Mackenzie Kolton

Mackenzie se consacre avec passion à la défense des droits des personnes 2ELGBTQIA+ et à la sensibilisation à leur réalité. Elle occupait auparavant le poste de responsable de l’innovation des programmes au sein de l’organisme Grands Frères Grandes Sœurs du Canada, où elle a participé à la création de la première formation en santé mentale centrée sur les réalités queers au Manitoba, tout en supervisant le département 2ELGBTQIA+ et son équipe. Elle a également travaillé pendant six ans avec l’organisme The Get REAL Movement, à titre de fondatrice du programme au Manitoba et de principale conférencière auprès de plus de 150 000 élèves, éducatrices et éducateurs, familles et entreprises à travers le pays. En sa qualité d’accompagnatrice de gestionnaires de haut niveau, elle a collaboré avec plus de 100 conseils scolaires nationaux, afin de les aider à mettre en place des stratégies novatrices favorables à l’inclusion.

Egale est un organisme phare au Canada pour les personnes 2ELGBTQIA+ et les défis auxquels elles sont confrontées. Nous nous employons à améliorer et à préserver des vies en misant sur la recherche, l’éducation, la sensibilisation ainsi que la défense des droits de la personne et de l’égalité, au Canada et ailleurs dans le monde. Notre travail contribue à bâtir des sociétés et des systèmes qui reflètent une vérité universelle, à savoir que toutes les personnes sont égales et qu’aucune ne devrait être mise à l’écart.

Andrew Sofin

Andrew Sofin, psychothérapeute agréé ainsi que thérapeute conjugal et familial, exerce en cabinet privé à Montréal. Il se consacre principalement à la thérapie de couple et familiale. Il porte le titre de thérapeute conjugal et familial enregistré (RMFT) de

l’Association canadienne pour la thérapie conjugale et familiale (ACTCF), est boursier en clinique de l’American Association for Marriage and Family Therapy (AAMFT) et membre de l’International Family Therapy Association (IFTA). Il est actuellement président de l’ACTCF et fondateur du Belmont Center, ainsi que des organismes Couples Retreat Ocean Coral et Couples Retreat in Montreal. Il a également cofondé l’Institut de thérapie de crise brève et l’organisme The Private Practice Consultants. Il est en outre professeur invité à l’Université de Guelph, où il donne un cours dans le cadre du Advanced Certificate in Couple and Family Therapy Studies program (programme d’études en vue de l’obtention d’un certificat supérieur en thérapie conjugale et familiale). Il possède plus de 25 ans d’expérience en gestion dans le secteur sans but lucratif, l’entrepreneuriat en santé mentale, la pratique privée, les programmes de traitement en établissement et les milieux hospitaliers à Boston et à Montréal.

À propos de l’organisme : L’ACTCF est une association professionnelle composée de personnel clinicien et enseignant ainsi que de membres de la communauté de la recherche spécialisés en thérapie relationnelle et systémique. L’ACTCF réglemente et supervise la certification des membres (RMFT) ainsi que la formation continue, établit des normes d’agrément pour les programmes d’études supérieures en thérapie conjugale et familiale, en plus d’observer un code de déontologie et des normes de pratique.

Amy Robichaud

Amy est la fille de Lore, la petite-fille de Rae et l’arrière-petite-fille de Rita.

Elle est actuellement PDG du centre Les mères comptes Canada et a été auparavant directrice générale de la fondation Dress for Success Vancouver, directrice de l’engagement à la Minerva Foundation for BC Women, et consultante en développement et en gouvernance auprès d’organismes tels que la RBC Fondation, le Centre mondial du pluralisme et l’Association canadienne pour la santé mentale.

La volonté d’Amy de trouver des moyens concrets pour favoriser l’équité, l’inclusion économique et la prospérité de l’ensemble de la population influence tout ce qu’elle entreprend, y compris son travail bénévole. Elle exerce actuellement son second mandat à la présidence du Comité consultatif des femmes de la Ville de Vancouver, apportant son expertise au Conseil et au personnel en vue de renforcer l’accès et l’inclusion des femmes et des filles pour leur permettre de jouer un rôle actif dans les services de la Ville et la vie citoyenne. Elle a aussi occupé le poste de présidente de la fondation Dress for Success Canada et a reçu le prix Femmes de mérite du YWCA de Vancouver en 2023. Elle est membre du Banff Forum et de l’organisme WNORTH.

Amy et son mari ont habité dans plusieurs régions à travers le Canada et résident aujourd’hui avec bonheur et humilité sur les terres non cédées, ancestrales et traditionnelles des nations xʷməθkʷəy̓əm, Sḵwx̱wú7mesh et səlilwətaɬ, avec leurs animaux de compagnie et leur bibliothèque verdoyante.

À propos du centre Les mères comptent Canada

Les mères comptent Canada (MCC) est un organisme national qui se consacre à l’émancipation des mères à faible revenu et isolées sur le plan social en proposant des programmes novateurs, fondés sur des données probantes, qui favorisent l’éducation des jeunes enfants, renforcent les liens parents-enfants et facilitent l’intégration communautaire. Grâce à divers partenariats et actions de sensibilisation, le centre s’efforce de briser les cycles de la pauvreté et de l’isolement, en veillant à ce que les mères et leurs enfants réalisent leur plein potentiel et s’épanouissent dans des communautés accueillantes et inclusives. Lorsque les mères s’accomplissent, les enfants prospèrent et les communautés se fortifient.

Annie Pullen Sansfaçon

Annie Pullen Sansfaçon est titulaire d’un Ph. D. en éthique et travail social (de la Montfort University, RU, 2007) et s’intéresse aux approches antioppressives et à l’éthique depuis le tout début de sa carrière. À partir de ces thèmes, elle a développé un axe de recherche visant à mieux comprendre les expériences d’oppression et de résistance des jeunes présentant une diversité de genre, comme les jeunes trans et non binaires, les jeunes bispirituel·les et les jeunes qui détransitionnent, en vue de développer de meilleures pratiques pour les soutenir. Elle s’intéresse également au soutien parental et social, ainsi qu’à l’incidence de celui-ci sur ces différents groupes de jeunes. Les projets de recherche qu’elle dirige tant au niveau national qu’international ont été publiés dans de nombreux articles scientifiques et cinq livres sur la question. Elle a cofondé et codirige actuellement le Centre de recherche sur la justice intersectionnelle, la décolonisation et l’équité (le CRI-JaDE), et est chercheuse associée à l’École de travail social de la Stellenbosch University en Afrique du Sud.

Simona Bignami

Simona Bignami est démographe et se spécialise dans les méthodes quantitatives et l’étude des dynamiques familiales. Elle porte un intérêt général à la relation entre l’influence sociale, la dynamique familiale et les conséquences et les comportements sur le plan démographique, ainsi qu’à la mesure dans laquelle les données empiriques permettent de comprendre cette relation. Ses travaux les plus récents s’attardent aux dynamiques familiales des personnes migrantes et des minorités ethniques, avec l’objectif d’améliorer leur évaluation à l’aide de données et de méthodes novatrices, en plus de mieux comprendre leurs répercussions sur les plans démographique et sanitaire. Ses recherches sur ces thèmes s’inscrivent dans une perspective comparative, allant des pays en développement aux pays développés. Bien que ses travaux soient principalement quantitatifs, elle a acquis une expérience dans la collecte de données d’enquête auprès de ménages, ainsi que dans la réalisation d’entretiens qualitatifs et l’organisation de groupes de discussion dans divers contextes.

Matthew Johnson 

Matthew Johnson est professeur de sciences familiales au Département d’écologie humaine de l’Université de l’Alberta. Ses recherches portent sur le développement des relations de couple et il est chercheur principal de la Edmondon Transitions Study (Étude sur les transitions d’Edmonton).

Robin McMillan

Au cours de sa carrière, Robin McMillan a passé plus de 30 ans à travailler dans le secteur de la petite enfance. Elle a d’abord travaillé comme éducatrice pendant huit ans auprès d’enfants d’âge préscolaire. Puis elle a quitté la première ligne afin de développer des ressources pour les praticiennes et praticiens à la Fédération canadienne des services de garde à l’enfance (FCSGE). Elle travaille à la FCSGE depuis 1999, où elle est passée d’assistante de projet à gestionnaire de projet, puis à son rôle actuel de conceptrice de projets, de programmes et de partenariats. Plusieurs réalisations ont marqué sa carrière à la FCSGE, notamment la gestion de plus de 20 projets nationaux et internationaux, y compris un projet de l’ACDI en Argentine et la présentation d’un rapport avec l’honorable sénateur Landon Pearson au Comité des droits de l’enfant à Genève, en Suisse.

Robin a été membre du conseil d’administration de l’Ottawa Carleton Ultimate Association pendant deux ans et a participé à l’organisation de nombreux événements caritatifs locaux. Elle a fondé et animé un groupe local de soutien aux parents, Ottawa Parents of Children with Apraxia (Parents d’enfants atteints d’apraxie à Ottawa), ainsi qu’un groupe national, Apraxia Kids Canada (L’apraxie chez les enfants au Canada). Elle est mariée et a un fils de 17 ans atteint d’un grave trouble de la parole (apraxie verbale) et d’une légère déficience intellectuelle, ce qui l’a propulsée dans le monde du plaidoyer pour le soutien à la parentalité. Elle a d’ailleurs reçu le prix de défenseure de l’année en 2010, décerné par la Childhood Apraxia of Speech Association of North America.

À propos de l’organisme : Nous représentons la communauté du secteur de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants au Canada, à savoir l’ensemble des professionnel·les et des praticien·nes d’un océan à l’autre. Nous donnons voix à la passion, à l’expérience et aux pratiques en matière d’apprentissage et de garde des jeunes enfants (AGJE) au pays. Nous mettons de l’avant des recherches novatrices en matière de politiques et de pratiques afin de mieux éclairer le développement et la prestation des services. Nous faisons preuve de leadership sur les enjeux qui touchent notre secteur, ayant foi en notre capacité d’influencer positivement la vie des jeunes enfants, à savoir notre véritable objectif, notre raison d’être. Les sujets abordés, explorés et communiqués au sein de notre communauté ont le potentiel de transformer des vies et nous en avons pleinement conscience. Nous sommes une force engagée et passionnée en faveur d’un changement positif là où ça compte le plus, c’est-à-dire auprès des enfants.

Donna S. Lero

Donna S. Lero est professeure émérite et titulaire de la première Chaire Jarislowsky sur les familles et le travail à l’Université de Guelph, où elle a cofondé le Centre pour les familles, le travail et le bien-être. Elle mène des recherches dans les domaines des politiques sociales, du travail et de la famille, et de la prestation de soins. Ses projets actuels portent sur l’emploi maternel et les modes de garde des enfants, les politiques en matière de congé parental, et l’incapacité et l’emploi. Elle participe également au projet Inclusive Early Childhood Service System (IECSS) ainsi qu’au projet du CRSH, Réinventer les politiques soins/travail.

Liv Mendelsohn

Liv Mendelsohn, M.A., M.Ed., est directrice générale du Centre canadien d’excellence pour les aidants, où elle dirige des initiatives en matière d’innovation, de recherche, de politiques et de programmes visant à soutenir les personnes aidantes et les prestataires de soins au Canada. Leader visionnaire comptant plus de 15 ans d’expérience dans le secteur à but non lucratif, Liv est aidante depuis fort longtemps et vit elle-même avec un handicap. Son expérience en tant que membre de la « génération sandwich » alimente son aspiration envers la création d’un mouvement pour les personnes aidantes au Canada afin de changer la façon dont la prestation de soins est perçue, valorisée et soutenue.

Au cours de sa carrière, Liv a fondé et dirigé plusieurs organismes axés sur l’incapacité et la prestation de soins, notamment le Wagner Green Centre for Accessibility and Inclusion ainsi que le festival du film de Toronto ReelAbilities. Liv est présidente du comité consultatif sur l’accessibilité de la Ville de Toronto. Elle a reçu le Prix pour l’équité décerné par la Ville de Toronto et a été reconnue pour son leadership par la University College, l’Université de Toronto, l’organisme Enfants avenir Ontario et les centres communautaires juifs d’Amérique du Nord. Liv est agrégée supérieure de recherche au Massey College et diplômée du Mandel Institute for Non-Profit Leadership ainsi que du programme de bourses DiverseCity de la CivicAction Leadership Foundation.

À propos de l’organisme : Le Centre canadien d’excellence pour les aidants appuie et habilite les personnes aidantes et les prestataires de soins, favorise l’avancement des connaissances et la capacité d’agir dans le domaine des soins, et plaide en faveur de politiques sociales efficaces et visionnaires, tout en privilégiant une approche qui se veut à l’écoute des personnes ayant une incapacité. Notre expertise et nos connaissances, tirées des expériences vécues des personnes aidantes et des prestataires de soins, nous aident à faire campagne pour de meilleurs systèmes et un changement durable. Nous sommes plus qu’un simple bailleur de fonds; nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires et nos bénéficiaires pour atteindre des objectifs communs.

Barbara Neis

Barbara Neis est professeure titulaire émérite de la Chaire John Lewis Paton et professeure-chercheuse honoraire (à la retraite) du Département de sociologie de l’Université Memorial. Barbara a obtenu son doctorat en sociologie à l’Université de Toronto en 1988. Elle s’intéresse principalement aux interactions entre le travail, l’environnement, la santé, les familles et les communautés dans les milieux marins et côtiers. Elle a cofondé et codirigé le SafetyNet Centre for Occupational Health and Safety à l’Université Memorial et a été présidente de l’Association canadienne de la recherche en santé et sécurité au travail. Depuis les années 1990, elle a mené, supervisé et soutenu d’importants programmes de recherche en collaboration avec l’industrie de la pêche à Terre-Neuve-et-Labrador, notamment dans les domaines suivants : les connaissances des pêcheurs, les sciences et la gestion marines, la santé et la sécurité au travail, la reconstruction des pêcheries effondrées, et le genre et la pêche. Entre 2012 et 2023, elle a dirigé le Partenariat en mouvement, financé par le CRSH, un vaste programme de recherche multidisciplinaire explorant la dynamique de la mobilité professionnelle prolongée/complexe liée à l’emploi dans le contexte canadien, notamment son incidence sur les travailleuses et travailleurs et leur famille, les employeurs et les communautés.

Deborah Norris

Titulaire de diplômes supérieures en sciences familiales, Deborah Norris est professeure au Département d’études de la famille et de gérontologie de l’Université Mount Saint Vincent. Son intérêt persistant envers l’interrelation entre le travail et la vie de famille a amené Deborah à s’investir très tôt dans l’élaboration de programmes d’éducation à la vie familiale au Centre de ressources pour les familles des militaires (CRFM) de la Base des Forces canadiennes (BFC) d’Halifax. Les connaissances acquises au cours de ses échanges avec les participantes et participants aux programmes ont été les étincelles qui ont déclenché chez elle un inébranlable engagement à en apprendre davantage sur la vie des familles des militaires, qui ont été le fil conducteur de ses recherches tout au long de sa carrière. S’inspirant des théories écologique et critique, le programme de recherche de Deborah se veut pratique, collaboratif et interdisciplinaire. Elle a dirigé des études portant sur la résilience chez les familles des militaires et des vétéranes et vétérans; l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle chez les familles des militaires; la relation bidirectionnelle entre les blessures de stress opérationnel et la santé mentale et le bien-être des familles des vétéranes et vétérans; les programmes de psychoéducation familiale pour les familles des militaires et des vétéranes et vétérans; et la transition entre la vie militaire et la vie civile. Elle a collaboré avec des spécialistes du milieu universitaire, des scientifiques du ministère de la Défense nationale (MDN), des membres du personnel d’Anciens Combattants Canada (ACC) ainsi que d’autres parties prenantes. Récemment, elle a élargi son programme de recherche afin de mettre l’accent sur les effets que peut avoir le stress opérationnel sur les familles du personnel de la sécurité publique.

Susan Prentice

Susan Prentice est professeure du programme d’études gouvernementales Duff Roblin à l’Université du Manitoba, où elle enseigne la sociologie. Elle se spécialise dans les politiques familiales, et plus particulièrement dans les politiques liées à la garde des enfants. Elle a publié de nombreux travaux sur les politiques familiales et liées à la garde des enfants, dont les plus récents sont accessibles sur sa page de profil de l’UM. Elle donne des cours sur les politiques familiales aux premier et deuxième cycles universitaires. Susan travaille en étroite collaboration avec des groupes provinciaux et nationaux qui font la promotion des services de garde et est membre du comité de direction de la Child Care Coalition of Manitoba.

Yue Qian

Yue Qian (prononcé Yew-ay Chian) est professeure agrégée en sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Elle a obtenu son doctorat en sociologie à la Ohio State University. Ses recherches portent sur le genre, la famille et le travail, et les inégalités dans une perspective mondiale, et mettent particulièrement l’accent sur l’Amérique du Nord et l’Extrême-Orient.

Shelley Clark

Shelley Clark, démographe et professeure lauréate du prix James-McGill en sociologie, mène des recherches sur le genre, la santé, les dynamiques familiales et les périodes transitoires de la vie. Après avoir obtenu son doctorat à la Princeton University en 1999, Shelley a travaillé à titre d’adjointe de programme du Population Council à New York (1999-2002) et de professeure adjointe à la Harris School of Public Policy de la University of Chicago (2002-2006). À l’été 2006, elle a intégré le Département de sociologie de l’Université McGill, où elle est devenue en 2012 la directrice fondatrice du Centre de recherche sur la dynamique des populations. Une grande partie de ses recherches au cours des 20 dernières années se sont intéressées à la manière dont les adolescentes et adolescents d’Afrique subsaharienne effectuent leurs principales transitions vers l’âge adulte alors qu’il y sévit une épidémie persistante de VIH/sida. D’autres travaux ont permis de mettre en relief les vulnérabilités sociales, économiques et sanitaires des mères célibataires et de leurs enfants en Afrique subsaharienne. Récemment, Shelley s’est lancée dans un nouveau programme de recherche visant à évaluer les inégalités entre les régions rurales et urbaines ainsi que les dynamiques familiales aux États-Unis et au Canada. Ses découvertes soulignent la diversité des structures familiales dans les régions rurales ainsi que les conséquences d’un accès limité à la contraception sur la fécondité et la santé reproductive des femmes de ces régions.

Des tout-petits aux adolescents – Regard sur la mobilité pour le travail et son incidence sur l’évolution de la famille : L’histoire d’Amber (Families, Mobility, and Work)

Résumé d’un chapitre consacré aux conséquences de la mobilité pour le travail sur les relations familiales

8 novembre 2022

Le chapitre « From Toddlers to Teens – Examining Mobile Work and Its Impact on Family Evolution: Amber’s Story » (Des tout-petits aux adolescents – Regard sur la mobilité pour le travail et son incidence sur l’évolution de la famille : L’histoire d’Amber) est basé sur un récit de vie inspiré de multiples entretiens et discussions avec une femme vivant dans une région rurale de l’Île-du-Prince-Édouard. Son histoire décrit l’évolution de sa vie personnelle et familiale au cours des 12 années où le travail de son mari l’obligeait à voyager à l’extérieur de la province, alors que leurs enfants grandissaient peu à peu de « tout-petits à adolescents ». Le chapitre s’intéresse à la nouvelle réalité qu’impose la mobilité pour le travail, à sa prolongation, aux défis qu’elle présente, de même qu’aux stratégies que la famille a dû adopter pour y répondre.

Ce chapitre constitue l’une des nombreuses et enrichissantes contributions au livre Families, Mobility, and Work – un recueil d’articles et autres produits de connaissance basés sur les travaux de recherche du Partenariat en mouvement. Publié en septembre 2022 par les presses universitaires de l’Université Memorial, ce livre est maintenant disponible en version imprimée, en format électronique ainsi que gratuitement, en libre accès, sur leur site Web.

« Le récit d’Amber présente une perspective intéressante sur l’expérience et la réflexion des femmes qui sont appelées à s’adapter à leurs divers rôles à titre de parents et de partenaires, alors qu’ils se voient constamment négociés et dépendent des allées et venues de leur proche en déplacement pour le travail. Ces observations sont liées au temps, aux lieux, de même qu’aux relations, et montrent que les déplacements professionnels d’Eddie ont façonné l’ensemble des aspects de la vie d’Amber en tant que parent et partenaire, ainsi que l’évolution de leur vie familiale. » – Christina Murray, Ph. D., Hannah Skelding et Sylvia Barton, Ph. D.

Accédez au livre Families, Mobility, and Work (en anglais seulement)

Résumé du chapitre

Au cœur de ce chapitre, on retrouve la représentation narrative de six entretiens individuels de style conversationnel réalisés sur une période de sept semaines avec une femme, Amber, dans le cadre de la recherche doctorale de l’auteure Christina Murray, concentrée dans les régions rurales de l’Île-du-Prince-Édouard. Ses travaux impliquaient parallèlement des entretiens similaires avec quatre autres femmes dont les maris avaient également travaillé dans d’autres provinces pendant plusieurs années. Le chapitre débute par une brève description des objectifs et des méthodes de recherche qui ont orienté l’ensemble des travaux de recherche. On y présente par la suite « L’histoire d’Amber », où l’une des participantes à l’étude réfléchit à l’évolution de son mariage et de sa vie de famille au cours des 12 années pendant lesquelles son mari, Eddie, a été contraint de migrer pour son travail d’une région rurale de l’Île-du-Prince-Édouard au nord de l’Alberta. S’il n’avait quitté le foyer que pour l’hiver lors de son premier déplacement, alors que leurs enfants étaient âgés de deux et quatre ans, il s’écoula peu de temps avant qu’il ne soit appelé à s’absenter tout au long de l’année. Au moment des entretiens, les enfants étaient âgés de 14 et 17 ans, et le fils venait de passer un premier été à travailler en Alberta avec son père. Le récit permet de mieux comprendre de quelle façon cette migration professionnelle est venue façonner la vie personnelle et familiale d’Amber. Il aborde des thèmes de recherche fondamentaux, notamment les rôles et les responsabilités propres à chacun, l’évolution et les transitions de la vie familiale, la communication et l’appartenance, ainsi que le mariage et les relations avec la communauté. Le chapitre se termine par quelques recommandations découlant de l’étude, en vue d’offrir un meilleur soutien aux femmes et aux familles dont les proches parcourent de longues distances dans le cadre de leur travail. On y présente enfin des renseignements sur les programmes qui ont été mis en œuvre en réponse à ces recommandations.

À propos des auteures

Christina Murray, B.A., inf. aut., Ph. D., est professeure agrégée de la Faculté des sciences infirmières de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. Sa pratique des soins infirmiers met l’accent sur la santé publique et le développement communautaire. Depuis 2015, elle dirige un programme de recherche narrative concertée et interdisciplinaire axé sur la migration des travailleurs et son incidence sur la santé des particuliers, des familles et des communautés. Elle a participé, à titre de chercheuse principale, à l’étude Tale of Two Islands ainsi qu’au projet de sensibilisation communautaire Families, Work and Mobility, et dirige actuellement un projet axé sur les grands-parents qui élèvent leurs petits-enfants à l’Île-du-Prince-Édouard. Mme Murray a également reçu le prix Mirabelli-Glossop 2018 de l’Institut Vanier.

Hannah Skelding est passionnée par l’étude des interactions entre les forces socioéconomiques et contextuelles. Elle a fréquenté l’Université McMaster, où elle a obtenu un double baccalauréat avec mention en arts et sciences, et en science de l’environnement. Puis elle a poursuivi sa maîtrise en affaires internationales à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard (UPEI) ainsi qu’à la Universidad Rey Juan Carlos. C’est au cours de son séjour à l’UPEI qu’elle a rencontré Christina Murray et qu’elle a été exposée aux enjeux de la mobilité interprovinciale des travailleurs. Mme Skelding travaille actuellement à l’Université de l’Alberta, au sein du Département de l’extraction des ressources et de la sociologie environnementale.

Sylvia Barton, Ph. D., est professeure et présidente de l’École des sciences infirmières de l’Université de Northern British Columbia, à Prince George (Colombie-Britannique). Au fil de sa carrière, elle a évolué dans plusieurs sphères, à savoir la pratique professionnelle, la recherche, l’enseignement et le leadership. Depuis qu’elle est entrée dans le monde universitaire, elle s’intéresse principalement à trois domaines : les histoires liées à des enjeux de santé, de même que les récits et les expériences de vie, en particulier chez les Autochtones; l’élaboration de changements novateurs dans les secteurs prioritaires des soins de santé; ainsi que la mise en œuvre de modèles d’enseignement et d’apprentissage cliniques interprofessionnels. Ses aspirations et sa détermination la poussent à faire preuve d’excellence en misant sur le partenariat, la pertinence et l’inspiration.

 

La complexité et les répercussions des cas familiaux très conflictuels

Rachel Birnbaum, Ph. D., RSW, LL. M., et Nicholas C. Bala, L.S.M., B.A., J.D., LL. M.

21 janvier 2021

Bien que la plupart des parents qui vivent une séparation parviennent à gérer la garde de leurs enfants sur une base consensuelle, parfois avec l’aide d’avocats ou de médiateurs, le nombre de différends très conflictuels qui doivent être réglés par les tribunaux de la famille du Canada connaît une hausse importante. Nous présentons ici quelques résultats préliminaires de notre projet de recherche sur les cas familiaux très conflictuels en Ontario.

Ce projet de recherche est le fruit d’une collaboration entre des professionnels de la justice familiale, des agences de protection de l’enfance et le Bureau de l’avocat des enfants. Le projet entend favoriser la compréhension des cas très conflictuels et vise à formuler des recommandations afin d’aider le système de justice familiale et les professionnels à mieux y répondre.

Augmentation du nombre de décisions judiciaires en langue anglaise liées à des cas « très conflictuels »

Une partie de la recherche a été consacrée au repérage et à l’étude de décisions judiciaires publiées au cours de la dernière décennie. Nous avons consulté divers jugements familiaux publiés en langue anglaise, dont les cas étaient qualifiés par les juges de « très conflictuels ». En Ontario, le nombre de ces cas est passé de 35 à 144 au cours de la décennie 2009-2019.

Si une partie de cette augmentation peut être attribuée à une sensibilisation accrue des juges aux répercussions de tels conflits et à une plus grande volonté de ceux-ci de confronter les parents à leur propre réalité, on assiste manifestement à une augmentation de l’incidence réelle de ces cas, comme le rapportent également d’autres pays.

Bien que nos recherches n’abordent pas directement les causes de cette augmentation, l’incidence croissante des troubles de la personnalité pourrait en être un facteur. L’utilisation de plus en plus importante des médias sociaux, des SMS et de l’Internet pourrait également y jouer un rôle. Le fait que les pères s’impliquent davantage dans la parentalité, aussi bien au sein des familles unies qu’après une séparation, représente dans l’ensemble une évolution socialement positive, mais le nombre croissant de cas de partage des responsabilités parentales multiplie également les possibilités d’interactions entre les ex-conjoints, dont le degré d’hostilité l’un envers l’autre est parfois élevé.

Quelles qu’en soient les causes, la tendance se manifeste clairement, et il en ressort de nombreux défis pour le système judiciaire, en plus des préjudices causés aux enfants qui sont exposés à des conflits parentaux.

Les différents types de cas très conflictuels nécessitent des approches différentes

Afin que les tribunaux, les avocats et les cliniciens puissent traiter les cas très conflictuels de manière adéquate et élaborer des plans dans l’intérêt véritable des enfants, il est important de distinguer les différents types de cas très conflictuels.

Dans la majorité des cas, les deux parents contribuent de manière significative au conflit et peuvent donc être tous deux responsables d’une mauvaise communication. Mais dans une minorité considérable de cas, la responsabilité principale est de toute évidence attribuable à l’un d’entre eux, notamment dans les cas de violence conjugale, ou lorsqu’un comportement aliénant est adopté par un seul parent. Il est également important de reconnaître les cas où l’un des parents connaît d’importants problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

On constate une tendance croissante des parents impliqués dans un cas très conflictuel à faire intervenir les services de protection de l’enfance et la police dans leurs différends à la suite d’une séparation. Or, bien que ces organismes puissent jouer un rôle essentiel dans la protection des personnes vulnérables, en particulier des enfants, ils enquêtent de plus en plus fréquemment sur des cas dont les faits demeurent très contestés, et où les parents, et souvent les professionnels qui leur viennent en aide, notamment les thérapeutes, proposent des versions fort différentes des événements.

En outre, des défis supplémentaires se posent lorsque les procédures adoptées par la famille, les services de protection de l’enfance et le système de justice criminelle se font concurrence. Il est donc nécessaire d’améliorer la coordination et la communication entre les différents acteurs afin d’obtenir des réponses à la fois plus efficaces et plus efficientes.

Les travailleurs sociaux soulignent la complexité des cas très conflictuels

Dans le cadre de ce projet de recherche, des groupes de discussion ont été organisés avec 53 travailleurs de la protection de l’enfance et cliniciens du Bureau de l’avocat des enfants. Près de la moitié des participants ont indiqué que les cas très conflictuels étaient plus difficiles à gérer que les cas sur lesquels ils travaillaient sur une base régulière.

De nombreux travailleurs de la protection de l’enfance considéraient ces cas plus stressants que ceux impliquant des allégations de maltraitance et de négligence sans séparation parentale, et qualifiaient ceux-ci de chaotiques, compliqués, difficiles, émotifs, épuisants, effrayants, éprouvants, toxiques et vindicatifs. Ces travailleurs sociaux soulignaient que ces cas étaient difficiles pour l’ensemble des professionnels concernés, y compris pour les juges et les avocats.

Les parents impliqués dans ces cas démontrent souvent de faibles aptitudes pour la communication (p. ex. certains crient, argumentent ou se montrent violents) et pour la résolution de problèmes, ce qui entraîne d’autres malentendus et conflits susceptibles de nuire à leur capacité de travailler de manière coopérative à titre de coparents de leurs enfants.

Voici ce qu’exprimait un participant au sujet des parents impliqués dans les cas très conflictuels : « Je les trouve très rarement aptes à réfléchir à la façon dont leur propre comportement peut affecter l’enfant ». Un autre répondant faisait remarquer que ces cas impliquaient trop souvent « des parents qui parlent en mal de l’autre parent à l’enfant, et qui sont incapables d’entretenir des conversations ciblées par courriel ou par SMS afin d’assurer une planification favorisant le bien-être de l’enfant ».

Ce projet de recherche se penche sur les cas familiaux très conflictuels qu’il explore sous différents angles afin de mieux comprendre leurs dynamiques complexes. Il a toutefois été réalisé avant la pandémie de COVID-19 et le confinement qui en a découlé. Or, nous craignons que la pandémie n’ait entraîné plus de tensions entre les parents et exacerbé la violence conjugale. Il apparaît donc nécessaire d’étendre cette recherche afin de tenir compte de l’évolution des circonstances.

Rachel Birnbaum, Ph. D., RSW, LL. M., est professeure en travail social, nommée conjointement au sein des programmes d’études sociales et sur la petite enfance (programmes interdisciplinaires) et de travail social du King’s University College, pour l’Université Western Ontario, et chercheuse principale de ce projet..

Nicholas C. Bala, L.S.M., B.A., J.D., LL. M., de la Faculté de droit de l’Université Queen’s, est cochercheur de ce projet.

Les chercheurs offrent leurs sincères remerciements à la Fondation du droit de l’Ontario pour son soutien dans le cadre de ce projet.

Cet article a d’abord été publié dans The Lawyer’s Daily (28 octobre 2020) et a été réimprimé avec la permission des auteurs.

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Le bien-être des jeunes au Canada

Edward Ng, Ph. D., et Nadine Badets

27 août 2020

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Le printemps et l’été 2020 ont été une période unique pour les enfants et les adolescents au Canada. Les familles partout au pays ont adapté leurs habitudes, leurs plans et leurs activités pour respecter la distanciation physique et autres mesures de santé publique mises en place pour prévenir la propagation de la COVID-19. Après la fermeture des écoles au printemps, près de cinq millions d’élèves se sont retrouvés en ligne plutôt qu’en classe, sans pouvoir côtoyer leurs camarades et leurs amis; en famille, ils ont apprivoisé la situation évolutive1.

Si les études montrent que la plupart des jeunes respectent les mesures de santé publique et font preuve de résilience, ils sont nombreux à trouver ces bouleversements ardus. Un sondage mené par UNICEF Canada auprès des jeunes révèle les éléments les plus difficiles pour eux : l’impossibilité de sortir de la maison, d’aller à l’école et de passer du temps avec leurs amis2. Ces activités sont importantes pour le bien-être des enfants et des adolescents. Les recherches soulignent en effet le caractère essentiel des interactions sociales pour le développement des jeunes, l’influence positive des pairs étant déterminante dans la réussite scolaire et le succès à l’âge adulte3.

Les jeunes s’inquiètent davantage que les membres de leur famille contractent la COVID-19 que de la contracter eux-mêmes

Les jeunes se sont pour la plupart isolés à la maison, mais certains membres de leur famille immédiate ont continué à se rendre au travail, risquant ainsi de contracter la maladie et de la transmettre.

Dans le sondage sur les impacts sociaux de la COVID-19 mené auprès des jeunes à la mi-mai par l’Association d’études canadiennes, en partenariat avec Expériences Canada et l’Institut Vanier de la famille, près de 4 adolescents de 12 à 17 ans interrogés sur 10 (39 %) ont dit être inquiets de contracter la maladie4, comparativement à plus de la moitié (56 %) des répondants adultes questionnés au début du mois de mai5. Cet écart peut s’expliquer en partie par la perception actuelle d’un plus faible risque de complications de la COVID-19 chez les groupes plus jeunes. En outre, les mêmes ensembles de données du sondage révèlent une plus grande peur des jeunes et des adultes (71 % et 67 %, respectivement) qu’un membre de leur famille immédiate contracte le virus.

De l’ennui, mais du bonheur aussi pour la plupart des jeunes dans le contexte des mesures de santé publique et de la distanciation physique

Dans le même sondage, plus de 80 % des répondants ont signalé qu’ils s’ennuyaient, mais, fait intéressant, une proportion semblable a aussi exprimé être heureuse (89 % des 12 à 14 ans et 84 % des 15 à 17 ans)6. Ces émotions peuvent être en partie causées par les changements d’emploi du temps occasionnés par la fermeture des écoles. Près de 7 jeunes sur 10 ont répondu qu’ils se détendaient plus qu’avant la pandémie : parmi les activités habituelles, ceux-ci disaient visionner des vidéos, des films et des émissions télévisées, ou écouter des balados (78 %), passer du temps sur les médias sociaux (63 %), écouter de la musique (59 %) et jouer à des jeux électroniques (51 %). Les jeunes qui ont déclaré s’ennuyer ou être heureux pendant la pandémie étaient plus susceptibles de répondre qu’ils avaient passé plus de temps à regarder des vidéos, des films ou des émissions télévisées pendant la pandémie qu’avant celle-ci (79 % et 81 %, respectivement).

Bien que la technologie puisse avoir pris plus de place dans la vie de quantité de personnes, elle ne constitue pas la seule façon de s’occuper des jeunes. Près de la moitié (45 %) des participants au sondage ont mentionné qu’ils contribuaient davantage qu’avant aux tâches ménagères, et plus du tiers s’adonne plus à l’art ou au bricolage (36 %), ou font plus de casse-têtes (35 %) qu’avant la pandémie7.

Par ailleurs, même avant la crise sanitaire, les parents exprimaient déjà leurs inquiétudes en lien avec l’obsession des jeunes envers la technologie8, 9. Pendant le confinement, quelque 64 % des parents ayant répondu à une enquête de production participative (crowdsourcing) menée par Statistique Canada étaient inquiets de la quantité de temps passé devant les écrans par leurs enfants10. Toutefois, selon l’UNICEF, les études les plus fiables soutiennent que l’utilisation modérée de la technologie numérique tend à être positive pour le bien-être mental des enfants et des adolescents; à l’inverse, l’utilisation excessive ou l’absence d’utilisation peut avoir un léger effet négatif11. Quant à Internet et à la technologie numérique, bien qu’ils procurent aide et sens d’inclusion, ils présentent aussi un risque de cyberintimidation, peuvent influer sur la santé mentale et aggraver des troubles du sommeil12.

Plus du tiers des jeunes sondés estiment leur santé mentale affectée

Avant la COVID-19, les faits étaient connus : les taux de maladies mentales et de mauvaise santé mentale étaient plus élevés chez les jeunes que chez les groupes plus âgés au Canada. Par exemple, le taux de dépression des 15 à 24 ans surpassait celui de tout autre groupe d’âge13. Une étude récente des données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes montre une baisse de 6 % des jeunes de 12 à 17 ans signalant une excellente ou une très bonne santé mentale de 2015 à 2019 (78 % et 73 %, respectivement)14. Qui plus est, en 2018, le suicide était la cause première de décès chez les garçons de 15 à 19 ans, et la deuxième chez les jeunes filles du même groupe d’âge au Canada15.

À la mi-mai, plus du tiers (37 %) des répondants au sondage sur les jeunes ont indiqué avoir ressenti des effets négatifs sur leur santé mentale16. Comparativement à des participants de 18 ans et plus interrogés au début du mois de mai17, les 12 à 17 ans ont exprimé davantage de tristesse (57 % contre 45 %, respectivement) et d’irritabilité (65 % et 39 %) que les adultes. Ils ont aussi signalé plus de troubles de sommeil (50 % contre 35 %).

Un autre sondage mené du 10 au 14 avril 2020 auprès d’adolescents et de jeunes adultes de 14 à 27 ans pour le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) a aussi noté un déclin sur le plan de la santé mentale au début de la pandémie, autant chez les jeunes souffrant de problèmes de santé mentale préexistants que chez ceux qui n’en vivaient pas18.

Un effet immédiat des répercussions de la pandémie sur la santé mentale est la hausse de la demande de services de soutien pour les jeunes dans ce domaine. Jeunesse, J’écoute, un service téléphonique national 24 h/24, 7 j/7 de soutien et d’aide en situation de crise pour les enfants et les adolescents, a reçu près de 2 000 appels et textos par jour19 à la mi-mars 2020, soit deux fois plus que l’année précédente. Le nombre d’appels liés à des crises a aussi augmenté, ce qui s’est traduit par davantage d’interventions des services d’urgence qu’à l’habitude, l’organisme effectuant chaque jour 8 à 10 appels à ces services depuis le début de la pandémie.

Passer plus de temps de qualité en famille, mais s’ennuyer de ses amis

Le transfert du travail et de l’école à la maison, de même que les changements d’habitudes et d’horaires, a offert aux familles plus d’occasions de tisser des liens. Les données du sondage de la mi-mai mené auprès des jeunes le confirment : les deux tiers (67 %) des répondants affirment avoir tenu des conversations plus significatives en famille pendant la pandémie qu’avant20. En comparaison, seulement 50 % des adultes sondés au début du même mois ont indiqué avoir entretenu des échanges plus enrichissants avec leur conjoint ou partenaire.

Sur le plan familial, près du quart (24 %) des parents ont répondu qu’ils avaient passé plus de temps avec leurs enfants pendant le confinement21. La grande majorité des répondants, jeunes comme adultes (74 % et 81 %, respectivement), ont indiqué que les membres de leur famille s’aidaient les uns les autres. Par contre, quelque 43 % des jeunes ont signalé qu’ils se querellaient davantage avec eux, et seulement 19 % des adultes ont affirmé qu’ils se disputaient davantage avec leur conjoint ou partenaire.

En revanche, les jeunes ressentent une grande perte de liens avec leurs amis. Environ 70 % d’entre eux ont affirmé s’être confinés durant la pandémie, sauf pour combler des besoins essentiels. Seuls 24 % ont mentionné avoir visité des amis ou des membres de leur famille pendant la semaine précédant le sondage22.

