Annie Pullen Sansfaçon

Annie Pullen Sansfaçon est titulaire d’un Ph. D. en éthique et travail social (de la Montfort University, RU, 2007) et s’intéresse aux approches antioppressives et à l’éthique depuis le tout début de sa carrière. À partir de ces thèmes, elle a développé un axe de recherche visant à mieux comprendre les expériences d’oppression et de résistance des jeunes présentant une diversité de genre, comme les jeunes trans et non binaires, les jeunes bispirituel·les et les jeunes qui détransitionnent, en vue de développer de meilleures pratiques pour les soutenir. Elle s’intéresse également au soutien parental et social, ainsi qu’à l’incidence de celui-ci sur ces différents groupes de jeunes. Les projets de recherche qu’elle dirige tant au niveau national qu’international ont été publiés dans de nombreux articles scientifiques et cinq livres sur la question. Elle a cofondé et codirige actuellement le Centre de recherche sur la justice intersectionnelle, la décolonisation et l’équité (le CRI-JaDE), et est chercheuse associée à l’École de travail social de la Stellenbosch University en Afrique du Sud.

Nicole Denier

Nicole Denier est sociologue et se spécialise dans le travail, les marchés du travail et les inégalités. Elle a dirigé des projets primés sur les liens entre la diversité familiale et les inégalités sur le plan économique, notamment des recherches sur le bien-être économique des personnes 2ELGBTQI+ au Canada et des immigrantes et immigrants en Amérique du Nord. Nicole est actuellement professeure agrégée en sociologie à l’Université de l’Alberta. Elle est codirectrice du programme de bourses pour les personnes en début de carrière du Work and Family Researchers Network et fait partie des comités de rédaction des revues Canadian Studies in Population et Canadian Review of Sociology/Revue canadienne de sociologie.

Yue Qian

Yue Qian (prononcé Yew-ay Chian) est professeure agrégée en sociologie à l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver. Elle a obtenu son doctorat en sociologie à la Ohio State University. Ses recherches portent sur le genre, la famille et le travail, et les inégalités dans une perspective mondiale, et mettent particulièrement l’accent sur l’Amérique du Nord et l’Extrême-Orient.

Les familles canadiennes s’adaptent : Un mariage à distance

Bien que la pandémie de COVID-19 ait touché les familles des quatre coins du Canada ainsi que le paysage socioéconomique, culturel et contextuel qui teinte leur bien-être, la vie de famille ne s’est pas pour autant arrêtée.

Qu’il s’agisse de concilier les responsabilités professionnelles et familiales, de se réunir au moment de célébrer des étapes importantes ou de s’épauler dans les moments difficiles, les gens trouvent des moyens divers et créatifs afin de poursuivre leurs activités, leur vie de famille.

Alors que les familles canadiennes s’affairent à gérer ces transitions, l’Institut Vanier de la famille s’engage à colliger, à compiler et à dépeindre les « histoires derrière les statistiques », afin de mettre en relief les forces, la résilience et la réalité des familles dans toute leur diversité au pays.


Un mariage à distance

Edward Ng, Ph. D.

1er juin 2020

Au début du mois de mai, j’ai assisté pour la première fois à un mariage en ligne. L’événement était prévu depuis longtemps, bien avant que la pandémie de COVID-19 ne soit déclarée. Une fois les mesures de confinement imposées à la mi-mars, le couple a dû repenser son projet de mariage afin que l’événement puisse plutôt se faire en ligne.

La cérémonie, qui s’est tenue à Montréal au domicile de la mariée, a finalement été retransmise sur YouTube partout dans le monde. Est-ce que ce sera la tendance dans le futur? La seule « réunion familiale virtuelle » à laquelle j’aie pris part avant celle-ci avait été organisée pour les funérailles de mon oncle, décédé il y a quelques années à Sydney, en Australie.

La cérémonie a débuté à 10 h 30, un samedi matin (ou à une autre heure, dépendamment de l’endroit où se trouvaient les invités en ligne). Après l’introduction musicale, la bouquetière et le porteur des anneaux ont fait leur entrée sous nos yeux, mais plutôt que de remonter l’allée jusqu’à l’autel d’une église, ils ont foulé le couloir de leur propre maison, lançant des fleurs et des confettis sur leur chemin. Puis a suivi la performance bien orchestrée d’un quatuor, réuni virtuellement, nous offrant quelques pièces musicales pour l’occasion. Celui-ci a cédé la place à un chœur dont les voix séparées n’en étaient pas moins harmonieuses, de là où elles nous provenaient. Puis vinrent les discours des célébrants, suivis de l’échange des vœux et des alliances, et enfin la signature du contrat de mariage. La cérémonie a duré un peu plus d’une heure et s’est terminée par une séance d’égoportraits (pourrait-on dire).

