Matthew Johnson 

Matthew Johnson est professeur de sciences familiales au Département d’écologie humaine de l’Université de l’Alberta. Ses recherches portent sur le développement des relations de couple et il est chercheur principal de la Edmondon Transitions Study (Étude sur les transitions d’Edmonton).

Deborah Norris

Titulaire de diplômes supérieures en sciences familiales, Deborah Norris est professeure au Département d’études de la famille et de gérontologie de l’Université Mount Saint Vincent. Son intérêt persistant envers l’interrelation entre le travail et la vie de famille a amené Deborah à s’investir très tôt dans l’élaboration de programmes d’éducation à la vie familiale au Centre de ressources pour les familles des militaires (CRFM) de la Base des Forces canadiennes (BFC) d’Halifax. Les connaissances acquises au cours de ses échanges avec les participantes et participants aux programmes ont été les étincelles qui ont déclenché chez elle un inébranlable engagement à en apprendre davantage sur la vie des familles des militaires, qui ont été le fil conducteur de ses recherches tout au long de sa carrière. S’inspirant des théories écologique et critique, le programme de recherche de Deborah se veut pratique, collaboratif et interdisciplinaire. Elle a dirigé des études portant sur la résilience chez les familles des militaires et des vétéranes et vétérans; l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle chez les familles des militaires; la relation bidirectionnelle entre les blessures de stress opérationnel et la santé mentale et le bien-être des familles des vétéranes et vétérans; les programmes de psychoéducation familiale pour les familles des militaires et des vétéranes et vétérans; et la transition entre la vie militaire et la vie civile. Elle a collaboré avec des spécialistes du milieu universitaire, des scientifiques du ministère de la Défense nationale (MDN), des membres du personnel d’Anciens Combattants Canada (ACC) ainsi que d’autres parties prenantes. Récemment, elle a élargi son programme de recherche afin de mettre l’accent sur les effets que peut avoir le stress opérationnel sur les familles du personnel de la sécurité publique.

Yue Qian

Yue Qian (prononcé Yew-ay Chian) est professeure agrégée en sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Elle a obtenu son doctorat en sociologie à la Ohio State University. Ses recherches portent sur le genre, la famille et le travail, et les inégalités dans une perspective mondiale, et mettent particulièrement l’accent sur l’Amérique du Nord et l’Extrême-Orient.

Les adultes en couple ont-ils une meilleure santé mentale durant la pandémie de COVID‑19?

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

22 avril 2020

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Près de la moitié des adultes de 18 ans et plus au Canada disent se sentir « très souvent » ou « souvent » anxieux ou nerveux (47 %) ou encore tristes (45 %) depuis le début de la crise de COVID‑19, selon les données d’un sondage mené par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, recueillies du 9 au 12 avril 20201 (figure 1).

Quatre adultes sur 10 affirment se sentir irritables (39 %) et environ le tiers disent éprouver des troubles du sommeil (35 %) et des sautes d’humeur (32 %) « très souvent » ou « souvent » depuis le début de la crise (figure 1).

Mais les adultes qui sont actuellement en couple – qu’ils soient mariés ou en union libre – sont-ils aussi susceptibles que les personnes célibataires ou séparées, divorcées ou veuves de se sentir déstabilisés?

L’anxiété ou la nervosité et la difficulté à dormir durant la pandémie ne semblent pas liées à l’état matrimonial

Les adultes vivant au sein d’un couple (48 %), les célibataires (47 %) ou les personnes séparées, divorcées ou veuves (43 %) (figure 1) sont tous, dans une proportion similaire, susceptibles d’affirmer se sentir anxieux ou nerveux très souvent ou souvent.

De même, la probabilité d’éprouver très souvent ou souvent de la difficulté à dormir est également comparable pour les personnes en couple (35 %), les adultes célibataires (36 %) et les personnes séparées, divorcées ou veuves (35 %).

Célibataires ou en couple, les femmes disent éprouver de l’anxiété et des troubles du sommeil plus fréquemment que les hommes

Des études antérieures sur la santé mentale ont révélé que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de souffrir de troubles anxieux et de dépression2. Il semble que ce soit également le cas en période de pandémie.

Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’affirmer qu’elles éprouvent très souvent ou souvent de l’anxiété durant la pandémie de coronavirus : près de 6 femmes sur 10 vivant en couple (58 %) ou célibataires (59 %)3 déclarent se sentir anxieuses ou nerveuses très souvent ou souvent, comparativement à moins de 4 hommes sur 10 vivant en couple (37 %) ou célibataires (37 %) (figure 2).

En ce qui concerne les troubles de sommeil, plus de 4 femmes 10 indiquent avoir très souvent ou souvent de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie, qu’elles soient en couple (44 %) ou célibataires (44 %). En comparaison, ils sont moins de 3 hommes sur 10, qu’ils soient en couple (26 %) ou célibataires (29 %), à connaître les mêmes troubles.

Les célibataires sont plus susceptibles d’éprouver de l’irritabilité et des sautes d’humeur

L’irritabilité et les sautes d’humeur sont plus fréquentes chez les personnes qui sont actuellement célibataires (figure 1). Près de la moitié des adultes célibataires (48 %) déclarent se sentir très souvent ou souvent irritables depuis le début de la pandémie, comparativement à 37 % des adultes en couple et à 30 % de ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs. Les adultes célibataires (39 %) disent aussi éprouver des sautes d’humeur dans des proportions plus élevées que ceux qui sont en couple (31 %) et que ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs (27 %).

