5 mai 2022

Profil de partenaires : le Centre Mothers Matter

Un entretien avec la présidente-directrice générale du Centre Mothers Matter, Debbie Bell
5 mai 2022

Gaby Novoa

Depuis l’an 2000, le Centre Mothers Matter s’emploie à favoriser le bien-être des mères parmi les nouvelles arrivantes, les réfugiées et les Autochtones au Canada. Basé à Vancouver, l’organisme aide les mères isolées et vulnérables à remplir le rôle primordial qui leur incombe auprès de leurs enfants, pour qui elles seront les premières et plus importantes enseignantes. À ces fins, le Centre mise sur des programmes et services fondés sur des données probantes mis en œuvre au sein même du foyer maternel. L’organisme s’est donné comme mission d’aider les mères vulnérables à se prendre en charge en leur permettant d’acquérir les connaissances et les capacités nécessaires pour garder la maîtrise de leur vie et gagner en confiance comme parents et membres engagés de leur collectivité.

Dans ce Profil de partenaires, la fondatrice et présidente-directrice générale, Debbie Bell, raconte les débuts du Centre Mothers Matter et nous expose ses programmes ainsi que leurs retombées.


Parlez-nous de l’histoire et des orientations du Centre Mothers Matter.

Le Centre Mothers Matter a été créé dans le sillage de travaux réalisés à l’Université Simon Fraser, où je dirigeais le programme d’éducation communautaire. Nous avions comme mandat de favoriser l’accès aux ressources universitaires à l’intention des groupes confrontés à l’exclusion sociale ou à des inégalités, et qui n’auraient pas pu bénéficier d’un tel soutien autrement.

À cette époque, nous participions à des échanges multiculturels entre des groupes de femmes de Vancouver et du nord du Mexique. Ce processus nous a permis de découvrir le programme HIPPY (Home Instruction for Parents of Preschool Youngsters), qui était offert à San Diego. Nous nous sommes rendus là-bas pour en apprendre davantage auprès de quelques étudiants de cycle supérieur et de groupes de femmes de différents organismes communautaires. Nous avons immédiatement constaté la valeur et l’importance de ce programme. Comme le disait l’une des nouvelles arrivantes : « Si nous avons choisi de nous établir dans ce pays, c’est parce que nous voulions offrir toutes les chances possibles à nos enfants. Cependant, nous en sommes incapables parce que nous ne savons pas ce que les écoles attendent d’eux. Nos enfants ont déjà été retirés des classes et inscrits en orthopédagogie, et ça commence à les affecter. Nous tenons à participer au processus afin de veiller à ce que notre rêve d’offrir à nos enfants le meilleur avenir possible puisse se concrétiser. »

Il n’en fallait pas plus pour nous convaincre. Nous avons donc décidé d’importer le programme HIPPY au Canada afin de répondre à des besoins similaires dans la collectivité. Depuis son lancement en 2000, notre programme principal HIPPY a connu une croissance constante. Il est désormais offert dans une trentaine d’endroits d’un océan à l’autre, desservant ainsi plus de 1 500 familles annuellement. Le Centre Mothers Matter a également lancé de nombreux autres projets et programmes visant à briser le cycle de la pauvreté intergénérationnelle, à accroître la littératie et à réduire l’isolement social des mères marginalisées. Ces mères proviennent de tous les horizons et leurs besoins sont diversifiés. Par conséquent, nous adaptons notre offre en créant divers volets, comme le programme HIPPY pour les Autochtones qui est axé sur l’apprentissage et les connaissances des Autochtones, ou encore le programme d’innovation pour les nouvelles arrivantes qui vise à faciliter l’intégration des mères immigrantes, réfugiées ou demandeuses du statut de réfugié.

Quels enjeux ou inégalités votre organisme voudrait-il régler ou améliorer?

Même si nous avons accès à d’excellents services d’aide à l’intégration au pays, les nouvelles arrivantes et les réfugiées très vulnérables sont parfois démunies ou carrément oubliées lorsqu’il s’agit de savoir à qui s’adresser pour des cours de langue ou des programmes de formation, par exemple. Parmi les femmes que nous aidons, il y en a beaucoup qui sont confrontées à des inégalités multiples selon leur culture, leur langue, leur revenu ou pour d’autres motifs. Celles qui sont touchées par autant de facteurs risquent d’attendre longtemps à la maison qu’on leur vienne en aide. Or, plus c’est long, plus l’intégration est ardue, ce qui accentue les répercussions pour leur famille.

J’ai récemment entendu parler d’une mère immigrante qui faisait toute son épicerie au dépanneur uniquement parce que le commis parlait sa langue. Son épicerie lui coûtait une fortune, mais elle sentait que c’était le mieux qu’elle pouvait faire dans les circonstances. Je pense que bien peu d’entre nous sont en mesure de comprendre le niveau d’exclusion que vivent ces gens-là.

Pour de nombreuses mères nouvellement arrivées, les inégalités et l’isolement sont parfois très vifs. Toutes sortes de raisons peuvent expliquer que des mères demeurent confinées à la maison et, dans de telles circonstances, rien ne sert d’avoir des armées d’agents d’intégration ou de travailleurs d’approche. S’établir dans un nouveau pays peut s’avérer très difficile, et cela risque d’accroître la vulnérabilité des femmes en situation d’isolement et de pauvreté ainsi que celle de leurs enfants.