Mais dans l’euphorie du moment, ni la famille ni les invités – ni même les mariés – ne se sont souciés de savoir si nous étions présents, virtuellement. Tout n’était pas pareil – côté tenue vestimentaire, certains d’entre nous avaient choisi de revêtir leurs plus beaux atours pour l’occasion, arborant une robe de soirée ou un complet-veston, tandis que d’autres avaient plutôt opté pour un style décontracté. Les gens s’étaient adaptés tel qu’ils le jugeaient opportun, alors que nous vivions cette expérience tous ensemble, quoique séparés.

La fonction de diffusion sur YouTube a été utilisée, ce qui a permis aux spectateurs des quatre coins du monde de participer à l’événement en temps réel. Dès le début de la cérémonie en ligne, nous avons constaté que de nombreux souhaits et commentaires de félicitations défilaient sous nos yeux. La famille, les amis et les proches de Montréal, d’Ottawa et de Toronto, ainsi que des États-Unis, d’Europe, d’Australie et d’Asie ont transmis leurs vœux au couple. Un invité a fait remarquer que c’était la première fois que les gens présents à un mariage pouvaient apporter leurs commentaires et faire part de leur appréciation du moment aussi instantanément.

En faisant le mariage en ligne, davantage de personnes ont pu y assister, dont certaines qui n’auraient pas pu y participer autrement. Pour ma propre famille, rejoindre Montréal constitue au moins deux ou trois heures de route dans chaque direction; pour ceux qui y assistent depuis l’Asie, cela représente au moins deux jours de voyage aller-retour (pour un coût nettement plus élevé, si les vols étaient autorisés). En outre, ces voyageurs internationaux auraient dû être mis en quarantaine pendant au moins 14 jours. Il leur aurait donc été impossible d’assister au mariage.

À la fin de l’événement, les jeunes mariés ont offert leurs remerciements à l’équipe responsable de l’organisation du mariage en ligne, et nous ont promis que des festivités seraient organisées pour célébrer le mariage une fois l’ordonnance de confinement levée. Nous attendons tous ce jour avec impatience, mais nous avons finalement connu une expérience fort positive dans le cadre de cet événement familial en ligne. Dans ce cas-ci, la célébration virtuelle du mariage était nécessaire, pratique et judicieuse, surtout dans le contexte de la pandémie. Le temps nous dira si les événements familiaux en ligne deviendront la norme dans le futur.

Edward Ng, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 

La mobilité pour l’emploi et l’embourgeoisement familial à Montréal

Steven High (Université Concordia)
Lysiane Goulet Gervais (Université Concordia)
Michelle Duchesneau (Université Concordia)
Dany Guay-Bélanger (Université Carleton)

L’évolution de l’économie canadienne suppose un éventail de possibilités et de contraintes, en fonction desquelles les familles doivent s’adapter pour assumer efficacement leurs responsabilités à la maison et au travail. Au sein des familles, cette adaptation suppose bien souvent de parcourir de grandes distances pour le travail, ou de s’absenter durant plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Depuis 2012, le Partenariat en mouvement1 s’intéresse au phénomène de la mobilité géographique pour le travail (MGPT), et il en ressort que les Canadiens sont plus nombreux que jamais à devoir parcourir régulièrement de grandes distances pour se rendre au travail, et ce, suivant des modèles « complexes et nuancés »2.

Lorsqu’il est question de la mobilité pour le travail et de ses incidences, la plupart des gens pensent d’abord à certains milieux en contexte rural, comme les chantiers miniers ou les exploitations gazières et pétrolières des régions plus au nord. À cet égard, on oublie généralement les centres urbains au Canada. Pourtant, ces nouvelles tendances du travail touchent plusieurs types de collectivités en redéfinissant leur contexte socioéconomique.

Au cours des deux dernières années, dans le cadre du Partenariat en mouvement, nous avons étudié les incidences de la mobilité au travail dans les centres urbains en réalisant des entrevues exhaustives auprès de Canadiens et de Canadiennes touchés par cette question, qu’il s’agisse de travailleurs effectuant une longue migration journalière ou contraints à d’importants déplacements géographiques en territoire québécois et ailleurs dans le monde. Les travailleurs et les familles que nous avons interrogés pour cette étude habitaient dans le sud-ouest de Montréal, c’est-à-dire dans les quartiers de la Petite-Bourgogne, de Saint-Henri et de Pointe-Saint-Charles. Après avoir connu une forte industrialisation, ces centres urbains se sont rapidement désindustrialisés durant les années 60, 70 et 80, ce qui a entraîné des changements socioéconomiques importants. Dans le sillage de ces bouleversements, ces quartiers ont connu une phase d’embourgeoisement familial, alors que plusieurs familles de la classe moyenne s’y sont progressivement installées avec leurs proches.