Encore une fois, les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sont plus susceptibles que les hommes d’éprouver de l’irritabilité ou des sautes d’humeur. Environ 6 femmes célibataires sur 10 (59 %) et 42 % des femmes en couple déclarent se sentir irritables très souvent ou souvent depuis le début de la pandémie. Quant aux hommes, ils disent se sentir irritables très souvent ou souvent dans des proportions plus faibles que les femmes, qu’ils soient célibataires (38 %) ou en couple (32 %) (figure 2).

Les femmes célibataires (46 %) présentent la plus forte probabilité d’éprouver très souvent ou souvent des sautes d’humeur depuis le début de la crise de COVID-19, suivies par les femmes en couple (38 %). Les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’indiquer qu’ils ont des sautes d’humeur fréquentes, mais ceux qui sont célibataires (31 %) ont tendance à éprouver des sautes d’humeur très souvent ou souvent dans de plus fortes proportions que les hommes en couple (23 %).

 

Les femmes séparées, divorcées ou veuves sont plus susceptibles de ressentir de la tristesse

Les adultes séparés, divorcés ou veufs (51 %) et les célibataires (48 %) sont plus nombreux que les adultes en couple (43 %) (figure 1) à déclarer se sentir très souvent ou souvent tristes durant la crise de coronavirus.

Les fréquents sentiments de tristesse sont également plus courants chez les femmes, qu’elles soient célibataires (59 %) ou en couple (53 %), que chez les hommes, qu’ils soient célibataires (37 %) ou en couple (33 %) (figure 2).

La santé mentale a une incidence sur le bien-être des familles

Il sera important de surveiller, à court, à moyen et à long termes, les tendances en matière de santé mentale, en fonction de l’état matrimonial et du sexe, ainsi que d’autres facteurs, dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. Une première analyse a permis de démontrer que la perte de revenus ou d’emploi et les contraintes financières immédiates affectent également les symptômes de santé mentale, comme l’anxiété et la difficulté à dormir pendant la pandémie. Par ailleurs, la santé mentale et la santé physique sont interreliées : les personnes souffrant de troubles de l’humeur sont beaucoup plus susceptibles de développer un problème de santé à long terme que celles qui n’en ont pas4.

Les problèmes de santé mentale peuvent avoir une incidence profonde sur la scolarité, le travail et la vie sociale d’une personne, ainsi que sur les interactions qu’elle entretient avec sa famille5. Parmi les Canadiens dont au moins un membre de la famille souffrait d’un problème de santé mentale en 2012, plus du tiers (35 %) considéraient que la santé mentale de ce dernier avait affecté leur vie et, de ce nombre, environ 71 % ont affirmé avoir prodigué des soins à ce membre de la famille6.

Ainsi, le bien-être des familles au Canada repose sur la santé mentale des personnes qui les composent. Une prise de décision fondée sur des données probantes permettra de mieux orienter les mesures de soutien sociales ciblées, tant pour les personnes sur le plan individuel que pour les familles, suivant l’évolution de cette période de coronavirus tout comme lorsque la crise actuelle sera passée.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril 2020 et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Caryn Pearson, Teresa Janz et Jennifer Ali, « Troubles mentaux et troubles liés à l’utilisation de substances au Canada » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (septembre 2013). Lien : https://bit.ly/2KsCEAW (PDF)
  3. Les comparaisons selon le sexe sont impossibles à obtenir pour les adultes séparés, divorcés ou veufs sur cette question en raison du faible taux de réponse.
  4. Patten et autres, « Long-Term Medical Conditions and Major Depression: Strength of Association for Specific Conditions in the General Population » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 50, p. 195‑202, 2005. Comme mentionné dans le texte du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), intitulé « Mental Illness and Addiction: Facts and Statistics ». Lien : https://bit.ly/3eEjyWc
  5. Commission de la santé mentale du Canada, Changer les orientations, changer des vies : Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada (Calgary, Alberta, 2012). Lien : https://bit.ly/2XXTM9q (PDF)
  6. Caryn Pearson, « L’incidence des problèmes de santé mentale sur les membres de la famille » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (7 octobre 2015). Lien : https://bit.ly/3eJVl0Q

Les couples se soutiennent mutuellement pendant la pandémie de COVID-19

Ana Fostik, Ph. D., Jennifer Kaddatz et Nora Spinks

21 avril 2020

Une famille, c’est un système de relations constituées d’actions et de réactions qui se produisent au fil du temps. Le bien-être d’une famille repose sur la capacité de tous ses membres de s’aimer, de s’entraider et de se soutenir les uns les autres, à la fois dans les moments difficiles comme dans les périodes plus tranquilles. Or, les forces et les tensions au cœur de ces relations familiales – comme dans tout système – sont amplifiées et renforcées lorsqu’elles sont soumises à un stress.

Alors que la pandémie de COVID-19 marque potentiellement l’un des moments les plus difficiles de l’histoire du Canada, les couples au pays semblent toutefois se porter relativement bien à ce jour. Les données recueillies au cours de quatre semaines de la pandémie1 révèlent que la plupart des personnes engagées dans des relations sérieuses offrent leurs forces à ces relations, s’appuient l’une sur l’autre et agissent/réagissent de façon positive dans leur gestion commune de la distanciation sociale.

La plupart des couples au Canada se soutiennent mutuellement, ont des conversations enrichissantes et se disputent à peu près autant qu’avant la période d’isolement à domicile.