Nous tentons de joindre ces femmes dans leur propre foyer. Nous travaillons avec elles un jour à la fois pour qu’elles-mêmes ainsi que leur famille puissent s’intégrer dans leur collectivité, s’orienter dans le réseau et obtenir les services et le soutien dont elles ont besoin.

D’après vous, quels sont certains des facteurs clés pour favoriser le bien-être des familles?

Les mères sont des moteurs de changement, et leur propre bien-être est directement associé à celui de la famille. Notre programme tient compte de facteurs comme l’isolement, le soutien parental et la capacité des mères de participer à la vie de leur collectivité. Nous entrons en relation avec elles en leur proposant des services pour les sortir de l’isolement et de la solitude, et la même chose pour leur famille. Nous les aidons à subvenir aux besoins de leurs proches, notamment en s’assurant qu’ils ont tout ce qu’il leur faut sur le plan de la sécurité alimentaire, du logement et de l’emploi.

Alors, comment peut-on y parvenir? Nous savons que plus les responsabilités s’accumulent, plus il est difficile d’accéder à un certain bien-être. Bon nombre des mères que nous accompagnons perdent leur culture, leur langue et leurs revenus en arrivant dans un nouveau pays. Lorsqu’il y a un tel fardeau à porter, le bien-être devient encore plus inaccessible. Au Centre Mothers Matter, nous tenons compte de ces obstacles et nous essayons d’agir sur le plus de facteurs possible pour limiter leur emprise sur le bien-être. À ces fins, nous reconnaissons que le foyer est notre principale porte d’entrée.

Les mères veulent que leurs enfants réussissent à l’école, et c’est justement en ce sens que le programme HIPPY peut être utile. Nous pouvons également mettre en contact les familles et les services de logement, faciliter les rencontres avec les enseignants, ou encore les aider à s’inscrire à des cours de langue. Dans le cadre de notre programme, nous tentons de contrer ces difficultés, sachant qu’il y a des limites à ce que nous pouvons faire. Nous misons sur les volets où nous pouvons agir, et nous faisons tout ce que nous pouvons en ce sens.

Parlez-nous de quelques-uns de vos projets récents et de ce que vous avez appris de ceux-ci.

L’année dernière, nous avons collaboré avec l’Institut Vanier de la famille pour réaliser une enquête intitulée Les répercussions de la COVID‑19 : Les mères réfugiées ou nouvellement établies au Canada. Cette étude a donné des résultats encore plus positifs que nous l’avions anticipé. Nous avons entre autres constaté que les familles de réfugiés et de nouveaux arrivants manifestaient une résilience impressionnante, qui ne s’acquiert bien souvent qu’au fil de très grands sacrifices et qui s’est consolidée durant leur processus d’émigration vers le Canada.

Nous avons également organisé une série d’échanges avec Sophie Grégoire Trudeau et Sharon Johnston, Ph. D., qui ont pu ainsi discuter avec des mères réfugiées, nouvellement arrivées ou autochtones du programme HIPPY afin de connaître leur expérience. Ce dialogue a permis d’en apprendre beaucoup plus que ce que l’enquête avait révélé à propos de leurs difficultés. Beaucoup de ces mères ont dit avoir été apeurées, confinées ou dépassées, ne connaître personne ou souffrir de dépression. Grâce à ces échanges, nous avons pu mieux comprendre les difficultés de ces familles vulnérables, isolées et à faible revenu.

Qu’est-ce qui guide et inspire les travaux du Centre Mothers Matter?

Nos programmes misent sur notre capacité de favoriser la confiance et les compétences des mères, et de restaurer leur sens du soutien parental afin qu’elles soient mieux outillées pour contribuer aux apprentissages de leurs enfants. Notre programme est essentiellement axé sur l’éducation préscolaire, mais nous consacrons beaucoup d’énergie à reconnaître, à célébrer et à étayer la capacité des mères de procurer le meilleur avenir possible à leurs enfants. Lorsque les mères réussissent dans ce rôle d’enseignement, elles servent éventuellement de tremplin pour un tout autre processus d’actualisation de soi, ce qui les motive par ailleurs à participer à d’autres volets de la vie de leurs enfants et à être actives dans leur collectivité.

Nous croyons que, dans ce pays, chaque mère et chaque enfant a le droit de vivre pleinement et activement. C’est pour cela qu’ils viennent ici. Le programme HIPPY peut aider des personnes parmi les plus vulnérables, les plus isolées et les plus exclues. Et ça commence par ceci : soutenir les enfants dans leurs apprentissages scolaires.


Découvrez le Centre Mothers Matter.

Les travaux du Centre Mothers Matter permettent d’alimenter et d’enrichir le volet axé sur l’identité familiale qui fait partie du Cadre sur la diversité familiale de l’Institut Vanier, favorisant ainsi une meilleure compréhension des réalités familiales dans toute leur diversité à l’échelle nationale.

Cet entretien a été remanié pour en favoriser la clarté et la concision.

Gaby Novoa est responsable des communications et des publications au sein de l’Institut Vanier de la famille.