Selon l’Angus Reid Institute, les jeunes ont affirmé que le pire du confinement à la maison était de s’ennuyer de leurs amis (54 %)23. Plus de la moitié (53 %) d’entre eux ont mentionné que l’isolement dû à la COVID-19 avait eu des effets négatifs sur leurs relations avec leurs amis24. L’enquête de production participative menée par Statistique Canada fournit aussi le point de vue des parents. Près des trois quarts (71 %) des participants étaient inquiets du manque de contacts de leurs enfants avec leurs amis, et 54 % d’entre eux se faisaient du souci au sujet de l’isolement social de leurs enfants25.

L’apprentissage à distance pendant la pandémie de COVID-19 : une leçon difficile?

La gestion de l’école virtuelle à la maison s’est avérée un défi pour de nombreuses familles et quantité d’enseignants partout au Canada. On a décrit cet apprentissage en ligne imposé par la pandémie comme la plus importante expérience d’apprentissage à distance de l’histoire26. À la suite de la fermeture soudaine des écoles, les enseignants ont dû adapter leur façon d’enseigner avec peu de formation et de ressources.

Plus de la moitié (51 %) des jeunes ont affirmé que la pandémie a eu un effet très négatif sur leur année ou leur réussite scolaire27. Seulement 27 % ont répondu qu’ils sont entièrement d’accord et 43 %, partiellement d’accord, avec l’énoncé indiquant qu’ils accomplissent bien leurs travaux scolaires à la maison.

Environ 41 % des 12 à 17 ans ont confié que l’école leur manquait « beaucoup » et 31 %, « un peu ». Parmi les nombreux défis de l’apprentissage à distance, citons la perte de contacts avec les amis, l’école et les ressources scolaires, le manque de motivation, la gestion du temps et l’organisation en ligne28. Bien que 75 % des jeunes soutiennent qu’ils ont gardé le cap sur leurs études pendant le confinement, quantité d’autres se sentaient démotivés (60 %) et n’aimaient pas la façon de faire (57 %) (p. ex., l’apprentissage en ligne et les classes virtuelles)29.

L’apprentissage à distance nécessite un accès à Internet, et si l’Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet de 2018 a révélé que 94 % des Canadiens disposaient d’un tel accès à domicile, il existe néanmoins des inégalités dans la capacité des élèves à participer activement à l’éducation en ligne. Quelques raisons invoquées par ceux qui n’avaient pas accès à Internet : le caractère abordable du service (28 %), l’équipement (19 %) et la non-disponibilité du service (8 %)30.

Bien qu’environ 8 jeunes sur 10 ont déclaré avoir toujours assez d’argent pour subvenir à leurs besoins essentiels, comme l’alimentation, les vêtements, les soins de santé et le logement31, répondre aux besoins fondamentaux et accéder à un endroit confortable pour étudier pendant la pandémie peut être encore plus difficile pour les jeunes et les familles à faible revenu ou qui viennent de perdre leur emploi et leur revenu. En outre, les fermetures d’écoles peuvent avoir des répercussions sur la sécurité alimentaire, car certains programmes de repas scolaires ont été conçus pour atténuer l’insécurité alimentaire des élèves issus de familles à faible revenu32.

Le suivi à long terme des effets de la COVID-19 est important pour le bien-être des jeunes

Sans école, sans activités parascolaires, sans autres occasions de voir leurs pairs, les jeunes perdent un temps précieux pour socialiser avec leurs amis, leurs camarades de classe, leurs enseignants, leurs entraîneurs et d’autres professionnels, alors que toutes ces relations pourraient être fondamentales pour leur parcours scolaire et le développement de leur personnalité. Bien que les médias sociaux, les textos, les appels téléphoniques et autres technologies de communication ont certainement permis d’atténuer quelque peu ce manque de contacts, la santé mentale des jeunes au Canada a été grandement affectée pendant la pandémie.

Des études antérieures sur les répercussions des interruptions scolaires, comme les grèves d’enseignants et les fermetures d’écoles pendant la pandémie de polio de 1916, ont cerné les effets négatifs à court et à long termes sur le développement scolaire et l’acquisition de connaissances33, 34, 35. Une étude récente concernant les répercussions potentielles de la pandémie sur l’éducation des jeunes au Canada a souligné que les effets négatifs pourraient accroître l’écart en termes de compétences socioéconomiques de 30 %, rien de moins36. Pendant que les autorités provinciales et les conseils scolaires étudient la manière de procéder pour rouvrir les écoles de manière sûre afin de limiter la propagation de la COVID-1937, il sera important de faire preuve d’innovation pour adapter notre système d’éducation et ainsi éviter ou atténuer les écarts en matière de rendement scolaire, dès aujourd’hui et dans les années à venir.

Edward Ng, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Erin Duffin, « Enrollment in Public Elementary and Secondary Schools in Canada in 2017/18, by Province » dans Statista (29 octobre 2019). Lien : https://bit.ly/311SjPn
  2. UNICEF Canada, U-Report Canada: Impacts of the COVID-19 Pandemic on Young People in Canada – Poll 2: Examining the Issues (mai 2020). Lien : https://bit.ly/2YuMCcr (PDF)
  3. Shqiponja Telhaj, « Do Social Interactions in the Classroom Improve Academic Attainment? » dans IZA World of Labor (juin 2018). Lien : https://bit.ly/3hPqGzR
  4. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne (21 mai 2020). Lien : https://bit.ly/31oB8sA (PDF). Le Réseau COVID-19 sur les impacts sociaux de l’Association d’études canadiennes, en partenariat avec Expériences Canada et l’Institut Vanier de la famille, a mené un sondage Web national sur la COVID-19 auprès de la population des 12 à 17 ans au Canada du 29 avril au 5 mai 2020. Au total, 1 191 réponses ont été reçues, et la marge d’erreur probabiliste était de ±3 %.
  5. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 1er au 3 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 526 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  6. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  7. Ibidem
  8. Monica Anderson et Jingjing Jiang, « Teens, Social Media & Technology 2018 » dans Pew Research Center (31 mai 2018). Lien : https://pewrsr.ch/30aWglE (PDF)
  9. Wesley Sanders, et autres. « Parental Perceptions of Technology and Technology-Focused Parenting: Associations with Youth Screen Time » dans Journal of Applied Developmental Psychology (mai-juin 2016). Lien : https://bit.ly/30gsCeV
  10. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur les familles et les enfants canadiens » dans Le Quotidien (9 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/3liSn6u
  11. Daniel Kardefelt-Winther, How Does the Time Children Spend Using Digital Technology Impact Their Mental Well-Being, Social Relationships and Physical Activity? An Evidence-Focused Literature Review, UNICEF (décembre 2017). Lien : https://bit.ly/33b3TKQ (PDF)
  12. OCDE, « Children & Young People’s Mental Health in the Digital Age » (2018). Lien : https://bit.ly/3jXBFcg (PDF)
  13. Leanne Findley, « Dépression et idéation suicidaire chez les Canadiens de 15 à 24 ans » dans Rapports sur la santé, no 82-003-X au catalogue de Statistique Canada, vol. 28, no 1, 3-11 (18 janvier 2017). Lien : https://bit.ly/3hre1mN
  14. Statistique Canada, « Comprendre l’état de santé mentale perçu des Canadiens avant la pandémie de COVID-19 » dans Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, 2019 (6 août 2020). Lien : https://bit.ly/3hmrWdX
  15. Statistique Canada, « Les principales causes de décès, population totale, selon le groupe d’âge », tableau 13-10-0394-01 (consulté le 13 août 2020). Lien : https://bit.ly/2QphM0l
  16. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  17. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 1er au 3 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 526 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  18. Robert Cribb, « Youth Mental Health Deteriorating Under Pandemic Stresses, New CAMH Study Reveals » dans The Star (28 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3ikLMaf
  19. Jeff Semple, « Kids Help Phone Calls for Back Up Amid Record Demand – and Canadians Respond » dans Global News (28 juin 2020). Lien : https://bit.ly/3gbeDMr
  20. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  21. Ibidem
  22. Ibidem
  23. Angus Reid Institute, Kids & COVID-19: Canadian Children Are Done with School from Home, Fear Falling Behind, and Miss Their Friends (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3kVRReK
  24. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  25. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur les familles et les enfants canadiens » dans Le Quotidien (9 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/3liSn6u
  26. Paul W. Bennett, « This Grand Distance-Learning Experiment’s Lessons Go Well Beyond What the Students Are Learning » dans CBC News (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/33bNEgo
  27. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  28. UNICEF Canada, U-Report Canada: Impacts of the COVID-19 Pandemic on Young People in Canada – Poll 2: Examining the Issues (mai 2020). Lien : https://bit.ly/2YuMCcr (PDF)
  29. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  30. Statistique Canada, « Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet » dans Le Quotidien (29 octobre 2019). Lien : https://bit.ly/2EtokZ4
  31. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  32. Canadian Medical Association Journal, « Indirect Adverse Effects of COVID-19 on Children and Youth’s Mental, Physical Health » dans EurekAlert (25 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2BWMvOr
  33. Michael Baker, « Industrial Actions in Schools: Strikes and Student Achievement » dans Canadian Journal of Economics (mars 2011). Lien : https://bit.ly/3gaona6
  34. Michèle Belot et Dinand Webbink, « Do Teacher Strikes Harm Educational Attainment of Students? » dans Labour Economics, vol. 24, no 4, p. 391-406 (2010). Lien : https://bit.ly/3aYuJI3
  35. Keith Meyers et Melissa A. Thomasson, « Paralyzed by Panic: Measuring the Effect of School Closures During the 1916 Polio Pandemic on Educational Attainment » dans NBER Working Paper Series 23890 (septembre 2017). Lien : https://bit.ly/3hSzswU (PDF)
  36. Catherine Haeck et Pierre Lefebvre, « Pandemic School Closures May Increase Inequality in Test Scores » dans Série de cahiers de recherche du Groupe de recherche sur le capital humain (juin 2020). Lien : https://bit.ly/30elgbN (PDF)
  37. Carly Weeks, « Rising Rates of COVID-19 in Children, Adolescents Spark Concerns About Back to School Plans » dans The Globe and Mail (23 juin 2020). Lien : https://tgam.ca/3hTmFuk

 

Entretien avec Katherine Arnup au sujet de la mort, de la fin de vie et de la dignité en période de COVID-19

Gaby Novoa

4 août 2020

En mai 2018, l’Institut Vanier publiait le document de Katherine Arnup, Ph. D., intitulé Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada1, qui examinait l’évolution de la mort et de la fin de vie au fil des générations, les souhaits et les réalités des familles entourant la mort et la fin de vie, le rôle des familles dans les soins de fin de vie et l’impact de ce rôle sur le bien-être de la famille.

Dans le cadre des discussions actuelles entourant la COVID-19 et le contexte postpandémie, nous nous sommes entretenus avec Mme Arnup afin de nous enquérir de ses perspectives à l’égard de certains thèmes abordés dans son rapport de 2018, et de l’impact de la pandémie sur les discussions entourant la mort et le processus de fin de vie au Canada.

Selon vous, quel a été l’impact de la COVID-19 sur les discussions et les attitudes relatives à la mort et à la fin de vie au sein des familles et chez les décideurs politiques au Canada.

À plusieurs égards, la mort occupe présentement une plus grande place sur la scène publique que ce n’était le cas avant la COVID-19, et ce, depuis le moment où l’on a révélé que le virus s’était répandu dans le monde entier, car plusieurs pays ont enregistré de nombreux décès avant que le virus ne frappe réellement ici. Les gens avaient conscience qu’il se passait un événement important en lien avec la mort.

Au Canada, on nous annonçait le nombre quotidien de décès, d’hospitalisations et de cas, comme si nous étions en temps de guerre. Ces données, accompagnées de diverses images de guerre, étaient presque impossibles à éviter, vraiment : je n’ai jamais rien vu de tel dans toute ma vie! Par exemple, si vous visitez le site Web de CBC, la première chose que vous voyez est le décompte actuel, ce qui vous tient au fait du nombre de personnes qui sont décédées. On ne peut pas y échapper, on nous le rappelle constamment. On se croirait « en guerre » contre un virus. Surtout au début, on avait l’impression qu’il pouvait se trouver n’importe où, que les gens près de nous pouvaient être porteurs, que nous pouvions l’attraper et qu’il pouvait nous tuer. On ressentait beaucoup de peur – la peur du virus et la peur de mourir.

Selon l’un des thèmes abordés dans le document Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada, les gens éprouvent de la peur à l’égard de la mort et de la fin de vie, et cette peur dissuade les familles d’avoir des discussions sérieuses à ce sujet. Croyez-vous que la pandémie ait amené les gens à réfléchir à la mort de façon plus approfondie, ou est-ce que l’anxiété et la peur ambiantes ont plutôt fait en sorte que l’on évite davantage de parler de la mort et de la fin de vie?

Je pencherais pour cette dernière réponse. Dans mon rapport, je parlais d’une sorte d’acceptation de la mort et de la planification de la mort. Mais il y a tellement d’incertitudes entourant la COVID, et elle a frappé tant de gens partout dans le monde, ce qui fait que le contexte est différent de tout ce que l’on a connu auparavant.

Je crois que l’un des groupes qui ont été les plus exposés à la COVID-19 et à la mort tout au long de la pandémie est celui des aînés et de leur famille. Il est vrai que le virus représente pour eux un risque plus important que pour tout autre groupe, bien qu’il y ait d’autres facteurs de vulnérabilité à considérer. Cependant, les personnes âgées, et plus particulièrement les octogénaires et les nonagénaires ainsi que les personnes souffrant de comorbidités, sont susceptibles de subir des effets déplorables et peut-être même de mourir après avoir contracté le coronavirus.

Cela a particulièrement été le cas dans les établissements de soins de longue durée. En Ontario, l’un des premiers établissements de soins de longue durée ayant ouvert les yeux du public sur la situation est celui de Bobcaygeon, une résidence où plusieurs décès ont été enregistrés sur une courte période. Globalement, les données les plus récentes à cet égard montrent que 81 % des décès au pays ont eu lieu dans le secteur des soins de longue durée, comparativement à la moyenne de 42 % dans les pays développés de l’OCDE2. Les chiffres sont beaucoup plus élevés au Canada, si bien que l’on a appelé « l’armée en renfort » en Ontario et au Québec, pour utiliser les métaphores militaires et de guerre. Dans ces résidences de soins de longue durée, l’armée a fait état de conditions particulièrement effroyables3.

Aujourd’hui, ma perception des résidences de soins de longue durée est vraiment différente de celle que j’en avais auparavant. Je crois que j’étais simplement comme la plupart des Canadiens, à savoir que je ne pensais pas à ces résidences si ce n’est qu’en me disant « J’espère que je ne me retrouverai jamais là! », et à mon sens, c’est très typique des Canadiens. C’est peut-être aussi le cas des gens dans d’autres pays, mais je ne peux parler qu’au nom des Canadiens, et cela correspond d’ailleurs à certaines choses que j’ai écrites, notamment dans le rapport de 2018 : nous voulons vivre éternellement, mais nous voulons demeurer forts, en bonne santé et autonomes – des valeurs essentielles pour nous.

Pour la plupart, nous n’avons pas envie de penser à ce que vivent les gens en soins de longue durée, c’est pourquoi nous ne nous étions pas intéressés aux conditions de vie qui règnent dans ces établissements – alors que certaines d’entre elles étaient déjà problématiques avant la pandémie. Par exemple, on retrouve souvent quatre personnes par chambre, le personnel travaille dans plusieurs résidences, en sous-effectif, et est très occupé à courir d’un patient à un autre, avant de se rendre dans une autre résidence. Ces conditions régnaient déjà dans plusieurs établissements, ce qui a créé un contexte favorable pour que la pandémie envahisse le secteur des soins de longue durée et en décime la population.

Je crois que la situation a permis d’ouvrir les yeux de ceux qui ont de la parenté dans les résidences de soins de longue durée. Ils avaient peut-être une petite idée des conditions que l’on y trouve, et certains étaient des aidants actifs dans ces résidences – c’est-à-dire qu’ils s’y rendaient pour prendre soin de leurs proches – alors que d’autres ne les visitaient presque jamais. Ma tante se trouvait dans une résidence de soins de longue durée située dans une petite ville à proximité de Bobcaygeon. Je lui ai rendu visite lorsqu’elle était en fin de vie, et je dois dire que j’ai été très impressionnée par cette résidence. Ma tante avait sa propre chambre et l’on voyait que le personnel s’occupait bien des patients, des résidents. Je ne crois pas que toutes les images négatives qui ont été véhiculées à cet égard s’appliquent à tous les soins de longue durée. Mais on a tendance à l’oublier.

Pat Armstrong, grande spécialiste des soins de la santé au Canada, a participé à une étude menée sur dix ans à propos des résidences de soins de longue durée4. Elle et son équipe rappellent aux gens que même si nous ne voulons pas y penser, plusieurs d’entre nous sont susceptibles de se retrouver en soins de longue durée, et ce, possiblement du jour au lendemain : un accident grave ou un AVC, une chute qui entraîne une perte d’autonomie, un diagnostic de démence… Tout cela pourrait faire en sorte que je me retrouve dans une résidence de soins de longue durée. Comme la plupart des gens, je n’en ai pas envie, mais nous avons tous tendance à croire que ce genre de situation n’arrive qu’aux autres et pas à nous. Je crois que la crise nous a fait prendre conscience que cela peut toucher n’importe qui – notre mère, notre père, nos frères et sœurs, nous-mêmes. Il suffit d’un seul changement dans notre vie – et un seul est nécessaire – pour que nous nous retrouvions également en soins de longue durée. Il s’agit d’un rappel que nous devons nous battre afin de réformer ces institutions et de modifier la façon dont les gens meurent.

Alors que je relisais la liste des souhaits et des présomptions abordés dans le rapport, je me suis rendu compte que deux d’entre eux étaient mis en évidence dans le rapport militaire : nous voulons mourir à la maison et nous voulons mourir dans la dignité. Or, la dignité des gens en fin de vie dans les résidences de soins de longue durée a de toute évidence été compromise. En fait, il n’y avait même aucune dignité dans la manière dont on prenait soin d’eux, en raison des conditions qui y régnaient. Il est également évident que les gens se retrouvent dans ces établissements parce que leur famille ne peut pas prendre soin d’eux. Ce n’est pas parce que la famille ne se soucie pas d’eux. C’est parce que les exigences de leur propre vie ainsi que l’absence de soins à domicile les rendent incapables de s’occuper à long terme d’un membre de la famille atteint de démence et qui présente de plus en plus de comportements difficiles, ou d’un membre de la famille qui nécessite des soins 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

De nombreux Canadiens supposent également qu’ils sont en mesure d’obtenir, pour eux-mêmes et leur famille, tous les soins à domicile dont ils ont besoin. Or, en raison de la pandémie, plusieurs personnes ont annulé les soins à domicile qui devaient leur être dispensés, surtout au début, parce qu’ils avaient peur de contracter la COVID‑19 auprès de leur prestataire de soins. Ces derniers, par la nature de leur travail, se rendent généralement dans plusieurs domiciles, ce qui fait d’eux de potentiels porteurs du virus dans de nombreux foyers. Cela signifie que non seulement il n’y a pas suffisamment de soins à domicile en général, mais dans le contexte de la COVID, les gens étaient même réticents à laisser ces prestataires de soins entrer chez eux.

En plus de constater les défis préexistants dans plusieurs résidences de soins de longue durée, certaines vulnérabilités et inégalités ont été amplifiées par la pandémie. Avez-vous un quelconque espoir que les conditions des soins de longue durée soient maintenant mieux connues du public?  

Je ressens le besoin de parler des résidences de soins de longue durée, et de faire pression sur les gouvernements afin qu’ils apportent des changements qui auront un impact énorme, comme des normes fédérales, ou l’inclusion des soins aux aînés dans la Loi canadienne sur la santé, de sorte que ce domaine devienne une responsabilité partagée entre les divers paliers de gouvernements.

Je pense que la crise a vraiment mobilisé les familles, qui ont constaté les lacunes ainsi que certaines raisons pour lesquelles les conditions sont aussi défavorables. La situation s’explique en partie par les résidences à but lucratif, qui enregistrent un nombre de décès plus élevé, mais aussi par le manque d’inspections et d’application des dispositions de la loi. Maintenant que la situation a été tragiquement portée à l’attention du public, je crois que nous pouvons espérer voir une amélioration, et j’espère que plusieurs ont pris conscience que cette situation pourrait les toucher, qu’il pourrait s’agir de leur famille.

Les personnes dont les enfants gravement handicapés vivent dans des logements de soins collectifs sont aussi confrontées aux mêmes problèmes, à savoir que leurs enfants ne peuvent pas être entourés de leur famille, car celle-ci n’est toujours pas autorisée dans ces résidences. Je vois de plus en plus de discussions sur les familles qui agissent comme proches aidants, afin qu’elles soient reconnues à titre d’aidants et non seulement comme visiteurs, comme c’est le cas présentement. L’Institut Vanier a d’ailleurs soulevé cette question. J’ai travaillé avec la Change Foundation à ce sujet, et il y a d’autres organismes qui ont fait des progrès dans ce domaine. Je suis donc optimiste et j’ai espoir que soient reconnus le rôle et l’importance des aidants dans la santé et le bien-être de ceux qui bénéficient de soins.

Par ailleurs, il semble y avoir plus d’ouverture par rapport à la tenue de discussions sur les directives préalables en matière de soins. Même si les gens ne parlent pas encore de ces questions, je crois que si un membre de leur famille contractait la COVID, ils prendraient conscience que nous ne savons pas toujours ce que les membres de notre famille souhaitent. Même si le sujet de la mort n’a pas été abordé de la meilleure façon qui soit, je crois qu’il ouvre des perspectives à ceux d’entre nous qui font valoir l’importance des soins anticipés. Il ouvre une porte de discussion permettant de démontrer aux gens qu’il s’agit d’une préoccupation réelle. Nous ne savons jamais à quel moment quelque chose peut nous arriver, et quelque chose va se produire. Il est important de savoir ce que chacun de nos proches désire. Nos enfants doivent savoir ce que nous voulons – je crois que la pandémie ouvre la porte à cela.

Je suis en train d’écrire et de réaliser des vidéos dans lesquelles je compte encourager les gens à discuter avec les membres de leur famille (si ce n’est déjà fait) de ce qu’ils souhaitent et des directives préalables qu’ils envisagent en matière de soins, parce que c’est un sujet vraiment important. Les membres de la famille ne devraient pas être contraints de dire « Je n’ai aucune idée de ce que maman voudrait »; c’est une erreur que l’on peut éviter.

Je me sens optimiste à ce sujet, et l’optimisme est une denrée rare en contexte de pandémie. Je suis optimiste quant au fait que nous sommes tous dans le même bateau, depuis le début de la pandémie. Notre premier ministre a insisté sur cette idée tous les jours dans ses discours, et d’autres l’ont fait aussi. Je crois qu’il y a eu un important mouvement favorisant la création d’un sentiment de communauté et d’entraide. Je l’ai observé dans mon propre voisinage – des personnes qui ne se parlaient jamais auparavant prennent des nouvelles les unes des autres. Lorsque nous sortons marcher, les gens nous demandent si nous allons bien et l’on voit qu’ils sont sincères. Je crois que c’est un impact étrangement positif de la pandémie. J’espère qu’il durera, que les gens continueront de rendre service à leurs voisins âgés et qu’ils seront plus ouverts à ceux qui pourraient avoir besoin d’aide dans leur rue. Tout ce qui renforce le sentiment d’appartenance à la communauté est, à mon sens, une excellente chose.

Vous abordez ce point dans votre vidéo « Expanding Our ‘Bubbles’ »5, à savoir que nous nous sentons rassurés à plusieurs égards par l’impression de vivre cette situation tous ensemble, même si vous ajoutez aussi qu’il est de plus en plus apparent que nous ne sommes pas tous dans le même bateau. Peut-être vivons-nous tous cette situation, mais notre façon de la vivre varie grandement, ne serait-ce que par le risque accru auquel sont exposées les personnes âgées et d’autres groupes6. Pourriez-vous préciser votre pensée?

Lorsque l’on examine la répartition des régions qui demeurent encore sensibles à la COVID, on constate qu’il s’agit d’endroits où l’on retrouve des gens qui vivent dans la pauvreté, des personnes de couleur, des personnes qui occupent des emplois à haut risque dans le secteur de la santé et des services, ainsi que des personnes qui vivent en cohabitation en grands groupes, peut-être parce qu’elles ne peuvent pas se permettre de vivre autrement. Les éclosions importantes parmi les travailleurs migrants employés en agriculture et les travailleurs des usines de transformation des aliments démontrent également l’impact des inégalités de notre société sur la vulnérabilité des gens face à la pandémie.

L’incapacité des familles à organiser des funérailles, des veillées funèbres, des services ou des célébrations de la vie pendant la pandémie est un autre exemple qui démontre que les gens ne sont pas tous dans le même bateau. Je crois que les personnes qui ne sont pas en mesure de souligner le décès d’un proche avec leurs amis et leur famille sont très affectées par cette situation. De nombreuses familles n’ont pas pu tenir de service, quel qu’il soit, n’ont pas pu s’étreindre, n’ont pas pu se rassembler autrement qu’en petits groupes. Je me demande seulement ce qu’il advient de tous ces deuils.

Plusieurs personnes sont décédées seules. Les personnes qui se trouvaient dans les établissements de soins de longue durée et dans les hôpitaux sont décédées seules. Personne ne souhaite que cela arrive. Personne ne veut que leurs proches vivent cela, et nous ne voulons pas que cela nous arrive à nous. Il s’agit d’un principe important des soins palliatifs : que personne ne meure seul. Le fait que cette situation soit arrivée à grande échelle aux familles qui ont été laissées derrière engendre un chagrin énorme et un profond sentiment de culpabilité, qui se traduit en mots par « Je n’ai pas pu être là pour maman » ou « Je n’ai pas pu être aux côtés de maman à la fin de sa vie ». C’est un sentiment déchirant. Je ne sais pas comment les gens surmonteront cela; ils vont devoir tenter de refouler ces sentiments afin de les oublier. Je repense à toutes ces notices nécrologiques indiquant « En raison des circonstances, les cérémonies auront lieu à une date ultérieure ». Il m’est difficile d’imaginer toutes ces cérémonies, les endroits où elles auront lieu et si elles offriront le soutien dont les gens ont besoin pour faire leur deuil. C’est assurément la première fois que je suis témoin d’une telle situation dans ma vie.

Qu’est-ce qui vous permet de croire en un avenir meilleur? 

Je songe à ces questions : que souhaitons-nous pour l’heure de notre mort? Mais aussi que souhaitons-nous en vieillissant? De quoi avons-nous besoin pour nous soutenir dans ce cheminement? Comment composons-nous, en général, avec le vieillissement et la démence? Qu’espérons-nous? Comment pouvons-nous créer des lieux qui se distinguent vraiment des résidences de soins de longue durée? Comment pouvons-nous faire en sorte de concrétiser ce type de milieu?

Katherine Arnup, Ph. D., est rédactrice, conférencière et accompagnatrice en développement personnel, ainsi que professeure à la retraite de l’Université Carleton. Auteure de Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada (ainsi que de nombreux ouvrages, dont « I Don’t Have Time for This! : A Compassionate Guide to Caring for Your Parents and Yourself and Education for Motherhood »), elle a été la première à s’intéresser aux réalités familiales et a offert sa perspective unique sur la vie de famille tout au long de sa carrière.

Gaby Novoa est responsable des communications à l’Institut Vanier de la famille.

Cet entretien a été révisé afin d’atteindre une longueur, une fluidité et une clarté optimales.


Notes

  1. Katherine Arnup, Ph. D., Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada, L’Institut Vanier de la famille (mai 2018).
  2. Institut canadien d’information sur la santé, « La pandémie dans le secteur des soins de longue durée : Où se situe le Canada par rapport aux autres pays? » dans ICIS (25 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2PmrsYO
  3. Forces armées canadiennes, « Op LASER – JTFC Observations in Long Term Care Facilities in Ontario » dans CAF (20 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2CJPnit
  4. Pat Armstrong est une éminente professeure de recherche en sociologie à l’Université York ainsi que membre de la Société royale du Canada. Lien : https://bit.ly/3g3XSDn
  5. Katherine Arnup, « Expanding Our “Bubbles” » (YouTube). Lien : https://bit.ly/2X15sqE
  6. Dans le document intitulé Perspectives familiales : La mort et le processus de fin de vie au Canada, Katherine Arnup écrit que les expériences liées à la mort et à la fin de vie sont tributaires de divers facteurs comme le genre, la race, le rang social, l’ethnie, la géographie, la marginalité, les capacités, l’identité sexuelle et l’identité de genre, l’état matrimonial ainsi que le statut d’Autochtone, de Première Nation, d’Inuit ou de Métis.

 

Entretien avec Lucy Gallo à propos de l’accès, de l’adaptation et de la résilience chez les jeunes LGBTQI2S

Gaby Novoa

29 juin 2020

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Le bien-être financier, physique et mental des communautés LGBTQI2S au Canada a été affecté de façon disproportionnée par la pandémie de COVID-19. Une enquête nationale a révélé que 42 % des membres de la communauté LGBTQI2S ont signalé que la crise avait eu des effets importants sur leur santé mentale, contre 30 % des personnes non LGBTQI2S.

Le 23 juin 2020, nous avons communiqué avec Lucy Gallo, directrice des Services à la jeunesse et au logement de Friends of Ruby, pour découvrir comment les jeunes LGBTQI2S de Toronto ont vécu les derniers mois et de quelle façon son organisme s’est adapté pour continuer à servir et à soutenir ces jeunes.


Parlez-nous de la façon dont Friends of Ruby s’est adapté et a réagi tout au long de la pandémie de COVID-19 pour continuer à servir et à soutenir les jeunes LGBTQI2S.

Nous avons fermé notre espace d’accueil un vendredi, et le lundi suivant, nos conseillers étaient au téléphone pour communiquer avec nos jeunes – ils ont immédiatement assuré les services et les soins requis. Les conseillers ont rapidement adopté l’Internet pour offrir des séances téléphoniques et vidéo, ce qui les tient encore très occupés d’ailleurs, et nous sommes ravis d’avoir lancé un programme de counseling par clavardage. Tous les membres du personnel sont maintenant entièrement formés pour offrir également des services de counseling par clavardage.

Nous avons découvert qu’il y avait des jeunes qui vivaient toujours avec leur famille, à qui certains n’ont pas encore annoncé leur identité sexuelle, et qu’ils ne disposaient pas d’un espace privé pour avoir accès à du counseling téléphonique. Cette option de clavardage leur donne maintenant la possibilité d’accéder à du soutien, tandis que leurs parents croient qu’ils envoient simplement des textos à un ami. C’est un procédé que nous avons toujours souhaité élaborer, mais que nous n’avions jamais entrepris faute de ressources. La pandémie de COVID-19 a donc accéléré les choses et nous a obligés à agir sans attendre. J’ai rapidement organisé la formation des membres du personnel en deux demi-journées et ils peuvent continuellement recevoir de l’aide d’une personne expérimentée en counseling par clavardage.

Comme notre espace d’accueil n’était pas disponible pour les jeunes que nous accompagnons, l’un des thèmes qui ont été soulevés lors de nos conversations avec eux au début de la pandémie était la difficulté d’accéder à de la nourriture. Nous avons répondu en offrant des cartes-cadeaux, et avons également été en mesure d’envoyer des repas en partenariat avec un autre organisme, ce qui nous a permis de livrer deux repas par semaine à certains de nos jeunes.

En nous adaptant à la pandémie, nous avons également essayé d’organiser quotidiennement des groupes virtuels afin de permettre aux jeunes de continuer d’avoir accès à notre organisme au maximum. Cela nous a donné l’occasion de réunir les gens en ligne, de sympathiser et de partager leur quotidien. Notre groupe de discussion pour les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) a été précieux, compte tenu de l’ampleur du racisme et de ce qui se passe actuellement dans le monde. Ce fut une période difficile pour les jeunes Noirs. Lorsque Toronto, au début de la pandémie, a commencé à annoncer qu’on allait demander aux gens qui sortaient de fournir des documents d’identité et qu’il était possible de dénoncer les autres, beaucoup de jeunes appartenant aux PANDC ne voulaient pas se rendre au centre de peur de subir davantage de racisme. Nous avons également ajouté des heures d’utilisation supplémentaires, en particulier avec notre personnel noir, afin de soutenir nos jeunes Noirs.

Parmi les autres programmes que nous avons continué d’offrir, mentionnons notre groupe d’art-thérapie, les séances virtuelles de l’espace d’accueil, les jeux vidéo et « art for change » (l’art comme moteur de changement). De plus, avec le soutien du Centre for Mindfulness Studies, deux de nos conseillers ont dirigé avec succès un groupe axé sur les compétences reliées à la pleine conscience en vue de faire face au stress et à l’anxiété (Mindfulness-Based Skills for Coping with Stress and Anxiety).

Nous avons également commencé à offrir du soutien en personne et des possibilités d’interaction. Nous avons de nouveau ouvert l’espace d’accueil, amorçant notre propre version de la « phase 2 ». Nous fournissons des produits essentiels que les gens peuvent venir chercher comme des repas à emporter, des trousses de réduction des risques, des trousses d’hygiène menstruelle et plus encore. Ils peuvent maintenant accéder à la gestion de cas en personne – nous avons ouvert une salle disposant de suffisamment de distance – et de plexiglas – et avons aménagé l’espace de telle façon qu’elle pourrait dès maintenant recevoir au moins six personnes. Nous avons également pensé que si un jeune ne pouvait pas joindre son conseiller depuis son domicile ou s’il ne voulait pas discuter en ligne, il pourrait venir dans cette salle et avoir l’intimité nécessaire pour communiquer virtuellement avec son conseiller.

Bon nombre des services que nous avons élaborés ou améliorés au cours des derniers mois seront également offerts après la pandémie. L’objectif est d’offrir ces nouvelles modalités à tous nos jeunes tout comme aux jeunes de partout au Canada qui désirent utiliser nos services de counseling ou communiquer avec nous en ligne.

Parlez-nous des thèmes communs que vous avez rencontrés pendant la pandémie chez les jeunes LGBTQI2S que vous accompagnez.

Je pense que le sentiment de solitude est un thème qui s’impose. Le fait de ne pouvoir accéder à nos locaux a créé beaucoup d’anxiété au début quant à la signification de tout ce phénomène. Comment cela affecte-t-il tout un chacun? Ne plus pouvoir compter sur notre habituelle communauté a été difficile, surtout pour les jeunes qui avaient l’impression de ne pas avoir l’intimité, l’espace ou la sécurité nécessaires à la maison avec leur famille.

Parlez-nous de certaines des leçons que vous avez apprises en adaptant Friends of Ruby afin de continuer d’accompagner les jeunes. Y a-t-il eu des surprises ou des prises de conscience?

Une chose intéressante, et je vais l’utiliser comme exemple parmi tant d’autres, c’est que si une personne a des idées suicidaires et qu’elle se trouve avec vous dans un local, vous pouvez évaluer la situation et, avec un peu de chance, la désamorcer, car cette personne se trouve en sécurité près de vous. Mais ce que j’ai constaté, c’est que lorsqu’on est en ligne et qu’on ne sait pas où se trouve la personne, comment peut-on lui procurer un sentiment de sécurité?

Nous avons dû créer rapidement des documents, puis demander aux jeunes de les lire et d’accepter de fournir des renseignements sur l’endroit où ils se trouvent, comme leur adresse et le moyen de communiquer avec eux si la ligne devait couper. Ce protocole s’applique également dans de nombreux cas. Lorsque nous dirigeons nos groupes thérapeutiques virtuels, comment savoir, lorsqu’une ligne se déconnecte, s’il s’agissait d’une déconnexion accidentelle et que la personne n’est pas contrariée, ou si elle n’a pas délibérément interrompu l’appel à cause d’un aspect du groupe qui l’a bouleversée? Ce sont là quelques-unes de nos prises de conscience. Lorsque la personne se trouve devant nous, la façon de travailler est tellement différente. Ce sont quelques-uns des moyens que nous avons dû adopter et instaurer pour la sécurité de tous.

Parlez-nous des expériences uniques ou des histoires d’adaptation ou de résilience des jeunes que vous accompagnez.

Il y a eu une résilience incroyable parmi nos jeunes à travers tout cela. Les gens que nous avons eu de la difficulté à suivre sont nos jeunes de passage, parce qu’ils n’avaient pas de coordonnées pour nous permettre de les joindre lorsque nous avons fermé nos portes. Puisqu’ils viennent généralement nous voir juste en passant, notre fermeture a complexifié nos contacts, même si quelques-uns sont passés nous saluer et nous dire qu’ils se débrouillaient très bien. Évidemment, nous n’avons pas pu voir tout le monde, mais les gens que nous avons vus ont fait preuve de beaucoup de résilience et d’adaptation.

Les conseillers nous ont dit que plusieurs jeunes n’étaient pas certains de vouloir faire du counseling en ligne. Cependant, une personne qui a continué de travailler pendant la pandémie a déclaré qu’elle appréciait réellement cette option, car elle pouvait suivre un programme de counseling sans avoir à se déplacer entre son lieu de travail et le centre. Cela facilite l’accès au counseling pour certains.

Qu’espérez-vous ou qu’envisagez-vous pour les mois à venir?

À l’heure actuelle, nous prévoyons ouvrir davantage l’espace d’accueil, à mesure que la Ville ouvrira de nouveaux espaces. L’objectif est de permettre à plus de gens de venir sur place et, espérons-le, de favoriser un plus grand sentiment communautaire. Chaque conseiller compte deux ou trois personnes qui attendent une consultation en personne. Nous envisageons de faire venir ces conseillers afin qu’ils puissent voir les personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas faire de counseling en ligne. Pour le groupe de discussion des PANDC, nous envisageons de l’animer virtuellement, mais aussi en personne.

Pendant ce temps, les gens pourraient venir sur place pour faire partie du groupe, tandis que d’autres seraient aussi connectés virtuellement : nous pourrions ainsi répondre aux besoins des gens à la fois hors ligne et en ligne. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous envisageons de lancer une autre session de groupe sur les compétences reliées à la pleine conscience en vue de faire face au stress et à l’anxiété vers la mi-juillet, si possible. Au cours des prochaines semaines, le personnel continuera de discuter des moyens d’étendre nos services, et nous continuerons d’offrir des repas à emporter ainsi que de la gestion de cas, tant en personne que virtuellement.

Communiquez avec Friends of Ruby sur les médias sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, LinkedIn) pour suivre l’évolution de leur offre de services et de programmes.

Gaby Novoa, Centre de connaissances sur les familles au Canada, Institut Vanier de la famille

Cet entretien a été révisé afin d’atteindre une longueur, une fluidité et une clarté optimales.

 

Les finances familiales et la santé mentale pendant la pandémie de COVID‑19

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

26 mai 2020

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En mars 2020, la pandémie de coronavirus a entraîné l’interruption soudaine des activités socioéconomiques dans l’ensemble du Canada, les données montrant d’importantes répercussions sur l’activité du marché du travail. Selon de récentes estimations de Statistique Canada, le nombre de Canadiens ayant un emploi en mars s’élevait à un million de moins qu’en février, ce qui a affecté la participation habituelle au marché du travail de 3,1 millions de Canadiens (c.-à-d. qu’ils ont travaillé moins d’heures ou perdu leur emploi)1.