Huit adultes en couple sur 10 affirment bien se soutenir mutuellement

Selon les données recueillies du 9 au 12 avril 2020, 8 personnes sur 10 âgées de 18 ans ou plus (80 %), et mariées ou vivant en union libre, affirment qu’elles et leur conjoint se soutiennent davantage depuis le début de la pandémie de COVID-19. Ces proportions sont à peu près les mêmes pour les personnes ayant des enfants ou des jeunes à la maison (77 %) que pour celles qui ne comptent aucun enfant de moins de 18 ans dans leur ménage (82 %).

Les adultes se soutiennent davantage qu’auparavant, quelle que soit l’incidence de la pandémie sur leur situation d’emploi : 82 % de ceux dont la situation professionnelle s’est détériorée (perte d’emploi temporaire ou permanente, perte de revenus ou de salaire) et 81 % de ceux dont la situation professionnelle n’a pas été affectée déclarent bénéficier d’un soutien accru de la part de leur partenaire.

Les personnes d’âge moyen sont moins susceptibles que les personnes plus âgées de dire qu’elles et leur partenaire se soutiennent mutuellement, 75 % des 35 à 54 ans étant d’accord avec l’affirmation, contre 84 % des 55 ans et plus.

Il est intéressant de noter que les hommes sont plus nombreux que les femmes (84 % et 77 % respectivement) à affirmer entretenir une relation de soutien avec leur partenaire.

Plus de 4 adultes sur 10 ont des conversations plus enrichissantes avec leur conjoint

Communiquer de façon claire est important pour le bien-être de la famille. Selon les données recueillies entre les 9 et 12 avril, plus de 4 adultes sur 10 (43 %) étant engagés dans une relation sérieuse au Canada disent avoir des conversations plus enrichissantes depuis le début de la pandémie de COVID-19. C’est particulièrement le cas chez ceux dont la situation sur le marché du travail s’est détériorée depuis le début de la pandémie : 51 % d’entre eux déclarent avoir des conversations plus enrichissantes avec leur partenaire, contre 36 % de ceux dont l’emploi ou le revenu n’a pas été touché par la pandémie. Seuls 10 % des adultes ne sont pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle ils auraient des conversations plus enrichissantes avec leur conjoint.

Les hommes sont légèrement plus nombreux que les femmes à affirmer entretenir des conversations plus enrichissantes avec leur conjoint(e) ou partenaire depuis le début de la pandémie de COVID-19, soit 45 % contre 40 %. Les jeunes sont également plus nombreux (52 % des 18 à 34 ans) que les adultes plus âgés (40 % des 35 à 54 ans et 41 % des 55 ans et plus) à faire une telle affirmation.

Les personnes mariées ou vivant en union libre et ayant des enfants ou des jeunes à la maison sont à peu près aussi nombreuses que celles qui n’ont pas d’enfants à affirmer entretenir des conversations plus enrichissantes avec leur partenaire depuis le début de la crise, soit 44 % et 42 % respectivement.

Quatre adultes sur 10 se sentent plus proches de leur partenaire

Possiblement en raison du bon soutien mutuel ou des conversations enrichissantes qu’ils entretiennent, près de 4 adultes engagés dans une relation sérieuse sur 10 (41 %) affirment se sentir plus proches de leur conjoint ou partenaire depuis le début de la pandémie de COVID-19. Cette proportion est encore plus élevée chez les Canadiens qui ont perdu leur emploi, leur revenu ou leur salaire en raison de la pandémie : 48 % d’entre eux déclarent se sentir plus proches de leur conjoint ou de leur partenaire, contre 34 % chez ceux dont l’emploi n’a pas été touché par la pandémie.

La proportion de ceux qui se sentent plus proches de leur conjoint est à peu près la même chez les hommes (44 %) et les femmes (38 %), et est également relativement stable selon le groupe d’âge et la présence ou non d’enfants dans le ménage. Selon les données recueillies du 9 au 12 avril, 43 % des personnes mariées ou vivant en union libre avec des enfants de moins de 18 ans à la maison disent se sentir plus proches de leur conjoint depuis le début de la pandémie.

Lorsque l’on regarde les données en fonction des régions, c’est en Ontario et en Colombie-Britannique que l’on retrouve le pourcentage le plus élevé de personnes affirmant se sentir plus proches de leur conjoint, avec 48 % et 43 % respectivement, et dans les Prairies que l’on retrouve le pourcentage le plus faible, avec 30 %.

L’Ontario est la seule province qui affiche actuellement une augmentation de la proportion d’adultes se sentant plus proches de leur conjoint aujourd’hui comparativement à plus tôt dans la pandémie, la proportion étant passée de 39 % lors du sondage du 10 au 13 mars à 48 % dans le sondage du 9 au 12 avril.

Moins de 2 adultes sur 10 engagés dans une relation sérieuse se disputent davantage

Seulement 18 % des personnes mariées ou vivant en union libre ont déclaré se disputer davantage avec leur conjoint ou leur partenaire depuis le début de la pandémie. En effet, environ 54 % se disent en désaccord avec l’affirmation selon laquelle ils se disputeraient davantage, alors que 28 % ne sont ni en accord ni en désaccord avec celle-ci.

Cependant, les jeunes adultes engagés dans une relation sérieuse – avec une personne de leur âge ou une personne plus âgée – sont plus susceptibles de déclarer qu’ils se disputent davantage avec leur partenaire que les personnes plus âgées. Près de 3 adultes sur 10 âgés de 18 à 34 ans (28 %) déclarent se disputer davantage avec leur conjoint ou leur partenaire depuis le début de la pandémie de COVID-19, contre 19 % des 35 à 54 ans et seulement 12 % des 55 ans et plus.