Les familles des travailleurs mobiles privilégient la « proximisation » des ressources pour mieux assumer leurs responsabilités

Dans le cadre de nos entretiens, nous avons constaté qu’il existe un lien entre la mobilité pour le travail et le phénomène d’embourgeoisement familial. En effet, certaines familles suffisamment à l’aise financièrement choisissent de s’installer dans ces quartiers des centres urbains pour « proximiser » d’autres aspects de leur vie. Cette proximisation concerne notamment la volonté de se rapprocher des ressources communautaires comme les garderies et les écoles de quartier, les parcs, les commerces et le transport en commun (en particulier le métro et les navettes express vers l’aéroport), et ce, au bénéfice des ménages dont l’un des membres occupe un emploi nécessitant une mobilité professionnelle.

La mobilité d’un des deux parents entraîne souvent l’immobilité relative des autres membres de la famille : la proximité des services communautaires devient alors un élément central.

De fait, l’accès facile au centre-ville compense l’absence prolongée d’un proche ayant à s’éloigner pour le travail. Parmi les familles comptant deux parents, la mobilité d’un des deux parents entraîne souvent l’immobilité relative des autres membres de la famille : la proximité des services communautaires devient alors un élément central.

La mobilité pour le travail complique les rapports familiaux et la vie de famille

Dans le cadre de cette étude, les parents interrogés ont partagé leur point de vue sur l’impact de la mobilité professionnelle sur leurs enfants et la vie de famille. L’une des mères rencontrées, Imane3, se dit préoccupée par les répercussions de la mobilité pour le travail sur la santé physique de ses enfants : « Ce qui est curieux, c’est que les jeunes enfants vivent du stress, mais rien n’y paraît. Leur seule façon de l’exprimer, c’est de tomber malades. Quand mon conjoint voyage beaucoup, ils sont souvent malades : c’est leur façon de dire que la situation leur déplaît. »

« … les jeunes enfants vivent du stress, mais rien n’y paraît. Leur seule façon de l’exprimer, c’est de tomber malades. Quand mon conjoint voyage beaucoup, ils sont souvent malades : c’est leur façon de dire que la situation leur déplaît. » (Une participante de l’étude)

Quant aux proches dont le travail exige une mobilité professionnelle, ils se disent préoccupés par les difficultés à assumer leur rôle parental lorsqu’ils sont loin du foyer. Certains évoquent la tristesse ressentie, leur désir d’être plus impliqués dans la vie de leurs enfants, et leur frustration de devoir faire cadrer les activités des enfants selon leurs déplacements. Cet aspect est souvent revenu durant les entretiens.

Kate est maman et travailleuse mobile. Lorsqu’elle revient au foyer après plusieurs semaines d’absence, elle a l’impression d’avoir manqué de grands pans du développement et de la croissance de son fils. Son conjoint Russell est également travailleur mobile. Chez eux, lorsque l’un des partenaires rentre à la maison, il n’est pas rare que l’autre doive bientôt partir. Alors, la vie n’est plus tout à fait pareille, admet Kate : « Que ce soit le tour de Russell ou le mien, on a toujours l’impression d’un entre-deux, de remettre la vie à plus tard. »

Parmi tous les répondants, c’est sans doute Imane qui en avait le plus à dire à propos des répercussions sur la vie de famille en lien avec la mobilité pour le travail. S’il fallait trouver une thématique à son entrevue, ce serait la « complexité » de sa vie de famille à cause de la mobilité pour le travail. En réponse à une question sur l’impact familial des déplacements de son mari, elle répond : « C’est plutôt compliqué, parce que nous avons besoin d’aide pour les enfants. Je dois préparer les filles le matin. » Alors que l’aînée part pour l’école avec des amies, Imane reconduit sa plus jeune à la garderie. Elle repasse les prendre en fin de journée et prépare le souper, sans l’aide de son conjoint. « Il ne s’agit pas seulement de s’occuper des enfants, mais il y a tout le reste à faire soi-même, comme l’entretien ménager, les épiceries, les repas, et aussi les activités, l’école et la garderie. La vie devient compliquée. » Lorsque son mari s’absente, le fardeau familial s’alourdit et elle n’a pratiquement aucune marge de manœuvre. « Je n’ai même pas le luxe de tomber malade », dit-elle.

