins de maternité : en appui aux familles en pleine croissance au Canada

La grossesse et l’accouchement sont des moments charnières de la vie, non seulement pour les nouvelles mères, mais aussi pour leur famille, leurs amis et leur collectivité. La réalité familiale a beaucoup changé depuis quelques générations en ce qui a trait à la grossesse, à l’accouchement et à la période postnatale, mais certaines constantes demeurent : la valeur et l’importance des soins de qualité, la diversité des expériences vécues dans les différentes régions du Canada, sans compter la joie et l’excitation qui caractérisent ce jalon mémorable et significatif de l’existence.


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Le contenu de cet article a été révisé par Marilyn Trenholme Counsell, OC, MA, MD, médecin de famille à la retraite, ancienne lieutenante-gouverneure (Nouveau-Brunswick), ex-ministre de la Famille (N.-B.) et sénatrice (N.-B.).

Vous trouverez toutes les références et les sources d’information dans la version PDF de cet article.

Publié le 11 mai 2017

Faits vécus : comprendre les familles touchées par l’incarcération

Farhat Rehman

L’incarcération touche des milliers de familles au Canada. Les proches des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement sont souvent profondément affectés par la séparation d’un fils, d’une fille, d’un frère, d’une sœur, d’un parent ou d’un autre membre de la famille. Au surplus, ils doivent généralement vivre avec les préjugés, la culpabilité ou la honte, d’autant plus si la personne condamnée souffre de troubles mentaux, une réalité qui touche plusieurs détenus et leur famille.

Lorsque mon fils a été incarcéré après sa condamnation en 2001, ma vie de famille s’est littéralement écroulée. Le gouffre du système carcéral s’est alors refermé sur lui, et le monde s’est assombri. Dès cet instant fatidique, toute lueur d’espoir s’est éteinte et nos vies ont pris un virage brutal. Notre vie de famille et nos relations familiales ont été bouleversées à jamais.

En tant que mère, je me suis mise à ruminer sans cesse, malgré moi, les raisons qui avaient poussé mon fils à commettre un acte criminel aussi grave. Pourquoi son esprit raisonne-t-il ainsi? Comment aurait-on pu éviter une telle catastrophe? Pourquoi était-il passé à travers les mailles du filet malgré autant d’années de soins en santé mentale? Comment aurais-je pu agir différemment pour prévenir ce crime qui a déchiré deux familles? Chaque fois que je lui parle ou que je lui rends visite en prison, ces pensées reviennent me hanter. Pour nous, sa famille, les répercussions des actes commis par mon fils s’alourdissent au fil du temps. Le cauchemar de la prison a gravement miné sa santé mentale, l’entraînant dans un tourbillon vertigineux devenu source constante d’inquiétude pour notre famille.

 

Le cauchemar de la prison a gravement miné sa santé mentale, l’entraînant dans un tourbillon vertigineux devenu source constante d’inquiétude pour notre famille.

 

Les impacts de l’incarcération sur les relations, les traditions et les perspectives familiales

Comme nous avons pu le constater, les visites en milieu carcéral sont parfois traumatisantes du point de vue du visiteur, qui doit d’abord se soumettre à de multiples contrôles de sécurité, notamment le scanner à ions (qui détecte la présence de drogues, mais donne souvent des résultats faux positifs). En cas de problème, le visiteur risque de ne pas être admis, au désarroi de la personne incarcérée.

L’absence de mon fils me pèse chaque fois que nous célébrons quelque chose en famille. Malgré l’ambiance festive, les rires et les bons petits plats lors des rassemblements familiaux, c’est la quintessence du bonheur qui nous échappe, mais personne n’ose en parler ouvertement.

Bien que la famille et les amis lui envoient des cartes d’anniversaire ou nous demandent de ses nouvelles, ils hésitent à aborder un sujet aussi triste au risque d’alourdir l’atmosphère. Après seize ans d’absence, les uns et les autres finissent par s’habituer à l’éloignement d’un membre de la famille, et la situation se banalise sur l’« échelle sismique » de la vie de famille.

Ces jours-ci, quand j’envisage l’avenir, je me demande si mon fils pourra bientôt opérer un virage dans sa vie. Réussira-t-il à convaincre les autorités de la sincérité de ses remords et de sa volonté de ne plus jamais récidiver? Jugera-t-on qu’il mérite d’être remis en liberté sous condition et réinséré dans la collectivité, où il pourra amorcer le long processus de guérison et de réparation des dommages causés par cette longue incarcération? Saura-t-il reprendre sa place au sein de notre famille, à qui il a manqué atrocement, mais qui a réussi à s’adapter entre-temps?

Amour et soutien pour épauler les familles

Assaillie quotidiennement par ces questionnements, j’ai la chance de bénéficier du soutien de mon entourage. Lorsque mon fils a d’abord été confronté au système de justice – et toute la famille dans son sillage –, je me suis retrouvée sur une route sans balises. Même si j’étais bien présente dans ma collectivité, je n’avais personne qui puisse réellement comprendre ce que ressent une mère dont le fils est en prison.

Même si j’étais bien présente dans ma collectivité, je n’avais personne qui puisse réellement comprendre ce que ressent une mère dont le fils est en prison.

 

En novembre 2010, j’ai fait la connaissance d’une autre mère dont le fils était incarcéré, par l’entremise d’une experte et militante communautaire rattachée au Conseil des Églises pour la Justice et la Criminologie, et aussi travailleuse en intervention d’urgence auprès de la John Howard Society (JHS). Nous nous sommes rencontrées pour la première fois en décembre 2010 dans les bureaux de la JHS : trois mères partageant leur réalité commune et leurs buts.

Cette mise en commun de nos expériences a mené à la création de l’organisme Mothers Offering Mutual Support (MOMS), un groupe de soutien à l’intention des femmes. La toute première rencontre officielle de « MOMS » a eu lieu le 15 décembre 2010. Nous nous réunissons dans les locaux de la JHS, le premier jeudi de chaque mois. La JHS nous offre gracieusement l’accès à ses locaux, ce qui nous procure un cadre privé.

Notre organisme compte désormais 45 membres, qui se disent extrêmement reconnaissantes de pouvoir, par ces rencontres, sortir un peu du trou béant dans lequel elles sont tombées quand leur enfant a été condamné à l’emprisonnement pour des motifs criminels. Nos rencontres visent à favoriser l’entraide et à trouver des avenues concrètes et constructives pour progresser. Les nouvelles venues au sein du groupe peuvent même compter sur le soutien et les conseils d’autres mères dont le fils a obtenu sa libération conditionnelle ou définitive.

De l’extérieur des murs, toute famille aimante est appelée à jouer un rôle important auprès du détenu pour lui témoigner de l’affection, le soutenir financièrement et le représenter le mieux possible, dans le but d’atténuer les conséquences durables de l’incarcération. Par l’entremise de l’organisme MOMS, nous nous entraidons pour mieux soutenir nos enfants en incarcération.

De l’extérieur des murs, toute famille aimante est appelée à jouer un rôle important auprès du détenu pour lui témoigner de l’affection, le soutenir financièrement et le représenter le mieux possible, dans le but d’atténuer les conséquences durables de l’incarcération.

 

Certes, nos réunions ne nous soustraient pas à la dure réalité de l’incarcération, mais nous pouvons nous aider mutuellement à vivre un jour à la fois. Nous avons fait des démarches pour que le système judiciaire facilite la réinsertion et l’éducation en misant sur le bien-être physique et mental des détenus, et en accompagnant nos fils et nos filles tout au long de leur peine pour mieux préparer leur avenir. Dans le cadre de ces démarches, nous avons eu l’occasion d’aborder la question des droits de la personne avec divers représentants gouvernementaux et leaders communautaires. Notre vécu et notre point de vue comme mères sont utiles pour orienter les politiques et les programmes, et nous constatons que le public est de plus en plus conscientisé à l’égard de ces questions, ce qui est encourageant.

Évidemment, à cause des préjugés et craignant pour leur sécurité, certaines mamans et leur famille hésitent à parler publiquement de ces enjeux, mais elles n’en sont pas moins épuisées par les nuits blanches et maladivement inquiètes pour leur enfant. Faudrait-il au surplus prêter flanc aux propos insensibles ou négatifs qui s’ajouteraient à la honte et à l’inquiétude?

Nous nous réunissons régulièrement parce que, en tant que mères touchées par l’incarcération, nous voulons partager notre expérience et verbaliser ce choc, cette douleur, ce déchirement. Ensemble, nous cherchons l’énergie nécessaire pour mieux comprendre et privilégier les meilleures approches susceptibles de préserver l’espoir et la santé, pour nous-mêmes et nos proches. Ces êtres chers en milieu carcéral méritent un traitement juste et humain, et c’est à cela que nous travaillons résolument, unies par notre condition de familles confrontées à l’incarcération.

 


Farhat Rehman est cofondatrice de l’organisme Mothers Offering Mutual Support (MOMS), un groupe de soutien pour femmes dont l’un des proches a été incarcéré.