Les Canadiens qui ont subi une perte d’emploi ou de revenus en raison de la pandémie ont tendance à se disputer davantage qu’auparavant dans des proportions plus importantes que ceux qui ont conservé leur emploi : 26 % et 16 % affirment se disputer davantage.

Les disputes avec un partenaire sont souvent liées au stress et à d’autres indicateurs de bien-être et, selon les données du 9 au 12 avril, environ 6 jeunes femmes sur 10, âgées de 18 à 34 ans, disent éprouver « très souvent » ou « souvent » de l’anxiété ou de la nervosité (64 %), de l’irritabilité (64 %) ou de la tristesse (59 %), et 45 % affirment avoir de la difficulté à dormir. Ces pourcentages sont nettement plus élevés que ceux de leurs homologues masculins et sont également supérieurs à ceux des femmes de plus de 55 ans, parmi lesquelles environ 5 sur 10 disent ressentir « très souvent » ou « souvent » de l’anxiété ou de la nervosité (46 %) ou de la tristesse (50 %), alors que moins de 3 sur 10 (28 %) affirment se sentir irritables et 36 % disent avoir de la difficulté à dormir.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nora Spinks est directrice générale de l’Institut Vanier de la famille.


Note

  1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril 2020 comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.

 

Le polyamour au Canada : étude d’une structure familiale émergente

John-Paul Boyd, M.A., LL.B.

Directeur général
Institut canadien de recherche sur le droit et la famille (Université de Calgary)

En juin 2016, l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille a commencé à s’intéresser aux diverses perceptions concernant la notion de polyamour au Canada. Le projet n’en est encore qu’à mi-parcours, mais les données colligées jusqu’ici pourraient avoir une incidence importante sur la législation et les politiques au cours des prochaines décennies, suivant l’évolution constante de la notion de famille.

Le terme polyamour est formé du préfixe grec poly (qui signifie « plusieurs » ou « en abondance ») et du mot d’origine latine amour. En accord avec cette étymologie, les polyamoureux vivent donc plusieurs relations intimes simultanées, ou manifestent une telle préférence. Certains polyamoureux sont engagés dans des relations amoureuses stables à long terme impliquant deux ou plusieurs autres partenaires, alors que d’autres entretiennent simultanément plusieurs relations plus ou moins durables ou engagées. Dans certains cas, les relations simultanées se vivent à court terme ou sur une base purement sexuelle, et parfois elles sont plus durables et se caractérisent par un engagement affectif plus marqué.

 

Polyamour
Pratique ou condition se caractérisant par la participation à plusieurs relations intimes simultanément, sans motivation religieuse ni obligation découlant du mariage.

Polygamie
Pratique ou condition se caractérisant par le fait d’avoir plusieurs époux ou épouses simultanément (habituellement des femmes), la plupart du temps pour des motifs religieux.

 

Polyamour et polygamie

Lorsqu’il est question de polyamour, on pense souvent à la série Sister Wives de TLC, ou encore à la communauté religieuse de Bountiful, en Colombie-Britannique. Cependant, il faut établir plusieurs distinctions entre le polyamour et la polygamie, que préconise notamment l’Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours (celle-ci étant d’ailleurs le point commun entre Sister Wives et Bountiful). En ce sens, la polygamie désigne les mariages entre un homme et plusieurs femmes (le suffixe d’origine grecque « gamie » signifie mariage), et cette union répond à une obligation nettement patriarcale dictée par les écritures.

A contrario, les polyamoureux que nous avons interrogés vivent des relations avec deux ou plusieurs autres adultes, mais affirment que l’égalité des partenaires occupe une place prépondérante, sans égard au genre ou à la situation parentale. Ils considèrent généralement que leurs partenaires devraient avoir leur mot à dire dans l’évolution des relations et que chacun est entièrement libre de mettre fin à son engagement à n’importe quel moment.

Statistique Canada ne collige pas de données sur le nombre de Canadiens polyamoureux ou engagés dans une relation polyamoureuse. Par ailleurs, dans le cadre de notre propre enquête sur le polyamour, annoncée principalement dans les médias sociaux, nous avons reçu 547 réponses valides en seulement trois semaines.1</ŝup> Plus des deux tiers des répondants (68 %) disent être actuellement engagés dans une relation polyamoureuse. Parmi les autres, les deux cinquièmes (39,9 %) affirment avoir vécu une telle relation au cours des cinq dernières années. Au moins huit répondants sur dix (82,4 %) pensent que le nombre de personnes se disant polyamoureuses tend à augmenter, et à peu près la même proportion de répondants (80,9 %) pensent qu’il y a aussi augmentation du nombre de relations ouvertement polyamoureuses.

Or, si le nombre de personnes engagées dans une relation polyamoureuse augmente effectivement, il faudra s’attendre à d’importantes répercussions sur le plan économique et légal, puisque la plupart des grandes institutions sociales au Canada sont fondées sur le principe de dualité des relations entre adultes.