D’après des données recueillies lors d’un sondage mené du 10 au 12 avril 2020 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes (AEC) et la firme Léger2, 38 % des hommes et 34 % des femmes de 18 ans et plus ont déclaré avoir perdu leur emploi de façon temporaire ou permanente ou avoir subi des pertes de salaire ou de revenus en raison de la pandémie de COVID‑19. Dans ce contexte, 27 % des hommes et 25 % des femmes ont dit subir des conséquences financières négatives (affectant leur capacité à payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures).

C’est sans surprise que Statistique Canada a récemment constaté que les adultes ayant subi des répercussions importantes ou modérées de la pandémie étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer une santé mentale passable ou faible que ceux qui ont été moins touchés (25 % et 13 %, respectivement)3.

Les données recueillies à la mi-avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger montrent que les plus jeunes adultes ont été particulièrement touchés : plus de la moitié (52 %) des 18 à 34 ans ont déclaré avoir subi des répercussions négatives sur leur participation au marché du travail (pertes d’emploi, de salaire ou de revenus), par rapport à 39 % des adultes de 35 à 54 ans et à 21 % des 55 ans et plus. Cette situation se reflète également dans la proportion d’adultes ayant subi des conséquences financières négatives immédiates, qui ont été signalées par 33 % des adultes de moins de 55 ans et 15 % des 55 ans et plus.

Les adultes en difficulté financière sont plus susceptibles de signaler des problèmes de santé mentale

Parmi la population en âge de travailler (de 18 à 54 ans), un peu plus de la moitié a indiqué éprouver souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (53 %), de l’irritabilité (49 %) ou de la tristesse (48 %) pendant la pandémie de COVID‑19, selon le sondage mené par l’Institut Vanier, l’AEC et la firme Léger. Quatre personnes sur 10 ont affirmé avoir souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (40 %) ainsi que des sautes d’humeur (40 %).

Parmi les personnes ayant essuyé des conséquences négatives immédiates, comme l’incapacité de payer le loyer, l’hypothèque ou les factures, environ 6 sur 10 ont dit avoir ressenti souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (63 %), de l’irritabilité (60 %) ou de la tristesse (57 %), alors que la moitié a indiqué avoir eu souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (50 %) ou des sautes d’humeur (52 %) (figure 1).

Les femmes en difficulté financière souffrent de problèmes de santé mentale dans des proportions plus élevées que les hommes

D’après l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2018, les femmes étaient légèrement moins susceptibles que les hommes de signaler avoir une santé mentale excellente ou bonne (66 % et 71 %, respectivement)4. Pendant la pandémie de coronavirus, toutefois, Statistique Canada a constaté que la différence était beaucoup plus marquée, avec 49 % des femmes et 60 % des hommes ayant une bonne ou une excellente santé mentale5.

Les données du sondage de l’Institut Vanier, de l’AEC et de la firme Léger montrent que les femmes de 18 à 54 ans déclarant connaître souvent ou très souvent des problèmes spécifiques de santé mentale sont représentées dans des proportions beaucoup plus grandes que les hommes du même groupe d’âge. Environ 6 femmes sur 10 ont indiqué ressentir souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité, de l’irritabilité ou de la tristesse, comparativement à 4 hommes sur 10. De même, environ la moitié des femmes ont eu souvent ou très souvent de la difficulté à dormir ou des sautes d’humeur, par rapport à 3 hommes sur 10 (figure 1).

Cette différence entre les sexes à l’égard des problèmes de santé mentale déclarés est maintenue même lorsque l’on compare les proportions d’hommes et de femmes ayant subi des conséquences financières négatives immédiates et les proportions de ceux qui n’en ont pas subi. Par exemple, les trois quarts des femmes (76 %), par rapport à la moitié des hommes (51 %), qui ont eu de la difficulté à payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures ont dit ressentir souvent ou très souvent de la nervosité ou de l’anxiété. Près de 7 femmes sur 10 ayant des difficultés financières éprouvent de l’irritabilité (67 %) ou de la tristesse (67 %), comparativement à environ la moitié des hommes vivant la même situation (53 % et 48 %, respectivement) (figure 1).

Environ 6 femmes sur 10 ayant des difficultés financières disent avoir souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (55 %) et des sautes d’humeur (62 %), par rapport à 4 hommes sur 10 vivant la même situation (45 % et 42 %, respectivement) (figure 1).

Les adultes ayant des difficultés financières, qu’ils vivent ou non avec de jeunes enfants, signalent des problèmes de santé mentale semblables

Si les femmes sont beaucoup moins susceptibles que les hommes de déclarer une santé mentale positive pendant la pandémie, même en tenant compte des répercussions financières, quels facteurs peuvent entrer en jeu dans l’établissement de ces différences entre les sexes? Ces problèmes de santé mentale peuvent-ils être associés aux responsabilités familiales?

Une analyse des données recueillies du 10 au 12 avril 2020 indique que la présence d’enfants à la maison ne semble pas associée à l’aggravation des symptômes d’une mauvaise santé mentale. Les femmes vivant avec des enfants de 12 ans et moins au sein de leur ménage disent éprouver souvent et très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (69 %), de l’irritabilité (60 %), de la tristesse (59 %), de la difficulté à dormir (51 %) et avoir des sautes d’humeur (51 %) dans des proportions semblables à celles des femmes vivant sans enfant (63 %, 57 %, 60 %, 47 % et 48 %, respectivement). Les hommes vivant avec de jeunes enfants signalent également de tels problèmes dans des proportions semblables à celles des hommes vivant sans enfant (figure 2).

Parmi les femmes en difficulté financière, on observe peu de différences entre les proportions de celles déclarant l’un ou l’autre de ces problèmes de santé mentale, qu’elles aient ou non de jeunes enfants au sein du ménage. Cela est également le cas pour les femmes qui n’ont pas subi de conséquences financières négatives immédiates : la cohabitation dans le ménage avec des enfants de 12 ans et moins ne semble pas changer les choses (figure 2).

L’analyse de l’état de santé mentale autodéclaré démontre la persistance de certaines différences selon le sexe lorsque l’on tient compte de la province de résidence, de l’âge, de la difficulté financière, de la perte d’emploi ou de salaire, de la présence d’enfants de 12 ans et moins, du revenu du ménage, de l’état matrimonial et du niveau de scolarité. En contrôlant ces variables et en les comparant à celles des hommes qui sont en difficulté financière, les femmes en difficulté financière sont environ deux fois plus susceptibles de souffrir d’anxiété, de tristesse ou de sautes d’humeur. Parmi les adultes n’ayant pas subi de conséquences financières négatives, on n’observe aucune différence marquée entre les hommes et les femmes à l’égard de la santé mentale, une fois ces facteurs contrôlés.

Cette analyse n’a pas permis d’identifier les raisons potentielles expliquant pourquoi les femmes sont plus susceptibles que les hommes de signaler des symptômes de mauvaise santé mentale, mais les recherches futures pourraient se concentrer sur les différences psychologiques qui existent entre les femmes et les hommes lors d’une situation de crise, afin de déterminer si oui ou non les femmes et les hommes réagissent différemment dans une situation de crise ou devant une menace immédiate pour la santé ou le bien-être de leur famille ou d’eux-mêmes. Des recherches plus approfondies examinant l’impact des aspects sexospécifiques par rapport à la charge de travail et à la prestation de soins au sein du ménage, y compris la charge mentale associée à ces tâches non rémunérées, pourraient également contribuer à faire la lumière sur ces différences.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur le marché du travail canadien » dans Infographies (9 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3cQDBzj
  2. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril et du 24 au 26 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  3. Statistique Canada, « Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes 1 : Répercussions de la COVID‑19 sur la sécurité d’emploi et les finances personnelles, 2020 » dans Le Quotidien (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3e7yaMC
  4. Leanne Findlay et Rubab Arim, « Les Canadiens perçoivent leur santé mentale comme étant moins bonne pendant la pandémie de COVID-19 » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 45-28-0001 au catalogue de Statistique Canada (24 avril 2020). Lien : https://bit.ly/36l4Gs7
  5. Ibidem

 

Réflexions parentales sur l’avenir postpandémie au Canada

Nadine Badets

6 mai 2020

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Les restrictions relatives à la pandémie de COVID-19 ont transformé la vie des familles au Canada. En raison de la fermeture des écoles, des garderies, des restaurants et de plusieurs commerces, ainsi que des importantes pertes d’emplois et des nouvelles mesures favorisant le travail à domicile, plusieurs parents et enfants passent beaucoup plus de temps ensemble qu’auparavant.

Comment les familles conçoivent-elles la vie après la pandémie? Selon des données recueillies pendant six semaines par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, les familles ne sont pas prêtes à renvoyer leurs enfants à l’école cette année, mais les parents sont disposés à réintégrer leur milieu de travail après la pandémie. C’est ce qu’indiquent certains résultats de cette série de sondages en cours1.

La peur du coronavirus est plus forte chez les familles qui ont des enfants

Au 6 mai 2020, les enfants et les adolescents de 19 ans et moins représentaient une faible proportion des cas de COVID‑19 au Canada (5 %)2. Toutefois, près de 30 % des adultes vivant avec des enfants et des adolescents de moins de 18 ans craignent fortement qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID-19, comparativement à 22 % de ceux qui vivent sans enfant3 (figure 1).

Malgré cela, plus de la moitié des adultes vivant avec des enfants (56 %) affirment qu’ils appuieraient une politique gouvernementale visant à assouplir les restrictions de distanciation sociale (physique) pour toutes les personnes de moins de 65 ans, alors que 42 % des personnes vivant sans enfant appuieraient une telle politique.

La plupart des parents ne veulent pas que leurs enfants suivent des cours d’été pour rattraper le retard

Plus de 80 % des parents vivent avec leurs enfants pendant la pandémie, et 7 % partagent la garde de leurs enfants avec un parent vivant au sein d’un autre ménage. Six parents sur 10 (60 %) déclarent qu’ils discutent davantage avec leurs enfants actuellement qu’ils ne le faisaient avant le confinement. Les parents d’enfants d’âge scolaire explorent également le système éducatif avec leurs enfants en tant que nouveaux enseignants, tuteurs et aides aux devoirs. L’éducation à domicile est difficile pour plusieurs familles4, en plus de susciter des inquiétudes à l’égard du retard que prennent les élèves.

La plupart des provinces n’ont pas encore annoncé leur intention de rouvrir les écoles, et les trois territoires ont confirmé qu’ils comptaient maintenir les écoles fermées jusqu’en septembre. Toutefois, le Québec s’est engagé à rouvrir la plupart des écoles primaires le 11 mai et, en date du 29 avril 2020, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont prévu des dates d’ouverture provisoires plus près du mois de juin, mais leurs dates butoirs changent constamment5. Lorsqu’on les a interrogés à cet égard, les deux tiers (66 %) des parents ont affirmé que, même si les écoles au Canada ouvrent avant la fin de juin, ils préfèrent que leurs enfants ne retournent en classe qu’en septembre, plutôt que d’aller à l’école durant l’été (en juillet et en août) en vue de rattraper le temps perdu.

Plus de la moitié des parents sont disposés à retourner au travail, mais ils ne veulent pas utiliser les transports en commun

La pandémie de COVID-19 a engendré d’innombrables pertes d’emplois à l’échelle du pays6, et les parents vivant avec des enfants qui considèrent la crise sanitaire comme une « menace importante » pour leur emploi sont plus susceptibles d’affirmer se sentir tristes, anxieux ou nerveux, par rapport aux personnes vivant sans enfant7.

Parmi les personnes qui ont conservé leur emploi, celles qui vivent avec des enfants sont plus susceptibles de se déclarer satisfaites des mesures instaurées par leur employeur afin de réagir à la COVID‑19 (59 %) que les personnes sans enfant (37 %). Cet écart peut s’expliquer par le fait que la situation permet aux parents de travailler à domicile tout en s’occupant de leurs enfants, les garderies et les écoles étant fermées. Environ 55 % des adultes vivant avec des enfants déclarent travailler actuellement à domicile (figure 2). Les personnes vivant avec des enfants sont également plus susceptibles (54 %) que les personnes sans enfant (37 %) d’affirmer qu’elles seraient à l’aise de réintégrer leur milieu de travail une fois les restrictions liées à la COVID‑19 levées.

Cependant, plus de 60 % des parents ont affirmé qu’ils ne seraient pas à l’aise d’emprunter les transports en commun, et ce, même lorsque les restrictions liées à la COVID‑19 commenceront à être assouplies, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les déplacements lorsque les gens se rendront à leur lieu de travail (figure 3). Les adultes vivant avec des enfants sont plus susceptibles de dire qu’ils préféreraient se rendre au travail seulement lorsque c’est nécessaire (39 %) que les personnes sans enfant (27 %).

Les parents abandonnent leurs projets de vacances, la plupart ne voyageront pas en 2020

En plus d’exprimer leur malaise à l’égard des transports en commun, les parents ne se disent pas moins préoccupés par rapport aux voyages. Environ 6 adultes sur 10 (59 %) vivant avec des enfants ont indiqué avoir dû modifier leurs projets de vacances en raison de la pandémie de coronavirus de 2020, probablement en lien avec le confinement au Canada et la fermeture des frontières autour de la semaine de relâche. Lorsqu’on leur a demandé s’ils comptaient prendre des vacances en 2020, 72 % des parents ont répondu que c’était peu probable.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril et du 24 au 26 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Agence de la santé publique du Canada, Maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) : Mise à jour quotidienne sur l’épidémiologie (consulté le 6 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2z9rMFJ
  3. Voir la note 1.
  4. Jessica Wong, « Frustrated Parents in Ontario Pivot from Official Distance-Learning Program Amid COVID-19 », CBC News (30 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3aTOMFR
  5. CBC Kids News, When Will Your School Reopen? Check Out This Map (29 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2KMhcGW
  6. Statistique Canada, « Enquête sur la population active, mars 2020 » dans Le Quotidien (9 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2YDGkIm
  7. Jennifer Kaddatz, « Les familles peinent à composer avec les conséquences financières de la pandémie de COVID‑19 », Institut Vanier de la famille (9 avril 2020).

 

Les familles au Canada expriment une « vive préoccupation » à l’égard de la santé et du bien-être des aînés durant la pandémie de COVID‑19

Nadine Badets et Ana Fostik, Ph. D.

30 avril 2020

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L’Agence de la santé publique du Canada considère que les personnes plus âgées sont particulièrement vulnérables à la COVID‑19, qui les expose à un risque élevé de maladie grave et de décès1. En 2019, 9,1 millions de Canadiens étaient âgés de 60 ans et plus, ce qui correspond environ au quart de l’ensemble de la population2.

Au 27 avril 2020, environ 37 % des cas confirmés de COVID‑19 au Canada avaient été diagnostiqués chez des adultes âgés de 60 ans et plus, et ce groupe d’âge représentait plus de la moitié (56 %) de tous les cas de coronavirus avec pneumonie. Les adultes de 60 ans et plus affichaient les plus fortes proportions de conséquences graves, soit 66 % des hospitalisations, 63 % des admissions aux unités de soins intensifs et 95 % des décès déclarés liés à la COVID‑193.

La forte sensibilité des personnes plus âgées au virus a engendré un niveau de stress accru chez les aînés, leur famille et leurs aidants alors qu’ils sont confrontés à la pandémie de COVID‑19.

Faits et statistiques clés :

  • Environ 37 % des cas confirmés de COVID‑19 au Canada ont été diagnostiqués chez les adultes de 60 ans et plus (27 avril 2020).
  • Les adultes de 60 ans et plus représentaient 66 % des hospitalisations, 63 % des admissions aux unités de soins intensifs et 95 % des décès déclarés en lien avec la COVID‑19 (27 avril 2020).
  • Chez les adultes de 18 ans et plus, 70 % ont affirmé avoir assez ou très peur qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID‑19 (27 avril 2020).
  • Parmi les adultes, 15 % ont indiqué que certains de leurs proches âgés vivent actuellement dans des CHSLD ou des établissements de soins de longue durée, et 85 % d’entre eux se disent préoccupés par la santé de ces membres de leur famille (27 avril 2020).
  • Près de 8 décès sur 10 (79 %) liés au coronavirus au Canada sont survenus dans des CHSLD et des établissements de soins de longue durée (28 avril 2020).

Les familles comptant des proches aînés vivant en CHSLD sont les plus préoccupées

Dans le cadre d’un sondage mené du 17 au 19 avril 2020 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, près de 70 % des adultes de 18 ans et plus ont affirmé avoir assez ou très peur qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID‑194. Pour remettre les choses en perspective, Statistique Canada révélait en 2018 qu’environ 7,8 millions d’adultes de 15 ans et plus prenaient soin d’un membre de la famille ou d’un ami5, et que près de 4 bénéficiaires de soins sur 10 au Canada en 2018 étaient âgés de 65 ans et plus6.

Pendant la pandémie de COVID‑19, 11 % des adultes ont déclaré qu’au moins un proche aîné vivait avec eux7. Près de 47 % ont indiqué que les aînés de leur famille habitaient séparément dans leur propre maison, et 15 % ont affirmé que certains de leurs proches aînés vivaient actuellement dans des CHSLD ou des établissements de soins de longue durée.

La plupart des adultes (85 %) dont les proches aînés vivent dans des établissements de soins se disent préoccupés par la santé de ces membres de leur famille, alors qu’une proportion légèrement plus faible d’adultes vivant avec des aînés (77 %), ou dont les membres âgés de la famille vivent dans une maison séparée (72 %), ont exprimé leur inquiétude à l’égard de la santé de ces aînés.

Les aînés vivant dans des établissements de soins de longue durée peinent à s’adapter aux restrictions liées à la pandémie

La dévastation causée par la pandémie de coronavirus s’est produite en grande partie dans les CHSLD et les établissements de soins de longue durée. La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, a annoncé à la mi-avril 2020 qu’environ la moitié des décès dus à la COVID‑19 au Canada était liée à des éclosions dans des établissements de soins de longue durée pour aînés8, et qu’en date du 28 avril 2020, près de 8 décès sur 10 (79 %) liés au coronavirus au Canada étaient survenus dans des CHSLD et des établissements de soins de longue durée9.

Près de 61 % des proches ont affirmé se sentir assez ou très inquiets à propos de la qualité des soins offerts aux aînés dans les CHSLD et les établissements de soins de longue durée. Par ailleurs, près des deux tiers (63 %) des adultes dont des proches aînés vivent dans des établissements de soins de longue durée croient que ces membres de leur famille éprouvent assez ou beaucoup de difficulté à s’adapter aux restrictions liées à la COVID‑19, comme celle les obligeant à rester dans leur chambre sans pouvoir recevoir de visiteurs ou entrer en contact avec d’autres personnes. Environ 12 % sont incertains quant à la réaction de leurs proches à l’égard de ces restrictions.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Agence de la santé publique du Canada, Personnes susceptibles d’être gravement malades si elles contractent la COVID‑19 (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3eZIqI2
  2. Statistique Canada. Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe (tableau 17-10-0005-01). Lien : https://bit.ly/2xlmw18
  3. Agence de la santé publique du Canada, Maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) : Mise à jour quotidienne sur l’épidémiologie (29 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2VLV7ik
  4. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril et du 17 au 19 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de celui du 10 au 13 mars, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  5. Statistique Canada, « Les aidants au Canada, 2018 » dans Le Quotidien (8 janvier 2020). Lien : https://bit.ly/2yRDWCP
  6. Statistique Canada, « Les soins en chiffres : Les bénéficiaires de soins au Canada, 2018 » dans Infographies, no 11‑627‑M au catalogue de Statistique Canada (22 janvier 2020). Lien : https://bit.ly/2Siz40t
  7. Sondage mené du 17 au 19 avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger (voir note 4).
  8. Olivia Bowden, « Long-term care homes with the most coronavirus deaths in Canada » dans Global News (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2Y2Lihn
  9. Beatrice Britneff et Amanda Connolly, « Coronavirus Spread Slowing in Canada; Death Rate Rises Due to Long-Term Care Fatalities » dans Global News (28 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2xlWjQ4

 

Les habitudes en matière de santé pendant la pandémie de COVID-19

Jennifer Kaddatz et Nadine Badets

27 avril 2020

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Au Canada, le confinement lié à la pandémie de COVID-19 a infligé de lourdes restrictions aux personnes et aux entreprises, ce qui a engendré des changements dans la pratique de nombreuses activités courantes, comme la préparation et la consommation d’aliments, les achats, l’exercice physique et le temps passé à l’extérieur. La santé des adultes au Canada est en pleine métamorphose, non seulement à cause du virus, mais aussi en raison des habitudes en matière de santé déjà instaurées ou nouvellement adoptées.

Depuis le début de cette période d’isolement social, les adultes consacrent plus de temps à préparer des repas et à boire de l’alcool à la maison, mais ils passent moins de temps à faire de l’exercice et à aller dehors, selon des données recueillies dans un récent sondage réalisé sur quatre semaines par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger1 ainsi que d’autres sources de données portant sur la pandémie.

Il sera important de suivre l’évolution de ces habitudes pendant toute la durée de la pandémie, compte tenu des conséquences potentielles qu’elles peuvent avoir sur la santé physique et mentale des familles dans l’ensemble du pays.

Environ 4 adultes sur 10 consacrent plus de temps à préparer des repas à la maison

Une alimentation saine est primordiale pour avoir une bonne santé : elle constitue un facteur essentiel au développement optimal de l’humain en plus d’être importante pour réduire le risque associé à plusieurs maladies chroniques. Le fait de préparer et de cuisiner de la nourriture à la maison permet à la fois de diminuer la quantité de sodium, de sucre et de graisses saturées qui se retrouvent dans nos repas, mais aussi d’augmenter notre consommation de légumes, de fruits, de grains entiers et de protéines végétales. Par conséquent, manger ou commander des mets qui viennent de l’extérieur peut avoir un impact négatif sur notre santé, car il est possible que les mets soient plus fortement transformés, et qu’ils contiennent moins de légumes, de fruits et de grains entiers2.

Il était donc prévisible qu’au cours de l’isolement relié à la COVID-19, les Canadiens soient plus nombreux à manger des repas faits maison. En effet, 41 % des adultes disent consacrer actuellement plus de temps à préparer des repas qu’ils ne le faisaient avant la pandémie, selon des données recueillies du 9 au 12 avril (figure 1). Les femmes, en particulier, semblent passer plus de temps dans la cuisine, alors que 44 % d’entre elles indiquent préparer des repas « plus souvent », contre 38 % des hommes. Notamment, près de la moitié des femmes (48 %) de 35 à 54 ans consacrent plus de temps à préparer des repas, ce qui est le cas de 44 % des hommes de ce groupe d’âge.

Par ailleurs, une plus faible proportion de femmes (18 %) que d’hommes (24 %) ont commandé des mets pour emporter d’un restaurant dans la semaine précédant le sondage du 9 au 12 avril, bien que les femmes sont presque aussi susceptibles (18 % c. 16 %) que leurs homologues masculins de se faire livrer de la nourriture à la maison ou au travail (figures 2 et 3). Les jeunes hommes de 18 à 34 ans sont plus susceptibles d’avoir commandé des mets pour emporter (24 %) au cours de la semaine précédente, alors que les jeunes femmes de 18 à 34 ans constituent l’association sexe-groupe d’âge le plus susceptible de se faire livrer de la nourriture (27 %).

Un adulte sur 5 boit plus d’alcool à la maison

L’alcool peut avoir d’importantes conséquences sur la santé physique et mentale si on le consomme en grande quantité, ce qui peut aggraver les problèmes de santé mentale actuels, augmenter le risque de blessure ou de maladie aigüe à court terme et accroître le risque de maladies graves à long terme, comme les maladies du foie et certains cancers3. Par conséquent, si la consommation d’alcool augmente pendant la crise du coronavirus, on pourrait observer, suivant la pandémie, d’importantes répercussions sur la santé des personnes et de leur famille ainsi que sur le système de santé au Canada.

Un sondage mené par Statistique Canada du 29 mars au 3 avril a révélé que 20 % des Canadiens de 15 à 49 ans boivent davantage d’alcool à la maison pendant la pandémie de COVID-19 qu’ils ne le faisaient avant qu’elle débute4. D’ailleurs, un autre sondage mené du 30 mars au 2 avril par Nanos pour le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a permis de constater que 21 % des adultes de 18 à 34 ans et 25 % de ceux de 35 à 54 ans s’étaient mis à consommer davantage à la maison depuis le début de la crise de COVID-195.

Les répondants du sondage Nanos ayant déclaré rester davantage à la maison et boire plus d’alcool ont indiqué que leur consommation avait principalement augmenté en raison de l’absence d’horaire régulier (51 %), ainsi qu’en réaction à l’ennui (49 %), au stress (44 %) ou à la solitude (19 %).

Selon des données recueillies du 9 au 12 avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, 14 % des adultes se sont rendus dans un magasin de vins et spiritueux au cours de la semaine précédente, les hommes (18 %) l’ayant fait davantage que les femmes (11 %).

Près de 4 adultes sur 10 font moins souvent d’exercice

Si le fait d’être confinés à la maison semble avoir augmenté la quantité d’alcool que les adultes consomment, il ne semble pas avoir eu le même impact sur la quantité d’exercices physiques qu’ils pratiquent.

Au contraire, près de 4 femmes sur 10 (38 %) et 33 % des hommes affirment, comme le montrent les données recueillies du 9 au 12 avril, qu’ils font actuellement « moins souvent » de l’exercice qu’ils n’en faisaient avant la pandémie. Les Québécois (42 %) sont d’ailleurs ceux qui déclarent avoir le plus réduit leur fréquence d’exercice, comparativement aux habitants des autres provinces.

Du reste, il semble que les jeunes familles consacrent plus de temps à faire de l’exercice. Une plus grande proportion d’adultes vivant avec des enfants (23 %) disent faire plus souvent de l’exercice depuis le début de la pandémie, comparativement à ceux qui vivent sans enfant (18 %) (figure 4). Par ailleurs, près de 3 adultes sur 10 de 18 à 34 ans (28 %) affirment qu’ils font plus souvent de l’exercice depuis le début de la crise, contre 14 % des adultes de 55 ans et plus.

L’augmentation de l’anxiété liée à la COVID-19 et la diminution de l’exercice peuvent être reliées

Selon la Société canadienne de psychologie, une activité physique régulière peut réduire le stress quotidien, prévenir la dépression et les troubles de l’anxiété, en plus de s’avérer aussi efficace que les traitements psychologiques et pharmaceutiques dans les cas de dépression et d’anxiété6. D’un autre angle, il est possible qu’il soit plus difficile pour une personne souffrant de problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression, d’adopter ou de poursuivre un programme d’exercice, plus particulièrement pendant une période inhabituelle.

En fait, les données recueillies du 9 au 12 avril révèlent que les personnes qui déclarent éprouver « très souvent » de l’anxiété ou de la nervosité depuis le début de la crise de COVID-19 sont plus susceptibles d’affirmer qu’ils font actuellement « moins souvent » de l’exercice (20 %) qu’ils n’en faisaient avant la pandémie, alors que 13 % disent en faire « aussi souvent » qu’avant le début de la crise de COVID-19.

Par comparaison, les adultes qui disent avoir ressenti « très peu » d’anxiété ou de la nervosité depuis le début de la pandémie sont plus susceptibles d’affirmer que leur fréquence d’exercice n’a pas changé depuis le début de la pandémie (24 %) que de dire qu’ils en font actuellement plus souvent (17 %) ou moins souvent (17 %).

Près de la moitié des adultes vont moins souvent à l’extérieur

Passer du temps en plein air, dans la nature, a une incidence importante sur la santé mentale et le mieux-être7. Par ailleurs, en 2016, l’Enquête sociale générale de Statistique Canada a révélé que 7 Canadiens sur 10 prenaient part à au moins une activité extérieure, ce qui démontre que le temps passé en plein air fait partie intégrante du mode de vie des Canadiens8.

Néanmoins, pendant la pandémie de COVID-19, près de la moitié des femmes (46 %) et des hommes (45 %) déclarent aller dehors moins souvent actuellement qu’ils ne le faisaient avant la crise. La proportion des personnes disant aller dehors moins souvent varie selon la province, oscillant entre un faible 39 % au Québec ainsi qu’au Manitoba et en Saskatchewan et un maximum de 49 % en Ontario.

Ce qui s’avère particulièrement intéressant, toutefois, est d’observer comment la proportion des personnes qui vont dehors moins souvent varie selon la région urbaine ou rurale de résidence. Plus de la moitié (54 %) des citadins déclarent qu’ils vont présentement dehors moins souvent qu’avant la pandémie, contre 45 % des adultes vivant en banlieue et 29 % des personnes vivant en région rurale.

À l’autre extrémité, à propos de ceux qui affirment aller dehors plus souvent, on constate qu’une plus forte proportion de femmes (25 %) que d’hommes (15 %) signalent en ressentir un effet positif.

Il sera intéressant d’observer, au moment où le printemps fera place à l’été, si les proportions de Canadiens qui vont dehors et qui font de l’exercice plus souvent augmenteront en même temps que les températures.

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données de recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Santé Canada, Guide alimentaire canadien. Lien : https://bit.ly/2W54WH8
  3. Peter Butt, Doug Beirness, Louis Gliksman, Catherine Paradis et Tim Stockwell, L’alcool et la santé au Canada : résumé des données probantes et directives de consommation à faible risque, Ottawa (Ontario), Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies (25 novembre 2011). Lien : https://bit.ly/3eVZZZQ (PDF)
  4. Statistique Canada, « Comment les Canadiens vivent-ils la situation liée à la COVID-19? » dans Infographies (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2VBpZ4R
  5. Entre le 30 mars et le 2 avril 2020, Nanos a mené un sondage aléatoire hybride par téléphone et en ligne à double base d’échantillonnage (lignes terrestres et cellulaires par composition aléatoire) auprès de 1 036 Canadiens de 18 ans et plus dans le cadre d’un sondage omnibus. Les participants ont été recrutés au hasard par téléphone par l’entremise d’agents réels et ont répondu à un sondage en ligne. La marge d’erreur pour ce sondage est de ±3,1 points de pourcentage, et ce, 19 fois sur 20. Cette recherche a été commandée par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances et a été menée par Nanos Research. Lien : https://bit.ly/3aybEue (PDF)
  6. Société canadienne de psychologie, Série « La psychologie peut vous aider » : L’activité physique, la santé mentale et la motivation (novembre 2016). Lien : https://bit.ly/3d04dxN (PDF)
  7. Conseil canadien des parcs, Connecter les Canadiens à la nature : un investissement dans le mieux-être de notre société (2014). Lien : https://bit.ly/33LBQBs
  8. Statistique Canada, Les Canadiens et le plein air (26 mars 2018). Lien : https://bit.ly/2S6HM1E

Les adultes en couple ont-ils une meilleure santé mentale durant la pandémie de COVID‑19?

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

22 avril 2020

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Près de la moitié des adultes de 18 ans et plus au Canada disent se sentir « très souvent » ou « souvent » anxieux ou nerveux (47 %) ou encore tristes (45 %) depuis le début de la crise de COVID‑19, selon les données d’un sondage mené par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, recueillies du 9 au 12 avril 20201 (figure 1).

Quatre adultes sur 10 affirment se sentir irritables (39 %) et environ le tiers disent éprouver des troubles du sommeil (35 %) et des sautes d’humeur (32 %) « très souvent » ou « souvent » depuis le début de la crise (figure 1).

Mais les adultes qui sont actuellement en couple – qu’ils soient mariés ou en union libre – sont-ils aussi susceptibles que les personnes célibataires ou séparées, divorcées ou veuves de se sentir déstabilisés?

L’anxiété ou la nervosité et la difficulté à dormir durant la pandémie ne semblent pas liées à l’état matrimonial

Les adultes vivant au sein d’un couple (48 %), les célibataires (47 %) ou les personnes séparées, divorcées ou veuves (43 %) (figure 1) sont tous, dans une proportion similaire, susceptibles d’affirmer se sentir anxieux ou nerveux très souvent ou souvent.

De même, la probabilité d’éprouver très souvent ou souvent de la difficulté à dormir est également comparable pour les personnes en couple (35 %), les adultes célibataires (36 %) et les personnes séparées, divorcées ou veuves (35 %).

Célibataires ou en couple, les femmes disent éprouver de l’anxiété et des troubles du sommeil plus fréquemment que les hommes

Des études antérieures sur la santé mentale ont révélé que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de souffrir de troubles anxieux et de dépression2. Il semble que ce soit également le cas en période de pandémie.

Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’affirmer qu’elles éprouvent très souvent ou souvent de l’anxiété durant la pandémie de coronavirus : près de 6 femmes sur 10 vivant en couple (58 %) ou célibataires (59 %)3 déclarent se sentir anxieuses ou nerveuses très souvent ou souvent, comparativement à moins de 4 hommes sur 10 vivant en couple (37 %) ou célibataires (37 %) (figure 2).

En ce qui concerne les troubles de sommeil, plus de 4 femmes 10 indiquent avoir très souvent ou souvent de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie, qu’elles soient en couple (44 %) ou célibataires (44 %). En comparaison, ils sont moins de 3 hommes sur 10, qu’ils soient en couple (26 %) ou célibataires (29 %), à connaître les mêmes troubles.

Les célibataires sont plus susceptibles d’éprouver de l’irritabilité et des sautes d’humeur

L’irritabilité et les sautes d’humeur sont plus fréquentes chez les personnes qui sont actuellement célibataires (figure 1). Près de la moitié des adultes célibataires (48 %) déclarent se sentir très souvent ou souvent irritables depuis le début de la pandémie, comparativement à 37 % des adultes en couple et à 30 % de ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs. Les adultes célibataires (39 %) disent aussi éprouver des sautes d’humeur dans des proportions plus élevées que ceux qui sont en couple (31 %) et que ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs (27 %).

Encore une fois, les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sont plus susceptibles que les hommes d’éprouver de l’irritabilité ou des sautes d’humeur. Environ 6 femmes célibataires sur 10 (59 %) et 42 % des femmes en couple déclarent se sentir irritables très souvent ou souvent depuis le début de la pandémie. Quant aux hommes, ils disent se sentir irritables très souvent ou souvent dans des proportions plus faibles que les femmes, qu’ils soient célibataires (38 %) ou en couple (32 %) (figure 2).

Les femmes célibataires (46 %) présentent la plus forte probabilité d’éprouver très souvent ou souvent des sautes d’humeur depuis le début de la crise de COVID-19, suivies par les femmes en couple (38 %). Les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’indiquer qu’ils ont des sautes d’humeur fréquentes, mais ceux qui sont célibataires (31 %) ont tendance à éprouver des sautes d’humeur très souvent ou souvent dans de plus fortes proportions que les hommes en couple (23 %).

 

Les femmes séparées, divorcées ou veuves sont plus susceptibles de ressentir de la tristesse

Les adultes séparés, divorcés ou veufs (51 %) et les célibataires (48 %) sont plus nombreux que les adultes en couple (43 %) (figure 1) à déclarer se sentir très souvent ou souvent tristes durant la crise de coronavirus.

Les fréquents sentiments de tristesse sont également plus courants chez les femmes, qu’elles soient célibataires (59 %) ou en couple (53 %), que chez les hommes, qu’ils soient célibataires (37 %) ou en couple (33 %) (figure 2).

La santé mentale a une incidence sur le bien-être des familles

Il sera important de surveiller, à court, à moyen et à long termes, les tendances en matière de santé mentale, en fonction de l’état matrimonial et du sexe, ainsi que d’autres facteurs, dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. Une première analyse a permis de démontrer que la perte de revenus ou d’emploi et les contraintes financières immédiates affectent également les symptômes de santé mentale, comme l’anxiété et la difficulté à dormir pendant la pandémie. Par ailleurs, la santé mentale et la santé physique sont interreliées : les personnes souffrant de troubles de l’humeur sont beaucoup plus susceptibles de développer un problème de santé à long terme que celles qui n’en ont pas4.

Les problèmes de santé mentale peuvent avoir une incidence profonde sur la scolarité, le travail et la vie sociale d’une personne, ainsi que sur les interactions qu’elle entretient avec sa famille5. Parmi les Canadiens dont au moins un membre de la famille souffrait d’un problème de santé mentale en 2012, plus du tiers (35 %) considéraient que la santé mentale de ce dernier avait affecté leur vie et, de ce nombre, environ 71 % ont affirmé avoir prodigué des soins à ce membre de la famille6.

Ainsi, le bien-être des familles au Canada repose sur la santé mentale des personnes qui les composent. Une prise de décision fondée sur des données probantes permettra de mieux orienter les mesures de soutien sociales ciblées, tant pour les personnes sur le plan individuel que pour les familles, suivant l’évolution de cette période de coronavirus tout comme lorsque la crise actuelle sera passée.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril 2020 et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Caryn Pearson, Teresa Janz et Jennifer Ali, « Troubles mentaux et troubles liés à l’utilisation de substances au Canada » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (septembre 2013). Lien : https://bit.ly/2KsCEAW (PDF)
  3. Les comparaisons selon le sexe sont impossibles à obtenir pour les adultes séparés, divorcés ou veufs sur cette question en raison du faible taux de réponse.
  4. Patten et autres, « Long-Term Medical Conditions and Major Depression: Strength of Association for Specific Conditions in the General Population » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 50, p. 195‑202, 2005. Comme mentionné dans le texte du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), intitulé « Mental Illness and Addiction: Facts and Statistics ». Lien : https://bit.ly/3eEjyWc
  5. Commission de la santé mentale du Canada, Changer les orientations, changer des vies : Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada (Calgary, Alberta, 2012). Lien : https://bit.ly/2XXTM9q (PDF)
  6. Caryn Pearson, « L’incidence des problèmes de santé mentale sur les membres de la famille » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (7 octobre 2015). Lien : https://bit.ly/3eJVl0Q

Les couples se soutiennent mutuellement pendant la pandémie de COVID-19

Ana Fostik, Ph. D., Jennifer Kaddatz et Nora Spinks

21 avril 2020

Une famille, c’est un système de relations constituées d’actions et de réactions qui se produisent au fil du temps. Le bien-être d’une famille repose sur la capacité de tous ses membres de s’aimer, de s’entraider et de se soutenir les uns les autres, à la fois dans les moments difficiles comme dans les périodes plus tranquilles. Or, les forces et les tensions au cœur de ces relations familiales – comme dans tout système – sont amplifiées et renforcées lorsqu’elles sont soumises à un stress.

Alors que la pandémie de COVID-19 marque potentiellement l’un des moments les plus difficiles de l’histoire du Canada, les couples au pays semblent toutefois se porter relativement bien à ce jour. Les données recueillies au cours de quatre semaines de la pandémie1 révèlent que la plupart des personnes engagées dans des relations sérieuses offrent leurs forces à ces relations, s’appuient l’une sur l’autre et agissent/réagissent de façon positive dans leur gestion commune de la distanciation sociale.

La plupart des couples au Canada se soutiennent mutuellement, ont des conversations enrichissantes et se disputent à peu près autant qu’avant la période d’isolement à domicile.

Huit adultes en couple sur 10 affirment bien se soutenir mutuellement

Selon les données recueillies du 9 au 12 avril 2020, 8 personnes sur 10 âgées de 18 ans ou plus (80 %), et mariées ou vivant en union libre, affirment qu’elles et leur conjoint se soutiennent davantage depuis le début de la pandémie de COVID-19. Ces proportions sont à peu près les mêmes pour les personnes ayant des enfants ou des jeunes à la maison (77 %) que pour celles qui ne comptent aucun enfant de moins de 18 ans dans leur ménage (82 %).