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Publié le 14 mars 2017

Coup d’œil sur la santé mentale en milieu de travail au Canada

Nous sommes tous confrontés à la maladie mentale à un moment ou à un autre de notre vie, que ce soit personnellement ou par l’entremise d’un membre de la famille, d’un ami, d’un voisin ou d’un collègue. Les problèmes de santé mentale peuvent avoir des répercussions importantes sur le plan individuel, mais ils risquent aussi, par un biais préjudiciable, de « s’infiltrer » en milieu de travail, dans les collectivités, au sein de l’économie et dans l’ensemble de la société, si bien que personne n’en sort indemne. Dans un tel contexte, il importe d’aborder le soutien en santé mentale dans une perspective multidimensionnelle qui soit suffisamment élargie pour répondre à la diversité des problèmes auxquels ces mesures sont destinées.

Les préjugés constituent toujours un obstacle aux soins pour les personnes touchées par la maladie mentale, parmi lesquelles plusieurs bénéficient de soins et du soutien des membres de leur famille.

Dans ce fascicule de la série Coup d’œil sur les statistiques, l’Institut Vanier de la famille s’intéresse à la santé mentale, aux familles et au travail, soit trois volets fondamentaux de l’existence qui entretiennent des interactions et des interrelations complexes ayant des incidences sur le bien-être.

Quelques données :

  • Les quatre dixièmes des Canadiens ont au moins un membre de leur famille ayant un problème de santé mentale.
  • Chaque semaine, au moins 500 000 travailleurs canadiens sont inaptes au travail en raison de problèmes de santé mentale.
  • Les troubles mentaux concernent environ 30 % de toutes les réclamations pour invalidité et représentent 70 % des coûts en réclamations pour invalidité.
  • Les préjugés persistent toujours puisqu’un cinquième des employés canadiens interrogés pensent qu’il dépend « entièrement de la volonté de chacun » de donner prise ou non à la maladie mentale.
  • Parmi les répondants, les quatre dixièmes des travailleurs canadiens affirment qu’ils n’en parleraient pas à leur gestionnaire s’ils souffraient d’un trouble de santé mentale.
  • Plus de 70 % des Canadiens dont la vie a été affectée par les problèmes de santé mentale d’un membre de la famille disent lui avoir fourni des soins, et 68 % d’entre eux affirment n’avoir été aucunement embarrassés par les difficultés de leurs proches à cet égard.

 

Téléchargez le document Coup d’œil sur la santé mentale en milieu de travail au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille.

Les conflits travail-famille chez les parents seuls des Forces armées canadiennes

Alla Skomorovsky, Ph. D.

Les responsabilités inhérentes à la vie militaire représentent parfois une importante source de stress pour les familles des militaires, au gré des déploiements, des déménagements, des aléas de la vie à l’étranger et de l’éloignement familial, sans compter les risques de blessures ou de décès pour les militaires, ou encore les heures de travail longues et imprévisibles.

Même si les familles des militaires parviennent généralement à faire face aux difficultés, des études ont montré que certaines d’entre elles finissent par se sentir débordées devant ces exigences concurrentes et cumulatives. Il s’agit là d’une réalité particulièrement éprouvante pour les parents seuls au sein des Forces armées canadiennes (FAC), qui comptent bien souvent sur des ressources limitées pour assumer leurs responsabilités multiples. C’est l’une des raisons pour lesquelles plusieurs parents seuls engagés dans la vie militaire (hommes ou femmes) semblent tirer une moindre satisfaction de ce mode de vie que leurs homologues en couple, selon les données d’une étude antérieure.

Par définition, les conflits travail-famille surviennent lorsque les exigences professionnelles sont difficilement conciliables avec les exigences du domaine familial. Au Canada, même s’il semble de plus en plus évident que les conflits travail-famille représentent un problème éventuellement important pour les familles des militaires, il n’existe encore que très peu de recherches portant précisément sur le sujet. Dans une étude qualitative récente, la majorité des parents seuls des FAC affirmaient être en mesure de concilier travail et famille, tout en admettant qu’il leur était difficile d’y parvenir, surtout parce qu’ils sont souvent les seuls pourvoyeurs de soins et de ressources financières pour leur famille. Voici les commentaires de l’un des participants à cet égard :

“Jusqu’ici, je parviens assez bien à équilibrer ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Par contre, je dois dire que ce n’est pas toujours facile parce que je n’ai personne d’autre sur qui compter, par exemple lorsque je dois rester plus tard au travail ou terminer ma journée à partir de mon téléphone. Mon BlackBerry est devenu essentiel, parce que je ne peux pas rester trop tard au travail, en tout cas pas aussi longtemps qu’avant. Mais en général, ça se passe plutôt bien.”

Peu d’études sur les conflits travail-famille chez les militaires canadiens

Dans certains cas, les parents seuls qui œuvrent dans les FAC vivent de multiples déploiements, et sont alors séparés de leurs enfants sans possibilité de s’occuper d’eux. Il va sans dire que pour ces familles, les arrangements pour la garde des enfants ne sont pas simples. Par exemple, pendant que papa ou maman est en mission, les enfants doivent parfois s’installer chez leurs grands-parents dans une autre ville. Par ailleurs, les parents seuls qui vivent de fréquentes réaffectations risquent d’éprouver des difficultés à créer ou à recréer des réseaux sociaux, qui sont pourtant une précieuse source de soutien.

Quelques études ont montré que les familles militaires monoparentales font face à des défis uniques au quotidien, et sont confrontées à d’importants conflits travail-famille. Toutefois, il n’existe encore que très peu de travaux qui ciblent le contexte canadien en particulier. Dans le but d’y remédier et pour mettre en relief les principales préoccupations des parents seuls des FAC, le personnel du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) (DGRAPM) a mené un sondage électronique dans le cadre duquel on a soumis un questionnaire à un groupe de parents choisis au hasard parmi des parents seuls, divorcés, séparés ou veufs de la Force régulière des FAC, ayant à leur charge des enfants de 19 ans ou moins. Au total, les résultats reflétaient le point de vue de 552 parents seuls.

On a constaté que les difficultés financières figurent parmi les principales préoccupations des parents seuls, ce qui corrobore les données d’études précédentes selon lesquelles les pressions financières sont l’une des principales sources de stress pour les parents seuls, qu’il s’agisse de militaires ou de civils. L’autre difficulté évoquée par les parents seuls concernait la santé et le bien-être de leurs enfants. Aucune étude sur les parents seuls du domaine civil ou militaire n’avait encore mené à de telles conclusions, mais on peut penser que ces préoccupations ressortent ici en raison des multiples absences des parents, qu’il s’agisse de déploiements, d’entraînements ou encore du nombre imprévisible et variable d’heures de travail ou d’heures supplémentaires, qui sont des facettes caractéristiques du mode de vie des militaires. En somme, plus de 60 % des répondants affirment que les pressions financières et les préoccupations quant à la santé et au bien-être de leurs enfants sont importantes ou extrêmement importantes (voir la figure 1). Dans une forte proportion (plus de la moitié), ces parents s’inquiètent aussi de la période de l’adolescence, au cours de laquelle ils souhaiteraient être présents pour leurs enfants tout en assumant leur charge de travail et leurs responsabilités contraignantes.

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Responsabilités parentales et professionnelles : conciliation difficile, mais pas impossible

On a demandé aux parents seuls d’indiquer dans quelle mesure ils parviennent à concilier les exigences du service militaire avec leurs responsabilités parentales. La plupart pensent que la tâche n’est pas impossible (voir la figure 2). Toutefois, environ 55 % des répondants se sentent divisés entre leurs responsabilités professionnelles et familiales, et admettent qu’il n’est pas facile d’être à la fois de bons parents et de bons militaires. Environ 44 % de ces parents croient qu’il est difficile de concilier les responsabilités parentales et celles de la vie militaire. Ces constatations corroborent les données d’études antérieures selon lesquelles les parents seuls parmi les militaires sont vulnérables aux conflits travail-famille.

 

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Deux des questions posées aux participants concernaient les défis pour la vie de famille en lien avec la vie militaire. Au sujet des répercussions du travail sur la vie de famille, la vaste majorité des militaires en situation monoparentale reconnaissent une certaine influence de la sphère professionnelle à cet égard (voir la figure 3). Environ 70 % des répondants soulignent que les exigences professionnelles sont parfois en concurrence avec celles de la vie de famille, et 64 % d’entre eux admettent avoir déjà raté certaines activités familiales en raison de leurs responsabilités professionnelles.

Pour jeter un éclairage sur les mesures de soutien en milieu de travail offertes aux parents seuls, on a demandé à certains d’entre eux de citer des programmes et politiques des FAC susceptibles de les aider à concilier les exigences familiales et professionnelles. D’après les résultats, on constate que de nombreux parents seuls des FAC ne sont pas au courant des services offerts. À titre d’exemple, moins de 10 % des participants disent connaître l’existence des services offerts aux parents seuls par l’entremise des Centres de ressources pour les familles des militaires. Il s’agit d’une situation à laquelle faisait écho l’un des participants de l’étude qualitative évoquée précédemment :

Les services ne sont pas toujours bien annoncés. Il faut faire des démarches et poser des questions. Quand on déménage dans une grande ville, il vaut mieux chercher un logement à proximité d’un CRFM [Centre de ressources pour les familles des militaires].

