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Maintenant disponible : L’identité des familles, la troisième section de La famille compte 

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Maintenant disponible : L’identité des familles

D’hier à aujourd’hui : Familles, diversité et identité au Canada

  Points saillants d’une nouvelle ressource sur les familles et les identités au Canada 

Les familles au Canada ont gagné en diversité au fil des générations, et, pour être en mesure de soutenir leur bien-être, cette évolution nécessite une attention particulière. La diversité familiale est étroitement liée aux identités – des caractéristiques personnelles, des parcours et des expériences qui façonnent les familles et la vie de famille, et influencent leur bien-être. Qu’elles soient liées à l’ethnicité, à la culture, à la langue, au genre, à la religion, à l’orientation sexuelle ou à d’autres traits, les identités s’avèrent complexes, s’entrecroisent et sont souvent associées à des forces spécifiques ainsi qu’à des inégalités qui ont une incidence sur le bien-être familial.

Le troisième volet de la série La famille compte, intitulé L’identité des familles, propose un riche éventail de portraits statistiques qui mettent en relief la diversité croissante de la population au Canada, son influence sur les familles et la vie familiale, ainsi que ses répercussions sur le bien-être des familles et de leurs membres. Cette publication est désormais accessible dans notre bibliothèque de ressources, aux côtés des deux premiers volets : La structure des familles et Le travail des familles.

Les principaux changements survenus au cours des dernières décennies sont présentés ci-dessous.


Le nombre de familles issues de l’immigration est en hausse

Les familles immigrantes constituent une part importante et croissante de la société canadienne, l’immigration étant indispensable pour pallier le vieillissement de la population active au pays. Il en résulte une diversification grandissante du « paysage familial » canadien. En 2024, les personnes immigrantes étaient plus susceptibles que celles nées au Canada d’exprimer un haut niveau de satisfaction à l’égard de leurs relations familiales (78 % c. 74 %)[1]. Pourtant, de nombreuses familles immigrantes se heurtent à des obstacles et à des inégalités qui freinent leur pleine participation à la société et nuisent à leur bien-être, les exposant davantage à la pauvreté, au chômage et à des conditions de logement inadéquates[2], [3], [4].

En 2021, près du quart des personnes vivant au Canada (23,0 %) étaient, ou avaient été, des immigrantes reçues ou des résidentes permanentes[5]. Cette proportion était de 16,1 % en 1991 et devrait atteindre entre 29,1 % et 34,0 % d’ici 2041[6]. En 2021, parmi les enfants de moins de 15 ans, plus de 3 sur 10 (31,5 %) comptaient au moins un parent né à l’étranger[7], comparativement à 28,5 % en 2001, et cette proportion pourrait grimper jusqu’à 47,2 % d’ici 2036[8].

Source : Statistique Canada. (26 novembre 2024). Les immigrants représentent la plus grande part de la population depuis plus de 150 ans et continuent de façonner qui nous sommes en tant que Canadiens. Le Quotidien.

La population racisée au Canada a presque triplé au fil des ans

La population racisée au Canada a également connu une croissance marquée – une évolution étroitement liée à l’augmentation de l’immigration – et se caractérise par une grande diversité. Certains schémas démographiques notables ont pu être observés : les personnes racisées sont plus susceptibles d’être mariées, de vivre au sein de ménages multigénérationnels et de résider en milieu urbain[9], [10], [11]. Malgré les engagements dans le domaine de la justice sociale, les personnes racisées demeurent plus exposées que les autres à la pauvreté et rencontrent davantage d’obstacles en matière d’emploi, de soins de santé et de logement[12].

En 2021, plus du quart de la population canadienne (26,5 %) faisait partie d’un groupe racisé[13], contre 9,4 % en 1991[14], [15]. Selon les estimations, cette proportion pourrait grimper à 34,4 % d’ici 2036[16]. Un peu plus du tiers (34 %) des enfants de moins de 15 ans faisaient partie d’un groupe racisé en 2021, comparativement à 17 % en 2001[17]. En 2021, plus de 6 personnes immigrantes sur 10 (60,1 %) étaient racisées.

Source : Statistique Canada. (26 octobre 2022). Tableau 98-10-0308-01 – Minorité visible et le statut d’immigration et la période d’immigration : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement y compris les parties.

Malgré un recul, la plupart des gens disent avoir une appartenance religieuse

Les croyances religieuses participent à la configuration de la vie familiale et aux changements sociaux, notamment en ce qui concerne le mariage, le divorce et la procréation. Divers indicateurs révèlent une baisse générale de la religiosité au Canada depuis le début des années 1990. Les gens sont, en moyenne, moins susceptibles de se réclamer d’une religion, de juger leurs croyances spirituelles ou religieuses essentielles à leur quotidien, ou de prendre part à des activités religieuses[18].

Entre 1991 et 2021, la proportion de la population déclarant une affiliation religieuse est passée de 87,5 % à 65,4 %[19], [20]. En 2021, environ 8 personnes de 65 ans et plus sur 10 (80,9 %) disaient avoir une appartenance religieuse, comparativement à 94,1 % en 1991[21], [22].C’est chez les moins de 25 ans que l’affiliation à une religion a le plus décliné, passant de 85,2% à 59,1 %[23], [24]. Malgré tout, plus de la moitié de la population (53,7 %) affirmait en 2020 accorder une certaine ou une grande importance à la religion ou à la spiritualité[25].

Sources : Statistique Canada. (21 juin 2023). Tableau 98-10-0353-01 – Religion selon le genre et l’âge : Canada, provinces et territoires.

Statistique Canada. (1er avril 2019). R9101 – Population selon la religion (29), par groupes d’âge (13) – Canada, provinces et territoires, divisions de recensement et subdivisions de recensement.