Les parents qui « restent à la maison » s’adaptent à la mobilité de leur partenaire

Comme travailleuse autonome, Imane doit souvent poursuivre son travail après que les enfants sont au lit : « Mais lorsqu’il [mon mari] n’est pas là, je suis si fatiguée que je n’ai plus la force de travailler quand les filles sont couchées. » Par conséquent, elle prend souvent du retard dans son travail, ce qui est pour elle une source de stress. Heureusement, la mère d’Imane habite à Montréal et lui donne un coup de pouce pour l’aider à assumer les responsabilités et les rôles familiaux, comme cuisiner, faire la lessive ou passer prendre les filles. Imane insiste sur l’importance de garder une routine, même lorsque son mari s’absente pour une période prolongée : « La vie ne change pas lorsqu’il n’est pas là… Il faut continuer comme d’habitude. » Imane résume ainsi : « Tous ceux qui ont des enfants connaissent cette routine et cet horaire chargé, et il faut continuer. »

Bref, la vie de famille suit son cours même si l’un des parents s’absente. Comme le dit Pierre, lui-même travailleur mobile, ses déplacements ne causaient pas vraiment de problèmes avant la naissance de sa fille. Désormais, il s’inquiète de ne pas lui consacrer assez de temps à cause de ses longues migrations journalières : sa fille dort encore le matin à son départ et est déjà au lit à son retour, la plupart du temps. Il s’inquiète aussi des répercussions de cette mobilité sur sa capacité d’assumer sa juste part des responsabilités familiales. Plusieurs répondants racontent qu’ils avaient pris l’habitude de se déplacer en famille lorsque l’un des parents avait à travailler à l’extérieur, ce qui devient impossible dès que les enfants atteignent l’âge scolaire. C’était le cas de la famille d’Imane, mais il est rare maintenant que la famille puisse partir avec le père au risque de multiplier les absences à l’école.

Les technologies au secours des familles pour faciliter et consolider les liens familiaux

Pour participer autant que possible à la vie familiale et se rapprocher malgré la distance, les familles recourent de plus en plus aux technologies et aux nouveaux médias. Même si elles n’ont pas toutes accès à de tels outils, cette forme d’« intimité virtuelle » est une réalité de plus en plus courante et favorise une certaine continuité des liens et des rituels familiaux malgré l’éloignement d’un être cher4.

Cette forme d’« intimité virtuelle » est une réalité de plus en plus courante et favorise une certaine continuité des liens et des rituels familiaux malgré l’éloignement d’un être cher.

Un certain nombre de participants de notre étude ont évoqué l’importance de FaceTime, de Skype et d’autres médias sociaux pour maintenir les liens avec la famille malgré l’éloignement. Par exemple, durant ses séjours à l’extérieur, Russell « continue de participer aux rituels quotidiens avec les enfants via Skype, comme pour les chansons ou les histoires avant le dodo ». Sa partenaire, Kate, rajoute : « Il y a une douzaine d’années à peine, ces moyens-là n’existaient pas. C’était tout simplement impossible, et la facture d’interurbains aurait été astronomique! [rires] De nos jours, on peut communiquer à peu de frais, voire gratuitement. Ça aide beaucoup, beaucoup, beaucoup… » Toutefois, Imane considère que les communications sont tout de même difficiles lorsque son mari est à l’étranger. S’il est en Inde ou au Pakistan, il faut compter 10 ou 11 heures d’écart, si bien qu’il n’est pas facile de coordonner tout le monde. Elle ajoute : « Les filles n’aiment pas trop parler au téléphone, alors ce n’est pas facile. » Elle relate que c’est tout juste si sa fille aînée dit : « Allo, ça va. Oui, tout va bien. Je te passe maman. » Quant à la cadette âgée de seulement 3 ans, elle ne parle pas encore vraiment au téléphone.

Les enfants sont sensibles aux changements de routine associés à la mobilité

Afin de mieux comprendre les incidences de la mobilité pour le travail d’un point de vue intergénérationnel, nous avons interrogé quatre enfants âgés de 5 à 7 ans dans le cadre de cette étude. La plupart d’entre eux ont corroboré la situation évoquée par leurs parents, mais certains volets des entretiens révèlent aussi une autre perspective. En effet, même si la chose n’est pas surprenante, on constate avec intérêt que les enfants semblent surtout marqués par les perturbations de la routine.

