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21 avril 2020

Être parent en temps de pandémie : Une histoire et des statistiques

Jennifer Kaddatz

21 avril 2020

Tout en veillant à ce que leurs enfants demeurent en sécurité, qu’ils soient douchés et scolarisés durant la pandémie de COVID-19, de nombreux parents au Canada, comme dans d’autres pays, sont présentement confrontés au stress et aux nuits blanches. Selon un sondage mené du 9 au 12 avril 20201, 42 % des adultes interrogés vivant avec des enfants ou des jeunes ont déclaré éprouver souvent ou très souvent de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie de COVID-19. Je suis l’un de ces parents.

Ma famille à moi compte trois garçons (préado et ado), et bientôt, je serai confrontée à une importante facture de carte de crédit et à un certain stress supplémentaire, car les garçons ont laissé leurs chaussures de sport dans leur casier à l’école le 12 mars. Ayant ce jour-là quitté pour l’école avec des bottes usées aux pieds, ils n’ont aujourd’hui plus rien à porter qui convienne pour une chaude journée printanière à Ottawa.

Jusqu’à maintenant, ma famille a eu beaucoup de chance durant cette pandémie. J’ai conservé mon travail rémunéré, et comme environ 6,8 millions de Canadiens interrogés par Statistique Canada au cours de la dernière semaine de mars (39 %)2, je travaille à domicile, où il est plus facile d’éviter les germes.

Mes parents et ma belle-famille vivent isolés à l’autre bout du pays, en sécurité au sein de relations attentionnées, comme 81 % des couples engagés qui affirment qu’eux-mêmes et leur conjoint se soutiennent mutuellement durant la crise3. Mon mari et moi faisons d’ailleurs partie des 79 % des couples avec enfants à la maison qui se soutiennent mutuellement pendant cette période singulière.

Pour ma famille, le plus grand facteur de stress quotidien durant la pandémie de COVID-19 est, en fait, lié aux activités scolaires – ou plus précisément à l’école à la maison. Dans ma famille maternelle, il y a eu trois générations d’enseignants, mais je n’en suis pas une. Mes garçons se font l’école à la maison par eux-mêmes pour la durée de cette pandémie. Les enseignants de niveau primaire et secondaire ne représentent qu’environ 2 % de la population active du Canada4 – ce qui signifie que le reste d’entre nous n’est probablement pas qualifié pour ce travail.

D’après Statistique Canada, 32 % des Canadiens sont très ou extrêmement inquiets à propos des tensions familiales dues au confinement lié au coronavirus5. Je ne peux m’empêcher de m’interroger à savoir quelle partie de cette anxiété est reliée directement ou indirectement aux responsabilités d’enseignement, additionnées à celles de parents, alors que les écoles sont fermées.

Certaines familles ne disposent pas des ressources qui permettent une scolarisation sans stress à la maison

Heureusement – ou malheureusement, selon le point de vue de mon fils de 14 ans – une éducation « pandémique » à la maison est maintenant accessible en ligne, dans la plupart des régions du Canada. Cependant, pour avoir accès à cette éducation, il faut : a) une connexion Internet haute vitesse stable, avec une bande passante adéquate; b) un accès à un ou, de préférence, plusieurs appareils; c) un enfant capable de se concentrer et d’être autonome; ou d) toutes ces réponses. La réponse est, bien entendu, d). La question qui s’impose alors est : est-il possible pour les enfants de toutes les familles au pays d’avoir accès à une éducation en ligne?

L’examen des données disponibles auprès des sources officielles donne un aperçu des caractéristiques familiales pouvant indiquer d’importants obstacles à l’obtention d’une éducation en ligne de niveau primaire ou postsecondaire durant la pandémie de COVID-19 et, par conséquent, des cas où cette vulnérabilité accrue peut entraîner un écart éducatif à long terme :