La diversité linguistique au sein des ménages familiaux ne cesse de croître

Le langage dépasse la simple manière de parler : il est aussi lié aux identités familiales et culturelles, au sentiment d’appartenance, ainsi qu’à la santé et au bien-être[26], [27].Les données révèlent une diversification croissante des langues parlées au sein des familles canadiennes au cours des dernières décennies. Pour les responsables des politiques, saisir cette transformation s’avère crucial, puisque les compétences linguistiques influencent directement la capacité à bénéficier de services, comme les soins de santé[28].

Environ une personne sur huit (12,7 %) disait parler principalement une langue autre que le français ou l’anglais à la maison en 2021, comparativement à 7,7 % en 1991[29], [30]. En 2021, les pourcentages variaient de 1,4 % à Terre-Neuve-et-Labrador à 42,2 % au Nunavut. Plus d’un ménage sur cinq (21,0 %) était multilingue[31] en 2021[32].

Sources : Statistique Canada. (17 août 2022). Alors que le français et l’anglais demeurent les principales langues parlées au Canada, la diversité linguistique continue de s’accroître au pays. Le Quotidien.

Statistique Canada. (12 juillet 2023). Tableau 15-10-0033- 01 – Population selon la langue parlée le plus souvent à la maison et la géographie, 1971 à 2021.

Pour en savoir plus sur les familles, la diversité et l’identité au Canada, consultez notre nouvelle publication de La famille compte!

[1] Statistique Canada. (21 juin 2023). Tableau 98-10-0347-01 – Statut d’immigrant et période d’immigration selon le genre et l’âge : Canada, provinces et territoires. https://doi.org/10.25318/9810034701-fra

 Statistique Canada. (19 février 2025). La satisfaction à l’égard des relations familiales va de pair avec un bien-être positif, 2024. Le Quotidien. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/250219/dq250219a-fra.htm

[2] Thurston Z. (22 novembre 2023). Expériences en matière de logement au Canada : locataires vivant dans la pauvreté, personnes âgées locataires et immigrants récents locataires, 2021. Statistiques sur le logement au Canada. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/46-28-0001/2021001/article/00025-fra.htm

[3] Statistique Canada. (31 juillet 2024). Amélioration des résultats des nouveaux immigrants sur le marché du travail depuis le milieu des années 2010. Rapports économiques et sociaux. https://doi.org/10.25318/36280001202400200004-fra

[4] Statistique Canada. (26 avril 2024). Enquête canadienne sur le revenu, 2022. Le Quotidien. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/240426/dq240426a-fra.htm

[5] Statistique Canada. (21 juin 2023). Tableau 98-10-0347-01 – Statut d’immigrant et période d’immigration selon le genre et l’âge : Canada, provinces et territoires. https://doi.org/10.25318/9810034701-fra

[6] Statistique Canada. (8 septembre 2022). Le Canada en 2041 : une population plus nombreuse, plus cosmopolite et comportant plus de différences d’une région à l’autre. Le Quotidien. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220908/dq220908a-fra.htm

[7] Statistique Canada. (26 novembre 2022). Les immigrants représentent la plus grande part de la population depuis plus de 150 ans et continuent de façonner qui nous sommes en tant que Canadiens. Le Quotidien. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/221026/dq221026a-fra.htm

[8] Statistique Canada. (26 novembre 2024). Les enfants issus de l’immigration : un pont entre les cultures. Recensement en bref. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/98-200-x/2016015/98-200-x2016015-fra.cfm

[9] Clark, S., et Brauner-Otto, S. (11 novembre 2023). Family change and diversity in Canada. Réunion régionale du Groupe d’experts des Nations Unies pour l’Amérique du Nord en préparation du 30e anniversaire de l’Année internationale de la famille, 2024, Orlando (Floride). https://social.desa.un.org/sites/default/files/inline-files/Family%20Change%20and%20Diversity%20in%20Canada.pdf

[10] Statistique Canada. (4 décembre 2024). Tableau 98-10-0657-01 – Type de ménage de la personne selon la minorité visible, la religion et certaines caractéristiques : Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement y compris les parties. https://doi.org/10.25318/9810065701-fra

[11] Statistique Canada. (26 octobre 2022). Tableau 98-10-0308-01 – Minorité visible et le statut d’immigration et la période d’immigration : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement y compris les parties. https://doi.org/10.25318/9810030801-fra

[12] Gouvernement du Canada. (Août 2018). Les principales inégalités en santé au Canada : un portrait national. https://publications.gc.ca/site/fra/9.859610/publication.html

[13] Le terme « racisé », utilisé par Statistique Canada, s’appuie sur le concept de « minorité visible » et désigne les mêmes groupes de population. Ce terme englobe toutes les personnes qui ne sont ni blanches ni autochtones (membres des Premières Nations, métisses ou inuites), et inclut principalement les groupes suivants : les personnes sud-asiatiques, chinoises, noires, philippines, latino-américaines, arabes, asiatiques du Sud-Est, asiatiques de l’Ouest, coréennes et japonaises.

[14] Statistique Canada. (18 octobre 2017). Nombre de personnes de minorités visibles et pourcentage de la population au Canada, 1981 à 2036. À la base des données. https://www.statcan.gc.ca/fr/quo/bdd/autresproduitsvisuels/autre010

[15] Statistique Canada. (26 octobre 2022). Tableau 98-10-0308-01 – Minorité visible et le statut d’immigration et la période d’immigration : Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement y compris les parties. https://doi.org/10.25318/9810030801-fra

[16] Statistique Canada. (18 octobre 2017). Nombre de personnes de minorités visibles et pourcentage de la population au Canada, 1981 à 2036. À la base des données. https://www.statcan.gc.ca/fr/quo/bdd/autresproduitsvisuels/autre010

[17] Hou, F., Schimmele, C., et Stick, M. (23 août 2023). Évolution démographique des groupes racisés au Canada. Rapports économiques et sociaux. https://doi.org/10.25318/36280001202300800001-fra

[18] Cornelissen, L. (28 octobre 2021). La religiosité au Canada et son évolution de 1985 à 2019. Regards sur la société canadienne. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/75-006-x/2021001/article/00010-fra.htm