Ainsi, ils se souviennent très bien d’avoir eu la chance de se coucher plus tard ou de manger certaines gâteries lors de petits moments privilégiés, pendant que l’autre parent était en voyage. June, pour sa part, se dit affectée par l’absence de sa mère Laura, mais se réjouit tout de même que son papa lui consacre plus de temps et lui accorde plus de privilèges : « C’est triste que maman soit partie, mais je suis quand même contente parce que je peux me coucher plus tard. » D’autres enfants évoquent les cadeaux qu’ils ont reçus ou offerts au retour d’un parent, et le plaisir d’être confiés aux soins d’autres personnes, comme les grands-parents, les proches, les amis, etc.

Les familles s’adaptent pour assumer leurs responsabilités

Notre examen de la mobilité pour le travail était fondé sur une approche géographiquement ciblée axée sur trois secteurs distincts, ce qui nous a permis d’analyser la mobilité sous un autre angle. Une telle approche a mis en lumière certaines incidences sur la vie de famille tout en tenant compte du spectre complet de la mobilité pour le travail, qu’il s’agisse d’un emploi nécessitant d’importantes migrations journalières ou des déplacements fréquents à l’étranger occasionnant des absences prolongées. Notre approche nous a aussi incités à tenir compte des liens entre la mobilité pour le travail et la fixité familiale (soit les aspects de la vie de famille qui sont statiques ou fixes sur le plan géographique), particulièrement en ce qui touche les motifs « locaux » de l’embourgeoisement urbain. En somme, notre étude montre que, malgré les incidences familiales de la mobilité pour le travail, les familles évoluent et s’adaptent par divers moyens pour assumer leurs multiples responsabilités, notamment en se rapprochant des services communautaires, en ajustant leurs rapports familiaux ou en mettant à profit les technologies.

Notes

  1. L’initiative En mouvement est un partenariat intersectoriel réunissant une quarantaine de chercheurs issus de 17 disciplines et représentant 22 universités du Canada et d’ailleurs. Le partenariat est financé grâce à une subvention du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).
  2. Michael Hann, Deatra Walsh et Barbara Neis, « At the Crossroads: Geography, Gender and Occupational Sector in Employment-Related Geographical Mobility » dans Canadian Studies in Population, vol. 41, nos 3-4 (2014).
  3. Les prénoms ont été remplacés pour des raisons de confidentialité.
  4. R. Wilding, « “Virtual” Intimacies? Families Communicating Across Transnational Contexts » dans Global Networks, vol. 6, no 2 (28 février 2006). doi:10.1111/j.1471-0374.2006.00137.x

Steven High est professeur d’histoire à l’Université Concordia, et cofondateur du Centre d’histoire orale et de récits numérisés.

Lysiane Goulet Gervais est nouvellement diplômée du programme de maîtrise en art-thérapie de l’Université Concordia.

Michelle Duchesneau est étudiante de cycle supérieur à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia.

Dany Guay-Bélanger étudie actuellement au programme de maîtrise en histoire publique de l’Université Carleton.

Photo : Nouveaux complexes de condominiums le long du canal Lachine, à Montréal. Photographe : David W. Lewis.

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Publié le 25 avril 2017

 

La vie en ligne des jeunes Canadiens

Matthew Johnson

La Semaine éducation médias se tiendra du 2 au 6 novembre. Il s’agit d’un événement soulignant l’importance de l’enseignement des médias et de la littératie numérique aux enfants et aux adolescents, afin que leurs interactions avec les médias soient positives et enrichissantes. Dans le blogue cette semaine, Matthew Johnson de HabiloMédias s’intéresse au comportement des jeunes en ligne et se questionne sur le rôle des parents dans la façon dont leurs enfants abordent le Web.


 

Natifs du numérique; technophiles; narcissiques; innovateurs; méchants. Beaucoup d’hypothèses sont lancées à propos des enfants en ligne. Toutefois, les étiquettes utilisées sont souvent trompeuses et déphasées par rapport à l’usage que font vraiment les jeunes des technologies en réseau. Dans le but de mieux comprendre les pratiques en ligne des enfants et des jeunes Canadiens, l’initiative HabiloMédias (un organisme canadien sans but lucratif d’éducation aux médias et de littératie numérique) a mené un vaste sondage national auprès d’élèves de la 4e à la 11e année* dans le cadre du projet de recherché Jeunes Canadiens dans un monde branché, dont les premières démarches remontent à l’an 2000.

Huit ans, c’est long quand il s’agit d’Internet. Entre la publication de la phase II de l’étude d’HabiloMédias intitulée Jeunes Canadiens dans un monde branché en 2005, et la réalisation d’un sondage national auprès des élèves pour la phase III en 2013, Internet a connu une énorme transformation : les vidéos en ligne, auparavant lentes et pleines de bogues, sont devenues l’une des activités les plus populaires sur le Web, tandis que le réseautage social est maintenant largement répandu tant chez les adultes que chez les jeunes.