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Sensibilisation et soutien à la conciliation travail-famille : des atouts pour les parents seuls des FAC

De nombreux parents seuls des FAC sont confrontés à des difficultés, mais pour certains d’entre eux, les conflits travail-famille représentent une préoccupation centrale. L’un des participants à l’étude qualitative s’exprimait ainsi :

“Ce qui m’inquiète le plus, c’est que mon poste au sein des Forces canadiennes peut me placer devant une situation imprévue où il me faudra choisir entre ma carrière et mes enfants.”

Les parents seuls au sein des FAC bénéficieraient sans doute d’une meilleure sensibilisation aux services offerts, et d’un meilleur accès aux diverses initiatives de soutien et autres programmes d’aide familiale (ex. : Plan de garde familiale), notamment en ce qui a trait aux services de consultation. De plus, la flexibilité et la capacité d’adaptation en milieu de travail pourraient gagner en efficacité si les gestionnaires et les dirigeants connaissaient mieux les défis inhérents aux conflits travail-famille auxquels sont confrontés les parents seuls des FAC. Enfin, en misant sur des programmes et services sur mesure qui visent à optimiser l’encadrement affectif et pratique des parents seuls (ex. : groupes de soutien), il serait possible d’accroître leur capacité de concilier les responsabilités professionnelles et familiales.

Ces travaux portent sur les conflits travail-famille et les principales difficultés qui touchent les parents seuls des FAC, mais il ne s’agit là que d’un premier pas vers une compréhension élargie des facteurs uniques qui influent sur leur bien-être. Dans le but de combler les lacunes dans les connaissances actuelles à cet égard, le DGRAPM a mis sur pied un programme de recherche exhaustif axé sur les familles des militaires, en étroite collaboration avec le domaine de la recherche (notamment par l’entremise de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans). Ce regroupement de chercheurs a pour mandat d’accroître la qualité de vie des militaires et des vétérans canadiens, ainsi que de leur famille. Le principe de soutien aux familles a d’ailleurs été enchâssé dans l’Engagement des Forces canadiennes à l’endroit des familles, qui reconnaît les liens intrinsèques entre la situation des familles des militaires et la capacité opérationnelle des FAC.

Nous sommes conscients de la contribution importante des familles à l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes et nous reconnaissons la nature unique du mode de vie militaire. Nous honorons la résilience des familles et rendons hommage aux sacrifices qu’elles font pour soutenir le Canada.

Engagement des Forces canadiennes à l’endroit des familles

Dans le droit fil des principes énoncés dans l’Engagement à l’endroit des familles, il importe de continuer à développer l’expertise nécessaire pour mieux s’occuper de ces familles, et pour trouver des moyens de mieux répondre à leurs besoins uniques afin d’assurer le bien-être de chacun sur le plan individuel et familial.

 


Alla Skomorovsky est psychologue en recherche pour le compte du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) (DGRAPM), où elle dirige une équipe de recherche sur les familles des militaires. Elle y mène des études quantitatives et qualitatives sur la résilience, le stress, l’adaptation, l’identité et le bien-être des familles des militaires.

Mme Skomorovsky a été la toute première lauréate du prix Colonel Russell-Mann en reconnaissance de la qualité de ses travaux de recherche sur les conflits travail-famille et le bien-être des parents des FAC. Cette distinction lui a été décernée dans le cadre du Forum 2015, une activité chapeautée par l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans.

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Suggestions de lecture

T. Allen, D. Herst, E. Bruck et M. Sutton (2000). « Consequences Associated with Work-to-Family Conflict: A Review and Agenda for Future Research » dans Journal of Occupational Health Psychology, vol. 5, no 2, p. 278-308.

G.L. Bowen, D.K. Orthner et L. Zimmerman (1993). « Family Adaptation of Single Parents in the United States Army: An Empirical Analysis of Work Stressors and Adaptive Resources » dans Family Relations, no 42, p. 293-304.

A.L. Day et T. Chamberlain (2006). « Committing to Your Work, Spouse, and Children: Implications for Work–Family Conflict » dans Journal of Vocational Behavior, vol. 68, no 1, p. 116-130.

Bullock (2015). The Impact of Military Life on Single-Parent Military Families: Well-Being and Resilience (Rapport technique du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) – DRDC-RDDC-2015-R099), Ottawa (Ontario), Recherche et développement pour la défense Canada.

L’état actuel de la recherche sur les familles des militaires

Heidi Cramm, Deborah Norris, Linna Tam-Seto, Maya Eichler et Kimberley Smith-Evans

Depuis les années 1990, on assiste à une transformation de la nature, de la fréquence et de l’intensité des opérations militaires. Or, cette transformation a aussi des conséquences sur les familles des militaires canadiens. De fait, le rythme des opérations s’est accentué et celles-ci se succèdent presque en continu, et le rôle du personnel des Forces armées canadiennes (FAC) est passé de « soldats de maintien de la paix à artisans de la paix à guerriers »1. En 2013, le Bureau de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes publiait un rapport majeur sur la santé et le bien-être des familles des militaires, sous le titre Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire. Ce rapport mettait en relief le contexte associé à l’évolution des opérations militaires des FAC, le sens à lui donner ainsi que les conséquences qui en découlent, et ce, tant du point de vue des militaires et des vétérans que de leur famille.

Le rapport de l’ombudsman insistait notamment sur les facteurs qui touchent la plupart des militaires et leur famille durant la majeure partie de la carrière militaire, soit la mobilité, l’absence du foyer et la notion de risque2. De fait, les familles des militaires canadiens sont appelées à déménager de trois à quatre fois plus souvent que les familles civiles, en ayant très peu d’influence sur le choix des endroits, du moment et de la durée à cet égard, ce qui perturbe entre autres la continuité des soins de santé et l’accès à ceux-ci. Les déménagements fréquents affectent aussi la participation à l’école et le rendement scolaire des enfants, en plus d’avoir une incidence sur l’accès aux services éducatifs pour les enfants ayant une incapacité ou des difficultés d’apprentissage particulières3. En outre, les réinstallations affectent les possibilités professionnelles des non-militaires de la famille, ainsi que la capacité des familles de s’occuper des proches plus vulnérables, comme les parents vieillissants. Il n’est pas rare pour celles-ci de devoir composer avec des absences prolongées en raison d’un déploiement ou d’un entraînement militaire, sans compter le caractère bien réel associé aux risques de blessures ou de maladies permanentes, ou même de décès, en lien avec les entraînements intensifs ou les déploiements4. Bien que les familles des militaires canadiens accordent beaucoup de valeur au service militaire dont s’acquitte l’un des leurs et qu’ils en tirent une grande fierté, il n’en demeure pas moins que la mobilité et l’absence du foyer de même que « les bouleversements incessants de la vie militaire5 » sont des agents perturbateurs importants pour celles-ci. Certains conjoints non militaires interrogés aux fins de cette étude estimaient que leurs enfants « payaient un prix pour le service au pays de leur parent6 ».

« Les facteurs qui touchent la plupart des militaires et leur famille durant la majeure partie de la carrière militaire [sont] la mobilité, l’absence du foyer et la notion de risque. »

Même si des recherches ont cours depuis environ un quart de siècle au sujet des familles des militaires canadiens, les initiatives concrètes visant à consolider ce créneau d’étude ont souffert – du moins jusqu’à tout récemment – de l’insuffisance des ressources financières en recherche civile et des difficultés à maintenir un cadre collaboratif. Toutefois, cette situation a évolué grâce aux réseaux mis sur pied par l’entremise de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. À l’heure actuelle, les études portant sur la situation des familles des militaires en service concernent très majoritairement la réalité vécue aux États-Unis. Ces dernières années, les textes spécialisés publiés dans le domaine mettaient surtout l’accent sur les conséquences de la vie militaire pour les familles, de même que sur les moyens de favoriser la résilience au sein des familles des militaires7. En ce sens, on entend par résilience la « force d’adaptation ou la capacité de maintenir ou de retrouver un état psychologique sain malgré l’adversité8 ». [traduction]

« Ces dernières années, les textes spécialisés publiés [sur les familles des militaires] mettaient surtout l’accent sur les conséquences de la vie militaire pour les familles, de même que sur les moyens de favoriser la résilience au sein des familles des militaires. »

Dans l’ensemble, les perspectives de la recherche axée sur les familles des militaires avaient principalement comme objet les risques ou les problèmes inhérents9. De fait, il n’existe que très peu d’études sur les facteurs (ou la combinaison de facteurs) favorisant la résilience perpétuelle qui sous-tend la vie de famille chez les militaires10. On sait peu de choses concernant les mécanismes qui soutiennent cette résilience. Au contraire, on s’est surtout penché sur les conséquences des déploiements en lien avec divers aspects psychologiques, sociaux, éducatifs et comportementaux11–14. Par exemple, on a constaté que la santé psychologique d’un parent en déploiement ou de celui qui reste au foyer est susceptible d’influencer les enfants à différents moments de leur développement. L’étude américaine Children on the Homefront portant sur les incidences des opérations militaires sur le bien-être des enfants a ainsi permis de constater que la santé mentale des parents qui restent à la maison pendant le déploiement du conjoint influence largement la prévalence de problèmes affectifs, sociaux et éducatifs chez les enfants, et ce, pendant et après le déploiement15. Dans un rapport publié récemment sur l’état actuel de la recherche au Canada et à l’étranger en ce qui a trait aux conséquences sur la santé et le bien-être de la famille à la suite de blessures de stress opérationnels (BSO)16, on soulignait les effets néfastes manifestes à cet égard sur la dynamique familiale de même que sur la santé et le bien-être des membres de la famille. En outre, ces familles seraient plus vulnérables que les autres aux difficultés affectives, psychologiques, comportementales, sociales et d’apprentissage, et leurs membres plus sujets à la négligence ou à la maltraitance17.