[19] Statistique Canada. (1er avril 2019). R9101 – Population selon la religion (29), par groupes d’âge (13) – Canada, provinces et territoires, divisions de recensement et subdivisions de recensement. https://www12.statcan.gc.ca/francais/census91/data/tables/Rp-fra.cfm?LANG=F&APATH=3&DETAIL=1&DIM=0&FL=A&FREE=1&GC=0&GID=0&GK=0&GRP=1&PID=66&PRID=0&PTYPE=4&S=
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[20] Statistique Canada. (21 juin 2023). Tableau 98-10-0353-01 – Religion selon le genre et l’âge : Canada, provinces et territoires. https://doi.org/10.25318/9810035301-fra

[21] Statistique Canada. (1er avril 2019). R9101 – Population selon la religion (29), par groupes d’âge (13) – Canada, provinces et territoires, divisions de recensement et subdivisions de recensement. https://www12.statcan.gc.ca/francais/census91/data/tables/Rp-fra.cfm?LANG=F&APATH=3&DETAIL=1&DIM=0&FL=A&FREE=1&GC=0&GID=0&GK=0&GRP=1&PID=66&PRID=0&PTYPE=4&S=
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[22] Statistique Canada. (21 juin 2023). Tableau 98-10-0353-01 – Religion selon le genre et l’âge : Canada, provinces et territoires. https://doi.org/10.25318/9810035301-fra

[23] Statistique Canada. (1er avril 2019). R9101 – Population selon la religion (29), par groupes d’âge (13) – Canada, provinces et territoires, divisions de recensement et subdivisions de recensement. https://www12.statcan.gc.ca/francais/census91/data/tables/Rp-fra.cfm?LANG=F&APATH=3&DETAIL=1&DIM=0&FL=A&FREE=1&GC=0&GID=0&GK=0&GRP=1&PID=66&PRID=0&PTYPE=4&S=
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[24] Statistique Canada. (21 juin 2023). Tableau 98-10-0353-01 – Religion selon le genre et l’âge : Canada, provinces et territoires. https://doi.org/10.25318/9810035301-fra

[25] Division de la statistique sociale et autochtone. (2023). Enquête sociale générale, 2020 [Canada] : cycle 35, Identité sociale. Borealis, V1. https://doi.org/10.5683/SP3/1LFX0F

[26] Lanza, E. (6 octobre 2021). The family as a space: Multilingual repertoires, language practices and lived experiences. Journal of Multilingual and Multicultural Development, 42(8), 763-771. https://doi.org/10.1080/01434632.2021.1979015

[27] Arriagada, P., et Racine, A. (14 août 2024) Les enfants des Premières Nations vivant hors réserve, les enfants métis et les enfants inuits et leurs familles : divers résultats de l’Enquête auprès des peuples autochtones de 2022. Enquête auprès des peuples autochtones. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-653-x/89-653-x2024001-fra.htm

[28] Um, S. (Avril 2016). The cost of waiting for care: Delivering equitable long-term care for Toronto’s diverse population. Wellesley Institute. https://www.wellesleyinstitute.com/wp-content/uploads/2016/05/The-Cost-of-Waiting-For-Care.pdf

[29] Statistique Canada. (17 août 2022). Alors que le français et l’anglais demeurent les principales langues parlées au Canada, la diversité linguistique continue de s’accroître au pays. Le Quotidien. https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220817/dq220817a-fra.htm

[30] Statistique Canada. (12 juillet 2023). Tableau 15-10-0033-01– Population selon la langue parlée le plus souvent à la maison et la géographie, 1971 à 2021. https://doi.org/10.25318/1510003301-fra

[31] Autrement dit, plusieurs langues étaient parlées à la maison, de façon régulière ou prédominante, sans pour autant être parlées par l’ensemble des membres.

[32] Statistique Canada. (21 juin 2023). Le plurilinguisme au sein des ménages canadiens. Produits analytiques, Recensement de 2021. https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-X/2021014/98-200-x2021014-fra.cfm


Définition de la famille

Notre définition de la famille est utilisée par une foule de praticiennes et praticiens du domaine
familial et de personnes des milieux de l’éducation et de la recherche au Canada et ailleurs dans
le monde.

Portraits de chercheurs : Samantha Noyek

Entretien avec Samantha Noyek, lauréate du prix de la recherche sur la santé des familles des militaires et des vétérans et du personnel de la sécurité publique Colonel Russell-Mann 2024

L’IMPACT DE LA COVID‑19 : Les relations de couple au Canada

Ana Fostik, Ph. D.

9 octobre 2020

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Lorsque les milieux professionnels et les écoles ont fermé en mars 2020 en vue d’atténuer la propagation de la COVID-19, la vie de famille dans l’ensemble du Canada a été grandement bouleversée. Ce contexte particulier a intensifié la tension au sein des couples, alors que bon nombre d’entre eux se sont retrouvés confinés ensemble 24 h/24, 7 j/7 – parfois avec des enfants – tout en devant rapidement adapter leur domicile afin de partager des espaces de travail et/ou d’apprentissage. Compte tenu de ces ajustements à la fois importants et imprévus par rapport à la vie professionnelle et familiale, en plus des incertitudes et des craintes persistantes liées au coronavirus lui-même, certains se sont demandé si les effets de la COVID-19 pourraient entraîner une hausse des taux de séparation et de divorce.

Des millions de familles ont dû demeurer à la maison pendant plusieurs semaines en raison de la pandémie de COVID-19. Or, pour de nombreux parents d’enfants d’âge scolaire, cela impliquait qu’ils scolarisent eux-mêmes leurs enfants tout en continuant de travailler à domicile, en plus de devoir partager les ressources (p. ex. : bureaux de travail, bande passante Internet). D’autres ont pour leur part dû faire face au chômage ou à une baisse de revenus, et se sont retrouvés à passer beaucoup plus de temps que d’habitude avec leur partenaire ou leur conjoint. Chez les couples hétérosexuels, l’inégalité des rôles entre les sexes au sein du ménage a également pu être amplifiée dans un contexte où ils passent plus de temps ensemble : des conflits sur la répartition du travail rémunéré et non rémunéré ont pu ainsi survenir, et ce, particulièrement chez ceux qui doivent scolariser leurs enfants à la maison tout en continuant à travailler à domicile.