Les expériences vécues en ligne par les jeunes ayant également changé, HabiloMédias a interrogé 5 436 élèves canadiens de la 4e à la 11e année, dans des classes de chaque province et territoire, afin de découvrir la teneur de cette évolution. Le premier rapport issu de ce sondage, La vie en ligne, porte sur ce que les jeunes font en ligne, les sites qu’ils consultent et leurs comportements face à la sécurité en ligne, les règles d’utilisation d’Internet à la maison et la déconnexion de la technologie numérique.

Presque tous les jeunes ont accès à Internet

Personne ne sera surpris d’apprendre que presque tous les jeunes vont en ligne. En fait, 99 % des élèves interrogés ont accès à l’Internet en dehors de l’école grâce à l’utilisation de différents appareils. Le plus gros changement qui s’est produit depuis le dernier sondage réside dans la multiplication des appareils mobiles comme les tablettes, les téléphones intelligents et les lecteurs MP3 optimisés pour le Web, qui fournissent aux jeunes un accès au Web en continu – et souvent sans surveillance.

Le précédent rapport Jeunes Canadiens dans un monde branché, paru en 2005, révélait que la plupart des d’élèves consultaient Internet à partir d’un ordinateur familial à la maison (c’est-à-dire dans le salon ou la cuisine, pour que les parents puissent garder un œil bienveillant sur leurs enfants pendant que ceux-ci naviguaient en ligne). Désormais, les appareils personnels et mobiles en réseau (comme les tablettes et les téléphones intelligents) constituent le principal point d’accès pour bon nombre de ces élèves.

On a constaté que l’accès à Internet grâce à un ordinateur portable et personnel augmentait en fonction de l’âge, alors que l’utilisation d’un ordinateur familial partagé avait chuté. Ainsi, 64 % des élèves de 4e année ont déclaré qu’ils utilisaient un ordinateur familial pour accéder à du contenu en ligne hors de l’école, mais cette proportion chute à 37 % pour les élèves de 11e année. Par contre, les données indiquent que 24 % des élèves de 4e année possèdent un téléphone cellulaire ou un téléphone intelligent, et cette proportion grimpe à 52 % chez les élèves de 7e année et à 85 % parmi les élèves de 11e année.

Par ailleurs, il ne faudra peut-être pas s’étonner de constater que la possession de tels appareils est en corrélation avec le niveau d’aisance de la famille. En effet, la proportion d’élèves très aisés qui possèdent un ordinateur portable est plus élevée comparativement aux élèves moyennement aisés (74 % par rapport à 61 %), et il en va de même pour le cellulaire (49 % par rapport à 41 %), ainsi que pour les consoles de jeux vidéo (45 % par rapport à 38 %).

Les élèves sont non seulement branchés, mais ils restent branchés : plus du tiers de ceux qui possèdent un cellulaire disent dormir avec leur téléphone au cas où ils recevraient des appels ou des messages pendant la nuit. Cette réalité touche autant les filles que les garçons (respectivement 39 % et 37 % de ceux qui possèdent un cellulaire). Cette tendance augmente d’une année à l’autre jusqu’à un peu plus de la moitié des élèves de 11e année (51 %), mais un cinquième des élèves de 4e année disent déjà en faire autant.

Les élèves savent pertinemment qu’ils passent beaucoup de temps « branchés » : 40 % des filles et 31 % des garçons disent s’inquiéter de passer trop de temps en ligne. Lorsqu’ils ont été interrogés sur la façon dont ils se sentiraient si, pendant une semaine, ils ne pouvaient se connecter à Internet sauf pour faire des travaux scolaires, un peu moins de la moitié (49 %) ont affirmé qu’ils seraient bouleversés ou malheureux. Il est intéressant de constater que les élèves anglophones à l’extérieur du Québec ont plus tendance à être bouleversés à cet égard que leurs homologues francophones du Québec (51 % contre 40 %). Toutefois, 46 % de tous les élèves indiquent que cela les laisserait indifférents, et 5 % mentionnent même qu’ils seraient soulagés ou heureux de ne pas pouvoir se connecter à Internet.

Plusieurs élèves essaient de maintenir un équilibre entre leurs activités virtuelles et celles de la vie réelle, et affirment qu’ils choisissent parfois de se déconnecter pour passer plus de temps avec leur famille et des amis (77 %), pour sortir à l’extérieur, jouer à un jeu ou pratiquer un sport (71 %), pour lire un livre (44 %) ou seulement pour profiter d’un moment de solitude (45 %). Seuls 4 % affirment ne jamais se déconnecter pour l’une ou l’autre de ces raisons.