Or, si le nombre de personnes engagées dans une relation polyamoureuse augmente effectivement, il faudra s’attendre à d’importantes répercussions sur le plan économique et légal, puisque la plupart des grandes institutions sociales au Canada sont fondées sur le principe de dualité des relations entre adultes. Ainsi, le Régime de pensions du Canada ne verse des allocations de survivant qu’à un seul conjoint, et la même situation s’applique relativement à l’allocation au conjoint du Programme de sécurité de la vieillesse. De même, dans ses formulaires de calcul des obligations fiscales, l’Agence du revenu du Canada prévoit que les contribuables puissent entretenir des relations successives, mais pas simultanées. Le même postulat ressort dans la législation provinciale sur le droit successoral et, la plupart du temps, dans les dispositions régissant les relations familiales.

Des polyamoureux plus jeunes et des relations plus diversifiées au Canada

La plupart des répondants à notre sondage proviennent de la Colombie-Britannique (144), suivis de ceux de l’Ontario (116), de l’Alberta (71) et du Québec (37). L’âge moyen des répondants est généralement inférieur à celui de la population canadienne. En effet, 75 % des répondants appartiennent au groupe des 25 à 44 ans (alors que cette tranche d’âge occupe 26 % de l’ensemble de la population), et seulement 16 % des répondants sont âgés de 45 ans et plus (comparativement à 44 % au sein de la population totale).

La majorité des répondants à notre sondage ont fait des études secondaires (96,7 %), et leur niveau de scolarité le plus élevé concerne des études de premier cycle universitaire (26,3 %), des études professionnelles ou de cycles supérieurs (19,2 %) ou des études collégiales (16,3 %). Les répondants présentent un niveau de scolarité largement supérieur à l’ensemble de la population canadienne. De fait, 37 % des répondants détiennent un diplôme de premier cycle universitaire (par rapport à 17 % pour l’ensemble de la population), et 19 % d’entre eux ont un diplôme d’études professionnelles ou de cycles supérieurs (comparativement à 8 % au sein de la population totale).

De même, dans le cadre de notre sondage, les répondants déclarent des revenus supérieurs au reste de la population canadienne. En effet, les revenus annuels inférieurs à 40 000 $ sont moins fréquents parmi nos répondants (46,8 %) qu’au sein de la population totale (60 %), et la proportion de répondants ayant un revenu annuel supérieur à 60 000 $ s’avère plus importante (31 %) que dans l’ensemble de la population (23 %). Même si presque la moitié des répondants ont un revenu annuel inférieur à 39 999 $, près des deux tiers des personnes interrogées (65,4 %) comptent aussi sur un autre soutien au sein du ménage, et plus des trois cinquièmes des répondants (62,3 %) vivent au sein d’un ménage où le revenu total annuel se situe entre 80 000 $ et 149 999 $.

Un peu moins du tiers des répondants se disent de genre masculin (30 %) et près des trois cinquièmes de genre féminin (59,7 %), les autres s’identifiant comme intergenres (3,5 %), de genre fluide (3,2 %), transgenres (1,3 %) ou « autres » (2,2 %). Quant à l’orientation sexuelle, un nombre important de répondants se définissent comme hétérosexuels (39,1 %) ou bisexuels (31 %).

La plupart des personnes interrogées dans le cadre de notre sondage se disent soit athées (33,9 %) ou agnostiques (28,2 %). Parmi les répondants se réclamant d’appartenance confessionnelle, la plupart sont chrétiens (7,2 % sans confessionnalité particulière; 3,2 % catholiques; 1,3 % protestants). Enfin, plus d’un cinquième des répondants (22,1 %) s’identifient à une « autre » catégorie religieuse (notamment Quakers, païens et polythéistes).

Nous avons également tenu compte du type de relations et du mode de cohabitation de nos répondants. Près des deux tiers d’entre eux (64,6 %) affirment que leur relation implique trois personnes, 17,9 % disent faire partie d’une relation à quatre personnes, et 13,8 % vivent une relation impliquant six personnes ou plus. Par ailleurs, seulement un cinquième des répondants affirment que leur relation se vit au sein d’un seul et même ménage (19,7 %). Les autres vivent donc une relation répartie dans plusieurs ménages, c’est-à-dire surtout deux ménages (44,3 %) ou trois ménages (22,2 %).

S’agissant des répondants dont la relation se vit dans un seul ménage, les trois cinquièmes (61,2 %) attestent la présence d’un couple marié (mais jamais plus d’un seul couple). Parmi les répondants dont la relation est répartie dans plusieurs ménages, près de la moitié (45,4 %) rapportent la présence d’au moins un couple marié (un seul couple marié : 85 %; deux couples mariés : 12,9 %; trois couples mariés : 1,4 %; plus de trois couples mariés : 0,7 %).

Près du quart des personnes interrogées (23,2 %) affirment qu’au moins un enfant de moins de 19 ans vit à plein temps au sein du ménage sous la responsabilité d’au moins un parent ou tuteur, et 8,7 % des répondants déclarent qu’au moins un enfant vit à temps partiel au sein du ménage sous la responsabilité d’au moins un parent ou tuteur.

 

En résumé, les répondants à notre sondage étaient généralement plus jeunes et plus éduqués et affichaient un meilleur taux d’emploi que l’ensemble de la population canadienne. Deux fois plus de répondants s’identifiaient au genre féminin comparativement au genre masculin, et la répartition d’hétérosexuels et de bisexuels était similaire. Au moment de répondre au sondage, la plupart des répondants étaient engagés dans une relation polyamoureuse avec deux autres personnes. Toutefois, plusieurs répondants vivaient une relation avec trois autres personnes ou plus. Enfin, pour la majorité des répondants, ces relations se vivaient au sein de deux ménages ou plus.