Le contexte de la pandémie a diverses répercussions sur les couples

Les recherches ont démontré que les périodes de stress peuvent accroître les tensions dans les relations de couple, alors que les difficultés économiques ont été identifiées comme une source de conflit au sein de ceux-ci (couples mariés et en cohabitation)1. Ainsi, étant donné que la pandémie a eu des incidences sur le marché du travail et les finances familiales dans tout le pays, la dissolution des couples pourrait connaître une hausse.

Lorsqu’interrogée sur les conséquences possibles de la pandémie sur la stabilité des relations de couple, Céline Le Bourdais, professeure émérite en sociologie de la chaire James McGill, soutient que les effets sur les couples peuvent être négatifs, mais qu’ils peuvent également être positifs2. Ainsi, chez ceux qui disposaient de peu de temps ensemble avant l’adoption des mesures de santé publique et des restrictions en matière de mobilité, celle-ci suggère qu’il pourrait y avoir un effet positif sur leur relation, dans la mesure où la pandémie amènerait les deux partenaires à travailler à domicile – à condition qu’ils aient tous deux accès aux ressources adéquates et à l’espace nécessaire pour s’y adonner. Pour d’autres, toutefois, le confinement à la maison dans ce contexte incertain pourrait avoir créé de nouvelles tensions ou eu pour effet d’intensifier d’anciens conflits.

Cela pourrait notamment être le cas des couples et des familles dont l’espace à la maison est restreint, ainsi que de ceux qui ont de faibles revenus. Mme Le Bourdais souligne également que la pandémie pourrait avoir compliqué la vie de couple des personnes « vivant chacun chez soi », c’est-à-dire les couples dont les membres vivent dans des logements séparés (soit 9 % des personnes de 25 à 64 ans en couple en 2017)3. Le défi aurait en outre été encore plus grand pour les couples dont les membres demeuraient dans des régions différentes entre lesquelles les mouvements étaient limités en vertu des mesures de santé publique.

Selon Benoît Laplante, professeur de démographie familiale à l’Institut national de la recherche scientifique de Montréal, « les tensions vont augmenter dans les couples, c’est certain. Est-ce que ça va se manifester rapidement par des ruptures dans des conditions où il est difficile de déménager, de se trouver un nouvel appartement, difficile de mettre sa maison en vente? C’est embêtant4 .» En d’autres termes, si l’augmentation du stress et des conflits au sein du ménage peut accroître la probabilité que les couples envisagent une séparation ou un divorce, les conditions socioéconomiques peuvent pour leur part compliquer la logistique associée à la dissolution de leur union.

Chômage et instabilité au sein du couple : une relation complexe

L’une des principales conséquences des mesures de confinement est l’augmentation fulgurante des taux de chômage – du jamais-vu pour les générations actuelles – touchant 14 % des adultes sur le marché du travail en mai 20205. Des recherches antérieures ont mis en relief un effet en apparence contradictoire du chômage sur la stabilité des unions : en moyenne, les risques de séparation d’un couple augmentent lorsque l’un des partenaires se retrouve au chômage. (Chez les couples hétérosexuels, cela se produit plus souvent lorsque c’est le partenaire masculin qui se retrouve au chômage.) Toutefois, alors que notre société connaît dans l’ensemble des taux de chômage élevés, on constate que les taux de séparation et de divorce stagnent, voire diminuent.

Des recherches effectuées dans 30 pays d’Europe et aux États-Unis entre 2004 et 2014 ont clairement montré que lorsque les hommes de couples hétérosexuels se retrouvent au chômage, les risques qu’ils divorcent augmentent6, 7. Des recherches réalisées aux États-Unis entre 1980 et 2005 ont pour leur part révélé que les taux de chômage selon les États étaient associés de façon négative à la séparation et au divorce (en tenant compte de plusieurs caractéristiques de chacun des États et des effets de la période)8. Ainsi, à mesure que le chômage dans les États augmentait, les taux de séparation et de divorce diminuaient.

Lors de l’étude d’une période légèrement différente (de 1976 à 2009), mais toujours aux États-Unis, Mmes Hellerstein et Sandler Morrill ont quantifié l’effet négatif du chômage sur le taux de divorce selon les États et constaté qu’une augmentation de 1 point de pourcentage du chômage était associée à une diminution du taux de divorce de 1 %9.

Des résultats similaires ont été obtenus lors de l’étude de 29 pays d’Europe entre 1991 et 2012 : une augmentation du chômage a été associée à une diminution du taux de divorce dans ces pays (en tenant compte de plusieurs variables, tant sur le plan individuel qu’à l’échelle du pays), bien que l’effet ne soit pas très important – celui-ci n’étant lié qu’à environ 1,2 % du taux de divorce moyen au cours de cette période10. Par ailleurs, dans le cadre d’une autre étude portant sur les tendances au Canada entre 1976 et 2011 chez les personnes de 25 à 64 ans, une telle association entre les taux de chômage et le divorce et la séparation n’a pas pu être établie.

Plusieurs séparations et divorces sont retardés en périodes de difficultés économiques

Ce qui de prime abord peut sembler paradoxal – à savoir la baisse des taux de divorce lors de conjonctures économiques difficiles, alors que les couples seraient soumis à un stress accru – pourrait être en partie dû au coût que représente le divorce ou aux aspects connexes à la fin d’une relation de couple.