Les adultes se soutiennent davantage qu’auparavant, quelle que soit l’incidence de la pandémie sur leur situation d’emploi : 82 % de ceux dont la situation professionnelle s’est détériorée (perte d’emploi temporaire ou permanente, perte de revenus ou de salaire) et 81 % de ceux dont la situation professionnelle n’a pas été affectée déclarent bénéficier d’un soutien accru de la part de leur partenaire.

Les personnes d’âge moyen sont moins susceptibles que les personnes plus âgées de dire qu’elles et leur partenaire se soutiennent mutuellement, 75 % des 35 à 54 ans étant d’accord avec l’affirmation, contre 84 % des 55 ans et plus.

Il est intéressant de noter que les hommes sont plus nombreux que les femmes (84 % et 77 % respectivement) à affirmer entretenir une relation de soutien avec leur partenaire.

Plus de 4 adultes sur 10 ont des conversations plus enrichissantes avec leur conjoint

Communiquer de façon claire est important pour le bien-être de la famille. Selon les données recueillies entre les 9 et 12 avril, plus de 4 adultes sur 10 (43 %) étant engagés dans une relation sérieuse au Canada disent avoir des conversations plus enrichissantes depuis le début de la pandémie de COVID-19. C’est particulièrement le cas chez ceux dont la situation sur le marché du travail s’est détériorée depuis le début de la pandémie : 51 % d’entre eux déclarent avoir des conversations plus enrichissantes avec leur partenaire, contre 36 % de ceux dont l’emploi ou le revenu n’a pas été touché par la pandémie. Seuls 10 % des adultes ne sont pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle ils auraient des conversations plus enrichissantes avec leur conjoint.

Les hommes sont légèrement plus nombreux que les femmes à affirmer entretenir des conversations plus enrichissantes avec leur conjoint(e) ou partenaire depuis le début de la pandémie de COVID-19, soit 45 % contre 40 %. Les jeunes sont également plus nombreux (52 % des 18 à 34 ans) que les adultes plus âgés (40 % des 35 à 54 ans et 41 % des 55 ans et plus) à faire une telle affirmation.

Les personnes mariées ou vivant en union libre et ayant des enfants ou des jeunes à la maison sont à peu près aussi nombreuses que celles qui n’ont pas d’enfants à affirmer entretenir des conversations plus enrichissantes avec leur partenaire depuis le début de la crise, soit 44 % et 42 % respectivement.

Quatre adultes sur 10 se sentent plus proches de leur partenaire

Possiblement en raison du bon soutien mutuel ou des conversations enrichissantes qu’ils entretiennent, près de 4 adultes engagés dans une relation sérieuse sur 10 (41 %) affirment se sentir plus proches de leur conjoint ou partenaire depuis le début de la pandémie de COVID-19. Cette proportion est encore plus élevée chez les Canadiens qui ont perdu leur emploi, leur revenu ou leur salaire en raison de la pandémie : 48 % d’entre eux déclarent se sentir plus proches de leur conjoint ou de leur partenaire, contre 34 % chez ceux dont l’emploi n’a pas été touché par la pandémie.

La proportion de ceux qui se sentent plus proches de leur conjoint est à peu près la même chez les hommes (44 %) et les femmes (38 %), et est également relativement stable selon le groupe d’âge et la présence ou non d’enfants dans le ménage. Selon les données recueillies du 9 au 12 avril, 43 % des personnes mariées ou vivant en union libre avec des enfants de moins de 18 ans à la maison disent se sentir plus proches de leur conjoint depuis le début de la pandémie.

Lorsque l’on regarde les données en fonction des régions, c’est en Ontario et en Colombie-Britannique que l’on retrouve le pourcentage le plus élevé de personnes affirmant se sentir plus proches de leur conjoint, avec 48 % et 43 % respectivement, et dans les Prairies que l’on retrouve le pourcentage le plus faible, avec 30 %.

L’Ontario est la seule province qui affiche actuellement une augmentation de la proportion d’adultes se sentant plus proches de leur conjoint aujourd’hui comparativement à plus tôt dans la pandémie, la proportion étant passée de 39 % lors du sondage du 10 au 13 mars à 48 % dans le sondage du 9 au 12 avril.

Moins de 2 adultes sur 10 engagés dans une relation sérieuse se disputent davantage

Seulement 18 % des personnes mariées ou vivant en union libre ont déclaré se disputer davantage avec leur conjoint ou leur partenaire depuis le début de la pandémie. En effet, environ 54 % se disent en désaccord avec l’affirmation selon laquelle ils se disputeraient davantage, alors que 28 % ne sont ni en accord ni en désaccord avec celle-ci.

Cependant, les jeunes adultes engagés dans une relation sérieuse – avec une personne de leur âge ou une personne plus âgée – sont plus susceptibles de déclarer qu’ils se disputent davantage avec leur partenaire que les personnes plus âgées. Près de 3 adultes sur 10 âgés de 18 à 34 ans (28 %) déclarent se disputer davantage avec leur conjoint ou leur partenaire depuis le début de la pandémie de COVID-19, contre 19 % des 35 à 54 ans et seulement 12 % des 55 ans et plus.

Les Canadiens qui ont subi une perte d’emploi ou de revenus en raison de la pandémie ont tendance à se disputer davantage qu’auparavant dans des proportions plus importantes que ceux qui ont conservé leur emploi : 26 % et 16 % affirment se disputer davantage.

Les disputes avec un partenaire sont souvent liées au stress et à d’autres indicateurs de bien-être et, selon les données du 9 au 12 avril, environ 6 jeunes femmes sur 10, âgées de 18 à 34 ans, disent éprouver « très souvent » ou « souvent » de l’anxiété ou de la nervosité (64 %), de l’irritabilité (64 %) ou de la tristesse (59 %), et 45 % affirment avoir de la difficulté à dormir. Ces pourcentages sont nettement plus élevés que ceux de leurs homologues masculins et sont également supérieurs à ceux des femmes de plus de 55 ans, parmi lesquelles environ 5 sur 10 disent ressentir « très souvent » ou « souvent » de l’anxiété ou de la nervosité (46 %) ou de la tristesse (50 %), alors que moins de 3 sur 10 (28 %) affirment se sentir irritables et 36 % disent avoir de la difficulté à dormir.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nora Spinks est directrice générale de l’Institut Vanier de la famille.


Note

  1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril 2020 comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.

 

Faits et chiffres : La santé mentale maternelle au Canada

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La santé et le bien-être maternels constituent un important enjeu de santé publique, et la santé mentale y tient un rôle clé. Selon les données recueillies, la plupart des nouvelles mères et des femmes enceintes se disent en bonne santé mentale et très satisfaites de leur vie, mais les cas de dépression post-partum (DPP) et d’anxiété sont courants au Canada.

La recherche démontre que la DPP et une santé mentale déficiente nuisent au bien-être des mères et, en l’absence de traitement, peuvent compromettre le développement du nourrisson (ex. : engendrer un faible poids à la naissance, une naissance prématurée, un risque accru de problèmes de santé mentale plus tard dans la vie de l’enfant), en plus d’accabler le partenaire et les autres membres de la famille (y compris les pères, qui courent un risque accru de dépression ou d’anxiété).

Heureusement, de nombreuses options de traitement efficaces et bien documentées peuvent aider les femmes à se rétablir, et les études démontrent que le soutien social et émotionnel des partenaires et des autres membres de la famille tout au long de la période périnatale contribue à réduire la probabilité de DPP et de troubles émotionnels, tant pour les mères que pour les nouveau-nés.

Le présent numéro de la série Faits et chiffres se penche sur la santé mentale des nouvelles mères et des femmes enceintes au Canada, tout en mettant l’accent sur le bien-être de la famille.

Quelques faits saillants :

  • En 2018-2019, la plupart (60 %) des mères ayant récemment donné naissance à un enfant ont indiqué que leur santé mentale était excellente ou très bonne, alors que près du quart (23 %) ont déclaré éprouver des sentiments qui correspondant à la DPP ou à un trouble anxieux.
  • En 2018-2019, 30 % des mères de moins de 25 ans ayant récemment donné naissance à un enfant ont déclaré éprouver des sentiments qui correspondent à la DPP ou à un trouble anxieux, comparativement à 23 % chez les nouvelles mères de 25 ans ou plus.
  • En 2018-2019, près du tiers (32 %) des femmes récemment devenues mères ayant déclaré éprouver des sentiments qui correspondent à la DPP ou à un trouble anxieux disent avoir reçu un traitement à l’égard de leurs émotions ou de leur santé mentale depuis la naissance de leur enfant.
  • La santé mentale maternelle est influencée par le statut socioéconomique : la recherche démontre des taux plus élevés de DPP et de symptômes de dépression chez les mères issues de groupes marginalisés, y compris les personnes ayant des incapacités; les mères récemment immigrées, les demandeuses d’asile et les réfugiées; et les mères s’identifiant comme Noires ou membre des Premières Nations.
  • Les mères ayant vécu des expériences de vie difficiles courent également un risque accru de développer des troubles mentaux, comme celles qui vivent au sein d’un ménage en situation d’insécurité alimentaire ou en situation d’urgence ou conflictuelle, ainsi que celles ayant été victimes de violence (familiale, sexuelle et fondée sur le sexe) ou d’un désastre naturel.

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Ce document sera régulièrement mis à jour afin de tenir compte des nouvelles données et études (les versions antérieures demeureront néanmoins disponibles à partir de notre section réservée aux feuillets de renseignements).

Les sources d’information sont disponibles dans la version PDF de ce document.

Sous la loupe 2019 : L’insécurité alimentaire au Canada

L’insécurité alimentaire au Canada est intimement liée à la santé et au bien-être économique des familles. Bien qu’il n’y ait pas de cause unique pour expliquer l’insécurité alimentaire, les études démontrent que l’insécurité économique et l’isolement géographique (plus particulièrement les coûts alimentaires plus élevés dans les collectivités du Nord, celles-ci n’étant pas accessibles toute l’année par camion, par train ou par bateau) sont deux facteurs qui contribuent à ce que les familles n’aient pas accès aux aliments nutritifs et sains, ni en quantité suffisante, pour répondre aux besoins alimentaires d’une vie en santé1.

Les familles en situation d’insécurité alimentaire sont plus susceptibles d’éprouver des effets néfastes sur leur santé et leur bien-être, notamment une mobilité restreinte et des troubles chroniques, une santé mentale déficiente et une détresse psychologique2. Cette situation a des répercussions à la fois sur les personnes, les familles et les collectivités, en plus d’entraîner des coûts considérables pour le système de santé – c’est une question de bien-être familial et de santé publique.

Pour souligner le Mois de l’action contre la faim, qui vise à accroître la sensibilisation aux enjeux entourant la faim au Canada, tant à l’échelle nationale et provinciale que locale, cette parution de la série Sous la loupe met en évidence des données sur l’insécurité alimentaire dans l’ensemble du pays.

De nombreux Canadiens – y compris des enfants et des jeunes – continuent d’éprouver de l’insécurité alimentaire.

  • En 2018, le quart des enfants et des jeunes de moins de 18 ans (23 %) ont affirmé qu’ils avaient faim en se couchant le soir ou en partant pour l’école, au moins à l’occasion, parce qu’il n’y avait pas assez à manger à la maison3.
  • En 2018, les enfants et les jeunes de moins de 18 ans représentaient 20 % de la population du Canada, mais 35 % de ceux qui ont eu recours aux banques alimentaires au cours du mois de mars de cette même année4.
  • En 2015-2016, environ 16 % des ménages parmi les provinces et territoires du Canada qui ont contribué à la mesure5 éprouvaient de l’insécurité alimentaire6.

Les populations du Nord et les groupes marginalisés connaissent des taux d’insécurité alimentaire disproportionnellement élevés.

  • En mars 2018, 6 personnes sur 10 ayant eu recours aux banques alimentaires (59 %) étaient des bénéficiaires d’aide sociale ou de mesures de soutien aux personnes handicapées7.
  • En 2015-2016, plus de la moitié (51 %) des ménages du Nunavut étaient en situation d’insécurité alimentaire – de loin le taux le plus élevé au Canada et plus de trois fois le taux moyen des autres provinces et territoires contribuant à la mesure (11 %)8.
  • En 2015-2016, près des trois quarts des enfants du Nunavut (72 %) et le tiers des enfants des Territoires du Nord-Ouest (32 %) vivaient au sein de ménages en situation d’insécurité alimentaire, un taux qui oscille entre 16 % et 23 % dans les autres provinces et territoires contribuant à la mesure9.
  • Malgré le lancement de Nutrition Nord – un programme de contribution alimentaire élaboré pour améliorer l’accès aux aliments et leur abordabilité dans les collectivités isolées –, les taux annuels d’insécurité alimentaire ont continué de s’accroître au Nunavut entre les années précédant la mise en œuvre (de 33 % à 40 % entre 2007 et 2010) et celles suivant la mise en œuvre du programme (de 46 % à 56 % entre 2013 et 2016)10, 11.
  • Une étude de 2014 montre que les taux d’insécurité alimentaire chez les Noirs (29 %) et les Autochtones (26 %) étaient plus de deux fois plus élevés que la moyenne nationale (12 %).

Les données sont insuffisantes pour nous permettre d’obtenir un portrait clair de la prévalence et des répercussions de l’insécurité alimentaire au sein de certains groupes.

  • L’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (la principale source d’information en matière d’insécurité alimentaire au Canada) ne recueille aucunes données concernant les réserves des Premières Nations, ce qui signifie qu’environ la moitié de tous les membres inscrits des Premières Nations (environ 300 000) sont exclus du portrait, ce qui entraîne une sous-estimation de la prévalence de l’insécurité alimentaire12.
  • Divers autres groupes, notamment les membres à temps plein des Forces armées canadiennes, les personnes vivant en établissement ainsi que les quelque 235 000 Canadiens qui sont sans abri au cours d’une année donnée ne figurent pas dans les données nationales sur l’insécurité alimentaire (bien que ces derniers soient plus vulnérables à l’insécurité alimentaire que la population en général)13.

Notes

    1. Paula Arriagada, « L’insécurité alimentaire chez les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat », dans Regards sur la société canadienne, no 75-006-X au catalogue de Statistique Canada (1er février 2017). Lien : https://bit.ly/2kFCHQs
    2. Ibidem
    3. UNICEF Canada, Quelle est la situation au Canada? L’indice canadien du bien-être chez les enfants et les jeunes : Rapport de référence 2019 (3 septembre 2019). Lien : https://bit.ly/2kGgbHc
    4. Banques alimentaires Canada, Bilan-Faim 2018 (5 février 2018). Lien : http://bit.ly/2kJpdmC
    5. Terre-Neuve-et-Labrador, l’Ontario et le Yukon se sont retirés du programme de mesure de l’insécurité alimentaire en 2015-2016.
    6. PROOF Food Insecurity Policy Research, Latest Household Food Insecurity Data Now Available (25 juin 2018).
    7. Banques alimentaires Canada, 2018.
    8. PROOF Food Insecurity Policy Research, 2018.
    9. Ibidem
    10. Selon les études, cela pourrait être le résultat du fait que le programme a mis l’accent sur les aliments périssables et nutritifs, en plus d’avoir exclu la plupart des aliments non périssables et tous les articles non alimentaires de la contribution.
    11. Andrée-Anne Fafard St-Germain, Tracey Galloway et Valerie Tarasuk, « Food insecurity in Nunavut following the introduction of Nutrition North Canada » dans Canadian Medical Association Journal, vol. 191, no 20 (21 mai 2019). Lien : https://bit.ly/2m5FJhb
    12. PROOF Food Insecurity Policy Research, Household Food Insecurity in Canada: A Guide to Measurement and Interpretation (novembre 2018). Lien : https://bit.ly/2kAs2qd
    13. Ibidem

 

Coup d’œil sur les grands-parents au Canada (mai 2019 – mise à jour)

Au Canada, les grands-parents forment un groupe très diversifié et plusieurs participent activement au bien-être de la famille et à son fonctionnement, notamment dans leurs rôles de mentors, d’éducateurs, d’aidants, de gardiens d’enfants, d’historiens, de guides spirituels et de « dépositaires de la mémoire familiale ».

Certes, la population du Canada est vieillissante et l’espérance de vie continue de s’allonger, c’est pourquoi il faut s’attendre à voir les grands-parents de plus en plus présents dans le quotidien de nombreuses familles au cours des prochaines années. Au Canada, le nombre d’aînés au sein de la population active ne cesse d’augmenter, et ceux-ci jouent un rôle de plus en plus senti sur le marché du travail. Cependant, ce virage entraîne aussi des répercussions pour les familles qui comptent sur les grands-parents pour s’occuper des petits-enfants ou d’autres membres de la famille. Par ailleurs, le cadre de vie des grands-parents continue de se transformer, à l’heure où ceux-ci sont de plus en plus nombreux à cohabiter avec les générations plus jeunes tout en contribuant aux ménages des familles.

Les données récemment publiées dans le cadre de l’Enquête sociale générale de 2017 nous ont permis de mettre à jour l’une de nos ressources les plus consultées, soit la publication Coup d’œil sur les grands-parents au Canada, qui propose un portrait statistique des grands-parents, de leurs relations familiales et de certaines des tendances socioéconomiques qui sont au cœur de cette évolution.

Quelques faits saillants :

  • En 2017, 47 % des Canadiens de 45 ans et plus étaient grands-parents, comparativement à 57 % en 19951.
  • En 2017, l’âge moyen des grands-parents était de 68 ans (contre 65 ans en 1995), alors que l’âge moyen des nouveaux grands-parents était de 51 ans pour les femmes et de 54 ans pour les hommes en 20172, 3.
  • En 2017, près de 8 % des grands-parents avaient 85 ans et plus; cette proportion s’établissait à 3 % en 19954.
  • En 2017, 5 % des grands-parents du Canada vivaient sous le même toit que leurs petits-enfants, soit une légère augmentation par rapport aux 4 % de 19955.
  • En 2017, les grands-parents nés à l’extérieur du Canada étaient plus de deux fois plus enclins que leurs homologues nés au Canada à cohabiter avec leurs petits-enfants (9 % et 4 %, respectivement), soit le résultat d’une interaction complexe entre le choix, la culture et le contexte6.

Téléchargez le document Coup d’œil sur les grands-parents au Canada (mai 2019) de l’Institut Vanier de la famille.

Battams, N. (2019). Coup d’oeil sur les grands-parents au Canada (mai 2019). L’institut Vanier de la famille. https://doi.org/10.61959/disx1332f


Publié le 28 mai 2019

1 Statistique Canada, « Histoire de famille : les grands-parents au Canada » dans Le Quotidien (7 février 2019). Lien : https://bit.ly/2SyX80d.
2 Ibidem
3 Aucunes données comparables ne peuvent être fournies puisque c’était la première fois que la question était posée dans l’Enquête sociale générale.
4 Ibidem
5 Statistique Canada, « Histoire de famille : les grands-parents au Canada ».
6 Ibidem

Travail et famille : Les incidences de la mobilité, des horaires de travail et de la précarité d’emploi

Elise Thorburn, Ph. D. (Université Memorial)

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La main-d’œuvre au Canada entreprend un immense virage, et plusieurs travailleurs ou chercheurs d’emploi en sont pleinement conscients. Depuis quelques années, les emplois précaires et instables sont de plus en plus fréquents, tout comme les emplois nécessitant de longs déplacements matin et soir ou durant la journée de travail. Au surplus, l’automatisation technologique des horaires de travail pour la répartition des tâches occupe une place grandissante dans divers secteurs. En somme, cet environnement changeant risque d’entraîner des incidences importantes sur les travailleurs et leur famille.

L’automatisation technologique des horaires de travail pour la répartition des tâches occupe une place grandissante dans divers secteurs.

Dans le cadre d’une étude récente pour le compte du Partenariat en mouvement1, divers syndiqués et représentants syndicaux canadiens ont été interrogés en vue de mieux connaître les moyens qu’ils mettent en œuvre pour assumer leurs responsabilités familiales non rémunérées malgré leurs horaires de travail souvent irréguliers et les déplacements longs et épuisants. Cette démarche visait à mieux comprendre comment ces travailleurs parviennent à concilier les exigences du travail et de la vie personnelle dans des secteurs de plus en plus mobiles et précaires, et quelles sont les avenues privilégiées par les syndicats pour favoriser la conciliation à cet égard, tant pour les travailleurs que pour leur famille.

Les travaux du Partenariat en mouvement révèlent qu’un nombre important – mais difficilement quantifiable – de Canadiens travaillent dans une autre ville, une autre province voire un autre pays loin de leur domicile et de leur famille, et que cette mobilité pour le travail suit des tendances souvent complexes et nuancées2. Dans bien des cas, ces travailleurs investissent beaucoup de temps et de ressources afin de gérer et d’encadrer les incidences de cette mobilité.

Cette étude est axée sur deux volets particuliers de la mobilité, soit :

1. l’ampleur et la complexité des déplacements, notamment en ce qui concerne les emplois qui supposent plus d’une heure de navettage quotidien entre le domicile et le travail (y compris le temps nécessaire pour passer à la garderie ou pour reconduire un conjoint, un parent, etc.);

2. la mobilité pendant le quart de travail ou dans le cadre du travail, entre autres pour les travailleurs qui doivent se déplacer d’un site à l’autre durant la journée, comme les préposés aux services de soutien à la personne ou les infirmières à domicile.

Du reste, la ligne entre ces deux volets n’est pas tout à fait nette, si bien que la réalité de certains travailleurs suppose d’importants déplacements matin et soir en plus d’une grande mobilité durant la journée. Tous les participants de l’étude provenaient de la région métropolitaine de Toronto et travaillaient dans le secteur des soins de santé à domicile, dans le secteur aéroportuaire et du transport aérien, ou dans celui de l’éducation supérieure (ou représentaient des employés de ces secteurs). Les salaires, les compétences requises ainsi que les caractéristiques démographiques des employés de ces milieux de travail sont très différents, mais cette diversité souligne que les enjeux en cause peuvent toucher divers milieux et plusieurs profils de travailleurs.

L’attente non rémunérée : du « temps emprunté à la famille »

Parmi les incidences de la mobilité et de l’organisation moderne des horaires de travail, il faut notamment compter le temps d’attente non payé qui touche ces divers types de travailleurs, qui sont parfois dans un entre-deux, c’est-à-dire ni à la maison ni officiellement au travail. Plusieurs considèrent d’ailleurs qu’il s’agit de temps emprunté à la famille, sans compter les incidences sur le budget familial. Par exemple, l’employé qui paie des frais de garderie pendant qu’il attend sans rémunération risque de se trouver devant des bénéfices négatifs. C’est le cas notamment d’un travailleur aéroportuaire qui raconte avoir déjà eu un quart débutant à 2 h 30 du matin. Or, le dernier autobus vers son lieu de travail passait dans son quartier à minuit, si bien que, pour ne pas être en retard, il arrivait souvent au travail une heure ou plus avant son quart et occupait ce temps (non rémunéré) à dormir ou à attendre sur place.

Les travailleurs en soins de santé à domicile sont aussi confrontés à de longs intervalles non rémunérés, comme l’ont constaté Kathleen Fitzpatrick et Barbara Neis3. Certains travailleurs ayant participé à leur étude n’étaient payés que pour la durée des soins directs auprès du patient; par conséquent, l’intervalle entre deux rendez-vous était à leurs frais, peu importe la durée du temps d’attente. Voici les propos d’une préposée aux services de soutien à la personne :

Le matin, je commence à 9 h 30 pour m’occuper d’un patient durant deux heures. Ensuite, je n’ai pas d’autre client avant 13 h 30. Entre-temps, s’il ne fait pas trop froid à l’extérieur, il m’arrive d’aller m’asseoir sur un banc dans un parc, mais la plupart du temps j’attends chez Tim Hortons ou dans un centre commercial. Je n’ai pas les moyens de me payer un café chaque jour en attendant le prochain rendez-vous, mais c’est quand même trop loin pour rentrer à la maison et revenir ensuite.

La mobilité de son travail implique qu’elle se retrouve loin de chez elle dans l’intervalle entre deux clients, alors qu’elle n’est pas payée. Or, le bilan négatif ne tarde pas à se creuser lorsqu’on accuse ainsi une période d’attente de deux heures alors que les enfants ont été confiés à la garderie ou à une gardienne à domicile.

Et au-delà des pertes ou bénéfices négatifs, ces temps d’attente représentent aussi du temps non rémunéré passé loin de la famille. Certains travailleurs privilégient le multitâche pour récupérer le mieux possible le temps qu’ils ne peuvent consacrer à leur famille. Par exemple, certains parents ayant des enfants un peu plus âgés disent qu’ils « jouent leur rôle parental au téléphone », que ce soit durant leurs longs déplacements matin et soir, dans l’intervalle entre deux patients ou encore entre deux destinations au fil de leur journée de travail. Un représentant syndical du secteur des soins de santé à domicile raconte d’ailleurs qu’une syndiquée de son groupe communiquait toute la journée avec sa fille par textos. Un autre raconte que plusieurs travailleurs en profitent pour discuter des choses de la vie avec leurs enfants alors qu’ils font la cuisine, les devoirs ou la navette entre la maison et le travail. Durant ces longs déplacements ou pendant les trajets entre deux rendez-vous, le téléphone devient une sorte de filin de sûreté pour plusieurs, qui peuvent alors mieux s’engager comme parents et atténuer un peu le stress « de laisser son enfant seul alors qu’il n’en serait rien autrement », comme l’évoque l’un des travailleurs.

Au-delà des pertes ou bénéfices négatifs, ces temps d’attente représentent aussi du temps non rémunéré passé loin de la famille.

Selon des employés universitaires interrogés dans le cadre de cette étude, les longs déplacements requis pour donner des cours à horaires fixes peuvent servir à récupérer quelques heures de sommeil ou encore à effectuer certains travaux préparatoires, des lectures ou des corrections de travaux étudiants. Un travailleur universitaire ayant un enfant en bas âge raconte que les longs déplacements en train durent souvent plus de trois heures et demie et représentent pour lui une rare occasion de reprendre un peu de sommeil ininterrompu. Il admet par contre, tout comme un autre de ses collègues, que les longs déplacements et les horaires fixes sont des facteurs importants de troubles mentaux et perturbent largement les liens familiaux et sociaux.

Les effets de la mobilité et des horaires sur le bien-être de l’employé et de la famille

Les incidences en matière de santé mentale sont bien répertoriées au carrefour du travail à statut précaire, des longs déplacements quotidiens et des impératifs liés aux soins des enfants4. Les travailleurs universitaires interrogés évoquent d’ailleurs diverses répercussions sur le bien-être et la santé mentale découlant de la nécessité de conjuguer les responsabilités familiales avec la mobilité et les horaires de travail (ex. : stress, fatigue, anxiété). L’un des répondants affirme connaître d’importantes difficultés psychologiques en lien avec la « situation éprouvante » vécue à la maison à cause des déplacements quotidiens et des horaires : « Un peu plus tôt cet automne, j’étais si désespéré que je n’avais même pas la force de solliciter de l’aide thérapeutique. » Compte tenu des horaires, de l’importante mobilité et des responsabilités familiales, trouver le temps et l’énergie de s’occuper de sa santé mentale représentait à ses yeux un obstacle insurmontable. En somme, les horaires et les déplacements quotidiens faisaient contrepoids à l’enthousiasme que suscitait son travail, si bien qu’il était souvent complètement exténué en fin de trimestre. Il affirme aussi qu’il lui était pratiquement impossible d’entretenir son cercle social à l’extérieur de sa famille immédiate, à un point tel qu’« il fallait toute une planification pour seulement trouver le temps d’aller chez la coiffeuse ».

Pour les travailleurs mobiles, l’accès à des services de garde de qualité, abordables et compatibles avec des horaires atypiques présente un problème de taille.

Selon une autre travailleuse universitaire et syndicale, le temps passé sur la route accroît la fatigue, si bien que l’arrivée à la maison après la garderie ou l’école devient d’autant plus redoutable : « On est tellement fatigué et à pic, et les enfants aussi… On n’arrive jamais à respecter vraiment son horaire ou celui des enfants, si bien qu’on finit par se sentir coupable et incompétent. » Elle raconte avoir éprouvé de l’anxiété longtemps après avoir laissé cet emploi, juste à penser à la nécessité de devoir se lever tôt et de se presser pour faire un long et éprouvant trajet vers le travail : « C’est comme si tout était toujours fait à la dernière minute, et ça m’angoisse encore. » Du reste, elle croit avoir transmis ce sentiment à ses enfants en suscitant chez eux une sorte d’urgence ou d’anxiété, et l’impression que les adultes qui s’occupent d’eux sont dans un état perpétuel de stress aigu. Ces propos font écho aux constatations de Stephanie Premji dans le cadre de ses travaux sur les travailleurs immigrants à statut précaire à Toronto, qui a relevé que les inquiétudes liées à l’insécurité économique découlant du travail avaient causé un stress familial et des symptômes de dépression chez les enfants de ces travailleurs5.

D’autres employés ou représentants syndicaux interrogés soulignent que les responsabilités familiales et la mobilité combinées à des horaires difficiles les ont forcés à passer plus de temps non rémunéré à la maison, ce qui a contribué à un sentiment d’isolement social et à l’éloignement de leur réseau de soutien. Ils évoquent aussi leur frustration de ne pas pouvoir remédier à une situation dont ils se sentent prisonniers, ou à tout le moins en atténuer les impacts. Par exemple, ne pas pouvoir se rapprocher de leur travail parce que les conditions sont trop changeantes ou parce qu’ils n’ont pas les moyens de vivre dans un secteur offrant de meilleures possibilités d’emploi. D’autres chercheurs de l’initiative « En mouvement » ont constaté que plusieurs travailleurs ne parviennent jamais à surmonter de tels obstacles au fil du temps et à améliorer leur réalité professionnelle (et par conséquent leur santé mentale).

Horaires de travail atypiques et services de garde : un arrimage difficile

Tous les milieux de travail évalués dans cette étude exigeaient des horaires atypiques, souvent sur une base d’exploitation de 24 heures. On entend par horaires de travail atypiques tous les quarts et cycles – de plus en fréquents – exigeant des heures prolongées (début du quart à 6 h et fin vers 19 h 30 ou 20 h), des quarts en soirée (jusque vers 23 h ou plus) ou encore des quarts de nuit ou de fin de semaine6.

Au Canada, les heures de travail atypiques sont de plus en plus répandues : selon Statistique Canada, la prévalence des horaires de travail variables et atypiques a connu une hausse entre 2005 et 2015, au détriment des horaires traditionnels7. Pourtant, au cours de la même période, peu de choses ont changé en ce qui concerne le réseau de transports en commun ou les centres de la petite enfance, qui étaient traditionnellement basés sur les besoins des travailleurs de 9 à 5. Parmi les répondants, plusieurs travailleurs et représentants syndicaux affirment que les heures traditionnelles du transport public et des services de garde ne correspondent tout simplement pas aux impératifs de leur milieu de travail, si bien que les centres de la petite enfance structurés, réglementés et reconnus sur le plan de la qualité et de la sécurité demeurent tout simplement hors de portée.

Du point de vue des travailleurs mobiles, l’accès à des services de garde de qualité, abordables et compatibles avec des horaires atypiques présente un problème de taille. Pour plusieurs travailleurs à statut précaire et à faible revenu ayant des horaires atypiques, la seule option consiste à se tourner vers les fournisseurs de services de garde non reconnus. Moyennant certains frais, ceux-ci se rendent parfois disponibles à court préavis et en dehors des heures habituelles, ce qui peut donner l’impression qu’ils « profitent » en quelque sorte de la précarité de ces travailleurs. Ces derniers font parfois appel à des proches, à des amis ou à des voisins pour compléter le tableau, voire pour leur confier entièrement leurs enfants. Ainsi, un travailleur et représentant syndical à l’Aéroport international Pearson de Toronto relate que ses beaux-parents ont emménagé avec eux durant cinq ans pour s’occuper de leur jeune enfant pendant que lui-même et son épouse travaillaient selon des horaires atypiques au service d’un transporteur aérien.

Plusieurs travailleurs immigrants ont perdu le réseau de soutien social dont ils bénéficiaient dans leur pays d’origine si bien que l’accès aux services de garde représente une grande source d’anxiété.

Cependant, tout le monde n’a pas la chance de pouvoir compter sur une famille aussi disponible. Plusieurs travailleurs immigrants ont perdu le réseau de soutien social dont ils bénéficiaient dans leur pays d’origine si bien que l’accès aux services de garde représente une grande source d’anxiété, surtout lorsque la mobilité et les contraintes d’horaires compliquent l’organisation des soins à la maison8. Et même ceux qui ont accès aux services de garde reconnus avant de prendre le relais à la maison ne sont pas à l’abri des impacts émotionnels et psychologiques imputables aux longs déplacements, à la mobilité et aux horaires imprévisibles et atypiques. L’une d’entre elles note qu’elle arrive souvent juste avant la fermeture de la garderie à cause de son horaire et du temps de navettage, sans compter les aléas de la congestion routière, ce qui suppose alors « la honte intenable d’être le dernier parent à passer prendre ses enfants ».

Cette réalité touche particulièrement les femmes en emploi, qui ont l’impression que leur arrivée tardive à la garderie est perçue comme un gage de leurs piètres qualités parentales. Et cette honte – voire cette peur – n’est pas sans fondement : la plupart des services de garde imposent des amendes aux parents tardifs, souvent de l’ordre d’un dollar par minute. En 2016, une garderie d’Etobicoke, en Ontario, avait même prévu des amendes pouvant atteindre 300 $ de l’heure et la possibilité de communiquer avec les services d’aide à l’enfance lorsque ni les parents ni les personnes désignées en cas d’urgence ne pouvaient être joints9.

Une travailleuse souligne d’ailleurs que de telles mesures coercitives représentent une grande source de stress lorsqu’elle se déplace en métro pour revenir du travail, puisque son téléphone cellulaire ne fonctionne pas sous terre. Elle a toujours peur de ne pas arriver à temps en cas de retard ou de panne du métro, et de ne pas pouvoir appeler pour prévenir le service de garde. Elle considère que cette source d’anxiété ne se limite pas au trajet en tant que tel, mais rejaillit aussi dans ses interactions avec ses enfants et ses proches à la maison. En somme, comme si la honte, l’anxiété et le stress ne suffisaient pas pour ceux et celles qui cherchent à concilier mobilité, impératifs familiaux et horaires atypiques, il faut rajouter la possibilité de se voir retirer l’accès à son enfant lorsque les services d’aide à l’enfance sont en cause, sans compter les complications éventuelles concernant les demandes d’immigration.

Le travail par horaires atypiques : parfois complexe et coûteux en temps

Compte tenu des défis associés aux horaires de travail atypiques, aux impératifs de la mobilité et aux revenus limités, ainsi que de la difficulté de concilier les horaires de travail et la garde des enfants, les travailleurs doivent souvent consacrer du temps non rémunéré à planifier et à coordonner les responsabilités professionnelles et familiales, ce qui diminue d’autant le temps disponible pour la famille. Dans le cadre de ses travaux portant sur les travailleurs des centres d’appels au Québec, Karen Messing a constaté que les parents pouvaient solliciter jusqu’à huit personnes différentes pour faire garder leurs enfants et voir à leurs besoins sur une période de deux semaines, et qu’ils sacrifiaient beaucoup de temps de loisir non rémunéré pour pallier le reste, en échangeant des quarts de travail avec des collègues10.

Lorsque des travailleurs n’arrivent pas à concilier leurs horaires, leurs déplacements quotidiens et leurs responsabilités familiales, il ne reste peut-être qu’à diminuer les heures ou à demeurer pigiste, et ce, même si un poste à plein temps ou permanent est disponible.

Lorsque des travailleurs n’arrivent pas à concilier leurs horaires, leurs déplacements quotidiens et leurs responsabilités familiales, il ne reste peut-être qu’à diminuer les heures ou à demeurer pigiste, et ce, même si un poste à plein temps ou permanent est disponible. Certains représentants syndicaux racontent, par exemple, que les travailleurs qu’ils représentent dans le secteur des soins à domicile « choisissent » de garder un emploi à statut plus précaire parce qu’ils n’arriveraient tout simplement pas à concilier le travail et la famille autrement. Selon l’un d’entre eux, « c’est difficile de déterminer s’il s’agit d’un choix ou d’une obligation ». Un de ses collègues ajoute : « J’ai vu des gens qui ont tout simplement jeté l’éponge. » Il souligne qu’à défaut de démissionner, plusieurs travailleurs choisissent souvent de rester pigistes pour garder un certain contrôle sur leur vie et leur horaire de travail.

Flou persistant quant à la mobilité et à l’« obligation d’adaptation »

Les divers codes des droits de la personne font partie des avenues envisageables pour mieux concilier les responsabilités familiales et professionnelles. Dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et dans toutes les législations provinciales connexes (sauf au Nouveau-Brunswick où des modifications sont en cours pour ajouter des motifs), la situation de famille figure parmi les motifs de discrimination protégés11. Par conséquent, l’employeur a une « obligation d’adaptation » à cet égard, ce qui signifie qu’il a « l’obligation d’ajuster ses règlements, politiques ou pratiques pour vous permettre de participer pleinement12 ». Toutefois, dans les codes et les lois sur les droits de la personne au Canada, il existe certaines variations dans la définition de situation de famille et d’obligation d’adaptation, si bien que l’obligation d’adaptation ne garantit pas nécessairement à un travailleur un nouveau poste ou un emploi similaire à salaire équivalent, ni une réaffectation dans un poste exigeant les mêmes tâches avec un horaire plus flexible. De plus, toute demande d’adaptation est susceptible d’être rejetée si l’employeur considère que la situation lui cause un « préjudice injustifié », un concept dont la définition n’est pas claire non plus.

Les divers codes des droits de la personne font partie des avenues envisageables pour mieux concilier les responsabilités familiales et professionnelles.

Peu de travailleurs et de représentants syndicaux semblent savoir qu’ils peuvent recourir à l’obligation d’adaptation pour atténuer les incidences des horaires sur le travail et sur la famille, et rares sont ceux qui ont déjà invoqué la législation à cet égard. Certains représentants de travailleurs des soins de santé ont déjà cherché à faire valoir le motif de situation de famille, et ils affirment que les dispositions n’ont pas été particulièrement utiles dans leur cas, en ajoutant que cette relative utilité « tient à certaines interprétations dans le libellé quant aux liens entretenus avec l’employeur ».

L’un des représentants syndicaux participant à l’étude explique qu’une syndiquée a été mutée après une série de mises à pied au sein de l’organisation. Toutefois, les heures et le navettage requis pour son nouveau poste l’auraient empêchée d’être à la maison avec son enfant avant et après l’école. Puisqu’il s’agissait d’une mère seule et d’une nouvelle immigrante, donc sans famille élargie au pays, elle n’avait personne pour l’aider à assumer ses responsabilités de soins. Son syndicat a donc fait une demande d’adaptation en son nom. Après avoir invoqué un préjudice injustifié, son employeur lui a finalement offert un autre poste nécessitant beaucoup moins d’heures de travail. Cette employée n’avait tout simplement « plus d’autre choix » que d’accepter, comme le souligne le représentant syndical, parce que le jeu n’en valait pas la chandelle dans le cas du premier poste qu’on lui avait proposé si l’on tenait compte du salaire horaire et du coût éventuel des services de garde qu’il aurait fallu payer avant et après l’école. Elle a donc été contrainte d’« accepter le poste à heures réduites et elle arrive difficilement à joindre les deux bouts maintenant ». Un autre représentant syndical évoque un cas semblable pour démontrer que « même si ce système part d’une bonne intention, il repose néanmoins sur une conception un peu dépassée des liens d’emploi ».

Il n’est pas facile de déterminer clairement à partir d’où la mobilité justifie une obligation d’adaptation en se fondant sur les droits de la personne.