« La santé psychologique d’un parent en déploiement ou de celui qui reste au foyer est susceptible d’influencer les enfants à différents moments de leur développement. »

Or, il s’avère difficile de déterminer à quel point les conclusions de telles études sont pertinentes en fonction de la réalité canadienne. De fait, les familles des militaires canadiens (particulièrement ceux qui ne sont pas en service actif) déplorent le fait que « nous savons peu de choses sur le sujet dans le contexte canadien18 ». En effet, même s’il est possible d’élargir plusieurs de ces constats pour les appliquer à la réalité du Canada, il existe toutefois d’importantes différences qui justifieraient de chercher à mieux connaître les besoins uniques des enfants, des conjoints et des familles des militaires canadiens19. Au Canada, par exemple, contrairement à ce qui prévaut au États-Unis, les familles des militaires ont recours au système civil de soins de santé et, par conséquent, ont la responsabilité de trouver un médecin omnipraticien ou spécialiste suivant leurs besoins, et ce, tout en tenant compte bien souvent des particularités et des critères d’admissibilité des différents régimes provinciaux de soins de santé. Dès lors, les membres des familles de militaires sont privés du caractère permanent des soins et tributaires de nouvelles listes d’attente à chaque déménagement, ce qui mine effectivement la possibilité de bénéficier de soins réguliers auprès d’un professionnel de la santé attitré. Faute de pouvoir trouver un nouveau médecin, plusieurs familles de militaires canadiens n’hésitent pas à retourner consulter leur médecin traitant dans la région de leur affectation précédente. Lorsque certains membres de la famille ont besoin de soins médicaux particuliers ou sont atteints d’une incapacité, il peut s’avérer frustrant et coûteux de chercher des soins dans un nouveau régime de soins de santé, sans compter les difficultés résultant des divergences dans les critères d’admissibilité et les politiques de remboursement. Dans certains cas, les difficultés tiennent aussi au fait que certains médecins de famille « ont une compréhension superficielle des caractéristiques de la vie militaire, ce qui peut aussi avoir une incidence sur la qualité et la continuité des soins20 ».

Les difficultés vécues par les familles des militaires par rapport au système de soins de santé trouvent aussi écho dans le domaine de l’éducation. Il y a 20 ans, 80 % des familles des FAC vivaient sur une base militaire et y fréquentaient une école encadrée par le ministère de la Défense nationale. Or, non seulement ce système d’éducation est-il disparu, mais 85 % des familles des FAC vivent désormais à l’extérieur des bases militaires et fréquentent les écoles de quartier21, où le personnel enseignant non militaire connaît mal les facteurs de stress associés à la vie des militaires, de même que les répercussions sur leurs conjoints et enfants. De plus, contrairement à ce qui existe aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les ministères fédéraux du Canada ne versent aucun financement aux commissions scolaires des différentes provinces pour adapter les programmes d’éducation en fonction de la réalité des familles des militaires, qu’il s’agisse d’un transfert d’école, d’un déploiement ou des problèmes associés à une BSO chez l’un des parents22, 23. À chaque transfert d’école, les élèves atteints d’une incapacité ou nécessitant des services éducatifs particuliers doivent se soumettre à nouveau au processus d’évaluation et d’attribution des ressources, ce qui représente une importante source de stress pour ces familles24.

« Il faudra s’employer à définir clairement les enjeux et les besoins particuliers [en matière de santé] en contexte canadien. »

Le Canada s’est doté de programmes et de services ciblés au bénéfice des familles, notamment pour l’encadrement en situation de crise, le soutien par les pairs, les services de psychoéducation, ainsi que les services de consultation offerts par l’entremise de divers organismes, comme les Centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM), mais l’offre de tels services demeure inégale selon les régions et les centres urbains. Par ailleurs, le Canada a fait preuve de leadership en mettant sur pied divers programmes et services axés sur la famille, comme la production de la série de webinaires Le pouvoir de l’esprit25 destinée aux adolescents. Cependant, il n’a pas été démontré clairement dans quelle mesure la plupart de ces initiatives se fondent sur des éléments factuels, ni à quel point leur efficacité repose sur une évaluation rigoureuse.

Pour s’assurer que les conjoints et partenaires des militaires ainsi que les quelque 64 100 enfants canadiens qui grandissent au sein d’une famille de militaires puissent bénéficier des mêmes avantages en matière de santé que leurs concitoyens civils, il faudra s’employer à définir clairement les enjeux et les besoins particuliers en contexte canadien. Toutefois, malgré l’importance de cibler ces besoins, il faudra aussi que les chercheurs s’intéressent aux connaissances et aux compétences dont devront disposer les éducateurs, les fournisseurs de soins de santé et les partenaires communautaires afin d’épauler et soutenir efficacement les familles des militaires. À terme, ces constatations serviront de base à d’éventuels programmes et initiatives fondés sur des données probantes.

 


 

Auteurs

Heidi Cramm, School of Rehabilitation Therapy, Université Queen’s, Kingston (Ont.)

Deborah Norris, Département de gérontologie et d’études de la famille, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

Linna Tam-Seto, School of Rehabilitation Therapy, Université Queen’s, Kingston (Ont.)

Maya Eichler, Département de politique et d’études canadiennes, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

Kimberley Smith-Evans, Département de politique et d’études canadiennes, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

 

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Cet article est tiré de « Making Military Families in Canada a Research Priority », qui présente une discussion sur les priorités de recherche futures. L’article original, publié en ligne dans le Journal of Military, Veteran and Family Health en novembre 2015 (Volume 1 n° 2), peut être consulté sur le site Web du journal.

 

NOTES

  1. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes (2013). Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire, Ottawa, Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  2. Ibidem
  3. Bradshaw, CP., Sudhinaraset, M., Mmari, K. et autres (2010). « School Transitions Among Military Adolescents: A Qualitative Study of Stress and Coping » dans School Psychology Review, vol. 39, n° 1, p. 84-105.
  4. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  5. Ibidem
  6. Ibidem
  7. Saltzman, WR., Lester, P., Beardslee, WR. et autres (2011). « Mechanisms of Risk and Resilience in Military Families: Theoretical and Empirical Basis of A Family-Focused Resilience Enhancement Program » dans Clinical Child and Family Psychology Review, vol. 14, n° 3, p. 213-230. [MEDLINE : 21655938]
  8. Herrman, H., Stewart, DE., Diaz-Granados, N. et autres (2011). « What Is Resilience? » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 56, n° 5, p. 258-265. [MEDLINE : 21586191]
  9. Easterbrooks, MA., Ginsburg, K. et Lerner, RM. (2013). « Resilience Among Military Youth » dans Future Child, vol. 23, n° 2, p. 99-120. [MEDLINE : 25518694]
  10. Palmer, C. (2008). « A Theory of Risk and Resilience Factors in Military Families » dans Military Psychology, vol. 20, n° 3, p. 205-217.
  11. Aronson, KR. et Perkins, DF. (2013). « Challenges Faced by Military Families: Perceptions of United States Marine Corps School Liaisons » dans Journal of Child and Family Studies, vol. 22, n° 4, p. 516-525.
  12. Cederbaum, JA., Gilreath, TD., Benbenishty, R. et autres (2014). « Well-Being and Suicidal Ideation of Secondary School Students from Military Families » dans Journal of Adolescent Health, vol. 54, n° 6, p. 672-677. [MEDLINE : 24257031]
  13. Cozza, SJ. (2011). « Children of Military Service Members: Raising National Awareness of the Family Health Consequences of Combat Deployment » dans Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine, vol. 165, n° 11, p. 1044-1046. [MEDLINE : 21727261]
  14. Chandra, A., Lara-Cinisomo, S., Jaycox, LH. et autres (2010). « Children on the Homefront : The Experience of Children from Military Families » dans Pediatrics, vol. 125, n° 1, p. 16-25. [MEDLINE : 19969612]
  15. Ibidem
  16. Norris, D., Cramm, H., Eichler, M., Tam-Seto, L. et Smith-Evans, K. (2015). Operational Stress Injury: The Impact on Family Mental Health and Well-Being. A Report to Veterans Affairs Canada.
  17. Ibidem
  18. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  19. Dursun, S. et Sudom, K. (2009). Impacts of Military Life on Families: Results from the Perstempo Survey of Canadian Forces Spouses, Ottawa, Recherche et développement pour la défense Canada.
  20. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  21. Services de soutien aux familles des militaires. Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (s.d.). Le mode de vie des familles des Forces canadiennes : mythes et réalité. (Page Web consultée le 10 septembre 2015)
  22. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  23. National Military Family Association (2006). Department of Defense Support to Civilian Schools Educating Military Children, Alexandria (Virginie), The Association.
  24. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  25. Services de soutien aux familles des militaires. Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (s.d.). Le pouvoir de l’esprit. Comprendre la BSO d’un membre de votre famille. (Page Web consultée le 10 septembre 2015)