Une étude ayant analysé l’effet du niveau de revenus sur la probabilité des divorces aux États-Unis entre 1979 et 2009 a révélé que plus les revenus augmentaient, plus le taux de divorce dans chaque État augmentait également11. Des données plus récentes concernant les États-Unis montrent que les taux de divorce au pays ont diminué pendant la Grande Récession de 2008 : au cours de la période de 2009 à 2011, les chercheurs ont estimé qu’environ 4 % des divorces qui auraient autrement été enregistrés n’ont pas eu lieu – toutefois, par la suite, les taux de divorce sont revenus à leur niveau précédent12. Cela pourrait indiquer que les divorces sont simplement reportés lors de moments difficiles financièrement, sans pour autant être évités13. Les chercheurs présument donc que les coûts associés au divorce (p. ex. : les frais de justice, le besoin d’un nouveau logement ou la perte de revenus au sein du ménage) sont trop élevés lorsque la situation économique se révèle moins favorable pour que de nombreuses personnes envisagent une séparation ou un divorce14.

Au cours de la Grande Dépression de 1929, on a également assisté à une baisse des taux de divorce (entre 1930 et 1933) et à une augmentation subséquente de ceux-ci (de 1934 jusqu’au milieu des années 1940)15, ce qui, selon le sociologue et démographe de la famille Andrew Cherlin, peut être interprété comme un simple report pour des raisons économiques16. En effet, les taux de divorce au cours d’une année donnée sont influencés par le moment auquel le divorce est envisagé; par conséquent, toute baisse des taux de divorce observée pourrait simplement indiquer un report des séparations lors de périodes plus difficiles sur le plan économique17, les individus étant confrontés à l’incertitude quant à leurs perspectives économiques et financières futures. Une étude sur les liens entre les cycles économiques et les taux de divorce aux États-Unis de 1978 à 2009 a conclu que les effets négatifs des récessions sur le divorce dans ce pays étaient effectivement temporaires plutôt que permanents18.

Les données empiriques confirment donc un lien entre l’économie et l’attitude face au divorce : lorsque l’économie stagne ou connaît un ralentissement, les taux de divorce et de séparation en font autant. C’est particulièrement le cas dans les pays où les taux de divorce étaient déjà élevés avant le ralentissement économique19. Cela peut indiquer que la perception qu’ont les gens de la situation économique influence leur décision de divorcer ou de se séparer, même s’ils ne sont pas directement touchés par ledit bouleversement économique20.

Une nouvelle recherche afin de faire la lumière sur la complexité des répercussions sur la vie de famille

Lorsqu’on lui a demandé comment se portaient les couples au Canada, M. Laplante a répondu : « Il est très difficile de le savoir… » Bien que les conflits puissent être appelés à s’intensifier, cela ne signifie pas nécessairement qu’un plus grand nombre de personnes se sépareront ou divorceront, du moins à court terme, alors que les couples au Canada ont été confrontés au même type de tensions économiques qu’aux États-Unis pendant la récession de 2008. Il insiste sur le fait qu’aux États-Unis, moins de couples se sont séparés au cours de cette période, ceux-ci étant nombreux à ne pas avoir eu les moyens de le faire, certains partageant notamment une hypothèque.

Afin de mieux comprendre le phénomène, M. Laplante travaille sur un projet qui devrait lui permettre d’évaluer si les changements dans la composition des ménages, y compris le départ d’un conjoint ou d’un partenaire, ont été plus importants après le mois de mars 2020 qu’au cours des années précédentes au Canada. Il compare son initiative à celle qui consiste à estimer la surmortalité pendant la période associée à la COVID-19 en vue d’évaluer l’ampleur de la pandémie. Ainsi, il évaluera si « un nombre plus important ou une diminution du nombre de ruptures » peut être observé au Canada au cours de la période de pandémie, comparativement aux années précédentes.

Les relations, comme celles que vivent les familles, sont diverses et complexes, et les couples ont dû s’adapter et réagir à un contexte unique et en constante évolution tout au long de l’année 2020, parfois tout en élevant des enfants. Bien qu’il soit encore trop tôt pour avoir une idée précise de l’impact global de la pandémie de COVID-19 sur les taux de séparation et de divorce au Canada, de nouvelles recherches continueront à guider ceux qui s’emploient à étudier, à servir et à soutenir les familles.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. J. Halliday Hardie et A. Lucas, « Economic Factors and Relationship Quality Among Young Couples: Comparing Cohabitation and Marriage » dans Journal of Marriage and Family, vol. 72, no 5 (2010), p. 1141-1154.
  2. C. Le Bourdais (17 juin 2020). Communication personnelle [courriel].
  3. Statistique Canada, « Histoire de famille : les couples vivant chacun chez soi » dans Infographies, no 11-627-M au catalogue de Statistique Canada. Lien : https://bit.ly/2GJDIl1
  4. B. Laplante (26 mai 2020). Entretien individuel [entretien individuel]. Révisé dans un souci de clarté.
  5. Statistique Canada, « Enquête sur la population active, mai 2020 » dans Le Quotidien (5 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2I0RL6D
  6. P. Gonalons-Pons et M. Gangl, Why Does Unemployment Lead to Divorce? Male-Breadwinner Norms and Divorce Risk in 30 Countries (CORRODE Working Paper #6) [Frankfurt: Goethe University, 2018]. Lien : https://bit.ly/2F2QE5f (PDF)
  7. H. Ariizumi, Y. Hu et T. Schirle, « Stand Together or Alone? Family Structure and the Business Cycle in Canada » dans Review of Economics of the Household, vol. 13, no 3 (2015), p. 135-161.
  8. P. Amato et B. Beattie, « Does the Unemployment Rate Affect the Divorce Rate? An Analysis of State Data 1960–2005 » dans Social Science Research, vol. 40, no 3 (2011), p. 705-715.
  9. J. K. Hellerstein et M. Sandler Morrill, « Booms, Busts, and Divorce » dans The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, vol. 11, no 1 (2011).
  10. R. González-Val and M. Marcén, « Divorce and the Business Cycle: A Cross-Country Analysis » dans Review of Economics of the Household, vol. 15, no 3 (2017), p. 879-904.
  11. A. Chowdhury, « ’Til Recession Do Us Part’: Booms, Busts and Divorce in the United States » dans Applied Economics Letters, vol. 20, no 3 (2013), p. 255–261.
  12. P. N. Cohen, « Recession and Divorce in the United States, 2008–2011 » dans Population Research and Policy Review, vol. 33, no 5 (2014).
  13. B. Ambrosino, « Recent U.S. Divorce Rate Trend Has ‘Faint Echo’ of Depression-Era Pattern », Johns Hopkins University (2014). Lien : https://bit.ly/2Pgln0h
  14. Amato et Beattie, « Does the Unemployment Rate Affect the Divorce Rate? An Analysis of State Data 1960–2005 ».
  15. R. Schoen et V. Canudas-Romo, « Timing Effects on Divorce: 20th Century Experience in the United States » dans Journal of Marriage and Family, vol. 68, no 3 (2006), p. 749-758.
  16. Ambrosino, « Recent U.S. Divorce Rate Trend Has ‘Faint Echo’ of Depression-Era Pattern ».
  17. Schoen et Canudas-Romo, « Timing Effects on Divorce: 20th Century Experience in the United States ».
  18. J. Schaller, « For Richer, If Not for Poorer? Marriage and Divorce Over the Business Cycle » dans Journal of Population Economics, vol. 26, no 3 (2013), p. 1007-1033.
  19. González-Val and Marcén, « Divorce and the Business Cycle: A Cross-Country Analysis ».
  20. T. Fischer et A. C. Liefbroer, « For Richer, for Poorer: The Impact of Macroeconomic Conditions on Union Dissolution Rates in the Netherlands 1972–1996 » dans European Sociological Review, vol. 22, no 5 (2006), p. 519-532. Lien : https://bit.ly/36Dai2U