Pour les polyamoureux interrogés, l’égalité est importante au sein de la relation et dans les décisions familiales

Notre sondage s’intéresse aussi à la manière dont les répondants perçoivent les relations polyamoureuses et les liens entre les personnes qui y sont engagées, ainsi qu’à leur opinion sur la perception du public à leur endroit.

Dans l’ensemble, les répondants sont particulièrement attachés au principe d’égalité des personnes engagées dans la relation, peu importe le genre ou le statut parental. Plus des quatre cinquièmes des répondants (82,1 %) sont « tout à fait d’accord » et 12,5 % sont « d’accord » avec l’énoncé selon lequel chacun des membres d’une relation polyamoureuse mérite d’être traité équitablement sans égard au genre ou à l’identité de genre. Plus de la moitié (52,9 %) sont « tout à fait d’accord » et 21,5 % sont « d’accord » avec l’assertion selon laquelle chacun des membres d’une relation polyamoureuse mérite d’être traité équitablement sans égard aux responsabilités en tant que parents ou tuteurs.

De même, une forte majorité des répondants conviennent que tous les membres d’une telle union devraient avoir leur mot à dire concernant l’évolution de la relation. Environ huit répondants sur dix (80,5 %) sont « tout à fait d’accord » ou « d’accord » pour dire que les décisions concernant la nature de la relation concernent équitablement chacun des membres d’une relation polyamoureuse. Par ailleurs, 70,3 % se disent « tout à fait d’accord » ou « d’accord » avec l’affirmation voulant que chacun des membres d’une relation polyamoureuse ait pleinement voix au chapitre concernant l’arrivée d’une nouvelle personne au sein de la relation. Plus des neuf dixièmes des répondants (92,9 %) sont « tout à fait d’accord » et 6,3 % sont « d’accord » pour dire que chacun des membres d’une relation polyamoureuse peut librement mettre fin à son engagement au sein de la relation à tout moment.

L’attachement manifesté par nos répondants vis-à-vis des principes d’égalité, d’autonomie et de participation des membres concorde avec une autre conclusion importante de notre étude : 89,2 % des répondants sont « tout à fait d’accord » et 9,2 % sont « d’accord » pour dire que chacun des membres d’une relation polyamoureuse doit faire preuve d’honnêteté et de franchise envers les autres.

En ce qui concerne la perception de l’opinion publique à l’égard du polyamour, il ne fait aucun doute que certaines émissions de télévision à succès (Sister Wives et My Five Wives du réseau TLC, ainsi que l’émission Big Love de HBO) ont contribué à brouiller les pistes en faisant un amalgame avec la notion de polygamie. La publicité entourant la récente poursuite en justice à l’endroit de certains leaders de la communauté de Bountiful en vertu de l’article 293 du Code criminel a aussi alimenté certaines perceptions. D’ailleurs, les répondants eux-mêmes semblent avoir été influencés par la teneur des articles 291 et 293 du Code criminel, qui interdisent respectivement la bigamie et la polygamie.

Ainsi, même si la majorité des répondants (72,6 %) croient que la tolérance du public s’améliore vis-à-vis du polyamour, plus des quatre cinquièmes d’entre eux (80,6 %) pensent que les gens considèrent les relations polyamoureuses comme une sorte de perversion ou de fétichisme. De même, seulement 16,7 % des répondants sont d’avis que les gens considèrent les relations polyamoureuses comme une structure familiale parfaitement légitime.

Familles polyamoureuses : des rapports uniques et complexes vis-à-vis de la loi

Les personnes engagées dans une relation à long terme au sein de familles polyamoureuses sont confrontées à plusieurs difficultés pour parvenir à assumer leurs responsabilités, surtout lorsqu’il faut traiter avec des personnes hors de la famille, solliciter des services gouvernementaux ou faire valoir leur statut légal. De fait, à peu près toutes les facettes de la vie au Canada posent des obstacles aux familles polyamoureuses – et particulièrement celles ayant des enfants :

  • Qui sera reconnu comme parent ou tuteur aux yeux des autorités scolaires? Qui aura le droit de passer prendre les enfants à l’école? À qui reviendra-t-il d’autoriser les sorties scolaires ou de participer aux rencontres de parents avec l’enseignant?
  • Qui sera désigné pour traiter avec les médecins, les dentistes, les conseillers ou les autres professionnels de la santé?
  • Qui sera désigné comme bénéficiaire d’un régime d’assurance collective offert par un employeur? Qui sera couvert en vertu des régimes provinciaux de soins de santé (ex. : RAMO en Ontario, MSP en Colombie-Britannique)?
  • Qui aura droit aux prestations des régimes publics, comme les allocations au conjoint du Programme de sécurité de la vieillesse, ou les allocations au survivant du Régime de pensions du Canada?
  • Quels seront les droits et privilèges de chacun des adultes concernés dans le cadre provincial du droit successoral ou de la législation fédérale en matière d’immigration?
  • Combien d’adultes pourront légalement réclamer le statut parental d’un enfant en vertu des lois régissant l’adoption ou la procréation assistée?
  • Compte tenu des législations provinciales sur les relations domestiques, de quels droits et privilèges bénéficieront ceux et celles qui mettront fin à leur engagement au sein d’une famille polyamoureuse?

Pour trouver des réponses à plusieurs de ces questions, il faut s’en remettre à certaines définitions dans le libellé des lois, des politiques et des règlements, notamment celles de parent, époux ou tuteur, et celles de partenaire interdépendant adulte (en Alberta) ou conjoint de fait (dans la plupart des lois fédérales).