  • Les ménages à faible revenu, les ménages ruraux et les ménages autochtones sont moins susceptibles de disposer d’un accès Internet ayant la vitesse minimale requise pour prendre part à des activités scolaires en ligne à la maison. En 2017, seuls 24 % des ménages des communautés autochtones et 37 % des ménages ruraux avaient accès à Internet à la vitesse minimale requise pour profiter pleinement des possibilités en ligne, alors que 97 % des foyers urbains avaient accès à cette vitesse ou à une vitesse encore plus rapide6. En 2018, environ 4 % des ménages se trouvant dans le quartile de revenu inférieur n’avaient pas d’accès Internet à la maison7.
  • Les familles à faible revenu sont moins susceptibles d’avoir un appareil autre qu’un appareil mobile, ce qui pourrait complexifier la réalisation de travaux scolaires en ligne. Près du quart (24 %) des ménages situés dans le quartile de revenu inférieur ont indiqué en 2018 n’utiliser des appareils mobiles que pour naviguer sur Internet, une proportion qui s’avère trois fois plus élevée que celle associée aux ménages du quartile de revenu supérieur (8 %)8.
  • Dans de nombreuses familles, plus d’un enfant doit effectuer des travaux scolaires à la maison, alors que la majorité des ménages n’ont probablement pas le nombre d’appareils nécessaire pour le faire. Près de 6 ménages sur 10 (58 %) ayant accès à Internet en 2018 disposaient de moins d’un appareil par membre du ménage9. Cette proportion était plus élevée (63 %) au sein des ménages situés dans le quartile de revenu inférieur.
  • Tout comme les chaussures, il est possible que des dispositifs d’assistance n’aient pas été envoyés à la maison avant la fermeture des écoles, ce qui pourrait affecter l’aptitude des enfants et des jeunes ayant des incapacités à entreprendre certaines activités éducatives à la maison. La moitié des jeunes ayant une incapacité ont besoin d’au moins une aide, un appareil fonctionnel ou une mesure d’adaptation pédagogique pour suivre leurs cours, d’après l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 201710.
  • Certains enfants ne vivent pas dans des familles où l’environnement est favorable à l’apprentissage en ligne :

    • Près de 19 000 enfants ont été maltraités par un membre de leur famille au Canada en 2018, et dans 59 % des cas, c’était par l’un de ses propres parents, qui vivait la plupart du temps dans la même résidence11.
    • L’insécurité alimentaire des ménages, qui contribue à une mauvaise santé mentale et physique, apparaît lorsque les ménages n’ont pas les moyens d’acheter des aliments de qualité ou en quantité suffisante pour rester en bonne santé. Il n’est pas étonnant que les données de 2017-2018 montrent un taux élevé d’insécurité alimentaire dans les ménages qui dépendent de l’aide sociale (60 %) et de l’assurance-emploi ou encore de l’Indemnisation des travailleurs (32 %)12.

Les statistiques mentionnées ci-dessus ont à peine abordé la multitude d’obstacles pouvant nuire à l’apprentissage à domicile, sans parler du bien-être global, pour les familles au Canada.

Pour plusieurs enfants et parents, l’école apporte des bénéfices qui vont au-delà de l’éducation – comme le soutien social et émotionnel, la nutrition, plus d’exercices physiques ainsi qu’un espace sécuritaire où les enfants peuvent être eux-mêmes.

Pour ma part, j’ai compris tous ces bénéfices qui manquent à mes garçons depuis le début de la crise de la COVID-19, simplement parce qu’ils ne sont plus à l’école. Et, même si j’adore les avoir avec moi à la maison, je suis impatiente qu’ils y retournent.

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada


Notes

  1. Le sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Les données d’enquête de Statistique Canada montrent que pendant la semaine du 22 au 28 mars, 6,8 millions de Canadiens ont travaillé de la maison (39 %), ce qui inclut 4,7 millions de personnes qui n’ont pas l’habitude de fonctionner ainsi. Lien : 
  3. Sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 9 au 12 avril (veuillez consulter la note no 1).
  4. Statistique Canada, « Profession – Système de classification des professions (CNP) 2016 (693A), plus haut certificat, diplôme ou grade (15), situation d’activité (3), âge (13A) et sexe (3) pour la population active âgée de 15 ans et plus dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) » dans Tableaux de données, Recensement de 2016, no 98‑400‑X2016295 au catalogue de Statistique Canada (29 novembre 2017). Lien : 
  5. Statistique Canada, « Comment les Canadiens vivent-ils la situation liée à la COVID-19? » dans Infographies, no 11‑627‑M au catalogue de Statistique Canada (8 avril 2020). Lien :
  6. Ministre du Développement économique rural, La haute vitesse pour tous : la stratégie canadienne pour la connectivité, Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Lien :
  7. Statistique Canada, Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur – Pandémie de COVID-19 : La fermeture des écoles et la préparation des enfants à l’apprentissage en ligne, no 45‑28‑0001 au catalogue de Statistique Canada (15 avril 2020). Lien :
  8. Ibidem
  9. Ibidem
  10. Statistique Canada, « Expériences pédagogiques des jeunes ayant des incapacités » dans Infographies, no 11‑627‑M au catalogue de Statistique Canada (10 septembre 2019). Lien :
  11. Statistique Canada, La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2018, no 85‑002‑X au catalogue de Statistique Canada (12 décembre 2019). Lien :
  12. Valerie Tarasuk et Andy Mitchell, Household Food Insecurity in Canada 2017-2018, Toronto : Research to identify policy options to reduce food insecurity (PROOF) (mars 2020). Lien :