 

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Le bien-être des jeunes au Canada

Edward Ng, Ph. D., et Nadine Badets

27 août 2020

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Le printemps et l’été 2020 ont été une période unique pour les enfants et les adolescents au Canada. Les familles partout au pays ont adapté leurs habitudes, leurs plans et leurs activités pour respecter la distanciation physique et autres mesures de santé publique mises en place pour prévenir la propagation de la COVID-19. Après la fermeture des écoles au printemps, près de cinq millions d’élèves se sont retrouvés en ligne plutôt qu’en classe, sans pouvoir côtoyer leurs camarades et leurs amis; en famille, ils ont apprivoisé la situation évolutive1.

Si les études montrent que la plupart des jeunes respectent les mesures de santé publique et font preuve de résilience, ils sont nombreux à trouver ces bouleversements ardus. Un sondage mené par UNICEF Canada auprès des jeunes révèle les éléments les plus difficiles pour eux : l’impossibilité de sortir de la maison, d’aller à l’école et de passer du temps avec leurs amis2. Ces activités sont importantes pour le bien-être des enfants et des adolescents. Les recherches soulignent en effet le caractère essentiel des interactions sociales pour le développement des jeunes, l’influence positive des pairs étant déterminante dans la réussite scolaire et le succès à l’âge adulte3.

Les jeunes s’inquiètent davantage que les membres de leur famille contractent la COVID-19 que de la contracter eux-mêmes

Les jeunes se sont pour la plupart isolés à la maison, mais certains membres de leur famille immédiate ont continué à se rendre au travail, risquant ainsi de contracter la maladie et de la transmettre.

Dans le sondage sur les impacts sociaux de la COVID-19 mené auprès des jeunes à la mi-mai par l’Association d’études canadiennes, en partenariat avec Expériences Canada et l’Institut Vanier de la famille, près de 4 adolescents de 12 à 17 ans interrogés sur 10 (39 %) ont dit être inquiets de contracter la maladie4, comparativement à plus de la moitié (56 %) des répondants adultes questionnés au début du mois de mai5. Cet écart peut s’expliquer en partie par la perception actuelle d’un plus faible risque de complications de la COVID-19 chez les groupes plus jeunes. En outre, les mêmes ensembles de données du sondage révèlent une plus grande peur des jeunes et des adultes (71 % et 67 %, respectivement) qu’un membre de leur famille immédiate contracte le virus.

De l’ennui, mais du bonheur aussi pour la plupart des jeunes dans le contexte des mesures de santé publique et de la distanciation physique

Dans le même sondage, plus de 80 % des répondants ont signalé qu’ils s’ennuyaient, mais, fait intéressant, une proportion semblable a aussi exprimé être heureuse (89 % des 12 à 14 ans et 84 % des 15 à 17 ans)6. Ces émotions peuvent être en partie causées par les changements d’emploi du temps occasionnés par la fermeture des écoles. Près de 7 jeunes sur 10 ont répondu qu’ils se détendaient plus qu’avant la pandémie : parmi les activités habituelles, ceux-ci disaient visionner des vidéos, des films et des émissions télévisées, ou écouter des balados (78 %), passer du temps sur les médias sociaux (63 %), écouter de la musique (59 %) et jouer à des jeux électroniques (51 %). Les jeunes qui ont déclaré s’ennuyer ou être heureux pendant la pandémie étaient plus susceptibles de répondre qu’ils avaient passé plus de temps à regarder des vidéos, des films ou des émissions télévisées pendant la pandémie qu’avant celle-ci (79 % et 81 %, respectivement).

Bien que la technologie puisse avoir pris plus de place dans la vie de quantité de personnes, elle ne constitue pas la seule façon de s’occuper des jeunes. Près de la moitié (45 %) des participants au sondage ont mentionné qu’ils contribuaient davantage qu’avant aux tâches ménagères, et plus du tiers s’adonne plus à l’art ou au bricolage (36 %), ou font plus de casse-têtes (35 %) qu’avant la pandémie7.