 

D’où vient le « F » du sigle PAEF? L’évolution de l’aide en santé mentale au travail

Craig Thompson

Depuis quelques décennies, la santé mentale préoccupe de plus en plus l’opinion publique, notamment parce que l’on comprend mieux les diverses répercussions de ces enjeux sur toutes les sphères de la société. Quand la santé mentale d’une personne se détériore, les premiers à en constater les effets sont souvent ceux et celles qui sont aux « avantpostes », c’est-à-dire les proches. La famille constitue l’entité la plus adaptable de notre société et, à ce titre, elle tend à se modeler le mieux possible aux besoins de ses membres. C’est la raison pour laquelle un nombre croissant d’organisations choisissent désormais de soutenir les employés et leur famille, et ce, par l’entremise de programmes d’aide aux employés et aux familles (PAEF), qui tiennent compte des questions de santé mentale au travail. En analysant l’évolution de ces services, on pourra sans doute expliquer d’où vient ce « F » ajouté au sigle PAEF, et mesurer son importance grandissante au fil du temps.

Les premières années : les programmes d’aide axés sur l’alcoolisme au travail

Au Canada, les premiers programmes d’aide axés sur l’alcoolisme au travail sont apparus vers la fin des années 1950. Ancêtres des PAEF, ces programmes visaient essentiellement les problèmes liés à l’alcool, et ses effets dévastateurs sur la santé et le bien-être des employés alcooliques. Ces programmes étaient généralement dispensés par les directions médicales et les services de santé au travail au sein des grandes organisations industrielles du secteur manufacturier.

Parfois, les employés sollicitaient eux-mêmes des services d’aide, mais la plupart du temps, c’était leur gestionnaire, leur superviseur ou leur représentant syndical qui les y incitait ou les orientait vers ces services. Or, cette aide était presque uniquement centrée sur l’employé alcoolique, sans égard à sa famille. Celui-ci était soumis à un programme strict, qui supposait notamment de participer à des réunions des Alcooliques anonymes, et le respect des exigences était suivi de près. Une rechute après le traitement entraînait généralement une mise à pied, sans aucune autre forme d’aide de la part de l’employeur. Dès lors, l’avenir de ces personnes dépendait entièrement du niveau de soutien des membres de leur famille. Du moins, pour ceux qui en avaient encore une…

La période de gestation : les programmes d’aide aux employés (PAE)

Durant les années 1970 et jusqu’au milieu des années 1980, les employeurs ont élargi la portée de ce type de programmes pour s’intéresser aussi à d’autres problèmes que l’alcoolisme, ce qui a donné naissance aux programmes d’aide aux employés (PAE). En effet, des études réalisées à cette époque sur la productivité en milieu de travail avaient révélé que l’alcoolisme ne constituait que l’un des multiples facteurs susceptibles de nuire au rendement, à la productivité et à la santé en milieu de travail.

L’alcoolisme était toujours considéré comme un problème, mais il semblait de plus en plus évident que les programmes d’aide en milieu de travail seraient plus efficaces si l’on se penchait aussi sur d’autres aspects limitant la productivité, comme la toxicomanie, la maladie mentale, les problèmes de santé graves ou les moments charnières de la vie (naissances ou décès). Dès lors, de plus en plus d’employeurs ont saisi l’importance d’adopter des PAE, si bien que ces programmes ont bientôt fait leur apparition dans les moyennes entreprises ou les sociétés régionales, nationales ou multinationales.

En règle générale, les PAE offraient alors des séances de consultation à court terme axées sur la recherche de solutions, lesquelles étaient payées par l’employeur en fonction d’un nombre moyen de séances ou d’un nombre maximum de rencontres prédéterminé. Puisque les traitements à longue échéance n’étaient pas l’objet des PAE, le fournisseur de services orientait le patient vers des ressources abordables et pertinentes si sa situation justifiait un suivi plus long. Au fil des ans, ce sont finalement les services des ressources humaines qui ont graduellement récupéré la gestion des PAE, prenant ainsi le relais des directions médicales ou des services de santé et sécurité au travail.

Au cours de leurs années les plus productives, plusieurs personnes éprouvent des préoccupations à propos de leur santé mentale, c’est pourquoi les PAEF sont susceptibles de leur être bénéfiques. Certaines études ont montré que les troubles de santé mentale sont non seulement coûteux pour les travailleurs eux-mêmes, mais aussi pour les organisations dont ils relèvent.

• D’ici 2020, à l’échelle mondiale, la dépression occupera le deuxième rang (après les maladies du cœur) parmi les principales causes d’incapacité.

• Au Canada, l’incapacité est responsable de 4 % à 12 % des coûts salariaux. Les réclamations associées à des problèmes de santé mentale (particulièrement la dépression) constituent désormais la catégorie de frais en plus forte croissance au pays pour une incapacité, surpassant ainsi les maladies cardiovasculaires.

Par la suite, certains employeurs ont peu à peu compris que, pour favoriser l’assiduité, le rendement et le niveau de concentration des employés, il fallait aussi prendre en considération leur famille dans l’équation. On s’est donc intéressé aux troubles émotionnels, aux relations personnelles et familiales, aux soins des enfants et des aînés, ainsi qu’aux soins de santé. En vue d’atténuer les répercussions de ces divers problèmes sur le rendement et la productivité, plusieurs employeurs ont cherché à conscientiser directement les proches de leurs employés, afin de leur faire connaître ces programmes et de les inciter à les utiliser. On a donc conçu de la documentation précisément destinée aux conjoints et aux personnes à charge, et des moyens novateurs ont été mis en œuvre pour rejoindre les membres des familles. Par ailleurs, l’admissibilité aux programmes a continué de s’étendre pour couvrir notamment les jeunes adultes admissibles inscrits à des programmes d’enseignement postsecondaire, ainsi que leur famille.

Au début, les proches se montraient réticents à utiliser ces services et programmes, ce qui explique sans doute qu’on ait accentué les efforts pour les conscientiser et les inciter à y recourir. La crainte que des renseignements personnels divulgués au thérapeute ou au spécialiste du PAE puissent créer des ennuis à l’employé au travail expliquait sans doute partiellement cette réticence. De fait, même si les services des PAE étaient confidentiels (et le sont toujours), l’inquiétude des utilisateurs potentiels à l’égard de la confidentialité et de la protection de la vie privée est tout à fait compréhensible. Au cours de cette période, on estime que 5 % à 7 % des employés avaient recours aux services des PAE annuellement, et que moins de 1 % des bénéficiaires étaient des membres de la famille.

Alors que les services de la première génération de PAE étaient assurés par du personnel à l’interne (généralement des médecins et des infirmières en santé du travail), la prestation de services de cette nouvelle génération de programmes était souvent confiée à des entreprises externes mettant à contribution un plus large éventail de professionnels et de spécialistes, y compris des psychologues, des thérapeutes et d’autres fournisseurs de soins de santé. Cette évolution a certes consolidé la légitimité des PAE, mais il n’en demeure pas moins que l’offre n’était toujours pas généralisée puisqu’elle demeurait concentrée dans les entreprises de plus grande envergure. Par conséquent, les travailleurs employés ailleurs étaient vraisemblablement mal desservis.

Les années de croissance : les programmes d’aide aux employés et aux familles (PAEF)

De la fin des années 1980 au milieu des années 1990, d’importants progrès ont été réalisés dans ce domaine. D’abord, les PAE ont commencé à offrir une gamme de services sans cesse plus diversifiée, notamment des mesures axées sur les dépendances, les problèmes conjugaux ou familiaux et les troubles psychoaffectifs. Ces PAE « à portée globale » reconnaissaient l’importance de traiter également les problèmes relationnels en milieu de travail, les problèmes d’ordre financier ou judiciaire, le vieillissement des parents, ainsi que d’autres préoccupations qui n’étaient pas nécessairement liées au travail. Cet élargissement de la portée des PAE a contribué à généraliser leur adoption au sein d’un plus large éventail d’industries, de secteurs et de milieux professionnels.