En outre, il n’est pas facile de déterminer clairement à partir d’où la mobilité justifie une obligation d’adaptation en se fondant sur les droits de la personne. Peut-on envisager qu’un travailleur en soins à domicile ou tout autre travailleur puisse exiger un horaire qui tienne compte de sa situation de famille du point de vue de la durée du travail et des déplacements quotidiens? Ou encore qu’un travailleur invoque les difficultés liées à l’heure de pointe, aux conditions hivernales, aux retards du transport en commun ou au surpeuplement pour justifier une demande d’adaptation? Est-ce que les lacunes du transport public conjuguées à des horaires difficiles peuvent justifier une demande d’adaptation? Les travailleurs peuvent-ils plaider que certains horaires de travail leur imposeront des temps de navettage si longs qu’ils devront payer des frais de garde supplémentaires en raison des retards? Voilà des questions pour lesquelles la législation actuelle en matière de droits de la personne ne propose aucune réponse claire, même si les préoccupations pour les travailleurs d’aujourd’hui sont bien réelles.

Les syndicats s’adaptent à l’évolution du travail et aux contextes familiaux

Ces études révèlent que les travailleurs dans plusieurs secteurs ont des vies complexes et que le temps dont ils disposent dessert des exigences multiples et changeantes. Ces témoignages de travailleurs et de représentants syndicaux mettent en relief la nécessité pour les syndicats de commencer à tenir compte de la mobilité et des responsabilités de soins dans leurs négociations, particulièrement lorsque le travail suppose des horaires de plus en plus irréguliers, imprévisibles et atypiques.

Ces études révèlent que les travailleurs dans plusieurs secteurs ont des vies complexes et que le temps dont ils disposent dessert des exigences multiples et changeantes.

Plusieurs représentants syndicaux ayant participé à la négociation de conventions collectives disent avoir eu souvent l’impression d’être dans une impasse sans trop savoir quelle place accorder aux répercussions que le travail entraîne sur la vie personnelle de leurs syndiqués. Faute d’autres options, la plupart finissent par insister sur l’augmentation salariale au bénéfice des travailleurs pour atténuer les facteurs de stress liés à la mobilité et aux responsabilités de soins non rémunérés. Malgré cela, il n’empêche que certains travailleurs continueront de vivre des situations intenables si l’on se contente d’insister sur le traitement sans tenir compte des autres solutions possibles.

Dans un tel contexte, les syndicats pourraient se pencher sur certains modèles intéressants. Un travailleur engagé activement au sein de son organisation syndicale précise que les gains éventuels ne se matérialisent pas toujours à la table de négociations, et que les travailleurs ainsi que les syndicats doivent aussi bâtir des relations avec des travailleurs non syndiqués, des gens de leur entourage et divers intervenants et organismes communautaires en vue de trouver des solutions globales aux difficultés que vivent les travailleurs mobiles ayant des horaires imprévisibles en plus de leurs responsabilités de soins. Il cite à titre d’exemple le cas du Conseil des travailleuses et travailleurs de l’aéroport de Toronto (TAWC), composé d’employés aéroportuaires syndiqués et non syndiqués, qui a conclu un partenariat avec divers groupes de soutien environnemental et de transport afin d’obtenir un tarif réduit pour le service ferroviaire UP Express à destination de l’aéroport. Grâce aux démarches du TAWC et de ses partenaires communautaires, le prix du trajet est passé de 27,50 $ par correspondance à seulement 3,50 $ pour les travailleurs aéroportuaires et à 12 $ pour les autres passagers.

Par ailleurs, le Code des droits de la personne de l’Ontario préconise le recours au principe de conception inclusive en milieu de travail13. Souvent résumée par la notion de « conception universelle », la conception inclusive exige de l’employeur d’envisager les moyens de favoriser la conciliation travail-famille pour les employés. Comment les horaires, les charges de travail et les descriptions de tâches sont-ils définis, et quels sont les moyens d’accroître les facteurs bénéfiques de la mobilité en misant sur des horaires flexibles tout en minimisant les côtés négatifs? Le monde du travail continue d’évoluer et de se transformer, et les dirigeants syndicaux devraient commencer à envisager les avenues possibles pour inclure le principe de conception inclusive dans leurs conventions collectives.

Téléchargez le document Travail et famille : Les incidences de la mobilité, des horaires de travail et de la précarité d’emploi (PDF)

Elise Thorburn est professeure auxiliaire à la Faculté de sociologie de l’Université Brock et chercheuse au sein du Partenariat en mouvement. Ce projet de recherche repose sur la collaboration de l’Institut Vanier de la famille et de plusieurs universités des quatre coins du Canada et d’ailleurs, qui unissent leurs efforts afin de mieux comprendre la situation des travailleurs ayant à parcourir de longues distances pour se rendre au travail et qui, par conséquent, s’absentent de leur lieu de résidence permanente dans le cadre de leur emploi et de leurs responsabilités professionnelles.


Publié le 21 août 2018

 

Notes


  1. Le Partenariat en mouvement est une initiative du Centre SafetyNet pour la recherche en santé et sécurité au travail de l’Université Memorial avec l’appui du Conseil de recherches en sciences humaines par l’entremise de ses subventions de partenariat, ainsi que de la Fondation canadienne pour l’innovation, d’Innovate NL et de nombreux partenaires universitaires et communautaires. Cette étude a également bénéficié d’un stage chapeauté par l’Institut Vanier de la famille.
  2. Pour en savoir davantage, consulter le site Web du Partenariat en mouvement. Lien : https://bit.ly/2vuBz3G
  3. Kathleen Fitzpatrick et Barbara Neis, « On the Move and Working Alone: Policy Implications of the Experiences of Unionised Newfoundland and Labrador Homecare Workers » dans Policy and Practice in Health and Safety, vol. 13, no 2 (janvier 2016). Lien : https://bit.ly/2tmVC30
  4. Stephanie Premji, « “It’s Totally Destroyed Our Life”: Exploring the Pathways and Mechanisms Between Precarious Employment and Health and Well-being Among Immigrant Men and Women in Toronto » dans International Journal of Health, vol. 48, no 1 (janvier 2018). Lien : https://bit.ly/2K3j2Vl
  5. Ibidem
  6. Shani Halfon et Martha Friendly, Work Around the Clock: A Snapshot of Non-Standard Hours Child Care in Canada, Toronto, Childcare Resource and Research Unit, 2015. Lien : https://bit.ly/2K4vyDZ
  7. Statistique Canada, « Le travail au Canada : faits saillants du Recensement de 2016 » dans Le Quotidien (29 novembre 2017).  Lien : https://bit.ly/2LLwy1w
  8. Cf. Stephanie Premji, « Precarious Employment and Difficult Daily Commutes » Relations Industrielles / Industrial Relations, vol. 72, no 1 (janvier 2017).
  9. Amanda Ferguson, « Etobicoke Daycare Hikes Late Fees for Parents Who Don’t Pick Up Kids on Time » dans CityNews Toronto (4 octobre 2017).  Lien : https://bit.ly/2yi15O2
  10. Karen Messing, Pain and Prejudice: What Science Can Learn About Work from the People Who Do It, Toronto, Between the Lines, 2014.
  11. Pour en savoir davantage : Les soins familiaux au Canada : une réalité et un droit (Institut Vanier de la famille, 2016).
  12. Commission canadienne des droits de la personne, Qu’est-ce que l’obligation d’adaptation? (s.d.). Lien : https://bit.ly/2v9MwrI
  13. Commission ontarienne des droits de la personne, Conception inclusive et obligation d’accommodement (feuillet de renseignements) (s.d.). Lien : https://bit.ly/2LNgPyP. Pour ce qui est du Code des droits de la personne de l’Ontario, voir la colonne de droite dans le site Web suivant : http://www.ohrc.on.ca/fr.

Sous la loupe : Les aidants âgés au Canada

Les responsabilités de soins sont indissociables de la vie de famille, et les aidants familiaux jouent un rôle crucial pour encadrer et fournir de tels soins au bénéfice de leurs proches, allant même dans certains cas jusqu’à en acquitter la facture. Depuis une décennie, les quelque 8,1 millions d’aidants au Canada sont de plus en plus reconnus et appréciés, mais on a tendance à négliger la part des aînés qui assument une charge de soins, même si ceux-ci représentaient plus d’un huitième des aidants en 20121.

Or, au-delà de leur apport unique et précieux dans le paysage canadien des soins familiaux, les aidants âgés ont eux-mêmes des besoins particuliers en raison de leur âge. Dans toutes les régions du pays, plusieurs d’entre eux assument par ailleurs d’autres responsabilités professionnelles ou communautaires qui risquent d’alourdir leur charge de soins (d’autant plus s’ils sont parfois eux-mêmes bénéficiaires de soins).

L’importante contribution des aînés en matière de soins au Canada2

  • En 2012, près d’un million d’aînés au Canada (966 000 personnes) ont prodigué des soins à un ami ou à un membre de la famille en raison d’une maladie chronique, d’une incapacité ou de problèmes liés au vieillissement (soit 12 % de tous les aidants)3.
  • En 2012, les aidants âgés étaient susceptibles de fournir les plus longues heures de soins chaque semaine, notamment parce que le bénéficiaire était leur conjoint dans bien des cas (ce qui suppose généralement un investissement en temps plus important)4.
    • Près du quart des aidants âgés (23 %) ont consacré 20 heures ou plus par semaine à leur charge de soins, soit une proportion environ deux fois plus importante que chez les aidants de 45 à 54 ans (13 %) ou que chez les jeunes aidants de 15 à 24 ans (10 %)5.

Plusieurs aidants âgés conjuguent leur charge de soins avec d’autres responsabilités, que ce soit comme travailleurs ou bénévoles6

  • En 2017, 14,2 % des aînés étaient sur le marché du travail (18,7 % des hommes et 10,4 % des femmes de cette tranche d’âge), soit plus du double par rapport à l’an 2000 (à 6 %)7.
  • En 2015, un cinquième des aînés au Canada (19,8 %) déclaraient avoir travaillé à un moment ou un autre durant l’année (1,1 million de personnes), soit pratiquement deux fois plus qu’en 1995 (à 10,1 %). Pour ce groupe d’âge, la proportion des hommes disant avoir travaillé durant l’année était supérieure à celle des femmes (soit 25,7 % contre 14,6 % respectivement)8.
  • En 2013, près des trois dixièmes des aînés de 75 ans ou plus (27 %) ont fait du bénévolat9.

Les soins et leurs incidences sur le bien-être des aidants âgés

  • Selon certaines études, les soins ont parfois des effets bénéfiques pour le bien-être des aidants eux-mêmes, notamment par l’impression de donner un sens à leur vie et de progresser sur le plan personnel, par une certaine confiance et une meilleure conscientisation à l’égard des soins, ou encore par le fait de pouvoir « redonner » à une personne qui s’est occupée d’eux10.
  • Par contre, les soins risquent aussi d’avoir des répercussions néfastes sur le bien-être des aidants. Ainsi, près des trois dixièmes des personnes ayant prodigué des soins en 2012 (28 %) ont trouvé la prestation de soins « stressante ou très stressante », et un cinquième des aidants (19 %) ont indiqué que leur « état de santé physique ou émotionnel s’était détérioré » en raison de leurs responsabilités d’aidant11.

Téléchargez le document Sous la loupe : Les aidants âgés au Canada

L’Institut Vanier de la famille est un organisme de bienfaisance national et indépendant, dont les activités visent à mieux comprendre la diversité et la complexité des familles, ainsi que la réalité de la vie de famille au Canada. L’Institut propose un vaste éventail de publications, d’initiatives de recherche, de présentations et d’interactions dans les médias sociaux afin de mieux comprendre comment les familles interagissent avec les forces socioéconomiques, contextuelles et culturelles, dans quelle mesure elles les influencent et comment elles réagissent à celles-ci.

 

Notes


  1. Maire Sinha, « Portrait des aidants familiaux, 2012 » dans Mettre l’accent sur les Canadiens : résultats de l’Enquête sociale générale, no 89-652-X au catalogue de Statistique Canada (septembre 2013). Lien : http://bit.ly/1qsM5zM
  2. Pour en savoir davantage : Coup d’œil sur les soins familiaux et le travail au Canada.
  3. Sinha, « Portrait des aidants familiaux, 2012 ».
  4. Ibidem
  5. Ibidem
  6. Pour en savoir davantage : Le budget de la famille moderne : Les aînés au Canada (lien : https://bit.ly/2BspD6c) et Le budget de la famille moderne : Le revenu au Canada (lien : https://bit.ly/2E3ObE6).
  7. Statistique Canada, Caractéristiques de la population active selon le sexe et le groupe d’âge détaillé, données annuelles (x 1 000), tableau CANSIM no 282-0002 (dernière mise à jour au 26 février 2019). Lien : http://bit.ly/2AQ30XA
  8. Statistique Canada, « Recensement en bref. Les personnes âgées au travail au Canada » dans Produits analytiques, Recensement de 2016, no 98-200-X-2016027 au catalogue de Statistique Canada (29 novembre 2017). Lien : http://bit.ly/2D1mXyA
  9. Pour en savoir davantage : Faits et chiffres : Le bénévolat au Canada.
  10. American Psychological Association, « Positive Aspects of Caregiving » dans Public Interest Directorate Reports (janvier 2011). Lien : http://bit.ly/1KMuMRA
  11. Sinha, « Portrait des aidants familiaux, 2012 ».

Coup d’œil sur les familles et l’alimentation au Canada

L’alimentation est au cœur de la vie de famille. Il s’agit bien sûr d’une nécessité biologique dont dépendent la survie et le bien-être, mais le portrait est en fait beaucoup plus large… Les choix alimentaires sont-ils seulement guidés par des caprices et des préférences individuelles? Bien souvent, l’alimentation n’est pas étrangère à l’identité culturelle, communautaire et familiale. Et parfois, ces choix nous sont en quelque sorte imposés en fonction de l’accessibilité et de la disponibilité des aliments.

Peu importe la situation, les familles parviennent à s’adapter et à réagir pour répondre aux besoins nutritionnels de chacun. Certaines familles ont souvent l’occasion de manger ensemble, et les repas familiaux sont alors l’occasion de « moduler » ces relations familiales en procurant un cadre favorable à l’expression des dynamiques internes, qu’il s’agisse de déléguer les responsabilités pour faire la cuisine, de discuter des prochaines vacances ou de négocier la corvée de vaisselle… D’autres familles sont plutôt contraintes de manger « sur le pouce », parfois en raison d’horaires chargés ou à cause des impératifs de la mobilité pour le travail.

Le document intitulé Coup d’œil sur les familles et l’alimentation au Canada jette un regard sur l’évolution des rapports qu’entretient la famille avec l’alimentation au pays, en mettant notamment en lumière diverses études et statistiques au sujet des repas familiaux, des habitudes alimentaires, de la nutrition, de la sécurité alimentaire, etc.

Quelques faits saillants…

  • En 2017, plus des six dixièmes des Canadiens interrogés (62 %) disent souper en famille au moins cinq fois par semaine.
  • Au Canada, plus du quart des personnes interrogées en 2017 (26 %) s’accordent pour dire qu’il leur est « impossible de préparer des repas ou de manger à la maison en raison des impératifs de la conciliation travail-vie personnelle ».
  • Selon les plus récentes données, 12 % des ménages au Canada (1,3 million) ont été affectés par l’insécurité alimentaire en 2014, soit 3,2 millions de personnes.
  • Plus de la moitié (52 %) des Inuits de l’Inuit Nunangat1 âgés de 25 ans ou plus vivaient au sein d’un ménage touché par l’insécurité alimentaire en 2012.
  • En 2015, les ménages au Canada ont dépensé en moyenne 8 600 $ en épicerie, soit une hausse de 9,9 % par rapport à 2010.
  • Devant la hausse des prix, les quatre dixièmes des répondants qui trouvent que la facture d’épicerie s’alourdit affirment devoir faire des compromis dans leurs choix pour une saine alimentation.
  • D’après une étude menée en 2017, plus des trois quarts des Canadiens négligent de consommer le nombre recommandé de portions quotidiennes de fruits et légumes recommandées par le Guide alimentaire canadien, ce qui entraîne un fardeau socioéconomique annuel estimé à 4,39 milliards de dollars.
  • Pour le seul mois de mars 2016, plus de 863 000 personnes ont eu recours aux banques alimentaires au Canada (soit 28 % de plus qu’en 2008), et les familles avec enfants représentaient 40 % des ménages ayant eu recours à une telle aide.
  • Des travaux de recherche révèlent que la malnutrition généralisée qu’ont connue les enfants autochtones ayant fréquenté les pensionnats indiens au Canada a eu des incidences multigénérationnelles (qui persistent aujourd’hui) sur la santé et le bien-être de leurs enfants et petits-enfants, accentuant ainsi la prévalence de maladies chroniques.

Cette publication bilingue sera régulièrement mise à jour en fonction des nouvelles données. Inscrivez-vous à notre infolettre mensuelle pour connaître les mises à jour et les autres nouvelles concernant les publications, les projets et les initiatives de l’Institut Vanier.

Téléchargez le document Coup d’œil sur les familles et l’alimentation au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille

 


Cette publication de la série Coup d’œil sur les statistiques est dédiée à David Northcott, CM, OM, directeur général retraité de la banque alimentaire Winnipeg Harvest, et fondateur de l’Association canadienne des banques alimentaires et de l’Association manitobaine des banques alimentaires. David a récemment achevé son deuxième mandat complet au sein du conseil d’administration de l’Institut Vanier. Toute l’équipe de l’Institut a largement bénéficié de son enthousiasme, de son dévouement pour le bien-être de la famille, ainsi que de sa grande générosité.

 

Notes


  1. Selon Statistique Canada : « Inuit Nunangat est la patrie des Inuits du Canada. Elle comprend les communautés incluses dans les quatre régions inuites : Nunatsiavut (la côte nord du Labrador), Nunavik (Nord du Québec), le territoire du Nunavut et la région Inuvialuit des Territoires du Nord-Ouest. Ensemble, ces régions englobent le territoire traditionnellement habité par les Inuits au Canada. » Lien : http://bit.ly/2xQYE0A

La santé des grands-parents et le bien-être de la famille

Rachel Margolis, Ph. D.

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Au Canada, quelque 7,1 millions de grands-parents et d’arrière-grands-parents procurent un apport unique, diversifié et précieux aux familles et à la société, entre autres par leur mentorat, leur rôle d’éducateurs et leur savoir-faire, ou en tant que dépositaires de la mémoire familiale. À l’instar de la population canadienne, le groupe démographique des grands-parents connaît un vieillissement rapide qui suscite certaines préoccupations dans les médias et l’opinion publique quant à l’impact éventuel de ce « tsunami gris ».

Toutefois, même s’il gagne en âge, le groupe des grands-parents serait en meilleure santé qu’il y a 30 ans si l’on se fie aux statistiques dans ce domaine. Il s’agit là d’une tendance éventuellement favorable aux familles, puisque la bonne santé des grands-parents leur permet de mieux contribuer à la vie de famille et d’aider les plus jeunes générations à assumer diverses responsabilités familiales, comme les soins aux enfants et le budget du ménage.

L’amélioration de la santé des grands-parents leur permet de mieux contribuer à la vie de famille et d’aider les plus jeunes générations à assumer leur diverses responsabilités familiales.

Le Canada vieillit, et les grands-parents aussi…

Le vieillissement du groupe démographique des grands-parents fait écho à celui de l’ensemble de la population canadienne. Selon les plus récentes données du Recensement de 2016, les aînés occupent désormais 16,9 % du poids démographique au pays, soit presque deux fois plus qu’en 1981 (9,6 %). Il s’agit de la proportion la plus élevée jamais enregistrée jusqu’ici, et cette croissance devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies : si la tendance se maintient, les Canadiens de 65 ans ou plus représenteront près du quart de la population (23 %) d’ici 2031. En outre, la tranche des Canadiens les plus âgés (100 ans ou plus) connaît actuellement la croissance la plus rapide : on comptait 8 200 centenaires en 2016 (soit 41 % de plus qu’en 2011), et ils seront vraisemblablement 40 000 d’ici 2051.

Dans un tel contexte, le vieillissement global du groupe démographique des grands-parents n’est pas une surprise. Ainsi, alors que 41 % des grands-parents avaient 65 ans ou plus en 1985, cette proportion était passée à 53 % en 2011. La représentation des grands-parents âgés de 80 ans ou plus a connu une croissance encore plus marquée, passant pratiquement du simple au double pour atteindre 13,5 % en 2011 (contre 6,8 % en 1985).

Des grands-parents plus âgés compte tenu de l’espérance de vie

L’augmentation de l’espérance de vie figure parmi les facteurs qui sous-tendent le vieillissement du groupe démographique des grands-parents. Statistique Canada estime que l’espérance de vie à la naissance suit une courbe ascendante constante, qui atteignait 83,8 ans chez les femmes et 79,6 ans chez les hommes pour la période de 2011 à 2013. Il s’agit d’un gain d’environ une décennie de vie en à peine un demi-siècle : les hommes et les femmes vivent respectivement 9,5 années et 11,2 années de plus qu’en 1960-1962.

Par ailleurs, puisque le taux de mortalité recule chez les personnes de moins de 65 ans, le nombre de Canadiens à passer ce cap s’accroît. Selon les données colligées par Statistique Canada, 86 % des filles nées entre 1980 et 1982 pouvaient espérer franchir le cap des 65 ans, mais 92 % de celles nées entre 2011 et 2013 pouvaient en espérer autant. Chez les garçons nés durant les mêmes intervalles, la proportion est passée de 75 % à 87 %.

Du reste, les gens vivent aussi plus longtemps au sein du groupe des aînés, comme en fait foi l’augmentation constante de l’espérance de vie à l’âge de 65 ans. (Cette mesure s’avère particulièrement utile pour évaluer le bien-être des populations plus âgées puisqu’elle ne tient pas compte du taux de mortalité des personnes qui n’atteignent pas 65 ans.) Selon les estimations de Statistique Canada pour la période de 2011 à 2013, l’espérance de vie à l’âge de 65 ans se situait à 21,9 années pour les femmes et à 19 années pour les hommes, soit respectivement 3 années et 4,4 années de plus qu’en 1980-1982.

Les femmes deviennent mères plus tardivement qu’auparavant, ce qui se répercute sur l’âge auquel on devient grands-parents. Par conséquent, le groupe démographique des grands-parents augmente en âge.

Parmi les facteurs responsables du vieillissement du groupe démographique des grands-parents, il faut aussi tenir compte du fait que, en règle générale, les femmes deviennent mères plus tardivement qu’auparavant, et cette tendance de la fécondité fait augmenter l’âge auquel on devient grands-parents. Depuis 1970, l’âge moyen des mères à la naissance d’un premier enfant a suivi une ascension soutenue, passant de 23,7 ans pour atteindre 28,8 ans en 2013. De même, le nombre de mères âgées de 40 ans ou plus à la naissance d’un premier enfant est en hausse : on en comptait 3 648 en 2013, comparativement à 1 172 en 1993 (+210 %). Par conséquent, si les femmes sont de plus en plus nombreuses à retarder l’âge de la procréation, elles repoussent vraisemblablement l’âge de la grand-parentalité. De nos jours, les nouveaux grands-parents sont des baby-boomers, cette génération qui a différé l’âge de la procréation des femmes pour leur permettre de se consacrer à leurs études et d’acquérir de l’expérience professionnelle. Dans le sillage de celles-ci, la génération suivante tend aussi à avoir des enfants tardivement. L’effet cumulatif de ces deux générations influence certainement la tendance à la hausse de l’âge d’accession au statut de grands-parents.

Cependant, même si le groupe démographique des grands-parents se fait vieillissant, la grand-parentalité occupe une portion de l’existence plus longue qu’auparavant. De fait, si les grands-parents accèdent à ce statut plus tard, ils vivent aussi plus longtemps pour en profiter. Cet allongement favorise les occasions de nouer, d’entretenir et de consolider des relations avec les plus jeunes générations. D’après les conclusions de mes récents travaux, compte tenu du portrait démographique actuel au Canada, les femmes pourraient être grands-parents pendant 24,3 ans en moyenne au cours de leur vie, et les hommes durant 18,9 ans. Bref, ils auront plus ou moins deux décennies pour assumer ce rôle important pour la vie de famille.

Des grands-parents plus âgés, mais en meilleure santé

Selon les données de l’Enquête sociale générale (ESG), non seulement les grands-parents canadiens vivent-ils plus longtemps, mais ils sont également susceptibles de vivre en meilleure santé qu’auparavant. Alors que 70 % d’entre eux qualifiaient leur santé de « bonne, très bonne ou excellente » en 1985, cette proportion atteignait 77 % en 2011. Corollairement, la proportion de grands-parents estimant leur état de santé « passable ou mauvais » avait reculé de 31 % à 23 % dans le même intervalle. Dans l’ensemble, les grands-parents étaient 44 % plus susceptibles de s’estimer en bonne santé en 2011 qu’en 1985.

Durant le dernier demi-siècle, diverses tendances ont favorisé la santé des grands-parents et de l’ensemble des aînés au Canada. D’une part, d’importants progrès en santé publique ont amélioré la prévention, le dépistage et le traitement des maladies. Combinés à d’autres éléments, ces progrès ont contribué à réduire considérablement les décès causés par les maladies du système circulatoire (ex. : cardiopathies), soit l’un des principaux facteurs ayant permis d’allonger l’espérance de vie chez les hommes depuis 50 ans.

D’autre part, l’amélioration de l’état de santé des grands-parents au Canada est aussi attribuable à l’augmentation du niveau de scolarité au sein de ce groupe démographique. En effet, des études ont montré que l’éducation peut avoir des incidences favorables directes et indirectes pour la santé au cours de la vie. Parmi les retombées directes, on compte notamment l’amélioration de la littératie ou des connaissances en matière de santé, des rapports entre les patients et le système de santé, ainsi que de la capacité et de la volonté de ces derniers de faire valoir leur point de vue auprès des fournisseurs de soins de santé. Quant aux retombées indirectes, elles concernent notamment la diversification des ressources disponibles (notamment les revenus) et des possibilités d’emploi (travail à plus faible risque ou moins exigeant physiquement, emploi assorti d’indemnités en cas de maladie, etc.).

Il existe un lien entre le niveau d’éducation et l’état de santé : il s’agit là d’un facteur important puisque la proportion des grands-parents ayant fait des études postsecondaires a plus que triplé en trois décennies.

Il s’agit là d’importants facteurs à prendre en compte en contexte canadien, puisque la proportion de grands-parents ayant un diplôme d’études postsecondaires a plus que triplé au pays depuis trois décennies, passant de 13 % en 1985 à près de 40 % en 2011.

La santé des grands-parents au bénéfice de la famille

L’état de santé des grands-parents peut avoir des répercussions importantes pour les familles. De fait, lorsque la santé de l’un ou de plusieurs grands-parents se dégrade, les membres de la famille sont souvent les premiers à fournir et à structurer les soins pour contribuer à leur bien-être, et à en payer la facture. Cet état de fait n’est pas à négliger dans le portrait des soins à domicile au pays, puisque les aidants familiaux assument de 70 % à 75 % des soins à domicile fournis à l’ensemble des aînés, selon le Conseil canadien de la santé.

D’après l’ESG de 2012, près des trois dixièmes des Canadiens (28 %) affirmaient avoir prodigué des soins à un membre de la famille durant l’année précédente, et le motif le plus souvent évoqué à cet égard concernait les problèmes liés au vieillissement (28 % des aidants). De tous les bénéficiaires de soins au Canada, 13 % étaient des grands-parents, et ces derniers représentaient aussi le principal groupe de bénéficiaires des jeunes aidants (de 15 à 29 ans). De fait, les quatre dixièmes d’entre eux affirmaient que leur principal bénéficiaire était un grand-parent.

Même si 95 % des aidants disent s’acquitter plutôt bien de leur charge de soins, des études ont montré que de telles responsabilités entraînent parfois des répercussions négatives selon les contextes, notamment pour le bien-être, l’avancement professionnel et le budget de la famille. Ces risques guettent particulièrement ceux qui occupent aussi un emploi rémunéré, ce qui implique les trois quarts des aidants et le tiers de tous les Canadiens en emploi.

Par contre, lorsque les grands-parents sont en bonne santé, ce sont les familles elles-mêmes qui peuvent en bénéficier, de diverses façons. Non seulement ces grands-parents nécessiteront-ils moins de soins, mais ils seront mieux à même de contribuer de manière constructive à la vie de famille, entre autres en s’occupant des enfants et en participant financièrement au budget familial.

Des grands-parents pour s’occuper des enfants des générations montantes

Bon nombre de grands-parents jouent un rôle de premier plan en s’occupant de leurs petits-enfants, épaulant ainsi les parents de la « génération intermédiaire » qui tentent de conjuguer soins aux enfants et responsabilités professionnelles. Au cours des dernières décennies, certaines tendances socioéconomiques et contextuelles convergentes ont accentué l’apport important de ces grands-parents soucieux de participer aux soins aux enfants pour le bien-être des familles.

Bon nombre de grands-parents jouent un rôle de premier plan en s’occupant de leurs petits-enfants, épaulant ainsi les parents de la « génération intermédiaire » qui tentent de conjuguer soins aux enfants et responsabilités professionnelles.

Au Canada, le nombre de couples à deux soutiens est en hausse depuis 40 ans. Alors que seulement 36 % des familles avec enfants comptaient sur deux soutiens en 1976, cette proportion a pratiquement doublé pour atteindre 6 % en 2014. Or, plus de la moitié de ces couples (51 %) sont des parents qui travaillent tous deux à plein temps. Dans un tel contexte, les services de garde non parentaux sont de plus en plus sollicités. Les données de l’ESG de 2011 en font foi : alors que presque la moitié (46 %) de tous les parents disaient avoir eu besoin de services de garde quelconques pour leurs enfants de 14 ans ou moins durant l’année précédente, cette proportion était plus marquée chez les couples de parents à deux soutiens ayant des enfants de 0 à 4 ans (71 %) ou de 5 à 14 ans (49 %).

Compte tenu de l’évolution de la structure et de la composition des familles au fil des générations, un nombre accru d’entre elles se tournent désormais vers les services de garde non parentaux. Par exemple, la proportion de familles monoparentales a fait un bond important depuis un demi-siècle : alors que celles-ci représentaient 8,4 % de toutes les familles en 1961, elles occupaient une portion de 16 % en 2016. Les données recueillies dans le cadre de l’ESG de 2011 montrent que près des six dixièmes (58 %) des parents seuls ayant des enfants de 4 ans ou moins recouraient à des services de garde non parentaux.

Dans certains cas, en l’absence de génération intermédiaire (c’est-à-dire les parents), ce sont les grands-parents qui assument l’entière responsabilité d’élever leurs petits-enfants. Cette situation touchait 12 % de tous les grands-parents vivant sous le même toit que leurs petits-enfants selon l’ESG de 2011, qui fait état de 51 000 familles caractérisées par « l’absence d’une génération » au Canada. Les familles sans génération intermédiaire sont plus fréquentes parmi certains groupes, notamment chez les Premières Nations (28 %), les Métis (28 %) ou les Inuits (18 %), comparativement à 11 % au sein de la population non autochtone.

Enfin, lorsqu’il s’avère impossible de dénicher une place en service de garde structuré et de qualité au sein de leur collectivité, plusieurs parents se tournent vers les grands-parents. En 2014, les centres de la petite enfance réglementés ne pouvaient accueillir plus du quart (24 %) des enfants de 5 ans ou moins au pays. Même s’il s’agit là d’une amélioration notable par rapport au taux de 12 % enregistré en 1992, il n’en demeure pas moins que plus des trois quarts des enfants de ce groupe d’âge n’ont pas accès à une place en garderie réglementée. La disponibilité (ou le manque) de places en garderie n’est pas négligeable : pour les familles formées d’un couple de parents, il s’agit d’un élément déterminant susceptible d’influencer la décision de participer ou non au marché du travail.

Par ailleurs, le coût des services de garde pourrait également inciter certains parents à faire appel aux grands-parents pour s’occuper des enfants, particulièrement pour les familles vivant dans les centres urbains. En 2015, une étude sur le coût des services de garde dans les villes canadiennes a été réalisée à partir de données administratives sur les frais de garde et au terme de divers sondages téléphoniques aléatoires auprès de garderies à domicile ou de centres de la petite enfance. On a constaté que les tarifs les plus élevés au Canada étaient concentrés à Toronto, où le coût médian des services de garde non subventionnés était évalué à 1 736 $ par mois pour la garde à plein temps d’un nourrisson (moins de 18 mois) et à 1 325 $ pour les tout-petits (d’1 an et demi à 3 ans).

L’engagement des grands-parents peut favoriser le bien-être des enfants

Peu importe les raisons qui motivent les grands-parents à consacrer du temps à leurs petits-enfants, il n’en demeure pas moins que leur engagement dans la vie de famille peut contribuer au bien-être de ces derniers. Des études ont permis de constater que l’implication des grands-parents dans la vie de famille exerce un ascendant marqué sur le bien-être des enfants, et pourrait notamment favoriser leur engagement scolaire et l’adoption d’un comportement social positif. D’ailleurs, cette situation n’est pas seulement bénéfique aux enfants puisque, comme l’ont révélé d’autres travaux de recherche, les relations étroites entre grands-parents et petits-enfants ont des retombées positives pour la santé mentale des uns et des autres. Au sein des familles des Premières Nations, les grands-parents jouent aussi un rôle important auprès des générations montantes quant aux aspects culturels associés à la santé et à la guérison.

Selon certaines études, l’implication des grands-parents dans la vie de famille exerce un ascendant marqué sur le bien-être des enfants, et pourrait notamment favoriser leur engagement scolaire et l’adoption d’un comportement social positif.

Dans l’ensemble, l’amélioration de la santé des grands-parents représente une bonne nouvelle pour de nombreuses familles. En effet, plus ceux-ci sont en santé, plus ils seront en mesure de participer à diverses activités avec leurs enfants et petits-enfants. À cet égard, des études ont montré que l’état de santé des grands-parents influence directement la qualité de leurs interactions avec les jeunes.

Un appui financier important de la part de nombreux grands-parents

En outre, les grands-parents en meilleure santé sont plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré pour consolider leur propre situation financière ainsi que leur capacité d’aider les plus jeunes générations à cet égard.

Les grands-parents en meilleure santé sont plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré pour consolider leur propre situation financière tout comme leur capacité d’aider les plus jeunes générations.

Il n’existe pas beaucoup de données récentes portant précisément sur les tendances de l’emploi des grands-parents au Canada, mais l’augmentation du nombre d’aînés qui travaillent est largement documentée depuis quelques décennies. Pour la période de 1997 à 2003, le taux de participation des aînés au marché du travail a oscillé entre 6 % et 7 %, avant de connaître une hausse constante jusqu’à atteindre environ 14 % pour la première moitié de 2017 (le taux étant encore plus élevé pour le groupe des 65 à 69 ans, à hauteur de 27 %). Par conséquent, puisqu’environ 80 % des aînés au pays sont aussi des grands-parents, on peut penser qu’un nombre croissant de grands-parents occupent un emploi à l’heure actuelle.

Sachant que 8 % des grands-parents vivent au sein d’un ménage multigénérationnel, leur capacité d’y contribuer financièrement n’est donc pas à négliger. D’après les données du Recensement de 2016, ce type de ménage connaît la plus forte croissance à l’heure actuelle, en fonction d’une augmentation de près de 38 % entre 2011 et 2016, culminant à 403 810 foyers. De même, le nombre de familles sans génération intermédiaire connaît une tendance similaire, et ce mode de cohabitation s’avère plus fréquent parmi les familles autochtones et immigrantes, lesquelles occupent une portion grandissante du portrait familial au Canada.

Les ménages sans génération intermédiaire sont plus fréquents parmi les familles autochtones et immigrantes, lesquelles occupent une portion grandissante du portrait familial au Canada.

D’après les données de l’ESG de 2011, plus de la moitié (50,3 %) des quelque 584 000 grands-parents ayant adopté de tels modes de cohabitation affirmaient jouer un certain rôle sur le plan financier au sein du ménage. Toutefois, la participation au budget familial est variable et s’avère beaucoup plus élevée chez les grands-parents vivant au sein d’un ménage sans génération intermédiaire (80 %) ou d’un ménage multigénérationnel où la génération intermédiaire se compose d’un parent seul (75 %).

Diversification des liens familiaux avec les grands-parents

Au Canada, le vieillissement de la population totale en général – et du groupe démographique des grands-parents en particulier – pose certains défis sociétaux, notamment en ce qui a trait aux soins communautaires, au logement, au transport et à la sécurité du revenu. En contrepartie, l’augmentation de l’espérance de vie des grands-parents ainsi que l’amélioration globale de leur état de santé ouvre certains horizons pour les individus et leur famille. Plusieurs grands-parents contribuent déjà aux diverses responsabilités familiales en aidant les plus jeunes générations, entre autres pour les soins aux enfants et la gestion du budget familial, et cette tendance devrait se poursuivre au cours des années à venir. Il s’agit là d’une facette positive parfois oubliée lorsqu’il est question du « tsunami gris ».

Par ailleurs, puisque leur état de santé s’est généralement amélioré, bon nombre de grands-parents peuvent désormais entretenir de meilleures relations avec les plus jeunes au sein des familles, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. En misant sur leur capacité de s’adapter et de réagir au contexte socioéconomique et culturel, les grands-parents continueront de jouer un rôle important – et probablement grandissant – dans la vie de famille, au bénéfice des générations à venir.

 


Rachel Margolis, Ph. D., est professeure agrégée au Département de sociologie de l’Université Western Ontario.

 

Vous trouverez toutes les références et les sources d’information dans la version PDF de cet article.

Publié le 5 septembre 2017

Faits et chiffres : les familles et les loisirs actifs au Canada (mise à jour de 2017)

Qu’il s’agisse d’une baignade à la plage en été, de glissades en hiver ou de sports structurés l’année durant, plusieurs familles privilégient un mode de vie physiquement actif dans le cadre de leurs loisirs, ce qui peut favoriser le bien-être individuel et familial. Toutefois, il est de plus en plus inquiétant de constater que le niveau d’activité physique de plusieurs Canadiens demeure en deçà du seuil recommandé, souvent à cause d’horaires trop chargés ou faute de passer un peu trop de temps « devant un écran ».

Pour en apprendre davantage sur les moyens mis en œuvre par les Canadiens de tous âges afin de rester en forme tout en s’amusant, consultez notre fiche de renseignements actualisée portant sur les familles et les loisirs actifs au Canada!

Téléchargez le document Faits et chiffres : les familles et les loisirs actifs au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille.

 


Publié le 25 juillet 2017

En contexte : comprendre les soins de maternité au Canada

S’il est vrai, comme le veut le dicton, qu’« il faut tout un village pour élever un enfant », il faut certainement toute une collectivité pour faciliter sa naissance. Tout au long de la période périnatale, plusieurs personnes prodiguent des soins aux femmes enceintes et aux nouvelles mères. Les réseaux et les relations sur lesquels s’appuient ces intervenants jouent un rôle majeur pour assurer la santé et le bien-être des nouvelles mères et de leurs nourrissons.

La naissance représente un jalon important et exaltant, qui voit la famille s’élargir et la venue d’une nouvelle génération. Il s’agit également d’une période cruciale pour le développement de l’enfant, très vulnérable à ce stade, mais également susceptible de bénéficier grandement d’un milieu sain.