Les jeunes vont sur Internet pour apprendre, jouer et socialiser

Que font les jeunes Canadiens lorsqu’ils sont en ligne? Pour plusieurs, Internet constitue un outil d’apprentissage et de partage de l’information : environ la moitié (49 %) des élèves de tous les niveaux de classe disent s’être connectés pour trouver de l’information sur les nouvelles et l’actualité, et la moitié des élèves de la 7e à la 11e année ont partagé des liens menant à divers articles d’actualité. Toutefois, ils sont relativement peu nombreux à participer à des débats en ligne, c’est-à-dire à publier des commentaires sur un site d’actualités (71 % des élèves de la 7e à la 11e année ne l’ont jamais fait) ou à se joindre à un groupe de militants (65 % de tous les élèves ne l’ont jamais fait).

Les élèves recherchent des renseignements sur des sujets sensibles tels que les questions de santé mentale, la sexualité, la santé physique et les difficultés relationnelles.

Cependant, il n’y a pas que les nouvelles et l’actualité qui intéressent les enfants et les jeunes. Plusieurs déclarent utiliser l’Internet pour trouver de l’information sur la santé et le bien-être, qu’il s’agisse de questions de santé physique (20 % des filles et 16 % des garçons), de santé mentale (14 % des filles et 9 % des garçons) ou de difficultés relationnelles (18 % des filles et 9 % des garçons). La proportion d’élèves qui recourent à Internet comme source d’information augmente progressivement de la 4e à la 11e année.

Par rapport aux élèves plus jeunes, un pourcentage supérieur d’élèves de la 7e à la 11e année recherchent des renseignements sur des sujets sensibles tels que les questions de santé mentale, la sexualité, la santé physique et les difficultés relationnelles. Toutefois, près du quart (22 %) des élèves n’utilisent pas Internet pour trouver de l’information sur ces sujets. Près du tiers des élèves sont déjà allés en ligne pour demander conseil à un spécialiste (30 %) ou à d’autres jeunes (33 %) concernant un problème personnel, mais seul un faible pourcentage d’entre eux le font souvent.

Les deux tiers des élèves disent s’adonner à des jeux en ligne, mais cette activité est beaucoup plus populaire chez les garçons (71 %) que chez les filles (47 %). À la différence d’autres activités en ligne qui ont tendance à augmenter en fonction de l’âge, la proportion d’élèves qui jouent à des jeux en ligne diminue au fil du temps, passant du niveau le plus élevé atteint en 5e année à hauteur de 77 % jusqu’au niveau le plus bas en 10e année, soit 42 %.

Par ailleurs, il n’est pas surprenant de constater que le réseautage social figure également parmi les activités populaires, particulièrement parmi les répondants les plus âgés. La participation accrue aux activités liées au réseautage social est en corrélation avec la documentation sur le développement, selon laquelle les rapports sociaux sont de plus en plus importants au fur et à mesure du passage de l’enfance à l’adolescence. De la 4e à la 11e année, les activités qui consistent à lire sur les sites d’autres personnes passent de 18 à 72 %, publier sur Twitter de 5 à 42 %, suivre des amis ou des membres de la famille sur Twitter de 8 à 39 %, publier sur son propre site de 19 à 50 % et suivre des vedettes sur Twitter de 5 à 32 %. Les filles ont davantage tendance que les garçons à utiliser le réseautage social pour communiquer avec leurs amis ou les membres de leur famille (45 % publient sur leur propre site de réseautage social, comparativement à 36 % des garçons).

Plusieurs parents règlementent l’utilisation que font leurs enfants d’Internet

La présence parentale demeure un facteur à considérer dans la vie en ligne des enfants, puisque 84 % des élèves interrogés disent devoir se conformer à des règles à la maison relativement à leurs activités en ligne. Les règles les plus courantes concernent les activités suivantes : publier des renseignements personnels en ligne (55 %), discuter avec des étrangers en ligne ou sur un cellulaire (52 %), éviter certains sites (48 %), traiter les gens avec respect en ligne (47 %) et rencontrer en personne quelqu’un que l’élève ne connaît que par Internet (44 %).