Au fil du temps, des études successives ont confirmé les diverses retombées en coûts-avantages découlant des investissements dans les PAE de la part des employeurs, notamment la réduction du taux d’absentéisme, du roulement de personnel et des frais médicaux, et l’augmentation globale de la productivité des employés. En misant sur ces études, les fournisseurs de services des PAE ont réussi à convaincre un nombre grandissant d’employeurs de la pertinence des PAE, en se tournant désormais vers d’autres secteurs et des entreprises de toute envergure. Dès lors, le niveau d’acceptation s’est accru considérablement, procurant ainsi à des milliers de familles et d’individus l’accès à de tels soins et ressources.

Peu à peu, les fournisseurs ont élargi leur offre de services à toute heure du jour ou de la nuit grâce à des lignes sans frais, dans le but d’aider les bénéficiaires en fonction de leurs besoins particuliers. Par ailleurs, on a cherché à conscientiser encore davantage les proches des employés vivant au sein de leur foyer, ce qui a permis d’accroître dans une certaine mesure leur recours aux PAE, mais il faut dire que les services dispensés aux personnes à charge ne représentaient en moyenne que 5 % à 10 % de l’ensemble des services fournis dans la plupart des programmes. Du reste, diverses ressources documentaires, des ateliers et des séminaires ont été mis de l’avant à titre de mesures de prévention et de promotion de la santé. On peut notamment souligner les ateliers sur la gestion du stress, qui ont bientôt occupé une part importante de ces mesures d’éducation et qui visaient à doter les participants de connaissances et d’outils pour favoriser leur santé et leur productivité au travail. Enfin, les PAE ont intégré des services axés sur la résolution de conflits en milieu de travail, la gestion réaliste de la charge de travail, ainsi que la communication efficace.

Distribution actuelle des motifs de consultations aiguillées par les PAEF : pourcentage des appels reçus selon le motif

45 %  Problèmes conjugaux et familiaux
25 %  Troubles psychologiques (dépression, anxiété, estime de soi)
15 %  Problèmes d’ordre professionnel
10 %  Toxicomanie ou alcoolisme
5 %    Crises ou traumatismes sur le plan personnel

Cette phase d’évolution se caractérise également par une autre avancée importante, soit le changement d’appellation des programmes, qui sont passés de « programmes d’aide aux employés » à « programmes d’aide aux employés et à leur famille », soit les PAEF. Même si, dans les faits, la plupart des programmes avaient déjà élargi leurs services aux familles, ce changement a permis d’officialiser le statut de la famille comme variable incontournable dans le processus d’aide. Il faut d’ailleurs reconnaître la sagesse et la vision des responsables du PAEF de la société MacMillan Bloedel, qui ont tenu à faire ressortir cet aspect du programme. L’entreprise a été la première à proposer ce terme pour définir de tels services, et l’appellation a été reprise partout au pays. Ce simple ajout contribuera par la suite à stimuler l’amélioration des programmes dans une perspective familiale au cours de la phase suivante de leur évolution.

L’âge de la maturité : les PAEF de nos jours

Au cours de la période allant du milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, la popularité des PAEF s’est accrue à un point tel que presque tous les employeurs de moyenne ou grande envergure proposent désormais ces programmes sous une forme ou une autre. Même les plus petits employeurs (c’est-à-dire de 50 employés ou moins) commencent à les offrir par l’entremise de régimes collectifs ou d’initiatives communautaires. En effet, les fournisseurs de PAEF et les compagnies d’assurance concluent des partenariats pour inclure ces services parmi les options du régime collectif offert par l’employeur. Selon la culture organisationnelle, le secteur de l’industrie et le type de programme, on a vu apparaître divers modèles de suivis (évaluations et consultations, thérapies à court terme, etc.) parmi lesquels les employeurs ont désormais la possibilité de choisir. Au cours de cette même période, on a aussi élargi l’offre de services au téléphone, en personne et, plus récemment, par voie électronique.

Les services en ligne ont ainsi permis d’accroître l’accessibilité puisque les bénéficiaires peuvent y recourir hors du milieu de travail à partir d’appareils mobiles et d’ordinateurs personnels. Grâce à ce mode de prestation, les proches sont aussi plus nombreux à utiliser les divers services, et on s’attend à ce que cette progression se poursuive. D’autres ressources en ligne (comme les modules de formation sur le rôle parental, la communication affective, les interrelations et le vieillissement des parents) sont désormais monnaie courante grâce à ces programmes, et sont accessibles à la maison ou sur la route.

En outre, les mesures de prévention et de promotion de la santé se soucient maintenant du bien-être, alors qu’un nombre croissant d’employeurs incitent leurs employés (et leur famille) à prendre en main leur état de santé général, y compris leur bien-être affectif, psychologique et physique. Les mesures d’évaluation des risques pour la santé sont de plus en plus répandues, et permettent à chacun de mieux estimer son état de santé et de minimiser les risques. À cet égard, plusieurs employeurs adoptent une approche holistique relativement à la santé et au bien-être des employés, et reconnaissent l’importance du noyau familial pour faire de meilleurs choix et maintenir de saines habitudes. Bref, l’état de santé global des employés est de plus en plus considéré comme l’un des facteurs essentiels pour bonifier les « résultats » de l’organisation, et cet état de fait résulte en partie des nombreuses recherches ayant permis d’établir les liens directs entre le bien-être des employés et leurs taux d’adhésion, d’absentéisme et de productivité.

Coûts de la maladie mentale dans le milieu de travail

  • Au cours d’une semaine typique, plus de 500 000 Canadiens s’absentent du travail pour cause de maladie mentale.
  • Les maladies mentales représentent plus de 30 % des réclamations pour une incapacité, et engendrent 70 % des coûts liés à une incapacité.
  • Chaque année, les maladies mentales entraînent des pertes d’environ 51 milliards de dollars au sein de l’économie canadienne.

Compte tenu des obligations juridiques actuelles ou éventuelles, un nombre grandissant d’employeurs ont désormais l’obligation de veiller à la sécurité psychologique en milieu de travail, et d’assurer un cadre relationnel civilisé et respectueux. En 2013, des lignes directrices ont été instituées dans le cadre de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail, et ce, afin d’aider les organisations à assurer la santé et la sécurité psychologiques des employés dans les milieux de travail.

Cette norme a été élaborée à partir de données de recherche fondées sur des éléments probants dans diverses disciplines scientifiques et juridiques. Les connaissances actuelles en matière de santé et de sécurité psychologiques des travailleurs y sont résumées, et on y retrouve les lignes directrices et les recommandations pertinentes pour la promotion et le maintien de milieux de travail sains. Même s’il s’agit d’une norme d’application volontaire, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence et la réglementation (actuelle ou éventuelle) poussent les employeurs à offrir un certain nombre de mesures d’aide à cet égard. Comme l’affirme Martin Shain, qui a signé de nombreux textes sur la sécurité psychologique au travail : « Veiller à la sécurité psychologique en milieu de travail, ce n’est plus considéré comme un beau geste, mais comme une nécessité » [traduction].

L’avenir pour les PAEF

À l’époque où les services étaient principalement axés sur les problèmes liés à l’alcool, les employeurs avaient la latitude de congédier sur-le-champ tout employé qui ne faisait pas l’affaire. Dans le contexte actuel, en vertu des lois et règlements ou encore des normes d’application volontaire, un plus grand nombre d’employeurs facilitent l’accès à divers traitements et mesures d’aide professionnelle concernant une panoplie de problèmes de santé physique ou mentale, qui risquent de miner le rendement d’un employé ou de le rendre inapte. Et lorsque ce dernier reçoit les soins requis, son employeur prend ensuite des mesures pour faciliter son retour au travail. Plus on discutera sérieusement des préjugés entourant ces questions, plus les travailleurs, les familles et les collectivités bénéficieront d’un meilleur accès aux soins.

L’évolution des PAEF témoigne de la volonté croissante des organisations d’épauler leurs employés, tout en prenant en considération et en favorisant le contexte familial. Que ce soit par souci de se conformer aux obligations réglementaires, d’accroître le rendement et la productivité, ou encore d’assurer le bien-être des travailleurs, de plus en plus d’employeurs prennent désormais au sérieux les questions de santé et de sécurité psychologiques en milieu de travail. Si les investissements et l’intérêt à l’égard des PAEF et du bien-être des employés continuent sur cette lancée, on est en droit de s’attendre à d’autres percées. Bien qu’il soit difficile de prédire l’avenir en ce qui a trait aux mesures d’aide aux employés, il semble acquis que la famille sera appelée à jouer un rôle central dans la définition des futures approches.

 


Cet article est déjà paru dans le magazine Transition au printemps 2014 (Vol. 44, no 1).

Craig Thompson, M. Éd., M.B.A., travaille depuis près de 30 ans dans le domaine des PAEF et de la gestion des limitations fonctionnelles, notamment comme clinicien, organisateur d’entreprise, gestionnaire de comptes et dirigeant d’entreprise. Au cours de cette période, il a collaboré avec des milliers d’employeurs, d’employés ainsi que leur famille dans le but d’améliorer la vie de chacun et d’accroître l’efficacité en milieu de travail.