La grossesse, la naissance, l’accouchement et les soins postnataux évoluent sans cesse au fil des générations. Compte tenu des avancées médicales et de l’amélioration globale des soins de maternité, de l’alimentation et du niveau de vie en général tout au long du XXe siècle, on a constaté des progrès considérables en ce qui concerne le taux de mortalité maternelle (décès d’une femme à la suite de complications de la grossesse ou de l’accouchement), le taux de morbidité maternelle (complications pour la mère en lien avec l’accouchement) et le taux de mortalité infantile.

Mortalité Maternelle et infantile au Canada 

En 1931, la mortalité maternelle représentait 508 décès pour chaque tranche de 100 000 naissances vivantes, mais on ne comptait plus que 7 décès par tranche de 100 000, en 2015.

De 1931 à 1935, le taux de mortalité infantile moyen atteignait 76 décès pour chaque tranche de 1 000 naissances vivantes, mais se limitait à 4,9 décès par tranche de 1 000, en 2013.

À partir du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle, l’accouchement se passait généralement à la maison et les soins de maternité au Canada étaient dispensés au sein de la collectivité. En règle générale, il incombait aux familles et aux sages-femmes de prendre soin des femmes enceintes et des nouvelles mères. Toutefois, avec l’instauration des régimes d’assurance-maladie au XXe siècle, les hôpitaux et les services médicaux ont graduellement pris le relais pour encadrer les naissances et les soins de maternité, principalement sous la supervision de professionnels de la santé comme les médecins et les obstétriciens. On a parfois parlé de « médicalisation de la naissance » pour évoquer cette tendance.

Par conséquent, au début des années 80, la vaste majorité des femmes accouchaient désormais dans les hôpitaux régionaux, sous la supervision d’un médecin de famille ou d’un obstétricien, avec l’aide d’infirmières en obstétrique. Du même coup, les conjoints et les autres membres de la famille se retrouvaient en marge du processus de l’accouchement, souvent confinés à des salles d’attente. Après la naissance, les mères aussi étaient séparées de leurs bébés gardés en pouponnière, ce qui s’avérait parfois traumatisant tant pour la mère que pour son nourrisson.

Puis les centres hospitaliers ont progressivement instauré des politiques de cohabitation pour la mère et son bébé en vue de faciliter l’allaitement et de favoriser les liens d’attachement mère-enfant, au bénéfice de la santé et du bien-être de chacun. Dans le cadre de cette cohabitation, les infirmières ont commencé à transmettre de l’information aux nouvelles mères relativement à leur rétablissement, en leur donnant notamment divers conseils sur l’allaitement et les soins postnataux. Au fil de ces changements subséquents dans les pratiques de soins postnataux, on a réussi à raccourcir considérablement la durée d’hospitalisation des femmes suivant l’accouchement, qui est passée de cinq journées d’hospitalisation en moyenne en 1984-1985 dans le cas d’un accouchement vaginal, à une ou deux journées actuellement.

De nos jours, les conjoints sont beaucoup plus impliqués qu’autrefois dans l’accouchement et le processus périnatal. La plupart assistent à l’accouchement et assument ensuite un rôle accru dès les premières heures de vie de leur enfant de même qu’au cours des années suivantes. Il n’est pas rare d’entendre les couples modernes parler de l’accouchement comme d’une expérience conjointe, et cette tendance se reflète d’ailleurs dans les propos de plusieurs (« Nous attendons un enfant… », etc.).

Qu’est-ce que les soins de maternité?

Les soins périnataux ou de maternité (on emploiera ici soins de maternité) sont des termes génériques pour désigner le continuum de soins auprès de la mère et de son bébé, et ce, avant, pendant et après la naissance. On parle plus précisément des soins prénataux ou anténataux (c.-à-d. les soins durant la grossesse), des soins pernataux (soit durant le travail et l’accouchement) ainsi que des soins postnataux ou post-partum (c.-à-d. les soins à la mère et au nouveau-né après la naissance). Puisque la mère et l’enfant vivent tous deux d’importants changements au cours de la période périnatale, les soins de maternité supposent un large éventail de mesures de suivi et de soins de santé.

Les soins prénataux ou anténataux (on emploiera ici les soins prénataux) visent à surveiller et à favoriser la santé et le bien-être de la mère et de son fœtus en développement avant la naissance. Diverses techniques de surveillance et de diagnostic sont mises à contribution pour assurer la santé fœtale, notamment au moyen d’échographies et de prélèvements sanguins. Pendant cette période, la santé de la mère est aussi suivie de près par les professionnels de la santé. Les femmes enceintes reçoivent de l’information sur la grossesse, le développement du fœtus, le confort physique, les différents tests, la planification en vue de l’accouchement, ainsi que sur la préparation au rôle de parent.

La plupart des femmes (87 %) disent avoir reçu le soutien de leur partenaire, de leur famille ou de leurs amis durant la période prénatale.

Selon l’Enquête canadienne sur l’expérience de la maternité de 2009, la plupart des femmes (87 %) disent avoir reçu le soutien de leur partenaire, de leur famille ou de leurs amis durant la période prénatale. Au cours de cette période, ce soutien ainsi que les soins des praticiens de la santé s’avèrent particulièrement importants puisque plusieurs femmes (57 %) affirment que la plupart des journées sont stressantes. Durant la grossesse, le stress chez la mère peut affecter le bien-être du bébé, et parfois causer une naissance prématurée ou un faible poids à la naissance.

Selon la vaste majorité des femmes enceintes interrogées (95 %), les soins prénataux débutent généralement au cours du premier trimestre de grossesse. Parmi certains groupes toutefois, ces soins commencent parfois plus tard qu’au premier trimestre, notamment pour la tranche des 15 à 19 ans, pour les femmes moins scolarisées ou pour celles vivant au sein d’un ménage à faible revenu. À cet égard, l’une des principales raisons évoquées pour expliquer les soins tardifs en cours de grossesse concernait les difficultés d’accès à un médecin ou à professionnel de la santé.

Les soins pernataux ou intrapartum (on emploiera ici les soins pernataux) désignent les soins et l’assistance auprès des mères durant le travail et l’accouchement, notamment pour que la naissance se déroule dans un cadre sécuritaire et hygiénique, et pour surveiller la santé de la mère et de l’enfant tout au long du processus. La plupart du temps, ces soins sont prodigués en milieu hospitalier, où les mères bénéficient des services de divers professionnels de la santé, notamment des obstétriciens et des gynécologues (principaux fournisseurs de soins de santé durant l’accouchement, selon 70 % des mères interrogées), des médecins de famille (15 %), des infirmières ou des infirmières praticiennes (5 %) ou encore des sages-femmes (4 %).

L’importance du soutien affectif n’est pas négligeable durant cette période, qu’il provienne d’un conjoint ou partenaire, d’un ami, d’un membre de la famille, d’une sage-femme ou d’une accompagnante à la naissance (ou d’une combinaison de ces intervenants). Les études ont montré que les femmes qui bénéficient d’un soutien social constant seraient plus susceptibles d’accoucher rapidement (quelques heures de moins) et par voie vaginale, de considérer l’accouchement et la naissance comme un épisode heureux, et d’avoir moins recours à divers analgésiques.

Les études ont montré que les femmes qui bénéficient d’un soutien social constant seraient plus susceptibles d’accoucher rapidement et par voie vaginale, et de considérer l’accouchement et la naissance comme un épisode heureux.

Les soins postnataux ou post-partum (on emploiera ici les soins postnataux) visent à soutenir la mère et le nouveau-né après la naissance, ce qui suppose le suivi de leur état de santé ainsi que diverses évaluations de routine en vue de cibler tout écart par rapport à la courbe normale de rétablissement après l’accouchement, pour pouvoir intervenir au besoin.

La période postnatale couvre les six premières semaines de vie de l’enfant, soit une « phase critique » au cours de laquelle les professionnels de la santé fournissent divers soins et procèdent à plusieurs examens importants pour assurer le bien-être de la mère et de l’enfant, comme le confirme l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Dans ses lignes directrices de 2013 concernant les soins postnataux, l’OMS cible les pratiques exemplaires à privilégier, entre autres en ce qui concerne les soins postnataux auprès des mères et des bébés durant les 24 premières heures (peu importe où l’accouchement a eu lieu), l’importance de garder la mère et l’enfant au moins 24 heures dans un établissement de santé sans précipiter le congé, et la nécessité de prévoir au moins quatre suivis postnataux durant les six semaines suivant l’accouchement.

D’après l’Enquête canadienne sur l’expérience de la maternité, plus des sept dixièmes des femmes (73 %) considéraient que leur santé était « excellente » ou « très bonne » après un délai de cinq à quatorze mois suivant l’accouchement. Cependant, plus des quatre dixièmes des Canadiennes (43 %) affirmaient avoir connu au moins « un gros problème » de santé post-partum au cours des trois premiers mois suivant l’accouchement, notamment des douleurs aux seins (16 % des femmes), des douleurs dans la région vaginale ou de l’incision de la césarienne (15 %), ou encore des maux de dos (12 %).

Le soutien postnatal peut aussi s’avérer important pour contrer la dépression post-partum, qui toucherait 10 à 15 % des mères dans les pays développés. Des études ont révélé que la dépression post-partum dépend de certains facteurs déterminants, notamment le stress vécu par la mère durant la grossesse, l’accessibilité à des mesures de soutien social, ainsi que les antécédents personnels de dépression. Selon les données de recherche, le soutien affectif du partenaire et des autres membres de la famille tout au long de la période périnatale contribuerait à réduire les risques de dépression post-partum et de troubles émotionnels chez la mère tout comme chez le nouveau-né.

Du reste, les services offerts en soins postnataux varient d’une région ou d’une collectivité à l’autre au Canada, qu’il s’agisse de soutien informationnel, de visites à domicile par une infirmière en santé publique ou un éducateur non-spécialiste de la santé, ou encore du soutien téléphonique d’une sage-femme ou d’une infirmière en santé publique.

Depuis quelques décennies, le secteur privé offre une panoplie grandissante de services postnataux, notamment des services intensifs d’accompagnantes post-partum pour s’occuper des nouveau-nés, de l’aide à l’allaitement naturel ou au biberon, ou encore des services de garde d’enfants, de préparation des repas ou d’aide aux tâches ménagères, etc. Toutefois, ces services privés ont un coût et, par conséquent, ne sont pas accessibles à toutes les familles.

D’où proviennent les soins de maternité?

Outre les soins et le soutien des proches et des amis, la réalité moderne des soins de maternité dépend aussi de nombreux professionnels de la santé qui contribuent chacun à leur façon au continuum de soins, notamment les médecins de famille, les obstétriciens ou gynécologues, les infirmières, les infirmières praticiennes, les sages-femmes de même que les accompagnantes à la naissance.

D’abord, les médecins de famille fournissent des soins à la plupart des nouvelles mères tout au long de la période périnatale. Ils sont susceptibles d’intervenir à tous les stades des soins de maternité ou des soins aux nourrissons, mais tous n’offrent pas nécessairement la gamme complète des soins. Par rapport aux décennies antérieures, on constate cependant un recul du nombre de médecins prodiguant des soins de maternité au Canada. En effet, la proportion des médecins de famille qui procèdent à des accouchements a fléchi au pays de 1997 à 2010, passant de 20 % à 10,5 %. De nos jours, une proportion croissante des tâches et des responsabilités de soins reviennent à d’autres professionnels de la santé, comme les obstétriciens ou les sages-femmes.

La plupart des médecins de famille qui participent aux soins de maternité ou aux nourrissons le font dans une approche de « soins partagés », c’est-à-dire que leur suivi ne dépasse pas un certain stade de la grossesse (souvent entre 24 et 32 semaines), après quoi les soins sont confiés à un autre fournisseur comme un obstétricien, une sage-femme ou un autre médecin de famille accoucheur. De fait, certains médecins de famille participent à l’accouchement, mais leur nombre varie considérablement d’une province à l’autre ou en fonction de la disponibilité d’autres fournisseurs de soins de santé.

Au Canada, les obstétriciens et gynécologues assument une part grandissante des soins pernataux, mais ce n’est pas le cas de tous ces spécialistes, et les proportions à cet égard varient d’une province à l’autre. Puisqu’ils possèdent une expertise et des connaissances spécialisées au sujet de la grossesse, de l’accouchement, de la santé sexuelle féminine et des soins génésiques (y compris une formation en chirurgie pour effectuer notamment des césariennes), plusieurs agissent également comme experts-conseils auprès des autres médecins, ou encore supervisent les grossesses à haut risque.

Les infirmières et infirmiers représentent le groupe le plus important en nombre parmi les fournisseurs de soins de maternité au Canada. Appelés à jouer un rôle actif tout au long de la période périnatale, ces intervenants prodiguent un éventail de soins, ce qui se traduit notamment par de l’éducation au sujet de l’accouchement, ainsi que par des services prénataux à domicile auprès des femmes ayant une grossesse à haut risque, de l’assistance durant l’accouchement, et parfois aussi des soins de suivi auprès des nouvelles mères. Après la naissance, les infirmières et infirmiers sont souvent appelés à transmettre de l’information aux nouvelles mères tout en les préparant en vue de leur congé, y compris en ce qui concerne l’allaitement, les soins du bain, les symptômes de la jaunisse, la sécurité pendant le sommeil, la santé mentale post-partum, l’alimentation, etc.

Quant aux infirmières praticiennes, ce sont des infirmières agréées assumant une gamme élargie de responsabilités en soins de santé. Dans bien des cas, elles fournissent des soins de première ligne en suivi de grossesse à faible risque, et interviennent à plusieurs niveaux (examens physiques, tests de dépistage ou de diagnostic, soins postnataux, etc.). Lorsqu’elles sont appelées à assumer ou à faciliter des soins de maternité, les infirmières praticiennes travaillent souvent au sein d’équipes multidisciplinaires en collaboration avec d’autres professionnels de la santé, dont les médecins et les sages-femmes. En milieu hospitalier, on les retrouve également en salle d’obstétrique et d’accouchement, dans les unités de soins post-partum, dans les unités néonatales de soins intensifs ainsi que dans les services de consultation externes. Compte tenu de leur expertise et de leur formation élargie, les infirmières praticiennes jouent un rôle important dans les collectivités rurales ou éloignées, où elles fournissent dans bien des cas la gamme complète des services de soins de santé.

Compte tenu de leur expertise élargie et de leur formation, les infirmières praticiennes jouent un rôle important dans les collectivités rurales ou éloignées, où elles fournissent dans bien des cas l’éventail complet des services de soins de santé.

Les sages-femmes, quant à elles, prodiguent des soins de santé primaires auprès des femmes enceintes et des nouvelles mères, et ce, durant toute la période périnatale. Assumant un rôle de plus en plus important dans le paysage moderne des soins de maternité au Canada, les sages-femmes procurent toute une gamme de services, comme demander des tests de dépistage et en assurer le suivi, accompagner les femmes qui accouchent à domicile ou dans les centres de naissances, superviser l’admission des mères qui doivent accoucher à l’hôpital, ou encore épauler les nouvelles mères pour faciliter l’allaitement, leurs premiers pas comme parents ou leur rétablissement post-partum. Selon les cas, les sages-femmes travaillent en consultation ou en collaboration avec d’autres professionnels de la santé.

Leur rôle a largement évolué au cours des dernières décennies, si bien qu’un nombre grandissant de sages-femmes sont désormais mises à contribution dans divers milieux, que ce soit à domicile, dans les collectivités, dans les hôpitaux, dans les centres médicaux ou dans les unités de soins. La formation et la spécialisation des sages-femmes sont de plus en plus encadrées, puisque ces dernières sont désormais reconnues et intégrées dans les réseaux de soins de santé de la plupart des provinces et territoires au pays (mais pas tous).

Parallèlement, les accompagnantes à la naissance (doulas) fournissent du soutien non clinique et non médical auprès des nouvelles mères et de leur famille, de concert avec les praticiens de la santé comme les médecins, les sages-femmes et les infirmières. Le rôle des accompagnantes à la naissance n’est pas réglementé, et vise surtout à offrir un soutien affectif et informationnel. Celles-ci ne prodiguent pas de soins directs et ne prennent pas en charge les accouchements.

Il existe différents types d’accompagnantes à la naissance, selon les stades de la grossesse. D’abord, les accompagnantes antepartum offrent du soutien affectif, physique et informationnel au cours de la période prénatale, qu’il s’agisse de renseigner les futures mères et leur famille au sujet des groupes de soutien existants ou des techniques pour favoriser le confort physique, ou encore de les aider dans certaines tâches comme les courses ou la préparation des repas. Ensuite, les accompagnantes à la naissance se chargent d’épauler les nouvelles mères et leur partenaire durant le travail et l’accouchement, en leur fournissant notamment du soutien affectif et informationnel tout en favorisant leur confort sur le plan physique. Enfin, les accompagnantes post-partum soutiennent les nouvelles mères après la naissance du bébé, en leur fournissant de l’information au sujet de l’allaitement et des moyens d’apaiser le nourrisson, tout en se chargeant parfois de quelques tâches ménagères et de la garde des enfants.

Finalement, les spécialistes en périnatologie s’occupent des soins liés aux grossesses à haut risque (ex. : maladie chronique de santé maternelle, naissances multiples, diagnostics génétiques). Ces intervenants ont une formation d’obstétricien ou de gynécologue, doublée d’une spécialisation axée sur les grossesses à risque. Au besoin, les obstétriciens et gynécologues dirigent donc leurs patients vers ces spécialistes en périnatalogie, et travaillent de concert avec eux pour assurer le suivi de la santé maternelle.

Une réalité particulière : l’accouchement en régions rurales ou éloignées au Canada

Les soins de maternité posent des défis uniques en régions rurales ou éloignées (y compris dans les régions nordiques du Canada), et ce, parce que les installations médicales et les équipements spécialisés sont parfois éloignés sur le plan géographique, parce que les fournisseurs de soins ne bénéficient pas d’autant de soutien de leurs pairs, et parce qu’il y a moins de médecins disponibles sur appel pour réaliser des césariennes et des anesthésies (et aussi moins d’installations et de services que dans les centres urbains à cet effet).

En milieu rural, les soins de maternité sont généralement pris en charge par des équipes formées de médecins de famille, d’infirmières et de sages-femmes. Dans certaines collectivités, il s’agit d’ailleurs des seuls professionnels de la santé offrant des soins de maternité. De fait, les médecins de famille en milieu rural sont beaucoup plus susceptibles de devoir assurer des soins obstétricaux que leurs homologues des centres urbains. Depuis quelques décennies cependant, plusieurs collectivités rurales sont confrontées à la fermeture des maternités et à une baisse du nombre de médecins de famille offrant des soins de maternité.

Compte tenu du nombre limité de services et de fournisseurs de soins de maternité dans les régions rurales et éloignées, plusieurs femmes enceintes doivent donc se tourner vers les centres urbains pour accoucher. Selon un rapport publié en 2013 par l’Institut canadien d’information sur la santé, plus des deux tiers (67 %) des femmes des milieux ruraux au Canada disent avoir accouché dans un hôpital urbain, et 17 % d’entre elles ont dû faire plus de deux heures de route pour donner naissance à leur enfant. La proportion est encore plus élevée dans les régions nordiques, alors que les deux tiers des mères interrogées au Nunavut et la moitié de celles interrogées aux Territoires du Nord-Ouest disent avoir accouché hors de leur collectivité.

Les deux tiers des mères interrogées au Nunavut et la moitié de celles interrogées aux Territoires du Nord-Ouest disent avoir accouché hors de leur collectivité.

Or, cette réalité affecte le bien-être de plusieurs femmes autochtones des régions nordiques, dont plusieurs doivent même prendre l’avion pour se rendre dans un centre hospitalier afin d’y recevoir des soins de maternité secondaires ou tertiaires loin de leur foyer, de leur territoire, de leur collectivité et de leur environnement linguistique. (Voir l’encadré Les sages-femmes autochtones au Canada.) La plupart des mères interrogées admettent qu’avoir dû s’éloigner de leur foyer pour accoucher s’était avéré stressant et avait eu des répercussions sur leur famille. En avril 2016, le gouvernement fédéral a annoncé des compensations financières pour que les mères autochtones puissent être accompagnées d’un proche lorsque l’accouchement doit se produire loin de la collectivité.

Dans les régions nordiques, le nombre d’hôpitaux communautaires offrant des soins obstétricaux a chuté depuis les années 80. Toutefois, plusieurs centres de naissances ont ouvert leurs portes pour combler le déficit, comme à Puvirnituq (Nunavik), à Rankin Inlet (Nunavut) et à Inukjuak (Québec). Ces installations permettent aux femmes ayant une grossesse à faible risque d’accoucher dans leur propre collectivité. Toutefois, les mères nécessitant une césarienne ou présentant des risques de complications doivent quand même se déplacer pour donner naissance à leur enfant.

Une réalité particulière : les femmes enceintes et les nouvelles mères arrivées depuis peu au Canada

Le Canada accueille plusieurs familles d’immigrants, qui représentent une proportion grandissante de la population. En 1961, 16 % des habitants du Canada disaient être nés à l’étranger, et cette proportion atteignait 21 % en 2011.

L’immigration influence la maternité, notamment en ce qui a trait au moment choisi pour avoir un enfant. Les études montrent que les naissances sont généralement peu nombreuses chez les immigrants au cours des deux années avant leur arrivée, mais la fécondité « rebondit » ensuite la plupart du temps. Selon les chercheurs Goldstein et Goldstein, « les choix des arrivants en matière de fécondité répondent plus souvent aux tendances du pays d’accueil qu’aux préférences qui prévalaient dans leur pays d’origine avant leur départ » [traduction].

Des études ont exploré un certain nombre de raisons pour lesquelles la fécondité peut être affectée par l’expérience de l’immigration, notamment la séparation temporaire du conjoint pendant le processus de migration, le choix volontaire de repousser une grossesse jusqu’à l’admissibilité aux diverses mesures de soutien (ex. : allocations pour enfants), ainsi que les perturbations financières pendant la migration et au début de l’installation (jusqu’à ce que les parents trouvent un emploi rémunéré).

Par ailleurs, les immigrants récents sont beaucoup plus susceptibles que les Canadiens nés au pays de se retrouver dans un ménage multigénérationnel (abritant au moins trois générations). En 2011, 21 % des immigrants de 45 ans ou plus (arrivés au Canada entre 2006 et 2011) déclaraient vivre une telle cohabitation, contre seulement 3 % des Canadiens nés au pays. Par conséquent, les femmes enceintes et les nouvelles mères vivant au sein d’un ménage multigénérationnel bénéficient éventuellement de la présence de proches capables d’offrir des soins et du soutien.

En ce qui concerne l’accès aux soins de maternité, les études ont montré que, même si plusieurs immigrantes ont généralement accès aux soins de maternité dont elles ont besoin, leur taux de satisfaction à cet égard semble varier considérablement selon les régions du pays. En effet, plusieurs affirment avoir rencontré des obstacles liés à l’accès ou à l’utilisation des services de soins de maternité, notamment parce qu’elles n’avaient pas été suffisamment informées des services (parfois à cause de la barrière linguistique), parce qu’elles ne disposaient pas de soutien suffisant pour accéder aux services (c.-à-d. naviguer à l’intérieur du système de soins de santé), ou à cause d’une disparité entre les attentes des femmes immigrantes et celles des fournisseurs de services. Dans certaines régions, les femmes immigrantes bénéficient d’un précieux soutien affectif, informationnel et logistique de la part des accompagnantes à la naissance (doulas) durant la période périnatale.

Selon les parents immigrants, le soutien social (famille, amis et membres de la collectivité) représente un facteur crucial pour favoriser l’accès aux soins de maternité. En effet, ce cercle de soutien peut jouer un rôle important pour jeter des ponts entre les nouvelles ou futures mères provenant de l’extérieur du Canada et le réseau de soins de maternité. Parfois, ces personnes peuvent intervenir auprès des fournisseurs de services et de soins de santé pour s’assurer que les mères bénéficient de soins de maternité « conformes à leur culture et respectueux de leur réalité culturelle » [traduction].

Les soins de maternité : en appui aux familles en pleine croissance au Canada

La grossesse et l’accouchement sont des moments charnières de la vie, non seulement pour les nouvelles mères, mais aussi pour leur famille, leurs amis et leur collectivité. La réalité familiale a beaucoup changé depuis quelques générations en ce qui a trait à la grossesse, à l’accouchement et à la période postnatale, mais certaines constantes demeurent : la valeur et l’importance des soins de qualité, la diversité des expériences vécues dans les différentes régions du Canada, sans compter la joie et l’excitation qui caractérisent ce jalon mémorable et significatif de l’existence.


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Le contenu de cet article a été révisé par Marilyn Trenholme Counsell, OC, MA, MD, médecin de famille à la retraite, ancienne lieutenante-gouverneure (Nouveau-Brunswick), ex-ministre de la Famille (N.-B.) et sénatrice (N.-B.).

Vous trouverez toutes les références et les sources d’information dans la version PDF de cet article.

Publié le 11 mai 2017

Faits vécus : comprendre les familles touchées par l’incarcération

Farhat Rehman

L’incarcération touche des milliers de familles au Canada. Les proches des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement sont souvent profondément affectés par la séparation d’un fils, d’une fille, d’un frère, d’une sœur, d’un parent ou d’un autre membre de la famille. Au surplus, ils doivent généralement vivre avec les préjugés, la culpabilité ou la honte, d’autant plus si la personne condamnée souffre de troubles mentaux, une réalité qui touche plusieurs détenus et leur famille.

Lorsque mon fils a été incarcéré après sa condamnation en 2001, ma vie de famille s’est littéralement écroulée. Le gouffre du système carcéral s’est alors refermé sur lui, et le monde s’est assombri. Dès cet instant fatidique, toute lueur d’espoir s’est éteinte et nos vies ont pris un virage brutal. Notre vie de famille et nos relations familiales ont été bouleversées à jamais.

En tant que mère, je me suis mise à ruminer sans cesse, malgré moi, les raisons qui avaient poussé mon fils à commettre un acte criminel aussi grave. Pourquoi son esprit raisonne-t-il ainsi? Comment aurait-on pu éviter une telle catastrophe? Pourquoi était-il passé à travers les mailles du filet malgré autant d’années de soins en santé mentale? Comment aurais-je pu agir différemment pour prévenir ce crime qui a déchiré deux familles? Chaque fois que je lui parle ou que je lui rends visite en prison, ces pensées reviennent me hanter. Pour nous, sa famille, les répercussions des actes commis par mon fils s’alourdissent au fil du temps. Le cauchemar de la prison a gravement miné sa santé mentale, l’entraînant dans un tourbillon vertigineux devenu source constante d’inquiétude pour notre famille.

 

Le cauchemar de la prison a gravement miné sa santé mentale, l’entraînant dans un tourbillon vertigineux devenu source constante d’inquiétude pour notre famille.

 

Les impacts de l’incarcération sur les relations, les traditions et les perspectives familiales

Comme nous avons pu le constater, les visites en milieu carcéral sont parfois traumatisantes du point de vue du visiteur, qui doit d’abord se soumettre à de multiples contrôles de sécurité, notamment le scanner à ions (qui détecte la présence de drogues, mais donne souvent des résultats faux positifs). En cas de problème, le visiteur risque de ne pas être admis, au désarroi de la personne incarcérée.

L’absence de mon fils me pèse chaque fois que nous célébrons quelque chose en famille. Malgré l’ambiance festive, les rires et les bons petits plats lors des rassemblements familiaux, c’est la quintessence du bonheur qui nous échappe, mais personne n’ose en parler ouvertement.

Bien que la famille et les amis lui envoient des cartes d’anniversaire ou nous demandent de ses nouvelles, ils hésitent à aborder un sujet aussi triste au risque d’alourdir l’atmosphère. Après seize ans d’absence, les uns et les autres finissent par s’habituer à l’éloignement d’un membre de la famille, et la situation se banalise sur l’« échelle sismique » de la vie de famille.

Ces jours-ci, quand j’envisage l’avenir, je me demande si mon fils pourra bientôt opérer un virage dans sa vie. Réussira-t-il à convaincre les autorités de la sincérité de ses remords et de sa volonté de ne plus jamais récidiver? Jugera-t-on qu’il mérite d’être remis en liberté sous condition et réinséré dans la collectivité, où il pourra amorcer le long processus de guérison et de réparation des dommages causés par cette longue incarcération? Saura-t-il reprendre sa place au sein de notre famille, à qui il a manqué atrocement, mais qui a réussi à s’adapter entre-temps?

Amour et soutien pour épauler les familles

Assaillie quotidiennement par ces questionnements, j’ai la chance de bénéficier du soutien de mon entourage. Lorsque mon fils a d’abord été confronté au système de justice – et toute la famille dans son sillage –, je me suis retrouvée sur une route sans balises. Même si j’étais bien présente dans ma collectivité, je n’avais personne qui puisse réellement comprendre ce que ressent une mère dont le fils est en prison.

Même si j’étais bien présente dans ma collectivité, je n’avais personne qui puisse réellement comprendre ce que ressent une mère dont le fils est en prison.

 

En novembre 2010, j’ai fait la connaissance d’une autre mère dont le fils était incarcéré, par l’entremise d’une experte et militante communautaire rattachée au Conseil des Églises pour la Justice et la Criminologie, et aussi travailleuse en intervention d’urgence auprès de la John Howard Society (JHS). Nous nous sommes rencontrées pour la première fois en décembre 2010 dans les bureaux de la JHS : trois mères partageant leur réalité commune et leurs buts.

Cette mise en commun de nos expériences a mené à la création de l’organisme Mothers Offering Mutual Support (MOMS), un groupe de soutien à l’intention des femmes. La toute première rencontre officielle de « MOMS » a eu lieu le 15 décembre 2010. Nous nous réunissons dans les locaux de la JHS, le premier jeudi de chaque mois. La JHS nous offre gracieusement l’accès à ses locaux, ce qui nous procure un cadre privé.

Notre organisme compte désormais 45 membres, qui se disent extrêmement reconnaissantes de pouvoir, par ces rencontres, sortir un peu du trou béant dans lequel elles sont tombées quand leur enfant a été condamné à l’emprisonnement pour des motifs criminels. Nos rencontres visent à favoriser l’entraide et à trouver des avenues concrètes et constructives pour progresser. Les nouvelles venues au sein du groupe peuvent même compter sur le soutien et les conseils d’autres mères dont le fils a obtenu sa libération conditionnelle ou définitive.

De l’extérieur des murs, toute famille aimante est appelée à jouer un rôle important auprès du détenu pour lui témoigner de l’affection, le soutenir financièrement et le représenter le mieux possible, dans le but d’atténuer les conséquences durables de l’incarcération. Par l’entremise de l’organisme MOMS, nous nous entraidons pour mieux soutenir nos enfants en incarcération.

De l’extérieur des murs, toute famille aimante est appelée à jouer un rôle important auprès du détenu pour lui témoigner de l’affection, le soutenir financièrement et le représenter le mieux possible, dans le but d’atténuer les conséquences durables de l’incarcération.

 

Certes, nos réunions ne nous soustraient pas à la dure réalité de l’incarcération, mais nous pouvons nous aider mutuellement à vivre un jour à la fois. Nous avons fait des démarches pour que le système judiciaire facilite la réinsertion et l’éducation en misant sur le bien-être physique et mental des détenus, et en accompagnant nos fils et nos filles tout au long de leur peine pour mieux préparer leur avenir. Dans le cadre de ces démarches, nous avons eu l’occasion d’aborder la question des droits de la personne avec divers représentants gouvernementaux et leaders communautaires. Notre vécu et notre point de vue comme mères sont utiles pour orienter les politiques et les programmes, et nous constatons que le public est de plus en plus conscientisé à l’égard de ces questions, ce qui est encourageant.

Évidemment, à cause des préjugés et craignant pour leur sécurité, certaines mamans et leur famille hésitent à parler publiquement de ces enjeux, mais elles n’en sont pas moins épuisées par les nuits blanches et maladivement inquiètes pour leur enfant. Faudrait-il au surplus prêter flanc aux propos insensibles ou négatifs qui s’ajouteraient à la honte et à l’inquiétude?

Nous nous réunissons régulièrement parce que, en tant que mères touchées par l’incarcération, nous voulons partager notre expérience et verbaliser ce choc, cette douleur, ce déchirement. Ensemble, nous cherchons l’énergie nécessaire pour mieux comprendre et privilégier les meilleures approches susceptibles de préserver l’espoir et la santé, pour nous-mêmes et nos proches. Ces êtres chers en milieu carcéral méritent un traitement juste et humain, et c’est à cela que nous travaillons résolument, unies par notre condition de familles confrontées à l’incarcération.

 


Farhat Rehman est cofondatrice de l’organisme Mothers Offering Mutual Support (MOMS), un groupe de soutien pour femmes dont l’un des proches a été incarcéré.

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Publié le 14 mars 2017

Coup d’œil sur la santé mentale en milieu de travail au Canada

Nous sommes tous confrontés à la maladie mentale à un moment ou à un autre de notre vie, que ce soit personnellement ou par l’entremise d’un membre de la famille, d’un ami, d’un voisin ou d’un collègue. Les problèmes de santé mentale peuvent avoir des répercussions importantes sur le plan individuel, mais ils risquent aussi, par un biais préjudiciable, de « s’infiltrer » en milieu de travail, dans les collectivités, au sein de l’économie et dans l’ensemble de la société, si bien que personne n’en sort indemne. Dans un tel contexte, il importe d’aborder le soutien en santé mentale dans une perspective multidimensionnelle qui soit suffisamment élargie pour répondre à la diversité des problèmes auxquels ces mesures sont destinées.

Les préjugés constituent toujours un obstacle aux soins pour les personnes touchées par la maladie mentale, parmi lesquelles plusieurs bénéficient de soins et du soutien des membres de leur famille.

Dans ce fascicule de la série Coup d’œil sur les statistiques, l’Institut Vanier de la famille s’intéresse à la santé mentale, aux familles et au travail, soit trois volets fondamentaux de l’existence qui entretiennent des interactions et des interrelations complexes ayant des incidences sur le bien-être.

Quelques données :

  • Les quatre dixièmes des Canadiens ont au moins un membre de leur famille ayant un problème de santé mentale.
  • Chaque semaine, au moins 500 000 travailleurs canadiens sont inaptes au travail en raison de problèmes de santé mentale.
  • Les troubles mentaux concernent environ 30 % de toutes les réclamations pour invalidité et représentent 70 % des coûts en réclamations pour invalidité.
  • Les préjugés persistent toujours puisqu’un cinquième des employés canadiens interrogés pensent qu’il dépend « entièrement de la volonté de chacun » de donner prise ou non à la maladie mentale.
  • Parmi les répondants, les quatre dixièmes des travailleurs canadiens affirment qu’ils n’en parleraient pas à leur gestionnaire s’ils souffraient d’un trouble de santé mentale.
  • Plus de 70 % des Canadiens dont la vie a été affectée par les problèmes de santé mentale d’un membre de la famille disent lui avoir fourni des soins, et 68 % d’entre eux affirment n’avoir été aucunement embarrassés par les difficultés de leurs proches à cet égard.

 

Téléchargez le document Coup d’œil sur la santé mentale en milieu de travail au Canada publié par l’Institut Vanier de la famille.

L’accompagnement à distance pour favoriser la résilience au foyer

En matière de santé mentale et de bien-être, chacun s’efforce de trouver un équilibre pour soi-même et sa famille. Un jour ou l’autre, la plupart des ménages sont néanmoins affectés plus ou moins directement par des problèmes de santé mentale, à divers degrés. Les enfants n’y font pas exception puisqu’on estime qu’un cinquième des enfants d’âge scolaire vivent avec un trouble mental, comportemental ou neurodéveloppemental1.

Pour soutenir les enfants touchés par ces difficultés et pour favoriser leur résilience, il est primordial d’intervenir rapidement grâce à des soins de qualité fondés sur l’expérience clinique. Cependant, il est parfois difficile de concilier la situation particulière de certaines familles avec la prestation de services en personne. En effet, le temps d’attente pour obtenir des soins cliniques, l’éloignement géographique ainsi que la crainte de préjugés réels ou éventuels compliquent l’accès à des services appropriés.

Ces difficultés affectent tout particulièrement les familles des militaires, où l’un des parents est souvent assujetti à un horaire imprévisible qui suppose davantage de déplacements, d’éloignement, de perturbations dans la routine, de transitions et de stress que chez leurs homologues civils. Du reste, les familles des militaires éprouvent souvent des difficultés à obtenir des soins continus pour leurs enfants, en raison de leur mobilité accrue et des déménagements fréquents2.

La flexibilité pour faciliter les soins en santé mentale auprès des familles

En milieu clinique, il existe de nombreux programmes et mesures de soutien en santé mentale pour les jeunes, mais plusieurs n’offrent pas la flexibilité nécessaire pour permettre aux familles d’aider leurs enfants sans délaisser les autres responsabilités familiales et professionnelles. Souvent, l’offre de services en santé mentale convient plutôt mal à l’horaire des enfants d’âge scolaire, et les absences répétées pour assister régulièrement à des rendez-vous en clinique risquent d’entraver le rendement scolaire des enfants ou encore leurs relations sociales avec les amis et les pairs.

Pour plusieurs parents, il est parfois difficile, voire impossible, de s’absenter du travail pour accompagner leur enfant à un rendez-vous en personne, soit parce que leur milieu de travail n’offre pas une telle flexibilité, soit en raison des conséquences financières pour la famille. En effet, près de 70 % des familles comptant un couple avec au moins un enfant de moins de 16 ans sont des familles à deux revenus. Dans près des trois quarts de ces couples, les deux parents travaillent à temps plein3. Dès lors, les absences pour assister à de tels rendez-vous se font particulièrement sentir dans certaines familles monoparentales. Chez les familles des militaires, compte tenu des déploiements et de l’importante mobilité, la flexibilité devient un facteur primordial pour assurer le soutien nécessaire aux enfants.

Strongest Families Institute : la famille au cœur des services en santé mentale

Fondé en 2011, le Strongest Families Institute (SFI) est un organisme sans but lucratif qui fournit du soutien en santé mentale auprès des enfants selon leurs besoins particuliers et ceux de leur famille, et ce, en utilisant une approche flexible, éprouvée en clinique et exempte de préjugés. Fondés sur les conclusions de six années d’études au Centre de recherche en santé familiale du IWK Health Centre à Halifax (Nouvelle-Écosse), les programmes et modules du SFI sont désormais accessibles dans l’ensemble du pays. Les services du SFI ont été reconnus à l’échelle nationale au titre des avantages sociaux par la Commission de la santé mentale du Canada (en 2012), et le SFI s’est vu décerner le Prix principal Encana de la Fondation des Prix Ernest C. Manning (en 2013).

Les programmes du SFI sont axés sur la famille, dans le cadre d’une approche favorisant la participation directe des membres de la famille tout au long du processus. De fait, la famille joue un rôle souvent très important dans la qualité des soins en santé mentale puisqu’elle bénéficie d’un point de vue privilégié vis-à-vis de la condition particulière de l’enfant, ce qui lui permet d’offrir une précieuse rétroaction aux fournisseurs de services pendant le processus d’accompagnement.

Favoriser la résilience par le transfert de compétences… à distance

Les programmes du SFI misent sur l’apprentissage basé sur les compétences, où les diverses compétences favorisant la santé mentale et la résilience sont transmises par l’entremise de modules éducatifs axés sur la psychologie, afin d’aider les familles à gérer les difficultés qui sont liées soit à des problèmes comportementaux (ex. : refus d’écouter, irritabilité, accès de colère, agressivité, déficience de l’attention, hyperactivité), soit à l’anxiété (ex. : angoisse de séparation, craintes généralisées, sociales ou spécifiques).