Par ailleurs, même avant la crise sanitaire, les parents exprimaient déjà leurs inquiétudes en lien avec l’obsession des jeunes envers la technologie8, 9. Pendant le confinement, quelque 64 % des parents ayant répondu à une enquête de production participative (crowdsourcing) menée par Statistique Canada étaient inquiets de la quantité de temps passé devant les écrans par leurs enfants10. Toutefois, selon l’UNICEF, les études les plus fiables soutiennent que l’utilisation modérée de la technologie numérique tend à être positive pour le bien-être mental des enfants et des adolescents; à l’inverse, l’utilisation excessive ou l’absence d’utilisation peut avoir un léger effet négatif11. Quant à Internet et à la technologie numérique, bien qu’ils procurent aide et sens d’inclusion, ils présentent aussi un risque de cyberintimidation, peuvent influer sur la santé mentale et aggraver des troubles du sommeil12.

Plus du tiers des jeunes sondés estiment leur santé mentale affectée

Avant la COVID-19, les faits étaient connus : les taux de maladies mentales et de mauvaise santé mentale étaient plus élevés chez les jeunes que chez les groupes plus âgés au Canada. Par exemple, le taux de dépression des 15 à 24 ans surpassait celui de tout autre groupe d’âge13. Une étude récente des données de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes montre une baisse de 6 % des jeunes de 12 à 17 ans signalant une excellente ou une très bonne santé mentale de 2015 à 2019 (78 % et 73 %, respectivement)14. Qui plus est, en 2018, le suicide était la cause première de décès chez les garçons de 15 à 19 ans, et la deuxième chez les jeunes filles du même groupe d’âge au Canada15.

À la mi-mai, plus du tiers (37 %) des répondants au sondage sur les jeunes ont indiqué avoir ressenti des effets négatifs sur leur santé mentale16. Comparativement à des participants de 18 ans et plus interrogés au début du mois de mai17, les 12 à 17 ans ont exprimé davantage de tristesse (57 % contre 45 %, respectivement) et d’irritabilité (65 % et 39 %) que les adultes. Ils ont aussi signalé plus de troubles de sommeil (50 % contre 35 %).

Un autre sondage mené du 10 au 14 avril 2020 auprès d’adolescents et de jeunes adultes de 14 à 27 ans pour le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) a aussi noté un déclin sur le plan de la santé mentale au début de la pandémie, autant chez les jeunes souffrant de problèmes de santé mentale préexistants que chez ceux qui n’en vivaient pas18.

Un effet immédiat des répercussions de la pandémie sur la santé mentale est la hausse de la demande de services de soutien pour les jeunes dans ce domaine. Jeunesse, J’écoute, un service téléphonique national 24 h/24, 7 j/7 de soutien et d’aide en situation de crise pour les enfants et les adolescents, a reçu près de 2 000 appels et textos par jour19 à la mi-mars 2020, soit deux fois plus que l’année précédente. Le nombre d’appels liés à des crises a aussi augmenté, ce qui s’est traduit par davantage d’interventions des services d’urgence qu’à l’habitude, l’organisme effectuant chaque jour 8 à 10 appels à ces services depuis le début de la pandémie.

Passer plus de temps de qualité en famille, mais s’ennuyer de ses amis

Le transfert du travail et de l’école à la maison, de même que les changements d’habitudes et d’horaires, a offert aux familles plus d’occasions de tisser des liens. Les données du sondage de la mi-mai mené auprès des jeunes le confirment : les deux tiers (67 %) des répondants affirment avoir tenu des conversations plus significatives en famille pendant la pandémie qu’avant20. En comparaison, seulement 50 % des adultes sondés au début du même mois ont indiqué avoir entretenu des échanges plus enrichissants avec leur conjoint ou partenaire.

Sur le plan familial, près du quart (24 %) des parents ont répondu qu’ils avaient passé plus de temps avec leurs enfants pendant le confinement21. La grande majorité des répondants, jeunes comme adultes (74 % et 81 %, respectivement), ont indiqué que les membres de leur famille s’aidaient les uns les autres. Par contre, quelque 43 % des jeunes ont signalé qu’ils se querellaient davantage avec eux, et seulement 19 % des adultes ont affirmé qu’ils se disputaient davantage avec leur conjoint ou partenaire.

En revanche, les jeunes ressentent une grande perte de liens avec leurs amis. Environ 70 % d’entre eux ont affirmé s’être confinés durant la pandémie, sauf pour combler des besoins essentiels. Seuls 24 % ont mentionné avoir visité des amis ou des membres de leur famille pendant la semaine précédant le sondage22.

Selon l’Angus Reid Institute, les jeunes ont affirmé que le pire du confinement à la maison était de s’ennuyer de leurs amis (54 %)23. Plus de la moitié (53 %) d’entre eux ont mentionné que l’isolement dû à la COVID-19 avait eu des effets négatifs sur leurs relations avec leurs amis24. L’enquête de production participative menée par Statistique Canada fournit aussi le point de vue des parents. Près des trois quarts (71 %) des participants étaient inquiets du manque de contacts de leurs enfants avec leurs amis, et 54 % d’entre eux se faisaient du souci au sujet de l’isolement social de leurs enfants25.

L’apprentissage à distance pendant la pandémie de COVID-19 : une leçon difficile?

La gestion de l’école virtuelle à la maison s’est avérée un défi pour de nombreuses familles et quantité d’enseignants partout au Canada. On a décrit cet apprentissage en ligne imposé par la pandémie comme la plus importante expérience d’apprentissage à distance de l’histoire26. À la suite de la fermeture soudaine des écoles, les enseignants ont dû adapter leur façon d’enseigner avec peu de formation et de ressources.

Plus de la moitié (51 %) des jeunes ont affirmé que la pandémie a eu un effet très négatif sur leur année ou leur réussite scolaire27. Seulement 27 % ont répondu qu’ils sont entièrement d’accord et 43 %, partiellement d’accord, avec l’énoncé indiquant qu’ils accomplissent bien leurs travaux scolaires à la maison.