La force de la diversité : l’impact positif des enfants ayant une incapacité

Michelle R. Lodewyks

Dans bien des cas, les études qui portent sur la réalité des familles où vivent des enfants atteints d’une incapacité s’intéressent essentiellement aux incidences négatives d’une telle situation pour l’entourage familial. Ces familles sont souvent perçues comme des « victimes », et l’on croit volontiers qu’elles croulent littéralement sous la charge de soins, la détresse émotionnelle, les exigences physiques, le fardeau financier et les difficultés interpersonnelles. Quant aux enfants eux-mêmes, on a tendance à les dépeindre avant tout comme une source de stress et d’anxiété. Devant un tel tableau un peu tragique, on a presque l’impression que les familles ayant des enfants handicapés vivent dans une « tristesse perpétuelle », et c’est précisément cette approche qui alimente l’idée généralisée selon laquelle l’incapacité est un péril qu’il vaudrait mieux éviter, voire éradiquer. Or, ce type d’interprétation influence considérablement la perception actuelle des gens – et leur réaction – à l’égard des personnes ayant une incapacité, y compris chez les professionnels dans leurs interactions avec les jeunes handicapés. Du reste, cette perception teinte effectivement toute l’approche qu’adopte la société à l’égard de ces enfants, et ce, dès leur naissance. Par conséquent, le public n’a pas pleinement conscience, en règle générale, des nombreuses retombées positives et de la contribution significative que les enfants atteints d’une incapacité procurent à leur famille, à leur collectivité et à l’ensemble de la société.

Afin de mieux comprendre les effets positifs pour ces familles, on a réalisé diverses entrevues dans le cadre d’une étude qualitative ayant pour but de juxtaposer divers faits vécus aux données de recherche existantes. Les parents et les enfants interrogés ont cité plusieurs effets positifs qu’ont ces enfants sur leur famille, ainsi que divers aspects favorables de leur contribution à la vie de famille. Ainsi, on ne sera pas surpris de constater qu’il n’existe souvent aucune différence entre un enfant handicapé et un autre enfant en ce qui a trait aux effets positifs et à la contribution de l’enfant pour sa famille. Néanmoins, puisque les enfants handicapés sont souvent catégorisés à part des autres et que leur influence positive sur la famille reste souvent en plan dans l’idée des gens, il s’avère essentiel de souligner de telles similitudes. Par contre, certaines conclusions de cette étude s’avèrent particulièrement révélatrices, notamment en ce qui a trait aux effets positifs uniques que l’on peut associer aux enfants ayant une incapacité, et au fait que leur apport à la famille et à la vie de famille s’avère tout aussi unique.

Élever un enfant ayant une incapacité favorise le développement individuel

Les parents qui ont participé à cette étude soulignent que leur parcours parental auprès d’un enfant handicapé leur a permis de mieux reconnaître et apprécier la valeur, le potentiel et les forces des personnes ayant une incapacité. Plusieurs d’entre eux expliquent d’ailleurs comment leur expérience les a amenés vers une meilleure acceptation des différences, à accroître leur capacité d’évaluer la valeur intrinsèque et immanente des personnes, et à « apprécier de manière plus rationnelle la nature des gens ».

L’une des participantes affirme que son expérience lui a permis de réévaluer l’aide qu’elle peut procurer aux personnes avec qui elle travaille, et dit avoir compris qu’il vaut mieux inciter les gens à progresser sur le plan personnel que de leur imposer des limites ou leur dire ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire. Les frères et sœurs d’enfants handicapés ont remarqué que leurs relations fraternelles particulières leur ont permis d’avoir un nouveau regard sur les personnes atteintes d’un handicap. En effet, le fait d’être exposé au handicap au sein même de leur milieu familial les rendrait plus à l’aise au contact d’autres enfants handicapés, voire plus portés à s’intéresser aux personnes handicapées en général. Par ailleurs, plusieurs de ces enfants ont déjoué les pronostics, c’est-à-dire que leur développement n’a pas nécessairement suivi la courbe qu’on avait prévue au départ : dans bien des cas, les prédictions les plus sombres de certains médecins n’avaient à peu près rien à voir avec la réalité. Voici les propos de l’un des participants : « Avant moi, je ne sais pas quelle était l’opinion de mes parents au sujet des personnes handicapées. Je crois que tout ça leur a permis de comprendre qu’il ne faut pas y attacher trop d’importance… Ces personnes peuvent être aussi productives que les autres, avoir des buts et faire preuve d’une grande détermination, même si ce n’est pas toujours facile. »

Tous les parents de l’étude considèrent qu’élever un enfant handicapé leur a permis d’acquérir ou d’améliorer certains traits de caractère positifs. Les membres de la famille admettent avoir changé à certains égards, notamment quant à la capacité de s’ouvrir aux autres et de se montrer plus aimants, chaleureux, empathiques, créatifs, équilibrés, doux, calmes, expressifs, responsables, autonomes et altruistes.

L’élévation de leur propre niveau de tolérance et d’acceptation figure souvent parmi les acquis les plus souvent évoqués par les parents d’un enfant handicapé. En effet, les membres de la famille apprennent nécessairement à mieux accepter la diversité et les comportements d’autrui, ce qui cultive chez eux un plus profond respect envers les autres familles ayant un enfant atteint d’une incapacité, de même qu’une plus grande compassion envers les gens en général.

En outre, plusieurs parents affirment que leurs enfants ont fait d’eux de « meilleurs individus », de « meilleurs parents », ou que les autres membres de la famille sont devenus de « meilleures personnes » grâce à eux. Certains de ces bienfaits ont même des échos en milieu de travail. Ainsi, l’un des participants pense être devenu une « meilleure personne au travail » à force de mieux comprendre le trouble de l’autisme dont son fils est atteint. Il affirme qu’un tel bagage a modifié sa propre manière d’être avec les gens, notamment avec ses collègues qu’il peut aider lorsqu’il s’agit de mieux comprendre et interpréter le comportement de l’un des employés, lui aussi autistique.

Fierté, joie et rapprochements pour les parents

Tous les parents ayant pris part à cette étude témoignent des émotions positives vécues grâce à leurs enfants. Le sentiment de fierté semble d’ailleurs commun à la plupart d’entre eux. À ce propos, l’un des parents avoue que cette fierté ne tient sans doute pas « aux mêmes accomplissements que chez les autres enfants du même âge [fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][que son fils] », ce qui ne l’empêche pas d’avoir de nombreuses raisons d’être fière. Les parents rapportent que la créativité de leur enfant ou les connaissances qu’il a acquises sont une véritable source de fierté ou d’admiration, tout comme son aptitude à distinguer le bien du mal, ses stratégies pour surmonter la peur, sa détermination à parvenir à ses fins, et sa capacité de défendre ses propres intérêts. Pour leur part, les dix enfants interrogés disent avoir constaté qu’ils suscitent eux-mêmes des émotions positives chez leurs proches, et plus de la moitié d’entre eux sont conscients d’être une source de fierté pour leur famille.

L’une des mères insiste aussi pour dire que sa fille lui a appris à apprécier les petites choses de la vie beaucoup plus que la moyenne des gens, si bien qu’elle « célèbre désormais de petits riens qu’il ne viendrait même pas aux autres l’idée de célébrer ». Aux yeux d’une autre mère, la fierté éprouvée pour sa fille se résume ainsi : « Je suis très fière d’elle parce qu’elle refuse de laisser ses incapacités prendre le contrôle de sa vie. Elle est atteinte de plusieurs incapacités, mais ce n’est pas ça qui va la ralentir… Elle pourrait se dire : “Ah! je n’y arrive pas”, et baisser les bras… Mais elle est toujours prête à repousser ses limites et à faire de son mieux. »

Plusieurs parents prétendent par ailleurs que leur enfant leur a permis de rencontrer des gens, de se lier d’amitié et d’établir de nouvelles relations. Certes, on peut dire de manière générale que tous les enfants contribuent plus ou moins à élargir le réseau social de leur famille, mais pour certains des répondants, leur contexte familial particulier est principalement en cause. L’un des couples évoque les liens particulièrement précieux créés avec d’autres familles par l’entremise du réseau de soutien pour les parents en situation similaire. Ces relations leur ont donné la chance d’aider d’autres parents qui leur demandaient conseil.

L’un des parents souligne que l’« éclatement » de la famille guette peut-être ceux et celles qui élèvent un enfant atteint d’une incapacité, mais beaucoup de parents considèrent que leur enfant a plutôt contribué à consolider leur mariage, à faire d’eux de meilleurs parents ou à renforcer les liens familiaux. Deux des parents affirment même que la communication s’est améliorée au sein du couple grâce à leur enfant. Le père se souvient des difficultés que sa conjointe et lui-même vivaient à l’époque où ils ont reçu le diagnostic de leur fils, et du rôle que chacun a dû jouer pour aider l’autre à « passer au travers ». Selon lui, ce cheminement leur a appris à « parler plus ouvertement de sentiments et d’autres choses », au bénéfice de la communication au sein du couple.