Le SFI privilégie une méthode unique d’accompagnement à distance, en misant sur les technologies pour soutenir directement les familles par téléphone ou par Internet, dans le confort, l’intimité et la convivialité de leur foyer4. Des études ont montré que l’accompagnement à distance peut engendrer d’importantes améliorations pour les enfants ayant reçu un diagnostic lié à l’anxiété ou ayant un comportement perturbateur5.

« Mon accompagnateur m’a fait découvrir plusieurs compétences fort utiles, particulièrement dans le contexte de la vie de famille toujours changeante des militaires. Il nous a aidés à affronter plusieurs difficultés. Mon enfant est devenu plus patient et plus accessible. Il a appris à contenir son stress quand son père s’absente (en déploiement). À l’école, ses notes et son comportement s’améliorent aussi. Les épisodes se font plus rares, et les enseignants l’ont aussi remarqué. »

– Parent d’un enfant de 9 ans inscrit au programme pour enfants actifs (comportemental)

Plusieurs irritants associés à la stigmatisation sont éliminés du fait que l’apprentissage intervient au foyer familial plutôt qu’en milieu clinique. À l’aide de documents et de vidéos d’apprentissage des compétences (sous forme de guides pratiques ou via des plateformes en ligne intelligentes), les familles acquièrent une nouvelle compétence chaque semaine, qu’elles sont invitées à mettre en pratique dans leurs activités quotidiennes.

Le programme « Être parent d’un enfant actif » du SFI est axé sur le comportement de l’enfant de 3 à 12 ans. Les parents et leur enfant cheminent conjointement et définissent un plan structuré pour mieux affronter des difficultés auxquelles l’enfant pourrait être confronté dans le cadre de ses activités ou à divers moments. Par exemple, parents et enfants pourront concevoir ensemble une stratégie fondée sur les compétences du programme pour s’assurer du bon déroulement d’une éventuelle sortie, comme faire l’épicerie ou effectuer un long trajet en voiture. En fonction de cette approche simple, mais structurée et orientée, les parents collaborent avec leur enfant et leur accompagnateur pour favoriser un comportement donné et récompenser la réussite.

Le programme « Se débarrasser de ses inquiétudes » du SFI est destiné aux 6 à 17 ans. Cette initiative aide la famille à acquérir des compétences pratiques pour faire face aux inquiétudes de la vie courante, comme l’angoisse de séparation, les difficultés liées au rendement, l’anxiété sociale et certaines peurs souvent associées à la vie militaire. Enfin, le SFI propose aussi un programme pour enfants de 5 à 12 afin de les aider à surmonter l’énurésie (« Nuits sèches à venir »).

Des accompagnateurs pour assurer le suivi et la stabilité du processus

Du début à la fin, des accompagnateurs encadrés et très qualifiés assument la prestation des programmes du SFI auprès des enfants et des familles. À partir de protocoles définis, les accompagnateurs procèdent à des réunions téléphoniques structurées pour faire le point sur la documentation que la famille a reçue. Au cours de chaque séance, l’accompagnateur revient sur la compétence mise en pratique au cours de la semaine et recourt à diverses stratégies éprouvées qui font appel à ces compétences (comme les jeux de rôle ou le modelage verbal) pour ensuite évaluer les progrès.

Peu importe la situation géographique ou les déménagements successifs, les horaires flexibles et personnalisables se plient aux contraintes familiales. L’approche axée sur la flexibilité et l’accompagnement à distance s’avère particulièrement précieuse pour les familles des militaires puisqu’elle contourne plusieurs des défis de l’éloignement géographique, évitant ainsi toute brisure dans le continuum de soins. En outre, les accompagnateurs aident les familles à planifier les changements résultant d’une réaffectation, et demeurent accessibles durant et après la transition, afin de favoriser le maintien des compétences. Lorsque surviennent des changements plus déstabilisants, comme un transfert d’école ou de garderie, cette forme de planification permet de mieux encadrer les familles.

Pour la famille qui déménage, quelle que soit la destination, l’accompagnateur demeure une ressource familière et centrale. Les accompagnateurs possèdent des connaissances approfondies en littératie militaire, qui concernent la capacité de comprendre la réalité unique des familles des militaires ainsi que les « facteurs de stress de la vie militaire » auxquels elles sont éventuellement confrontées, comme l’importante mobilité, les risques ainsi que l’éloignement prolongé ou imprévisible. Dans un tel contexte, les soins et le soutien sont personnalisés en fonction des réalités et des besoins de chaque famille.

« Le programme m’a beaucoup aidé, surtout en ce qui concerne l’anxiété en général. Il reste encore des choses à régler, mais l’anxiété est devenue moins préoccupante dans mon cas. Sur le plan social ou en ce qui a trait à l’autonomie, j’accomplis des choses que je n’aurais pas osé faire avant. Le stress lié à l’école s’est passablement amélioré aussi. Je me suis concentré sur ces aspects-là et on a réussi à réduire le stress. »

– Participant de 16 ans au programme Se débarrasser de ses inquiétudes (anxiété)

 

Les programmes du SFI se sont révélés fructueux comme en témoigne le degré de satisfaction des familles. Grâce à des tests rigoureux et à des contrôles aléatoires, on a constaté des résultats positifs dont les effets perduraient encore jusqu’à un an après les services, qu’il s’agisse de cas légers ou modérés. Les programmes ont obtenu un taux de réussite de 85 % ou plus, relativement à la résolution des problèmes de l’enfant, et le taux d’abandon se situait sous la barre des 10 %. Selon les données obtenues, ces interventions contribuent largement à consolider les relations familiales, à améliorer le moral et le niveau de stress des parents, et à favoriser le rendement scolaire de l’enfant.

Apprentissage transférable : des mesures de soutien flexibles qui tiennent compte de la diversité et de l’unicité des familles

Les familles et leurs enfants sont uniques. Par conséquent, il n’existe aucune solution « toute faite » pour favoriser la santé mentale et encadrer les troubles comportementaux ou neurodéveloppementaux. La flexibilité et l’accessibilité qui caractérisent les programmes du SFI sont susceptibles d’accroître le recours aux mesures de soutien en santé mentale et d’en augmenter l’efficacité, puisque les familles ont alors accès à des services hors du cadre clinique, sans contraintes d’horaire. Le principe d’accompagnement à distance et l’approche de soutien continu auprès des familles, notamment dans le cadre de conversations téléphoniques structurées avec les accompagnateurs, procurent aux familles qui collaborent avec le SFI l’accès à des soins flexibles, efficaces et respectueux de leur vécu et de leur réalité.

 

Notes

  1. Ann Douglas (2015). Parenting Through the Storm, Toronto, HarperCollins.
  2. Heidi Cramm et autres. « L’état actuel de la recherche sur les familles des militaires » dans Transition (19 janvier 2016).
  3. Sharanjit Uppal. « Profils d’emploi des familles avec enfants » dans Regards sur la société canadienne (24 juin 2015), no 75-006-X au catalogue de Statistique Canada, http://bit.ly/2dqiuZH.
  4. Patricia Lingley-Pottie et Patrick J. McGrath (2008). « Telehealth: A Child-Friendly Approach to Mental Health Care Reform » dans Journal of Telemedicine and Telecare, vol. 14, p. 225–226, doi:10.1258/jtt.2008.008001.
  5. Patrick J. McGrath et autres (2011). « Telephone-Based Mental Health Interventions for Child Disruptive Behavior or Anxiety Disorders: Randomized Trials and Overall Analysis » dans Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, vol. 50, no 11, p. 1162–1172, doi:10.1016/j.jaac.2011.07.013.

 


À propos de Strongest Families Institute

Strongest Families Institute (SFI) est un organisme national sans but lucratif offrant des programmes d’accompagnement à distance fondés sur l’expérience clinique, à l’intention des enfants et des familles confrontés à des problèmes qui minent leur santé mentale et leur bien-être. Fondé en 2011, le SFI mise sur les technologies, la recherche et une équipe d’intervenants très qualifiés pour fournir aux familles divers services adaptés à leur horaire et leur lieu de résidence.

Au fil des ans, le SFI a conclu de nombreux partenariats en vue d’améliorer sa prestation de services. Certaines de ces collaborations ont permis d’améliorer l’offre de services aux familles des militaires et des vétérans, notamment dans le cadre de partenariats avec les Services aux familles des militaires (Ottawa), la Fondation « True Patriot Love » (« Cause pour la cause » de Bell), ainsi que dans le cadre d’un projet concerté avec l’ICRSMV.

Les familles et le sommeil

David B. Posen, M. D.

Le sommeil est une affaire de famille : quand les besoins de chacun sont comblés, tous les membres de la famille en bénéficient; par contre, dès que l’un d’eux se trouve en déficit, tout le monde s’en ressent. Des études ont montré que le manque de sommeil est aujourd’hui aussi préoccupant que pouvaient l’être les effets néfastes du tabagisme, il y a 50 ans. C’est du moins ce qu’a constaté le Dr Charles Czeisler, qui dirige la Division de la médecine du sommeil à la Harvard Medical School. Les ménages canadiens sont nombreux à devoir composer avec des lacunes quant à cette ressource familiale essentielle. Et un tel déficit (qui tient notamment aux longues heures de travail, aux progrès technologiques et à la culture du « toujours accessible ») se répercute sur la productivité au travail, le rendement scolaire et la santé en général, sans compter les effets marqués sur la vie de famille et les familles elles-mêmes.

Quels sont les bienfaits du sommeil?

Le sommeil a des fonctions multiples. C’est le moment de renouveler l’énergie dont le corps a besoin : il s’agit d’une période de récupération et de repos profond, un peu comme si l’on entrait en « mini-hibernation ». Les hormones responsables du stress tombent au neutre, le rythme cardiaque décélère, la pression artérielle diminue, le métabolisme ralentit et la température corporelle descend. C’est aussi durant le sommeil que le corps sécrète les hormones de croissance, qui sont essentielles au développement des enfants, et qui contribuent au renouvellement et à la restauration des cellules chez les adultes. Lorsque nous dormons, notre système immunitaire fonctionne à plein régime et produit des lymphocytes T pour combattre les infections. C’est aussi à ce moment que sont sécrétées les hormones qui commandent la faim et la satiété (la leptine et la ghréline), c’est-à-dire celles qui modulent l’appétit, la prise alimentaire et le poids corporel.

Les symptômes d’un sommeil déficitaire sont les mêmes que ceux du stress.

L’importance du sommeil ne se limite pas seulement à la physiologie, mais touche aussi les fonctions mentales qui sont régies par celui-ci. Pendant le sommeil, le cerveau en profite pour faire « le ménage », c’est-à-dire traiter et organiser les informations accumulées au cours de la journée, tout en laissant tomber celles qui ne sont pas pertinentes (la couleur du chandail d’une personne croisée dans le métro, par exemple). C’est aussi pendant le sommeil que le cerveau consolide les processus de la mémoire et les nouveaux acquis. De fait, les recherches ont montré que l’apprentissage s’intensifie pendant le sommeil.

Les symptômes d’un sommeil déficitaire sont les mêmes que ceux du stress. Autrement dit, sur le plan physiologique, le manque de sommeil se manifeste sous forme de stress dans notre organisme. Lorsque le sommeil est insuffisant, le taux de cortisol (la principale hormone liée au stress chronique) demeure élevé plus longtemps, ce qui entraîne des effets néfastes pour le corps. De même, les personnes qui manquent de sommeil éprouvent plus de difficulté à affronter des situations stressantes, à résoudre des problèmes, à faire preuve de créativité et d’innovation, ou encore à se montrer sociables et de bonne compagnie.

L’incidence du sommeil (et du manque de sommeil) sur la famille

Il existe des interrelations complexes entre les habitudes de sommeil et la vie de famille, si bien que les incidences d’une carence de sommeil sont aussi bien ressenties par le sujet lui-même que par ses proches. Pour illustrer ces effets, observons d’abord le cas de conjoints vivant sous le même toit. En règle générale, le couple partage le même lit, ce qui suppose une dynamique particulière qui influe éventuellement sur la durée et la qualité du sommeil des conjoints. Lorsque deux personnes dorment ensemble, d’importants facteurs liés au sommeil entrent en ligne de compte et sont sujets à d’éventuelles négociations (ou ententes), notamment la taille du lit, la fermeté du matelas, la température ambiante de la chambre à coucher et la présence d’appareils électroniques (puisque des études ont révélé que la lumière émise par les téléviseurs, les téléphones intelligents, les tablettes ou les liseuses à écran lumineux sont susceptibles de nuire à la qualité du sommeil).

Par ailleurs, on peut penser que l’heure du coucher ou du lever du conjoint influera aussi sur le sommeil de l’autre. Si les membres du couple ont des horaires divergents, les habitudes de sommeil de l’un et l’autre peuvent être perturbées par le va-et-vient ou la routine de chacun. Peut-être même que, pour passer un peu plus de temps avec son conjoint, l’un des deux partenaires aura tendance à se coucher un peu plus tard qu’il ne le souhaiterait, quitte à perdre quelques précieuses heures de sommeil. Dès lors, il importe que les partenaires qui partagent le même lit discutent ouvertement de la quantité de sommeil dont chacun a besoin. De telles décisions et accords mutuels auront des retombées certaines sur la qualité du sommeil des partenaires, mais elles risquent parfois d’entraîner des conflits, ou au contraire d’offrir la possibilité d’exprimer de la considération, du respect et une volonté de compromis.

Dès le début de toute cohabitation jusqu’aux derniers jalons de la vie, toutes les familles sont touchées par les questions liées au sommeil, tant sur le plan individuel que collectif.

Ces décisions sont des choix conscients qui concernent le sommeil et la chambre à coucher. Toutefois, il existe aussi des facteurs involontaires. Par exemple, l’un des principaux éléments perturbateurs du repos tient sans doute au sommeil bruyant ou agité du partenaire, les problèmes les plus souvent cités étant les mouvements fréquents et les ronflements. Il existe d’ailleurs plusieurs causes au ronflement, certaines étant mécaniques (comme la position du dormeur), et d’autres physiologiques (amygdales palatines ou pharyngiennes surdimensionnées, luette élargie). Dans certains cas, le ronflement atteint une intensité sonore digne d’un site industriel, qui fait pratiquement vibrer les carreaux, au risque de déranger les dormeurs d’une autre chambre, pendant que le ronfleur lui-même, étonnamment, n’est pas le moins du monde importuné.

L’apnée obstructive du sommeil et le syndrome des jambes sans repos figurent parmi les troubles du sommeil les plus répandus. L’apnée du sommeil se manifeste par de nombreux épisodes d’arrêts respiratoires involontaires au cours d’une même nuit (plusieurs fois par heure, en fait), et il n’est pas rare que la personne soit prise de soubresauts qui visent à la réveiller pour reprendre son souffle. Quant au syndrome des jambes sans repos, le sujet ressent un inconfort aux jambes qu’il ne peut soulager qu’en les agitant frénétiquement, ce qui dérange évidemment le partenaire de lit. Lorsque de tels troubles se manifestent à un certain âge, il n’est pas rare que les couples choisissent de dormir dans des lits séparés, voire de faire carrément chambre à part.

Nouveaux parents : un sommeil parsemé d’embûches

Dès qu’un couple décide d’avoir des enfants, un vaste éventail de nouveaux facteurs entrent en ligne de compte et viennent bousculer les habitudes et l’hygiène du sommeil. Tout commence généralement dès la grossesse : les femmes enceintes ont souvent de la difficulté à dormir parce que le bébé grossit et qu’il bouge, ou encore parce que les allers-retours à la salle de bain se multiplient. Et quand bébé arrive, les perturbations du sommeil deviennent la norme : le nouveau-né pleure pour faire savoir qu’il a faim, qu’il faut changer sa couche ou qu’il a besoin qu’on s’occupe de lui. Ces besoins ont des conséquences pour la nouvelle mère (surtout si elle allaite son enfant), mais aussi pour son partenaire. Il s’agit toujours d’une période éprouvante quant au sommeil, si bien que la négociation devient un élément central.

Lorsque les enfants auront grandi un peu (vers l’âge de 3 ou 4 ans), ils pourront se lever et s’habiller seuls, mais il faudra alors décider si l’un des parents se lève lui aussi, ou si les enfants prendront plutôt l’habitude de s’occuper tout seuls dans la salle familiale ou au sous-sol pendant que leurs parents sont encore au lit. Plusieurs parents créent une sorte de dépendance à cet égard, c’est-à-dire que les enfants s’attendent à avoir de la compagnie et à recevoir de l’attention dès le lever, ce qui revient à priver l’un des parents, ou les deux, des quelques heures de sommeil dont ils auraient encore besoin.

En raison de leur physiologie, les adolescents ont besoin de dormir plus longtemps

L’étape suivante dans les rapports qu’entretiennent les parents avec le sommeil se manifeste au début de l’adolescence de leurs enfants. En effet, c’est à ce moment que survient un phénomène appelé « rupture des rythmes périodiques », où l’adolescent se couche de plus en plus tard, mais dort comme une souche le lendemain matin. Ce processus est généralement mal compris des parents, qui déplorent souvent que leur enfant ne pense qu’à s’amuser le soir (en retardant l’heure du coucher), mais qu’il faut littéralement le tirer du lit le lendemain pour aller à l’école (parce qu’il a du mal à se lever, ou s’en trouve tout simplement incapable). En réalité, certains facteurs biologiques permettent d’expliquer une telle situation.

Chez les adultes, le taux de cortisol diminue progressivement vers 22 h et l’organisme sécrète alors de la mélatonine, l’hormone du sommeil. C’est à ce moment que le sommeil nous gagne. Plus tard, quelque part entre 6 h et 8 h, la sécrétion de mélatonine s’arrête et l’organisme bénéficie alors d’une poussée de cortisol : c’est l’heure du réveil et le début de la journée.

Pour les adolescents toutefois, ce processus est retardé d’une ou deux heures, si bien que la relâche du cortisol et l’entrée en scène de la mélatonine ne se produisent que plus tard en soirée, alors que le processus inverse du lendemain matin survient lui aussi avec une ou deux heures de retard. Il existe donc une cause physiologique expliquant que les adolescents se couchent tard : ils ne sont tout simplement pas fatigués. Et s’il faut les tirer du lit à l’heure où ils étaient déjà debout auparavant, c’est parce que leur cerveau en a encore pour une heure ou deux en « mode sommeil ». L’adolescent reste au lit parce qu’il ne peut pas se réveiller, ou alors avec beaucoup de difficulté.

Les adolescents sont souvent tiraillés entre leurs besoins physiologiques et les impératifs scolaires.

En plusieurs endroits, l’heure du début des classes au secondaire a été repoussée à 9 h, voire à 10 h, pour mieux tenir compte du rythme biologique des adolescents. Par la suite, certaines commissions scolaires ont constaté une présence accrue à l’école, une amélioration des résultats scolaires, et une diminution des problèmes comportementaux chez les élèves qui ont la chance de dormir en fonction de leur propre horloge biologique. De plus, ces horaires adaptés bénéficient également aux familles, où les conflits du matin sont moins lourds au moment de réveiller les enfants, sans compter que l’humeur de la maisonnée et la collaboration des adolescents s’améliorent avec le repos nécessaire.

Les adolescents sont souvent tiraillés entre leurs besoins physiologiques et les impératifs scolaires. L’un des problèmes récurrents touche les devoirs et les études qui s’éternisent tard en soirée. Il est vrai que la plupart des adolescents manquent de sommeil (les plus chanceux dorment à peine sept heures par nuit, alors qu’il leur en faudrait neuf ou dix). Or, si l’on ajoute à cela la tendance généralisée à se coucher bien après minuit pour terminer des devoirs ou se préparer à des examens, la situation devient beaucoup plus problématique : plus les jeunes sont fatigués, moins ils sont en mesure d’obtenir de bons résultats aux examens qu’ils avaient préparés. Au surplus, certains adolescents travaillent à temps partiel pendant l’année scolaire, ce qui suppose d’autres difficultés pour concilier l’école et le travail sans toutefois négliger le temps de sommeil d’autant plus long dont ils auraient besoin.

Stanley Coren, psychologue à l’Université de la Colombie-Britannique de Vancouver, a procédé à une méta-analyse pour évaluer les incidences du déficit de sommeil sur le quotient intellectuel, et les résultats sont pour le moins étonnants. Dans une entrevue accordée à un quotidien, M. Coren affirme qu’« une heure de sommeil en moins sur un total de huit heures équivaut à soustraire un point au Q.I., et chaque heure subséquente qu’il faut retrancher entraîne la perte de deux autres points. Ces déficits sont cumulatifs, si bien qu’une carence de deux heures de sommeil par nuit durant une semaine, soit cinq jours, correspond à une perte de 15 points ». [traduction]

D’ailleurs, les tests par IRM fonctionnelle corroborent ce constat : l’activité électrique du cerveau diminue lorsque le sujet est privé de sommeil. Ainsi, l’élève qui passe une nuit blanche verrait ses capacités cognitives considérablement diminuées le lendemain en fin d’après-midi, si bien que son rendement serait alors lourdement hypothéqué, parfois même jusqu’au lendemain matin.

Le travail par postes exige des habitudes de sommeil irrégulières

Le travail par quarts entraîne aussi divers facteurs de perturbation du sommeil pour les membres de la famille. J’ai moi-même travaillé comme médecin de famille pendant 17 ans, ce qui impliquait notamment d’être disponible sur appel au moins une fois par semaine, en plus des soirées à l’urgence et des veilles pour les accouchements après minuit. Par conséquent, il n’était pas rare que mon téléphone ou mon téléavertisseur retentisse en plein milieu de la nuit, ce qui dérangeait mon épouse. Le même scénario se produit dans toutes les familles où quelqu’un doit être disponible pour les urgences de nuit, comme c’est le cas des médecins, des infirmières de salle d’opération, des techniciens d’hôpital, du personnel de sécurité, ou même des propriétaires d’entreprises lorsqu’une alarme se déclenche en pleine nuit.

Les travailleurs de nuit vont à l’encontre de leur propre physiologie.

Ceux et celles qui travaillent par postes sur une base régulière doivent aussi composer avec un sommeil perturbé, comme les policiers, les pompiers, les conducteurs d’ambulance, les ambulanciers paramédicaux, les agents de sécurité, les travailleurs d’usine et les préposés à l’entretien ménager des édifices à bureaux. Les travailleurs de nuit vont à l’encontre de leur propre physiologie, puisqu’il leur faut être éveillé à l’heure où leur rythme biologique est plutôt programmé pour le sommeil.

À la fin de leur quart, ces travailleurs retournent à la maison pour dormir un peu, ce qui entraîne des incidences pour toute la famille, puisque chacun est alors tenu de se faire le plus silencieux possible, c’est-à-dire d’éviter partiellement ou complètement d’utiliser la radio ou la télé, ou encore de s’abstenir de converser au téléphone ou d’inviter des amis à la maison. Lorsqu’un membre de la famille tente désespérément de trouver le sommeil en plein jour, tous les bruits deviennent dérangeants puisque l’organisme est programmé pour être en éveil. Par conséquent, les exigences auxquelles se plient les autres membres de la famille pour respecter un horaire atypique ou des habitudes de sommeil irrégulières sont parfois source de frictions, si bien que la communication, l’ouverture et la négociation deviennent alors primordiales.

En vieillissant, le besoin de sommeil évolue au gré des changements physiologiques

Enfin, d’autres circonstances se manifestent à l’autre bout du spectre de l’âge, notamment en ce qui a trait à la ménopause chez les femmes, qui occasionne parfois des bouffées de chaleur nocturnes susceptibles de perturber le sommeil. Chez les hommes vieillissants, c’est souvent l’augmentation du volume de la prostate qui les contraint à se rendre à la salle de bain plusieurs fois chaque nuit. Dans ces circonstances, certaines personnes ont du mal à se rendormir. Par ailleurs, les problèmes de santé qui accompagnent parfois le vieillissement peuvent miner la qualité du sommeil, notamment lorsque la respiration se fait plus difficile en raison de troubles pulmonaires ou cardiaques, ou à cause de maux et de douleurs liées à l’arthrite, à une blessure ou à d’autres affections musculo-squelettiques.

Les personnes âgées doivent aussi composer avec certains troubles du sommeil qui sont plus fréquents parmi ce groupe d’âge. C’est le cas de l’apnée obstructive du sommeil, surtout chez les sujets en surpoids. Il s’agit d’un problème encore largement sous-diagnostiqué et trop peu pris en charge. Lorsque l’apnée du sommeil se manifeste chez un sujet qui dort par ailleurs suffisamment, la quantité de sommeil est adéquate mais pas la qualité. Dans de tels cas, les membres de la famille représentent alors une plus-value, puisque c’est souvent la personne qui partage le même lit qui remarquera les symptômes (et non le sujet lui-même).

Le sommeil : une affaire de famille

Avec l’alimentation et l’exercice, le sommeil constitue l’une des trois clés de voûte d’une bonne santé. Dès le début de toute cohabitation jusqu’aux derniers jalons de la vie, toutes les familles sont touchées par les questions liées au sommeil, tant sur le plan individuel que collectif. Il s’avère donc essentiel de connaître ses propres besoins, et ceux des autres membres de la famille, pour favoriser une bonne hygiène du sommeil et éviter les effets néfastes d’un déficit à cet égard. De fait, chacun devrait bien comprendre les rouages du sommeil pour pouvoir en discuter et porter à cette question toute l’attention qu’elle mérite. Le sommeil est véritablement une affaire de famille, qui a des incidences importantes sur le bien-être physique et psychologique. En somme, la gestion du sommeil contribue à resserrer les liens familiaux, puisqu’elle donne à chacun l’occasion de se montrer attentionné, respectueux, compréhensif et prévenant envers l’autre.

 


Le Dr David Posen a publié des livres à succès (Always Change a Losing Game: Winning Strategies for Work, Home and Health et The Little Book of Stress Relief). Il est aussi réputé à l’échelle internationale comme présentateur et conférencier. Son champ de spécialisation porte sur le stress et la gestion du changement. Dans son plus récent livre intitulé Is Work Killing You?, il s’intéresse aux interrelations entre le travail et le bien-être.

Tout le monde à table! La tradition (persistante) du repas familial

Paul Fieldhouse

Pour la plupart des Canadiens, les repas font partie du quotidien et sont devenus si routiniers, si ordinaires que l’on tient pratiquement la chose pour acquise. Pourtant, cette activité occupe une part centrale dans les relations sociales et les rituels culturels, et revêt une symbolique et une fonction pratique dans le cadre des rassemblements. Dans toutes les cultures, partager la nourriture a toujours constitué un moyen quasi universel de répondre au besoin d’association; l’hospitalité, le sens du devoir, la gratitude, le don de soi et la compassion s’y concrétisent. Un repas en commun, c’est bien plus que manger : c’est aussi échanger, créer et consolider des liens et des amitiés, enseigner et apprendre. Dès lors, on ne s’étonnera pas de l’importance capitale qu’occupent les repas familiaux dans la vie de famille.

Le repas familial à l’ère moderne

Pour mieux comprendre le concept, il faut d’abord préciser ce que l’on entend par « repas familial ». Malgré la simplicité apparente de cette notion, on se rend compte, en y regardant de plus près, que la notion de repas de famille est sans doute une sorte de raccourci désignant un concept bien plus fictif que concret.

En effet, c’est souvent l’image type de la famille nucléaire filant le parfait bonheur qui vient alors à l’esprit, où maman, papa et les enfants sont réunis autour d’une table élégamment dressée, dégustant les fruits (et autres plats) d’un processus de cuisine à proprement parler qui est pratiquement occulté. Or, ce stéréotype a été perpétué – voire créé de toutes pièces – à partir du milieu du XXe siècle, véhiculé par la publicité et la culture de masse associées à la télévision et aux magazines. C’est un idéal culturel solidement ancré, et que l’on a longtemps cherché à atteindre et à recréer : le symbole par excellence de la stabilité et de l’unité familiale.

Toutefois, si l’on regarde un peu l’histoire, on constate rapidement que le concept du repas réunissant la famille nucléaire est une idée relativement récente. Dans l’Angleterre victorienne, les enfants des riches familles aristocratiques mangeaient le plus souvent dans la cuisine avec la gouvernante ou les domestiques ou encore dans les salles à manger communes des pensionnats, plutôt qu’à la « table familiale ». Quant aux plus pauvres, ils ne possédaient parfois même pas de table autour de laquelle se réunir.

Pour les jeunes enfants, les « conversations autour de la table » sont une porte d’accès au dialogue familial et aux pensées, idées et émotions exprimées au sein de la famille.

En Amérique du Nord, c’est au cours de la seconde moitié du XIXe siècle que la classe moyenne a commencé à accorder une certaine importance au repas familial digne de ce nom. Et ce n’est qu’un peu plus tard, à la faveur de la croissance économique et de la prospérité de l’après-guerre, que la notion du repas familial « traditionnel » est devenue la norme pour toutes les classes sociales, ne serait-ce qu’un certain temps.

Bien entendu, les relations qui existent au sein des familles et des ménages se déclinent en plusieurs tons. Cela étant, comment parvenir à une définition commune du « repas familial »? Faut-il nécessairement que tous les membres du clan soient présents? Doivent-ils forcément partager le même menu et s’asseoir autour d’une table? Faut-il que le repas soit fait maison, ou qu’il ait tout au moins été préparé chez soi? Les convives doivent-ils tous appartenir au même ménage? Peut-on quand même parler de repas familial si des amis ou des invités y prennent part?

Pour définir ce concept, certains ont déjà avancé qu’un tel repas doit réunir au moins un adulte et un enfant, alors que d’autres parlent de « repas familial » dès que deux personnes ou plus mangent ensemble, ou que plusieurs personnes du même ménage partagent de la nourriture. Toutes ces formules ne manquent pas d’intérêt, mais elles ne suffisent pourtant pas à définir cette notion de repas familial. Et sans définition globale, il demeure très difficile d’évaluer la fréquence des repas en famille et, le cas échéant, le profil de leur évolution.

Le rôle et la fonction rythmique du repas familial

Le repas familial est un rituel quotidien qui symbolise la vie familiale commune. Il contribue à l’organisation de la famille, offrant à ses membres l’occasion de se réunir sur une base régulière, et favorisant leur bien-être sur le plan physiologique, psychologique et social. Au quotidien, il contribue à donner un certain rythme et une structure à la journée, ce qui peut avoir un effet rassurant d’un point de vue psychologique. Sur le plan physiologique ou biologique, c’est évidemment un moyen de répondre aux besoins alimentaires des membres de la famille, même si plusieurs facteurs déterminent l’efficacité de ce volet, notamment l’accès à des aliments sains et abordables, un minimum de connaissances en matière de nutrition, ainsi que diverses compétences pour l’achat et la préparation des aliments.

Une fois servi aux convives réunis autour de la table familiale, le produit final est le fruit d’une série d’actions qui ont nécessité du temps et du savoir-faire, et qui supposent des choix cognitifs et du travail physique. De fait, on a souvent tendance à oublier le processus – pratiquement inapparent – de la préparation des repas, dont chacune des étapes consiste essentiellement à « décider d’une suite d’actions », qu’il s’agisse de planifier le menu, de faire l’épicerie, de cuisiner et de faire le service.

Encore aujourd’hui, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s’acquitter de telles tâches, mais ces derniers s’impliquent tout de même davantage qu’autrefois dans la préparation du repas familial. Cuisiner pour la famille comporte une part de plaisir et de satisfaction, qui suppose néanmoins certains renoncements en temps, en argent et en ressources affectives.

Compte tenu de la somme de travail que représente un repas familial, on ne saurait ignorer toute la charge affective investie par les personnes qui ont préparé le repas. Que ce soit par amour ou par sens du devoir, il s’agit dans tous les cas d’une forme de dévouement envers les membres de la famille. Chacun à sa manière, tous les membres de la famille peuvent mettre la main à la pâte pour prendre part à cet exercice de solidarité familiale, que ce soit pour faire l’épicerie, préparer les plats, dresser la table ou desservir. Et lorsque ce n’est pas le cas, cet aspect risque aussi de causer des tensions familiales. Par ailleurs, certaines études ont montré que le fait de se sentir incapable d’organiser régulièrement des repas de famille conformément à l’idéal collectif peut engendrer de la frustration et un sentiment de dépréciation.

Les repas familiaux sont bénéfiques pour les enfants et les adolescents

La salle à manger est un endroit important pour la socialisation des enfants : le repas en famille représente le premier contact avec les règles et les normes des comportements admis, ainsi qu’avec les valeurs et les attentes familiales. C’est l’occasion pour les tout-petits et les enfants d’âge préscolaire d’apprendre quels sont les aliments propres à leur culture et, plus simplement, de distinguer toute nourriture de ce qui n’en est pas.

Sur le plan nutritionnel, le repas familial expose les enfants à toute une gamme d’aliments sains et contribue à modeler de bonnes habitudes alimentaires, tout en les incitant à élargir leurs goûts et à respecter les signaux de l’appétit associés à la satiété. C’est donc une occasion d’inculquer de saines habitudes, mais c’est aussi une arme à double tranchant : si le repas familial se compose généralement de féculents, d’aliments gras et de produits très sucrés au détriment des fruits et légumes, ce sont ces habitudes qui seront acquises et éventuellement perpétuées.

Du reste, les enfants profitent aussi des repas en famille pour développer diverses aptitudes, comme celle de tenir un verre ou de manipuler des baguettes, en plus d’acquérir et d’enrichir leurs compétences linguistiques et leurs connaissances à travers les échanges. En effet, les « conversations autour de la table » sont pour eux une porte d’accès au dialogue familial (particulièrement pour les jeunes enfants) et aux pensées, idées et émotions exprimées au sein de la famille.

Les regrets exprimés quant à la disparition des repas familiaux cachent sans doute un dépit, voire une crainte, du changement des structures et du mode de vie des familles.

En prêtant l’oreille aux récits, anecdotes et autres nouvelles, les enfants apprennent à mieux connaître le monde des adultes, et à y discerner les intérêts et la personnalité de leurs parents; en contrepartie, les adultes découvrent aussi les traits de leurs enfants et leur intérêt à l’égard du monde qui les entoure. D’ailleurs, les repas familiaux sont l’occasion pour les parents de jauger l’humeur et les besoins de leurs enfants, afin de mieux connaître leurs problèmes et de les aider à les régler.

Des études ont aussi prouvé que le repas familial aurait un « effet protecteur », c’est-à-dire que les enfants et les adolescents qui mangent plus régulièrement en compagnie de leurs proches bénéficient d’une meilleure alimentation et sont moins sujets à l’embonpoint. En outre, ceux-ci seraient moins touchés par divers troubles affectifs, obtiendraient de meilleurs résultats scolaires et seraient moins vulnérables aux comportements à risque, notamment aux problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie.

Toutefois, il s’avère difficile de déterminer clairement pourquoi les repas familiaux auraient un tel effet protecteur, et il est encore plus complexe d’isoler la part qui leur est effectivement attribuable par rapport aux autres facteurs familiaux. À cet égard, une étude menée récemment par deux sociologues américains permet de croire que la plupart des liens de cause à effet entre les repas familiaux et les éventuels bénéfices pour les jeunes dépendent surtout des caractéristiques socioéconomiques de la famille, qui font en sorte que de tels repas en famille sont possibles.

Les familles se transforment, et les repas familiaux aussi

Au fil du temps, le repas familial a fini par représenter la quintessence de la famille dans l’imaginaire collectif, et on constate que chaque génération a déploré, chacune à son tour, le déclin des traditions à cet égard. Déjà dans les années 1920, on s’inquiétait du fait que l’accès aux loisirs et l’avènement de l’automobile puissent nuire aux repas en famille!

Selon la sociologue Anne Murcott, cet « idéal » dépeint une réalité surtout propre à la classe moyenne, puisque ce sont ces familles-là qui craignent le plus de s’en éloigner. Or, si le repas en famille incarne la stabilité en période de changement, les regrets exprimés quant à sa disparition graduelle cachent sans doute un dépit, voire une crainte, de voir changer les structures et les modes de vie des familles.

Pourtant, les données provenant d’études de marché s’avèrent très variables en ce qui concerne les repas familiaux, et ne permettent pas d’établir des conclusions nettes. Par exemple, une entreprise commerciale d’études de marché informait ses clients que 80 % des familles canadiennes prenaient un repas en famille au moins quatre fois par semaine, en 2013; au Québec, la proportion atteignait 90 %. Or, selon une enquête menée pour le compte d’un autre client en 2014, la même firme établissait qu’à peine 20 % des familles mangeaient ensemble plus de deux fois par semaine, et que 5 % d’entre elles n’avaient jamais l’occasion de se réunir autour d’un repas.

Si les données des études de marché sont parfois contradictoires, les études universitaires et les données colligées par les gouvernements sont par ailleurs relativement rares. Néanmoins, des données probantes aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Scandinavie révèlent qu’environ un repas sur deux se prend en famille. D’après les données de la Child Trends Data Bank recueillies auprès des enfants aux États-Unis pour la période de 2003 à 2013, la fréquence des repas en famille aurait peu changé au fil des ans, alors que 55 % des enfants de 6 à 11 ans déclarent prendre un repas en famille à raison de six ou sept jours par semaine, cette proportion reculant à 30 % chez les enfants de 12 à 17 ans.

Selon un sondage réalisé en 2010 au Royaume-Uni, 25 % des familles se réunissaient presque tous les jours pour manger, alors que seulement 10 % des familles ne mangeaient jamais ensemble le soir, et que 5 % d’entre elles ne passaient pas plus de 10 minutes ensemble à table.

Au lieu de se désoler du déclin du repas familial, peut-être faudrait-il revoir notre rapport à l’alimentation et, corollairement, réévaluer le véritable sens des liens qui nous unissent aux gens qui partagent délibérément notre table, c’est-à-dire la famille, les amis et les proches.

Au Canada pour la période de 1996 à 2005, les données indiquent que les gens qui travaillent ont moins de temps à consacrer aux activités familiales (y compris les repas en famille) et sont plus susceptibles de manger seuls au moins une fois par jour. Dans son Enquête sociale générale de 2010, Statistique Canada révèle que les Canadiens ne prennent que 60 à 70 minutes pour manger à la maison (les jeunes étant les plus pressés à cet égard), et ce, même si les gens consacrent environ le quart de leurs heures d’éveil à des activités liées à l’alimentation (manger à la maison ou au restaurant, cuisiner, faire la vaisselle, etc.). En 2011, un autre rapport sur les habitudes de consommation révélait que 55 % des Canadiens réservaient un quart d’heure ou moins à la préparation des repas.

Bien que ces statistiques semblent indiquer un recul du temps consacré aux repas en famille, elles ne donnent aucune information concrète sur l’évolution du nombre et du type de repas familiaux. Il faut toutefois reconnaître que les changements démographiques quant aux modes de cohabitation ont sûrement un impact. Selon les données du recensement effectué au Canada en 2011, les ménages composés d’une seule personne représentaient jusqu’à 27,6 % de tous les foyers, soit une proportion trois fois plus importante qu’en 1961 (cette hausse touchant particulièrement le Québec).

Par conséquent, la proportion accrue des repas pris en solitaire n’est pas étonnante. Dans la même veine, un sondage mené récemment aux États-Unis indique que 60 % des repas consommés ailleurs qu’à la maison se prennent seuls.

Pourtant, il semble bien que la majorité des gens valorisent encore et toujours les repas en famille, peu importe la manière de les définir, et qu’ils souhaiteraient pouvoir en bénéficier. Dans le cadre de l’enquête au Royaume-Uni évoquée précédemment, on a constaté que les trois quarts des gens désiraient mettre plus d’accent sur les repas en famille, mais plusieurs répondants admettent du même souffle être confrontés à de nombreux obstacles pour y parvenir, notamment le manque de temps, les exigences professionnelles, les activités sociales, les activités structurées (en particulier les activités parascolaires des enfants), ainsi que la multiplication des possibilités de manger ailleurs qu’à la maison.