Les règles à la maison pour régir les activités en ligne ont changé depuis l’enquête de 2005. Bien que les groupes de discussion menés par HabiloMédias en 2012 (parents et élèves) aient permis de comprendre que les parents étaient de plus en plus préoccupés par les activités des jeunes en ligne, le nombre moyen de règles d’utilisation d’Internet à la maison a néanmoins diminué depuis 2005. Par exemple, dans le cadre de la précédente enquête, 74 % des élèves mentionnaient l’existence d’une règle à la maison concernant toute rencontre avec une personne connue par l’intermédiaire d’Internet, alors que le pourcentage n’est plus que de 44 % aujourd’hui. En ce qui touche les renseignements personnels, 69 % des élèves devaient se conformer à une règle sur la communication d’information personnelle en 2005, mais seulement 55 % d’entre eux suivent une règle concernant la publication de renseignements personnels sur Internet en 2013.

84 % des élèves interrogés disent devoir se conformer à des règles à la maison relativement à leurs activités en ligne.

Conformément à l’étude précédente, les règles d’utilisation d’Internet à la maison ont des effets positifs significatifs sur ce que les élèves font en ligne, réduisant ainsi les comportements à risque comme afficher ses renseignements personnels, visiter des sites de jeux d’argent, consulter de la pornographie en ligne et parler à des inconnus. En général cependant, le nombre de règles chute considérablement après la 7e année, et les filles de tous âges sont plus susceptibles que les garçons de devoir suivre des règles d’utilisation. En effet, les règles en ligne concernant les activités suivantes sont plus fréquemment imposées aux filles qu’aux garçons : communiquer avec des inconnus (61 % des filles par rapport à 40 % des garçons), rencontrer en personne quelqu’un connu par l’intermédiaire d’Internet (52 % par rapport à 35 %), avertir leurs parents de toute situation qui les rend mal à l’aise en ligne (46 % par rapport à 30 %), et traiter les gens avec respect en ligne (54 % par rapport à 40 %).

La tendance à imposer davantage de règles aux filles tient sans doute à leur plus grande vulnérabilité, mais cette situation s’explique peut-être aussi par le fait qu’Internet n’évoque pas la même réalité pour les filles que pour les garçons. Les filles sont moins susceptibles d’adhérer à l’affirmation selon laquelle « Internet est un endroit sécuritaire pour moi », et ont plus tendance à se dire d’accord avec l’affirmation suivante : « Il pourrait m’arriver quelque chose si je parle à quelqu’un que je ne connais pas en ligne. » Malgré ces différences, tant les garçons que les filles ont confiance en leur capacité de s’occuper d’eux-mêmes, puisque neuf répondants sur dix sont d’accord avec l’affirmation « Je sais comment me protéger en ligne ».

Les jeunes tirent leurs connaissances sur la vie en ligne de plusieurs sources

Les élèves considèrent leurs parents comme une source précieuse pour apprendre des choses à propos d’Internet : près de la moitié (45 %) déclarent que ceux-ci les ont informés au sujet de la cyberintimidation, de la sécurité en ligne et de la gestion de la vie privée. Toutefois, les parents ne représentent pas leur seule source d’information sur les questions relatives à Internet, puisque les élèves mentionnent qu’ils en ont aussi été informés par leurs enseignants (41 %), leurs amis (18 %) ou en lisant en ligne (19 %). En vieillissant, les élèves sont plus susceptibles d’affirmer avoir été informés sur ces questions par leurs enseignants que par leurs parents. Ainsi, les élèves de la 4e à la 6e année étaient plus nombreux à avoir été informés par leurs parents (75 %) que par leurs enseignants (50 %) au sujet de la sécurité en ligne. Un nombre inquiétant d’élèves disent cependant ne pas avoir été informés du tout sur ces sujets. Ainsi, plus de la moitié des élèves de la 4e à la 6e année n’ont appris aucune stratégie pour authentifier l’information en ligne, que ce soit à la maison ou à l’école.

La vie en ligne a soulevé de nombreuses questions nécessitant un examen plus approfondi. Toutefois, il semble déjà évident qu’en dépit de leur confiance dans les outils numériques – ou peut-être à cause d’elle –, les jeunes Canadiens, et particulièrement les enfants du primaire, ont besoin de faire l’apprentissage de compétences en littératie numérique. Les parents et les enseignants ont quant à eux besoin qu’on leur fournisse des outils et des ressources pour les aider à leur inculquer ces compétences.

 


* Les études d’HabiloMédias sont effectuées à travers le Canada. Et pour cette raison, les termes « élèves de la 7e à la 11e année » sont utilisés, et se rapportent au Québec aux élèves de la première à la cinquième année du secondaire.

Cet article a été présenté dans le magazine Transition à l’automne 2013 (vol. 43, no 3).

Matthew Johnson est directeur de l’éducation pour l’organisme HabiloMédias, le centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique.

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