Certains parents insistent pour dire que la présence de leur enfant a apporté un vent de fraîcheur ou une nouvelle perspective au sein de la famille. L’un des pères dit d’ailleurs qu’il y a quelque chose de précieux dans la façon toute particulière de voir les choses chez son fils, et il ajoute que c’est l’un des aspects qu’il apprécie le plus chez lui : « Sa vision des choses est si différente de tout le monde. Il ne pense pas comme nous… J’adore l’entendre exprimer sa façon de penser. Il ajoute une tout autre dimension à notre foyer, et je n’imagine même pas comment ce serait sans cette dimension-là. C’est… c’est véritablement le cœur de ce que nous sommes. Il est fantastique! »

En faisant référence à ses talents innés pour l’écriture et pour la composition musicale, l’un des enfants se dit convaincu que son trouble autistique lui aura permis de réussir en musique grâce à sa grande capacité de concentration. Il conclut ainsi : « Je pense que la musique a des effets positifs pour moi, et que c’est aussi une source d’inspiration pour tout le monde qui en écoute. »

On a demandé à une autre enfant de définir la nature de sa propre influence au sein de sa famille : « J’imagine que l’ambiance familiale serait un peu moins animée sans moi. En tout cas, il y aurait moins souvent de conversations intéressantes au souper. » Elle évoque aussi « toute la question du yin et du yang », en présumant que sa présence fait probablement contrepoids à la douceur des gens de sa famille.

Les familles apprennent de leur expérience unique et cherchent à partager leurs acquis

Avant de conclure chacun des entretiens, on a demandé aux participants ce qu’ils souhaiteraient que les gens comprennent mieux à leur sujet, ainsi qu’à propos de leur famille et de leur réalité. Les parents ont répondu que leur expérience n’est pas « toujours rose », qu’ils ont été confrontés à des « défis », à des « problèmes », à des « obstacles » et à des « moments difficiles », mais qu’ils ne tiennent pas leur enfant responsable des aspects négatifs de leur parcours. L’un des parents admet d’ailleurs que les difficultés rencontrées pour s’adapter à l’incapacité de son enfant avaient moins à voir avec ce dernier qu’avec les idées préconçues des gens, ou avec la représentation que se font les autres parents de ce que serait leur propre vie dans un tel contexte : « C’est sûr qu’il faut traverser cette période difficile où on a un peu tendance à nier la situation, explique-t-elle. Tout cela cause un grand chagrin, mais on finit par comprendre que ces sentiments viennent de soi, de ses propres idées, ou de ce qu’en pensent les autres. »

D’autres parents de l’étude s’accordent pour dire que la colère, le stress, l’anxiété ou les crises sont moins liés à l’enfant lui-même qu’à l’ignorance des gens et à la compréhension insuffisante de cette problématique sur le plan sociétal. L’une des mères demande souvent aux gens de revoir leur manière de dire – ou de ne pas dire – les choses. À son avis, on a tendance à étiqueter les personnes ayant une déficience intellectuelle en évoquant une sorte de retard, alors que « le retard est bien souvent du côté des gens soi-disant “normaux” qui ne comprennent pas la situation ».

Ces conclusions corroborent celles d’une étude antérieure où les parents laissaient entendre que leur peine était principalement liée aux messages récurrents des gens, teintés de négativisme ou de désespoir, notamment de la part de professionnels, d’intervenants du système de santé, de membres de la famille élargie et d’amis. Il est donc permis de croire qu’il existe une source de stress et de négativisme qui est étrangère à l’enfant, et que l’attitude de la famille à l’égard de ce dernier est peut-être conditionnée – du moins en partie – par les croyances culturelles à l’égard de l’incapacité. Dès lors que la société entretient des préjugés négatifs vis-à-vis de tout handicap, et que les perceptions culturelles sont elles aussi essentiellement négatives, il va de soi que le négativisme risque d’affecter la famille et de teinter la perspective et le jugement des parents relativement à leur enfant et à leur propre rôle parental.

Les parents qui ont pris part à cette étude disent vouloir dissiper les présomptions négatives que l’on entretient au sujet de leur enfant, et élargir les horizons pour remettre en contexte toute forme de négativisme. Certains d’entre eux décrivent leur situation comme « un cadeau plutôt qu’un fardeau », en insistant pour dire qu’il n’y a rien d’intrinsèquement négatif dans le fait d’avoir un enfant atteint d’une incapacité au sein d’une famille. De leur point de vue, ils n’ont absolument aucun regret lié aux impacts de leur enfant dans leur vie. Tout en reconnaissant que l’éducation d’un enfant handicapé comporte son lot de stress, de travail acharné et de dévouement, certains parents mettent en relief la chance que d’autres n’ont pas de connaître toute la richesse d’une telle expérience. À ce propos, l’un des pères résume ainsi ce qu’il a vécu avec son fils : « Est-ce que c’est une catastrophe qu’il vous faut? Une tragédie? Alors donnez-moi un bout de papier et je vais vous en citer des catastrophes : cette personne qui est morte dans un accident de voiture ou encore cette jeune mère qui a été tuée, ou peut-être le tsunami… Voilà de véritables tragédies. Moi, je vois plutôt ça comme une balle courbe : il faut juste apprendre à frapper la balle courbe et tout est réglé… Je ne dis pas que c’est facile, mais on apprend à vivre avec ça. »

Ces parents affirment que ce qu’ils demandent le plus souvent aux autres, c’est de ne présumer de rien sur la base de l’incapacité de leur enfant, et de savoir reconnaître les aptitudes et le potentiel de celui-ci. En invitant les gens à faire un effort particulier pour apprendre au contact de ces enfants, ils tiennent à dire que leur enfant peut apporter beaucoup à la société et qu’il mérite tout le respect qu’on lui doit. À ce propos, l’un des parents ajoute : « Je pense à toute l’ampleur qui a été donnée à la question des personnes atteintes de trisomie 21 au sein de nos sociétés… On a littéralement cherché à éradiquer ce groupe de personnes en procédant à des analyses sanguines et par d’autres moyens. Tout cela contribue à déprécier l’existence qui est la leur. Pourtant, ils ont aussi quelque chose à offrir, quelque chose de très spécial qu’il faut prendre le temps d’observer parce qu’ils ont beaucoup à nous apprendre. »

Enfin, lorsqu’on demande aux enfants ce qu’ils ont à partager avec les autres, ils lancent aussi des messages fort éloquents. L’un des enfants souhaiterait que les autres « comprennent que j’ai certains handicaps, mais ça ne fait pas de moi une moins bonne personne ». Un autre tient à ce que les gens se souviennent de ceci : « Plusieurs pensent que je ne suis pas très vif d’esprit… Je tiens à leur dire que je comprends vraiment bien le monde qui nous entoure et tout ce qui s’y passe, et que ce n’est pas ma paralysie cérébrale ou mon fauteuil roulant qui m’en empêchent. Je ne suis pas simple d’esprit : j’ai de grandes ambitions et un bel avenir. Je ne veux pas qu’on me prenne en pitié, parce que je sais que j’aurai une très belle vie, qui sera riche et intéressante! »

Les bénéfices de la diversité au-delà du cercle familial

Apprendre à mieux comprendre les familles qui voient leur situation sous un angle positif entraîne divers effets positifs, tout comme le fait de communiquer cette perception au plus grand nombre en insistant pour dire qu’élever un enfant ayant une incapacité n’est pas nécessairement tragique, mais qu’il s’agit au contraire d’une expérience enrichissante et gratifiante. Sachant cela, les professionnels du monde médical (particulièrement au niveau du dépistage et du diagnostic prénataux) disposeront d’information concrète à partager avec les parents qui reçoivent un tel diagnostic. Cette perception positive bénéficiera par ailleurs aux autres parents d’un enfant handicapé, pour les inciter à miser davantage sur la plus-value que représente leur enfant dans leur vie.

Il va sans dire que les conclusions de cette étude n’enlèvent en rien les défis et les difficultés que vivent ces familles, et rien n’indique que de savoir ce qu’elles pensent améliorera automatiquement le sort des familles ayant un enfant handicapé. Toutefois, le seul fait de prendre conscience des forces et des aspects positifs favorise le changement et donne à penser qu’il est possible de mieux comprendre et de limiter le stress d’une telle expérience en misant sur la contribution et l’apport de ces enfants. L’adaptation progressive pourrait en bénéficier. Du reste, plus les familles verront leur propre expérience d’un bon œil, plus leur attitude contribuera à contrer les idées préconçues quant aux impacts de l’incapacité, à soutenir les nouveaux parents qui se trouvent dans cette situation, et à désamorcer en partie la peur et l’anxiété devant la perspective d’élever un enfant handicapé. En agissant de la sorte, il y a tout lieu de croire que l’on peut privilégier une approche plus positive à l’égard de l’incapacité.


Cet article s’inspire du texte Parent and Child Perceptions of the Positive Effects That a Child with a Disability Has on the Family.

Michelle Lodewyks travaille comme chargée d’enseignement au programme de soutien communautaire auprès des personnes handicapées du Collège Red River. Elle est titulaire d’une maîtrise en études de la condition des personnes handicapées de l’Université du Manitoba.

RESSOURCES

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