D’ailleurs, le repas familial à l’heure du midi a déjà pratiquement disparu, et la même chose est en voie de se produire pour le petit-déjeuner puisque les parents déclarent manquer de temps pour préparer ce repas à leurs enfants avant l’école.

Les gens ont donc tendance à manger au moment et à l’endroit qui leur convient, et de manière moins formelle et structurée.

En 2012, le rapport d’un expert-conseil en milieu de travail révélait que trois travailleurs sur dix ne s’arrêtent pas pour manger à l’heure du midi, et que quatre sur dix mangent seuls à leur bureau. En France, la situation est très différente puisque le rituel du repas en bonne compagnie est encore au cœur de la vie sociale quotidienne. En Italie, les trois quarts de la population prennent le temps de manger chez eux en mi-journée.

Chez les Nord-Américains, la tendance est à prendre plusieurs petits repas et collations répartis sur la journée, alors que les Français mangent plutôt trois fois par jour, soit le matin, le midi et le soir, ce qui témoigne de l’attachement aux habitudes traditionnelles liées aux repas. À 13 h, près de la moitié de la population française est attablée pour le repas du midi, et vers 20 h 15, plus du tiers des Français prennent le souper. Qu’il s’agisse d’un repas en famille ou en compagnie d’amis ou de collègues, ils prennent 80 % de leurs repas avec des convives.

Les statistiques au sujet des repas familiaux n’indiquent à peu près rien quant à la forme ou la qualité de ces rassemblements, mais il semble toutefois évident que les habitudes changent au même rythme que l’organisation sociale, notamment en ce qui a trait aux responsabilités professionnelles et à la technologie. Ainsi, les repas à heures fixes en compagnie des proches semblent avoir cédé le pas à une structure moins rigide, où « grignoter » par-ci par-là devient la norme, contrairement aux fameux « trois repas par jour » si chers à plusieurs aînés, particulièrement ceux d’ascendance européenne.

Et alors qu’il semble de plus en plus compliqué pour la famille de se réunir pour manger ensemble à la maison, les produits alimentaires n’ont jamais été aussi accessibles, notamment dans les centres urbains, et il est possible de manger à toute heure du jour ou de la nuit ailleurs qu’à la maison, c’est-à-dire dans les restaurants, les centres commerciaux, les services au volant ou même les commerces qui n’ont aucune vocation alimentaire, comme les magasins à grande surface et les centres de jardinage. Les gens ont donc tendance à manger au moment et à l’endroit qui leur convient, et de manière moins formelle et structurée.

Qu’adviendra-t-il du repas en famille?

Bref, les familles se réunissent encore pour manger ensemble, mais c’est souvent au centre commercial, dans un établissement de restauration rapide ou encore dans l’auto en se rendant au match de basketball ou à la leçon de danse… Dans quelle mesure peut-on considérer qu’il s’agit de repas familiaux? À vrai dire, les dénominateurs communs y sont toujours, c’est-à-dire la nourriture et la présence de la famille, mais d’aucuns diront qu’il manque une dimension symbolique et culturelle importante associée au repas partagé en famille à la maison. La transmission culturelle inhérente aux repas de famille et la fonction rythmique qui structure le quotidien sont-elles alors partiellement occultées? Si le repas se prend dans la voiture familiale, par exemple, les parents ne pourront peut-être pas manifester leur amour et leur sens des responsabilités de la même manière qu’à la maison, et il leur sera plus difficile dans un tel contexte de montrer les bonnes manières associées aux repas. Du reste, le cadre n’est sans doute pas le plus propice à créer un refuge par rapport au monde extérieur ou à refléter l’unité familiale.

Le fait de manger ensemble – peu importe le menu et l’endroit – contribue éventuellement à créer et à consolider des liens entre les membres de la famille.

Pourtant, malgré les circonstances, on aurait tort de sauter aux conclusions : même en auto ou attablés à un restaurant-minute, n’est-il pas possible de discuter de la journée de l’un ou de s’informer des travaux scolaires de l’autre? Certains n’hésitent pas à mettre en doute une telle hypothèse, mais d’autres études laissent plutôt croire que les familles agissent à peu près comme à la maison même lorsqu’elles mangent à l’extérieur.

En somme, le fait de manger ensemble – peu importe le menu et l’endroit – contribue éventuellement à créer et à consolider des liens entre les membres de la famille. Au lieu de se désoler du déclin du repas familial, peut-être faudrait-il revoir notre rapport à l’alimentation et, corollairement, réévaluer le véritable sens des liens qui nous unissent aux gens qui partagent délibérément notre table, c’est-à-dire la famille, les amis et les proches.

Il est possible de préserver ce que les repas familiaux ont d’enrichissant, et de privilégier ces aspects chaque fois que l’occasion de manger se présente. Ne faudrait-il pas recommencer à voir les repas comme des moments favorables à la convivialité et aux liens sociaux? Plutôt que de manger seul, sur le coin du bureau ou en voiture, on peut toujours se réunir pour profiter d’un bon repas et de la présence des autres.

 


Paul Fieldhouse est professeur auxiliaire au Département des sciences de la nutrition pour les humains de l’Université du Manitoba. Il est aussi conseiller en recherche et en politiques pour le compte du gouvernement du Manitoba. M. Fieldhouse est titulaire d’un doctorat interdisciplinaire en alimentation et en sciences religieuses.

Cet article est une version revue et mise à jour de l’article « Manger ensemble : le rituel du repas familial », publié d’abord dans le magazine Transition (Vol. 45 no 1).

L’état actuel de la recherche sur les familles des militaires

Heidi Cramm, Deborah Norris, Linna Tam-Seto, Maya Eichler et Kimberley Smith-Evans

Depuis les années 1990, on assiste à une transformation de la nature, de la fréquence et de l’intensité des opérations militaires. Or, cette transformation a aussi des conséquences sur les familles des militaires canadiens. De fait, le rythme des opérations s’est accentué et celles-ci se succèdent presque en continu, et le rôle du personnel des Forces armées canadiennes (FAC) est passé de « soldats de maintien de la paix à artisans de la paix à guerriers »1. En 2013, le Bureau de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes publiait un rapport majeur sur la santé et le bien-être des familles des militaires, sous le titre Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire. Ce rapport mettait en relief le contexte associé à l’évolution des opérations militaires des FAC, le sens à lui donner ainsi que les conséquences qui en découlent, et ce, tant du point de vue des militaires et des vétérans que de leur famille.

Le rapport de l’ombudsman insistait notamment sur les facteurs qui touchent la plupart des militaires et leur famille durant la majeure partie de la carrière militaire, soit la mobilité, l’absence du foyer et la notion de risque2. De fait, les familles des militaires canadiens sont appelées à déménager de trois à quatre fois plus souvent que les familles civiles, en ayant très peu d’influence sur le choix des endroits, du moment et de la durée à cet égard, ce qui perturbe entre autres la continuité des soins de santé et l’accès à ceux-ci. Les déménagements fréquents affectent aussi la participation à l’école et le rendement scolaire des enfants, en plus d’avoir une incidence sur l’accès aux services éducatifs pour les enfants ayant une incapacité ou des difficultés d’apprentissage particulières3. En outre, les réinstallations affectent les possibilités professionnelles des non-militaires de la famille, ainsi que la capacité des familles de s’occuper des proches plus vulnérables, comme les parents vieillissants. Il n’est pas rare pour celles-ci de devoir composer avec des absences prolongées en raison d’un déploiement ou d’un entraînement militaire, sans compter le caractère bien réel associé aux risques de blessures ou de maladies permanentes, ou même de décès, en lien avec les entraînements intensifs ou les déploiements4. Bien que les familles des militaires canadiens accordent beaucoup de valeur au service militaire dont s’acquitte l’un des leurs et qu’ils en tirent une grande fierté, il n’en demeure pas moins que la mobilité et l’absence du foyer de même que « les bouleversements incessants de la vie militaire5 » sont des agents perturbateurs importants pour celles-ci. Certains conjoints non militaires interrogés aux fins de cette étude estimaient que leurs enfants « payaient un prix pour le service au pays de leur parent6 ».

« Les facteurs qui touchent la plupart des militaires et leur famille durant la majeure partie de la carrière militaire [sont] la mobilité, l’absence du foyer et la notion de risque. »

Même si des recherches ont cours depuis environ un quart de siècle au sujet des familles des militaires canadiens, les initiatives concrètes visant à consolider ce créneau d’étude ont souffert – du moins jusqu’à tout récemment – de l’insuffisance des ressources financières en recherche civile et des difficultés à maintenir un cadre collaboratif. Toutefois, cette situation a évolué grâce aux réseaux mis sur pied par l’entremise de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. À l’heure actuelle, les études portant sur la situation des familles des militaires en service concernent très majoritairement la réalité vécue aux États-Unis. Ces dernières années, les textes spécialisés publiés dans le domaine mettaient surtout l’accent sur les conséquences de la vie militaire pour les familles, de même que sur les moyens de favoriser la résilience au sein des familles des militaires7. En ce sens, on entend par résilience la « force d’adaptation ou la capacité de maintenir ou de retrouver un état psychologique sain malgré l’adversité8 ». [traduction]

« Ces dernières années, les textes spécialisés publiés [sur les familles des militaires] mettaient surtout l’accent sur les conséquences de la vie militaire pour les familles, de même que sur les moyens de favoriser la résilience au sein des familles des militaires. »

Dans l’ensemble, les perspectives de la recherche axée sur les familles des militaires avaient principalement comme objet les risques ou les problèmes inhérents9. De fait, il n’existe que très peu d’études sur les facteurs (ou la combinaison de facteurs) favorisant la résilience perpétuelle qui sous-tend la vie de famille chez les militaires10. On sait peu de choses concernant les mécanismes qui soutiennent cette résilience. Au contraire, on s’est surtout penché sur les conséquences des déploiements en lien avec divers aspects psychologiques, sociaux, éducatifs et comportementaux11–14. Par exemple, on a constaté que la santé psychologique d’un parent en déploiement ou de celui qui reste au foyer est susceptible d’influencer les enfants à différents moments de leur développement. L’étude américaine Children on the Homefront portant sur les incidences des opérations militaires sur le bien-être des enfants a ainsi permis de constater que la santé mentale des parents qui restent à la maison pendant le déploiement du conjoint influence largement la prévalence de problèmes affectifs, sociaux et éducatifs chez les enfants, et ce, pendant et après le déploiement15. Dans un rapport publié récemment sur l’état actuel de la recherche au Canada et à l’étranger en ce qui a trait aux conséquences sur la santé et le bien-être de la famille à la suite de blessures de stress opérationnels (BSO)16, on soulignait les effets néfastes manifestes à cet égard sur la dynamique familiale de même que sur la santé et le bien-être des membres de la famille. En outre, ces familles seraient plus vulnérables que les autres aux difficultés affectives, psychologiques, comportementales, sociales et d’apprentissage, et leurs membres plus sujets à la négligence ou à la maltraitance17.

« La santé psychologique d’un parent en déploiement ou de celui qui reste au foyer est susceptible d’influencer les enfants à différents moments de leur développement. »

Or, il s’avère difficile de déterminer à quel point les conclusions de telles études sont pertinentes en fonction de la réalité canadienne. De fait, les familles des militaires canadiens (particulièrement ceux qui ne sont pas en service actif) déplorent le fait que « nous savons peu de choses sur le sujet dans le contexte canadien18 ». En effet, même s’il est possible d’élargir plusieurs de ces constats pour les appliquer à la réalité du Canada, il existe toutefois d’importantes différences qui justifieraient de chercher à mieux connaître les besoins uniques des enfants, des conjoints et des familles des militaires canadiens19. Au Canada, par exemple, contrairement à ce qui prévaut au États-Unis, les familles des militaires ont recours au système civil de soins de santé et, par conséquent, ont la responsabilité de trouver un médecin omnipraticien ou spécialiste suivant leurs besoins, et ce, tout en tenant compte bien souvent des particularités et des critères d’admissibilité des différents régimes provinciaux de soins de santé. Dès lors, les membres des familles de militaires sont privés du caractère permanent des soins et tributaires de nouvelles listes d’attente à chaque déménagement, ce qui mine effectivement la possibilité de bénéficier de soins réguliers auprès d’un professionnel de la santé attitré. Faute de pouvoir trouver un nouveau médecin, plusieurs familles de militaires canadiens n’hésitent pas à retourner consulter leur médecin traitant dans la région de leur affectation précédente. Lorsque certains membres de la famille ont besoin de soins médicaux particuliers ou sont atteints d’une incapacité, il peut s’avérer frustrant et coûteux de chercher des soins dans un nouveau régime de soins de santé, sans compter les difficultés résultant des divergences dans les critères d’admissibilité et les politiques de remboursement. Dans certains cas, les difficultés tiennent aussi au fait que certains médecins de famille « ont une compréhension superficielle des caractéristiques de la vie militaire, ce qui peut aussi avoir une incidence sur la qualité et la continuité des soins20 ».

Les difficultés vécues par les familles des militaires par rapport au système de soins de santé trouvent aussi écho dans le domaine de l’éducation. Il y a 20 ans, 80 % des familles des FAC vivaient sur une base militaire et y fréquentaient une école encadrée par le ministère de la Défense nationale. Or, non seulement ce système d’éducation est-il disparu, mais 85 % des familles des FAC vivent désormais à l’extérieur des bases militaires et fréquentent les écoles de quartier21, où le personnel enseignant non militaire connaît mal les facteurs de stress associés à la vie des militaires, de même que les répercussions sur leurs conjoints et enfants. De plus, contrairement à ce qui existe aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les ministères fédéraux du Canada ne versent aucun financement aux commissions scolaires des différentes provinces pour adapter les programmes d’éducation en fonction de la réalité des familles des militaires, qu’il s’agisse d’un transfert d’école, d’un déploiement ou des problèmes associés à une BSO chez l’un des parents22, 23. À chaque transfert d’école, les élèves atteints d’une incapacité ou nécessitant des services éducatifs particuliers doivent se soumettre à nouveau au processus d’évaluation et d’attribution des ressources, ce qui représente une importante source de stress pour ces familles24.

« Il faudra s’employer à définir clairement les enjeux et les besoins particuliers [en matière de santé] en contexte canadien. »

Le Canada s’est doté de programmes et de services ciblés au bénéfice des familles, notamment pour l’encadrement en situation de crise, le soutien par les pairs, les services de psychoéducation, ainsi que les services de consultation offerts par l’entremise de divers organismes, comme les Centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM), mais l’offre de tels services demeure inégale selon les régions et les centres urbains. Par ailleurs, le Canada a fait preuve de leadership en mettant sur pied divers programmes et services axés sur la famille, comme la production de la série de webinaires Le pouvoir de l’esprit25 destinée aux adolescents. Cependant, il n’a pas été démontré clairement dans quelle mesure la plupart de ces initiatives se fondent sur des éléments factuels, ni à quel point leur efficacité repose sur une évaluation rigoureuse.

Pour s’assurer que les conjoints et partenaires des militaires ainsi que les quelque 64 100 enfants canadiens qui grandissent au sein d’une famille de militaires puissent bénéficier des mêmes avantages en matière de santé que leurs concitoyens civils, il faudra s’employer à définir clairement les enjeux et les besoins particuliers en contexte canadien. Toutefois, malgré l’importance de cibler ces besoins, il faudra aussi que les chercheurs s’intéressent aux connaissances et aux compétences dont devront disposer les éducateurs, les fournisseurs de soins de santé et les partenaires communautaires afin d’épauler et soutenir efficacement les familles des militaires. À terme, ces constatations serviront de base à d’éventuels programmes et initiatives fondés sur des données probantes.

 


 

Auteurs

Heidi Cramm, School of Rehabilitation Therapy, Université Queen’s, Kingston (Ont.)

Deborah Norris, Département de gérontologie et d’études de la famille, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

Linna Tam-Seto, School of Rehabilitation Therapy, Université Queen’s, Kingston (Ont.)

Maya Eichler, Département de politique et d’études canadiennes, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

Kimberley Smith-Evans, Département de politique et d’études canadiennes, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

 

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Cet article est tiré de « Making Military Families in Canada a Research Priority », qui présente une discussion sur les priorités de recherche futures. L’article original, publié en ligne dans le Journal of Military, Veteran and Family Health en novembre 2015 (Volume 1 n° 2), peut être consulté sur le site Web du journal.

 

NOTES

  1. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes (2013). Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire, Ottawa, Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  2. Ibidem
  3. Bradshaw, CP., Sudhinaraset, M., Mmari, K. et autres (2010). « School Transitions Among Military Adolescents: A Qualitative Study of Stress and Coping » dans School Psychology Review, vol. 39, n° 1, p. 84-105.
  4. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  5. Ibidem
  6. Ibidem
  7. Saltzman, WR., Lester, P., Beardslee, WR. et autres (2011). « Mechanisms of Risk and Resilience in Military Families: Theoretical and Empirical Basis of A Family-Focused Resilience Enhancement Program » dans Clinical Child and Family Psychology Review, vol. 14, n° 3, p. 213-230. [MEDLINE : 21655938]
  8. Herrman, H., Stewart, DE., Diaz-Granados, N. et autres (2011). « What Is Resilience? » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 56, n° 5, p. 258-265. [MEDLINE : 21586191]
  9. Easterbrooks, MA., Ginsburg, K. et Lerner, RM. (2013). « Resilience Among Military Youth » dans Future Child, vol. 23, n° 2, p. 99-120. [MEDLINE : 25518694]
  10. Palmer, C. (2008). « A Theory of Risk and Resilience Factors in Military Families » dans Military Psychology, vol. 20, n° 3, p. 205-217.
  11. Aronson, KR. et Perkins, DF. (2013). « Challenges Faced by Military Families: Perceptions of United States Marine Corps School Liaisons » dans Journal of Child and Family Studies, vol. 22, n° 4, p. 516-525.
  12. Cederbaum, JA., Gilreath, TD., Benbenishty, R. et autres (2014). « Well-Being and Suicidal Ideation of Secondary School Students from Military Families » dans Journal of Adolescent Health, vol. 54, n° 6, p. 672-677. [MEDLINE : 24257031]
  13. Cozza, SJ. (2011). « Children of Military Service Members: Raising National Awareness of the Family Health Consequences of Combat Deployment » dans Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine, vol. 165, n° 11, p. 1044-1046. [MEDLINE : 21727261]
  14. Chandra, A., Lara-Cinisomo, S., Jaycox, LH. et autres (2010). « Children on the Homefront : The Experience of Children from Military Families » dans Pediatrics, vol. 125, n° 1, p. 16-25. [MEDLINE : 19969612]
  15. Ibidem
  16. Norris, D., Cramm, H., Eichler, M., Tam-Seto, L. et Smith-Evans, K. (2015). Operational Stress Injury: The Impact on Family Mental Health and Well-Being. A Report to Veterans Affairs Canada.
  17. Ibidem
  18. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  19. Dursun, S. et Sudom, K. (2009). Impacts of Military Life on Families: Results from the Perstempo Survey of Canadian Forces Spouses, Ottawa, Recherche et développement pour la défense Canada.
  20. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  21. Services de soutien aux familles des militaires. Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (s.d.). Le mode de vie des familles des Forces canadiennes : mythes et réalité. (Page Web consultée le 10 septembre 2015)
  22. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  23. National Military Family Association (2006). Department of Defense Support to Civilian Schools Educating Military Children, Alexandria (Virginie), The Association.
  24. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  25. Services de soutien aux familles des militaires. Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (s.d.). Le pouvoir de l’esprit. Comprendre la BSO d’un membre de votre famille. (Page Web consultée le 10 septembre 2015)

 

D’où vient le « F » du sigle PAEF? L’évolution de l’aide en santé mentale au travail

Craig Thompson

Depuis quelques décennies, la santé mentale préoccupe de plus en plus l’opinion publique, notamment parce que l’on comprend mieux les diverses répercussions de ces enjeux sur toutes les sphères de la société. Quand la santé mentale d’une personne se détériore, les premiers à en constater les effets sont souvent ceux et celles qui sont aux « avantpostes », c’est-à-dire les proches. La famille constitue l’entité la plus adaptable de notre société et, à ce titre, elle tend à se modeler le mieux possible aux besoins de ses membres. C’est la raison pour laquelle un nombre croissant d’organisations choisissent désormais de soutenir les employés et leur famille, et ce, par l’entremise de programmes d’aide aux employés et aux familles (PAEF), qui tiennent compte des questions de santé mentale au travail. En analysant l’évolution de ces services, on pourra sans doute expliquer d’où vient ce « F » ajouté au sigle PAEF, et mesurer son importance grandissante au fil du temps.

Les premières années : les programmes d’aide axés sur l’alcoolisme au travail

Au Canada, les premiers programmes d’aide axés sur l’alcoolisme au travail sont apparus vers la fin des années 1950. Ancêtres des PAEF, ces programmes visaient essentiellement les problèmes liés à l’alcool, et ses effets dévastateurs sur la santé et le bien-être des employés alcooliques. Ces programmes étaient généralement dispensés par les directions médicales et les services de santé au travail au sein des grandes organisations industrielles du secteur manufacturier.

Parfois, les employés sollicitaient eux-mêmes des services d’aide, mais la plupart du temps, c’était leur gestionnaire, leur superviseur ou leur représentant syndical qui les y incitait ou les orientait vers ces services. Or, cette aide était presque uniquement centrée sur l’employé alcoolique, sans égard à sa famille. Celui-ci était soumis à un programme strict, qui supposait notamment de participer à des réunions des Alcooliques anonymes, et le respect des exigences était suivi de près. Une rechute après le traitement entraînait généralement une mise à pied, sans aucune autre forme d’aide de la part de l’employeur. Dès lors, l’avenir de ces personnes dépendait entièrement du niveau de soutien des membres de leur famille. Du moins, pour ceux qui en avaient encore une…

La période de gestation : les programmes d’aide aux employés (PAE)

Durant les années 1970 et jusqu’au milieu des années 1980, les employeurs ont élargi la portée de ce type de programmes pour s’intéresser aussi à d’autres problèmes que l’alcoolisme, ce qui a donné naissance aux programmes d’aide aux employés (PAE). En effet, des études réalisées à cette époque sur la productivité en milieu de travail avaient révélé que l’alcoolisme ne constituait que l’un des multiples facteurs susceptibles de nuire au rendement, à la productivité et à la santé en milieu de travail.

L’alcoolisme était toujours considéré comme un problème, mais il semblait de plus en plus évident que les programmes d’aide en milieu de travail seraient plus efficaces si l’on se penchait aussi sur d’autres aspects limitant la productivité, comme la toxicomanie, la maladie mentale, les problèmes de santé graves ou les moments charnières de la vie (naissances ou décès). Dès lors, de plus en plus d’employeurs ont saisi l’importance d’adopter des PAE, si bien que ces programmes ont bientôt fait leur apparition dans les moyennes entreprises ou les sociétés régionales, nationales ou multinationales.

En règle générale, les PAE offraient alors des séances de consultation à court terme axées sur la recherche de solutions, lesquelles étaient payées par l’employeur en fonction d’un nombre moyen de séances ou d’un nombre maximum de rencontres prédéterminé. Puisque les traitements à longue échéance n’étaient pas l’objet des PAE, le fournisseur de services orientait le patient vers des ressources abordables et pertinentes si sa situation justifiait un suivi plus long. Au fil des ans, ce sont finalement les services des ressources humaines qui ont graduellement récupéré la gestion des PAE, prenant ainsi le relais des directions médicales ou des services de santé et sécurité au travail.

Au cours de leurs années les plus productives, plusieurs personnes éprouvent des préoccupations à propos de leur santé mentale, c’est pourquoi les PAEF sont susceptibles de leur être bénéfiques. Certaines études ont montré que les troubles de santé mentale sont non seulement coûteux pour les travailleurs eux-mêmes, mais aussi pour les organisations dont ils relèvent.

• D’ici 2020, à l’échelle mondiale, la dépression occupera le deuxième rang (après les maladies du cœur) parmi les principales causes d’incapacité.

• Au Canada, l’incapacité est responsable de 4 % à 12 % des coûts salariaux. Les réclamations associées à des problèmes de santé mentale (particulièrement la dépression) constituent désormais la catégorie de frais en plus forte croissance au pays pour une incapacité, surpassant ainsi les maladies cardiovasculaires.

Par la suite, certains employeurs ont peu à peu compris que, pour favoriser l’assiduité, le rendement et le niveau de concentration des employés, il fallait aussi prendre en considération leur famille dans l’équation. On s’est donc intéressé aux troubles émotionnels, aux relations personnelles et familiales, aux soins des enfants et des aînés, ainsi qu’aux soins de santé. En vue d’atténuer les répercussions de ces divers problèmes sur le rendement et la productivité, plusieurs employeurs ont cherché à conscientiser directement les proches de leurs employés, afin de leur faire connaître ces programmes et de les inciter à les utiliser. On a donc conçu de la documentation précisément destinée aux conjoints et aux personnes à charge, et des moyens novateurs ont été mis en œuvre pour rejoindre les membres des familles. Par ailleurs, l’admissibilité aux programmes a continué de s’étendre pour couvrir notamment les jeunes adultes admissibles inscrits à des programmes d’enseignement postsecondaire, ainsi que leur famille.

Au début, les proches se montraient réticents à utiliser ces services et programmes, ce qui explique sans doute qu’on ait accentué les efforts pour les conscientiser et les inciter à y recourir. La crainte que des renseignements personnels divulgués au thérapeute ou au spécialiste du PAE puissent créer des ennuis à l’employé au travail expliquait sans doute partiellement cette réticence. De fait, même si les services des PAE étaient confidentiels (et le sont toujours), l’inquiétude des utilisateurs potentiels à l’égard de la confidentialité et de la protection de la vie privée est tout à fait compréhensible. Au cours de cette période, on estime que 5 % à 7 % des employés avaient recours aux services des PAE annuellement, et que moins de 1 % des bénéficiaires étaient des membres de la famille.

Alors que les services de la première génération de PAE étaient assurés par du personnel à l’interne (généralement des médecins et des infirmières en santé du travail), la prestation de services de cette nouvelle génération de programmes était souvent confiée à des entreprises externes mettant à contribution un plus large éventail de professionnels et de spécialistes, y compris des psychologues, des thérapeutes et d’autres fournisseurs de soins de santé. Cette évolution a certes consolidé la légitimité des PAE, mais il n’en demeure pas moins que l’offre n’était toujours pas généralisée puisqu’elle demeurait concentrée dans les entreprises de plus grande envergure. Par conséquent, les travailleurs employés ailleurs étaient vraisemblablement mal desservis.

Les années de croissance : les programmes d’aide aux employés et aux familles (PAEF)

De la fin des années 1980 au milieu des années 1990, d’importants progrès ont été réalisés dans ce domaine. D’abord, les PAE ont commencé à offrir une gamme de services sans cesse plus diversifiée, notamment des mesures axées sur les dépendances, les problèmes conjugaux ou familiaux et les troubles psychoaffectifs. Ces PAE « à portée globale » reconnaissaient l’importance de traiter également les problèmes relationnels en milieu de travail, les problèmes d’ordre financier ou judiciaire, le vieillissement des parents, ainsi que d’autres préoccupations qui n’étaient pas nécessairement liées au travail. Cet élargissement de la portée des PAE a contribué à généraliser leur adoption au sein d’un plus large éventail d’industries, de secteurs et de milieux professionnels.

Au fil du temps, des études successives ont confirmé les diverses retombées en coûts-avantages découlant des investissements dans les PAE de la part des employeurs, notamment la réduction du taux d’absentéisme, du roulement de personnel et des frais médicaux, et l’augmentation globale de la productivité des employés. En misant sur ces études, les fournisseurs de services des PAE ont réussi à convaincre un nombre grandissant d’employeurs de la pertinence des PAE, en se tournant désormais vers d’autres secteurs et des entreprises de toute envergure. Dès lors, le niveau d’acceptation s’est accru considérablement, procurant ainsi à des milliers de familles et d’individus l’accès à de tels soins et ressources.

Peu à peu, les fournisseurs ont élargi leur offre de services à toute heure du jour ou de la nuit grâce à des lignes sans frais, dans le but d’aider les bénéficiaires en fonction de leurs besoins particuliers. Par ailleurs, on a cherché à conscientiser encore davantage les proches des employés vivant au sein de leur foyer, ce qui a permis d’accroître dans une certaine mesure leur recours aux PAE, mais il faut dire que les services dispensés aux personnes à charge ne représentaient en moyenne que 5 % à 10 % de l’ensemble des services fournis dans la plupart des programmes. Du reste, diverses ressources documentaires, des ateliers et des séminaires ont été mis de l’avant à titre de mesures de prévention et de promotion de la santé. On peut notamment souligner les ateliers sur la gestion du stress, qui ont bientôt occupé une part importante de ces mesures d’éducation et qui visaient à doter les participants de connaissances et d’outils pour favoriser leur santé et leur productivité au travail. Enfin, les PAE ont intégré des services axés sur la résolution de conflits en milieu de travail, la gestion réaliste de la charge de travail, ainsi que la communication efficace.

Distribution actuelle des motifs de consultations aiguillées par les PAEF : pourcentage des appels reçus selon le motif

45 %  Problèmes conjugaux et familiaux
25 %  Troubles psychologiques (dépression, anxiété, estime de soi)
15 %  Problèmes d’ordre professionnel
10 %  Toxicomanie ou alcoolisme
5 %    Crises ou traumatismes sur le plan personnel

Cette phase d’évolution se caractérise également par une autre avancée importante, soit le changement d’appellation des programmes, qui sont passés de « programmes d’aide aux employés » à « programmes d’aide aux employés et à leur famille », soit les PAEF. Même si, dans les faits, la plupart des programmes avaient déjà élargi leurs services aux familles, ce changement a permis d’officialiser le statut de la famille comme variable incontournable dans le processus d’aide. Il faut d’ailleurs reconnaître la sagesse et la vision des responsables du PAEF de la société MacMillan Bloedel, qui ont tenu à faire ressortir cet aspect du programme. L’entreprise a été la première à proposer ce terme pour définir de tels services, et l’appellation a été reprise partout au pays. Ce simple ajout contribuera par la suite à stimuler l’amélioration des programmes dans une perspective familiale au cours de la phase suivante de leur évolution.

L’âge de la maturité : les PAEF de nos jours

Au cours de la période allant du milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, la popularité des PAEF s’est accrue à un point tel que presque tous les employeurs de moyenne ou grande envergure proposent désormais ces programmes sous une forme ou une autre. Même les plus petits employeurs (c’est-à-dire de 50 employés ou moins) commencent à les offrir par l’entremise de régimes collectifs ou d’initiatives communautaires. En effet, les fournisseurs de PAEF et les compagnies d’assurance concluent des partenariats pour inclure ces services parmi les options du régime collectif offert par l’employeur. Selon la culture organisationnelle, le secteur de l’industrie et le type de programme, on a vu apparaître divers modèles de suivis (évaluations et consultations, thérapies à court terme, etc.) parmi lesquels les employeurs ont désormais la possibilité de choisir. Au cours de cette même période, on a aussi élargi l’offre de services au téléphone, en personne et, plus récemment, par voie électronique.

Les services en ligne ont ainsi permis d’accroître l’accessibilité puisque les bénéficiaires peuvent y recourir hors du milieu de travail à partir d’appareils mobiles et d’ordinateurs personnels. Grâce à ce mode de prestation, les proches sont aussi plus nombreux à utiliser les divers services, et on s’attend à ce que cette progression se poursuive. D’autres ressources en ligne (comme les modules de formation sur le rôle parental, la communication affective, les interrelations et le vieillissement des parents) sont désormais monnaie courante grâce à ces programmes, et sont accessibles à la maison ou sur la route.

En outre, les mesures de prévention et de promotion de la santé se soucient maintenant du bien-être, alors qu’un nombre croissant d’employeurs incitent leurs employés (et leur famille) à prendre en main leur état de santé général, y compris leur bien-être affectif, psychologique et physique. Les mesures d’évaluation des risques pour la santé sont de plus en plus répandues, et permettent à chacun de mieux estimer son état de santé et de minimiser les risques. À cet égard, plusieurs employeurs adoptent une approche holistique relativement à la santé et au bien-être des employés, et reconnaissent l’importance du noyau familial pour faire de meilleurs choix et maintenir de saines habitudes. Bref, l’état de santé global des employés est de plus en plus considéré comme l’un des facteurs essentiels pour bonifier les « résultats » de l’organisation, et cet état de fait résulte en partie des nombreuses recherches ayant permis d’établir les liens directs entre le bien-être des employés et leurs taux d’adhésion, d’absentéisme et de productivité.

Coûts de la maladie mentale dans le milieu de travail

  • Au cours d’une semaine typique, plus de 500 000 Canadiens s’absentent du travail pour cause de maladie mentale.
  • Les maladies mentales représentent plus de 30 % des réclamations pour une incapacité, et engendrent 70 % des coûts liés à une incapacité.
  • Chaque année, les maladies mentales entraînent des pertes d’environ 51 milliards de dollars au sein de l’économie canadienne.

Compte tenu des obligations juridiques actuelles ou éventuelles, un nombre grandissant d’employeurs ont désormais l’obligation de veiller à la sécurité psychologique en milieu de travail, et d’assurer un cadre relationnel civilisé et respectueux. En 2013, des lignes directrices ont été instituées dans le cadre de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail, et ce, afin d’aider les organisations à assurer la santé et la sécurité psychologiques des employés dans les milieux de travail.

Cette norme a été élaborée à partir de données de recherche fondées sur des éléments probants dans diverses disciplines scientifiques et juridiques. Les connaissances actuelles en matière de santé et de sécurité psychologiques des travailleurs y sont résumées, et on y retrouve les lignes directrices et les recommandations pertinentes pour la promotion et le maintien de milieux de travail sains. Même s’il s’agit d’une norme d’application volontaire, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence et la réglementation (actuelle ou éventuelle) poussent les employeurs à offrir un certain nombre de mesures d’aide à cet égard. Comme l’affirme Martin Shain, qui a signé de nombreux textes sur la sécurité psychologique au travail : « Veiller à la sécurité psychologique en milieu de travail, ce n’est plus considéré comme un beau geste, mais comme une nécessité » [traduction].

L’avenir pour les PAEF

À l’époque où les services étaient principalement axés sur les problèmes liés à l’alcool, les employeurs avaient la latitude de congédier sur-le-champ tout employé qui ne faisait pas l’affaire. Dans le contexte actuel, en vertu des lois et règlements ou encore des normes d’application volontaire, un plus grand nombre d’employeurs facilitent l’accès à divers traitements et mesures d’aide professionnelle concernant une panoplie de problèmes de santé physique ou mentale, qui risquent de miner le rendement d’un employé ou de le rendre inapte. Et lorsque ce dernier reçoit les soins requis, son employeur prend ensuite des mesures pour faciliter son retour au travail. Plus on discutera sérieusement des préjugés entourant ces questions, plus les travailleurs, les familles et les collectivités bénéficieront d’un meilleur accès aux soins.

L’évolution des PAEF témoigne de la volonté croissante des organisations d’épauler leurs employés, tout en prenant en considération et en favorisant le contexte familial. Que ce soit par souci de se conformer aux obligations réglementaires, d’accroître le rendement et la productivité, ou encore d’assurer le bien-être des travailleurs, de plus en plus d’employeurs prennent désormais au sérieux les questions de santé et de sécurité psychologiques en milieu de travail. Si les investissements et l’intérêt à l’égard des PAEF et du bien-être des employés continuent sur cette lancée, on est en droit de s’attendre à d’autres percées. Bien qu’il soit difficile de prédire l’avenir en ce qui a trait aux mesures d’aide aux employés, il semble acquis que la famille sera appelée à jouer un rôle central dans la définition des futures approches.

 


Cet article est déjà paru dans le magazine Transition au printemps 2014 (Vol. 44, no 1).

Craig Thompson, M. Éd., M.B.A., travaille depuis près de 30 ans dans le domaine des PAEF et de la gestion des limitations fonctionnelles, notamment comme clinicien, organisateur d’entreprise, gestionnaire de comptes et dirigeant d’entreprise. Au cours de cette période, il a collaboré avec des milliers d’employeurs, d’employés ainsi que leur famille dans le but d’améliorer la vie de chacun et d’accroître l’efficacité en milieu de travail.

Suggestion de lecture : «“I Don’t Have Time for This!”: A Compassionate Guide to Caring for Your Parents and Yourself»

(en angl. seulement, « Je n’ai pas vraiment le temps! » Guide indispensable pour prendre soin de vos parents et de vous-même)

Par Katherine Arnup, Ph. D.

Le vieillissement, la maladie et le processus de fin de vie surviendront inévitablement un jour ou l’autre dans l’entourage familial et, ultimement, dans l’existence de chacun d’entre nous. Malgré cette issue certaine, la plupart des gens en Occident hésitent à aborder avec leur proches le sujet de cette phase de la vie qu’ils devront traverser, même s’il est important de le faire pour bien préparer l’avenir.

Dans son plus récent livre intitulé “I Don’t Have Time for This!”: A Compassionate Guide to Caring for Your Parents and Yourself, l’auteure primée Katherine Arnup propose des conseils judicieux et utiles pour amorcer le dialogue avec les parents au sujet de la fin de la vie, de même que des outils et des stratégies pour les aidants, des solutions pour évacuer les sentiments de culpabilité et de regret, des moyens pour demander et trouver de l’aide, en plus d’illustrer les avantages pour chacun d’oser faire face à la réalité du vieillissement, de la maladie et de la mort.

« Katherine Arnup réussit à illustrer la complexité de la vie et des relations familiales en guidant judicieusement le lecteur à travers le processus inéluctable de la mort et de la fin de la vie. Cet ouvrage actuel de premier ordre s’intéresse autant à l’aidant qu’au bénéficiaire de soins, et permet de trouver le courage d’aborder des sujets délicats avec les proches et les fournisseurs de services – et de faire face soi-même à cette réalité. Il s’agit d’un témoignage auquel s’identifieront ceux et celles qui ont déjà vécu une telle réalité avec leurs proches en fin de vie, et d’une source d’inspiration pour les autres qui devront y faire face un jour ou l’autre, ne serait-ce qu’en ce qui concerne leur propre fin. »
– Nora Spinks, directrice générale, Institut Vanier de la famille

Pour en apprendre davantage au sujet de la réalité des familles en lien avec la mort et la fin de la vie en contexte canadien, consultez l’étude signée par Mme Arnup sous le titre Les familles canadiennes, la mort et la mortalité, publiée en 2013 par l’Institut Vanier dans la collection « Tendances contemporaines de la famille ». Ce rapport explore la culture de déni ou de résistance face à la mort en Occident, et les incidences qui en découlent pour les familles au Canada. L’auteure y ouvre la voie au dialogue en se penchant particulièrement sur quatre volets, soit le vieillissement de la population canadienne, les particularités associées aux maladies chroniques et aux soins requis, le fossé entre la volonté et la réalité quant à l’endroit où finir ses jours, ainsi que les incidences sur les familles et la vie de famille.

 

À propos de Katherine Arnup, Ph. D.

Katherine Arnup est historienne des sociétés, mentore personnelle et professeure universitaire retraitée. Elle a notamment rédigé un ouvrage primé qui s’intitule Education for Motherhood: Advice for Mothers in Twentieth-Century Canada. Mme Arnup a également dirigé la publication d’un premier recueil consacré aux familles de lesbiennes au Canada (Lesbian Parenting: Living with Pride and Prejudice). Elle a par ailleurs signé près d’une quarantaine d’articles sur le mariage, la maternité, les familles de gais ou de lesbiennes, le vieillissement, ou encore la mort et la fin de la vie.