Les personnes engagées dans une relation à long terme au sein de familles polyamoureuses sont confrontées à plusieurs difficultés pour parvenir à assumer leurs responsabilités, surtout lorsqu’il faut traiter avec des personnes hors de la famille, solliciter des services gouvernementaux ou faire valoir leur statut légal.

Même si les écoles et les hôpitaux se basent généralement sur la véritable nature des relations entre les individus concernés plutôt que sur une définition normative de la notion de « parent », les organismes chargés d’administrer les programmes d’allocations s’en tiennent en revanche à une terminologie plus restrictive. Ainsi, certaines familles polyamoureuses en viennent à devoir déterminer quel adulte de leur famille sera désigné comme l’« époux » ou l’« épouse » de l’employé aux fins du régime de soins de santé et d’assurance-médicaments, les autres étant dès lors exclus de la couverture.

Toutefois, la question qui est sans doute la plus pressante concerne les droits et les obligations des individus en vertu des législations provinciales sur les relations domestiques. En effet, les difficultés qui surviennent lors de la rupture d’une relation polyamoureuse ne sont pas différentes de celles affectant un couple monogame. Selon les circonstances, il risque d’y avoir des désaccords lorsqu’un ou plusieurs membres d’une famille polyamoureuse décident de partir. Où les enfants vivront-ils? Comment se prendront les décisions parentales? Comment répartir la cohabitation des enfants de part et d’autre? Une pension alimentaire sera-t-elle exigée? Si oui, qui paiera la note? Faudra-t-il verser une pension de soutien au conjoint? Si oui, qui devra payer? Comment répartir les dettes et les actifs immobiliers? L’un des membres peut-il revendiquer un droit de propriété sur un bien détenu par les autres membres de la famille?

Les difficultés qui surviennent lors de la rupture d’une relation polyamoureuse ne sont pas différentes de celles affectant un couple monogame.

Dans les provinces régies par la common law, la législation a tendance à s’assouplir lorsqu’il est question des droits et des obligations envers les enfants, mais l’approche est souvent plus tranchée en ce qui concerne le partage des biens ou le soutien à verser à un conjoint.

L’intérêt prioritaire de l’enfant étant au cœur des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, les dispositions législatives des provinces canadiennes régies par la common law prévoient que les beaux-parents ou toute autre personne ayant un rôle parental auprès d’un enfant puissent se voir imposer le paiement d’une pension alimentaire, et ce, sans égard au fait qu’une autre personne y soit déjà contrainte. Par conséquent, on peut envisager que tous les membres d’une famille polyamoureuse pourraient être tenus d’assumer un tel soutien financier pour l’enfant d’un autre membre de la famille, surtout si l’enfant vivait principalement au sein du ménage polyamoureux.

Par ailleurs, un adulte à charge pourrait être admissible à des versements de soutien au conjoint de la part d’un autre membre d’une famille polyamoureuse :

a) si la personne est mariée à l’autre membre de la famille;

b) si, vis-à-vis de l’autre membre de la famille, la personne répond à la définition de partenaire interdépendant adulte (Alberta), de conjoint non marié (Colombie-Britannique, Ontario, Île-du-Prince-Édouard, Saskatchewan), de partenaire (Terre-Neuve-et-Labrador) ou de conjoint de fait (Manitoba, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse)2</ŝup> .

On peut aussi imaginer qu’un adulte à charge soit admissible à plusieurs versements de soutien au conjoint de la part des autres membres d’une famille polyamoureuse, si la législation n’exclut pas nommément les relations conjugales simultanées (comme en Alberta) ou si la personne répond à la définition de partenaire ou conjoint non marié vis-à-vis des autres membres (comme ce serait le cas en Colombie-Britannique).

Dans la plupart des provinces régies par la common law (sauf en Alberta et au Manitoba), les parents peuvent partager la garde d’un enfant et bénéficier de droits afférents, c’est-à-dire le droit de s’informer de l’enfant et de prendre des décisions à son égard, et ce, conjointement avec :

a) d’autres membres de la famille répondant à la définition légale de tuteur (Colombie-Britannique, Nouvelle-Écosse) ou de parent (Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, Ontario, Île-du-Prince-Édouard);

b) tout autre membre de la famille, lorsque la législation autorise la garde d’un enfant même sans lien biologique (Colombie-Britannique, Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse, Ontario, Île-du-Prince-Édouard, Saskatchewan).

En Colombie-Britannique ainsi qu’à Terre-Neuve-et-Labrador, lorsque l’enfant a été conçu par procréation assistée, la législation permet que d’autres personnes que les parents biologiques obtiennent la reconnaissance du statut parental.

À l’exception du Manitoba, toutes les provinces régies par la common law autorisent les parents à partager la garde de leur enfant avec un ou plusieurs autres membres de la famille (ainsi que les obligations inhérentes en tant que fiduciaires du patrimoine de l’enfant).

Dans les provinces régies par la common law (sauf en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Saskatchewan), les droits légaux concernant la propriété et la possession de biens se limitent aux conjoints mariés, si bien que les membres non mariés d’une famille polyamoureuse doivent s’en remettre :

a) aux dispositions générales régissant la copropriété de biens immobiliers ou personnels;

b) à tout autre principe d’équité ou de common law jugé pertinent compte tenu de la nature de la relation.

En Colombie-Britannique, au Manitoba et en Saskatchewan, les membres des familles polyamoureuses bénéficient de droits de propriété prévus par la loi en vertu des dispositions touchant les conjoints non mariés (Colombie-Britannique, Saskatchewan) ou les conjoints de fait (Manitoba). En effet, la législation dans ces provinces n’interdit pas explicitement les relations conjugales simultanées.

Perspectives…

Depuis le début de l’ère industrielle, on assiste à une évolution de plus en plus rapide du modèle pratiquement inaltéré durant plus d’un millénaire de la famille nucléaire occidentale traditionnelle – c’est-à-dire celui de parents mariés hétérosexuels et de leurs descendants légitimes. Et les conceptions ainsi que les structures légales qui l’encadrent évoluent à l’avenant. Les incapacités de droit qui touchaient les femmes mariées ont été les premières à tomber, entre autres le refus au droit de propriété ou l’impossibilité de détenir une entreprise en leur nom. D’autres incapacités légales ont ensuite été améliorées, notamment en ce qui concerne les liens de filiation, comme le droit d’hériter ou de faire valoir un titre paternel.

Promulguée en 1968 par le gouvernement fédéral, la Loi sur le divorce légitimait la cessation du mariage autrement que par décès au Canada. La génération des baby-boomers (dont les plus âgés ont atteint l’âge de 65 ans en 2011) a donc été la première à traverser l’âge adulte sous un régime fédéral où le divorce était autorisé. Non seulement cette transition a-t-elle largement dissipé les préjugés, mais elle a contribué à la progression continue du taux de remariage et de nouvelles unions durant les deux dernières décennies, ainsi qu’à l’augmentation du nombre de familles recomposées (qui semblent désormais aussi communes que les familles non reconstituées).

Vers le milieu des années 90, l’orientation sexuelle a finalement été admise comme motif de discrimination illicite. Dans le sillage de ce changement, l’Ontario a légalisé les mariages homosexuels dès 2002, et huit autres provinces et territoires lui ont rapidement emboîté le pas. Finalement, en 2005, le gouvernement fédéral adoptait la Loi sur le mariage civil qui légalisait le mariage entre conjoints de même sexe à l’échelle pancanadienne. Entre-temps, la Saskatchewan adoptait, en 2001, une législation conférant aux couples non mariés vivant ensemble les mêmes droits de propriété que les couples mariés, ce que le Manitoba a décidé d’imiter (en 2004), tout comme la Colombie-Britannique (en 2011).

Au Canada, la famille s’affranchit désormais de toute notion liée au mariage, au genre, à l’orientation sexuelle, à la reproduction ou à l’éducation des enfants. La prochaine étape consistera à revoir le précepte selon lequel toute relation affective se vit seulement entre deux personnes simultanément, qu’il s’agisse de relations informelles, de cohabitation ou de liens conjugaux.

À la lumière des données somme toute restreintes qui existent à l’heure actuelle au sujet des relations polyamoureuses, il est permis de croire que ce type de relations concerne aujourd’hui un nombre relativement important de personnes, et que la progression pourrait se poursuivre. Selon un article publié dans Newsweek en 2009, plus de 500 000 Américains vivraient au sein de relations ouvertement polyamoureuses et on compterait même environ « 15 000 lecteurs habituels » du magazine Loving More destiné aux polyamoureux. Dans son ouvrage intitulé Polyamory in the Twenty-First Century, l’auteure Deborah Anapol estime qu’environ un Américain sur cinq cents se désigne comme polyamoureux aux États-Unis. Le site Web de la Canadian Polyamory Advocacy Association (www.polyadvocacy.ca) dresse une liste d’autres organismes nationaux de soutien et de réseautage pour les polyamoureux, notamment 2 autres organismes nationaux ainsi que plusieurs organismes semblables à l’échelle régionale, soit 8 dans les Maritimes, 36 au Québec et en Ontario, 23 dans les Prairies et 22 en Colombie-Britannique.

Par le passé, nous avons su très bien accueillir la profonde transformation qu’a connue la famille. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci?

L’augmentation du nombre de relations polyamoureuses exigera des changements importants touchant nos coutumes et nos institutions sociales. Une telle évolution nécessitera de revoir notre conception de la parentalité ainsi que le partage des responsabilités parentales. Il faudra réévaluer les frontières des relations entre adultes pour déterminer quelles obligations et quels privilèges s’appliquent ou non en vertu du cadre législatif, et définir leurs modalités d’application au sein d’une relation comptant plus de deux personnes.

Malgré l’ampleur des changements à envisager, ceux-ci se feront progressivement. Nous aurons le temps de nous faire à l’idée et de nous adapter à l’augmentation du nombre de personnes et de familles polyamoureuses. Par le passé, nous avons su très bien accueillir la profonde transformation qu’a connue la famille. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci?

 

Notes

  1. Données de sondage non pondérées.
  2. Il est à noter que le Québec applique le Code civil plutôt que la common law, si bien que la législation québécoise se distingue des autres provinces canadiennes. Par conséquent, la situation québécoise déborde du cadre de la présente démarche.

John-Paul Boyd, M.A., LL.B., est directeur général de l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille, un organisme multidisciplinaire sans but lucratif affilié à l’Université de Calgary.

Pour en savoir davantage au sujet des travaux de John-Paul Boyd sur le droit de la famille et les relations polyamoureuses, consultez l’article « Polyamorous Families in Canada: Early Results of New Research from CRILF » publié par l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille.

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Publié le 11 avril 2017