Environ 41 % des 12 à 17 ans ont confié que l’école leur manquait « beaucoup » et 31 %, « un peu ». Parmi les nombreux défis de l’apprentissage à distance, citons la perte de contacts avec les amis, l’école et les ressources scolaires, le manque de motivation, la gestion du temps et l’organisation en ligne28. Bien que 75 % des jeunes soutiennent qu’ils ont gardé le cap sur leurs études pendant le confinement, quantité d’autres se sentaient démotivés (60 %) et n’aimaient pas la façon de faire (57 %) (p. ex., l’apprentissage en ligne et les classes virtuelles)29.

L’apprentissage à distance nécessite un accès à Internet, et si l’Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet de 2018 a révélé que 94 % des Canadiens disposaient d’un tel accès à domicile, il existe néanmoins des inégalités dans la capacité des élèves à participer activement à l’éducation en ligne. Quelques raisons invoquées par ceux qui n’avaient pas accès à Internet : le caractère abordable du service (28 %), l’équipement (19 %) et la non-disponibilité du service (8 %)30.

Bien qu’environ 8 jeunes sur 10 ont déclaré avoir toujours assez d’argent pour subvenir à leurs besoins essentiels, comme l’alimentation, les vêtements, les soins de santé et le logement31, répondre aux besoins fondamentaux et accéder à un endroit confortable pour étudier pendant la pandémie peut être encore plus difficile pour les jeunes et les familles à faible revenu ou qui viennent de perdre leur emploi et leur revenu. En outre, les fermetures d’écoles peuvent avoir des répercussions sur la sécurité alimentaire, car certains programmes de repas scolaires ont été conçus pour atténuer l’insécurité alimentaire des élèves issus de familles à faible revenu32.

Le suivi à long terme des effets de la COVID-19 est important pour le bien-être des jeunes

Sans école, sans activités parascolaires, sans autres occasions de voir leurs pairs, les jeunes perdent un temps précieux pour socialiser avec leurs amis, leurs camarades de classe, leurs enseignants, leurs entraîneurs et d’autres professionnels, alors que toutes ces relations pourraient être fondamentales pour leur parcours scolaire et le développement de leur personnalité. Bien que les médias sociaux, les textos, les appels téléphoniques et autres technologies de communication ont certainement permis d’atténuer quelque peu ce manque de contacts, la santé mentale des jeunes au Canada a été grandement affectée pendant la pandémie.

Des études antérieures sur les répercussions des interruptions scolaires, comme les grèves d’enseignants et les fermetures d’écoles pendant la pandémie de polio de 1916, ont cerné les effets négatifs à court et à long termes sur le développement scolaire et l’acquisition de connaissances33, 34, 35. Une étude récente concernant les répercussions potentielles de la pandémie sur l’éducation des jeunes au Canada a souligné que les effets négatifs pourraient accroître l’écart en termes de compétences socioéconomiques de 30 %, rien de moins36. Pendant que les autorités provinciales et les conseils scolaires étudient la manière de procéder pour rouvrir les écoles de manière sûre afin de limiter la propagation de la COVID-1937, il sera important de faire preuve d’innovation pour adapter notre système d’éducation et ainsi éviter ou atténuer les écarts en matière de rendement scolaire, dès aujourd’hui et dans les années à venir.

Edward Ng, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Erin Duffin, « Enrollment in Public Elementary and Secondary Schools in Canada in 2017/18, by Province » dans Statista (29 octobre 2019). Lien : https://bit.ly/311SjPn
  2. UNICEF Canada, U-Report Canada: Impacts of the COVID-19 Pandemic on Young People in Canada – Poll 2: Examining the Issues (mai 2020). Lien : https://bit.ly/2YuMCcr (PDF)
  3. Shqiponja Telhaj, « Do Social Interactions in the Classroom Improve Academic Attainment? » dans IZA World of Labor (juin 2018). Lien : https://bit.ly/3hPqGzR
  4. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne (21 mai 2020). Lien : https://bit.ly/31oB8sA (PDF). Le Réseau COVID-19 sur les impacts sociaux de l’Association d’études canadiennes, en partenariat avec Expériences Canada et l’Institut Vanier de la famille, a mené un sondage Web national sur la COVID-19 auprès de la population des 12 à 17 ans au Canada du 29 avril au 5 mai 2020. Au total, 1 191 réponses ont été reçues, et la marge d’erreur probabiliste était de ±3 %.
  5. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 1er au 3 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 526 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  6. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  7. Ibidem
  8. Monica Anderson et Jingjing Jiang, « Teens, Social Media & Technology 2018 » dans Pew Research Center (31 mai 2018). Lien : https://pewrsr.ch/30aWglE (PDF)
  9. Wesley Sanders, et autres. « Parental Perceptions of Technology and Technology-Focused Parenting: Associations with Youth Screen Time » dans Journal of Applied Developmental Psychology (mai-juin 2016). Lien : https://bit.ly/30gsCeV
  10. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur les familles et les enfants canadiens » dans Le Quotidien (9 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/3liSn6u
  11. Daniel Kardefelt-Winther, How Does the Time Children Spend Using Digital Technology Impact Their Mental Well-Being, Social Relationships and Physical Activity? An Evidence-Focused Literature Review, UNICEF (décembre 2017). Lien : https://bit.ly/33b3TKQ (PDF)
  12. OCDE, « Children & Young People’s Mental Health in the Digital Age » (2018). Lien : https://bit.ly/3jXBFcg (PDF)
  13. Leanne Findley, « Dépression et idéation suicidaire chez les Canadiens de 15 à 24 ans » dans Rapports sur la santé, no 82-003-X au catalogue de Statistique Canada, vol. 28, no 1, 3-11 (18 janvier 2017). Lien : https://bit.ly/3hre1mN
  14. Statistique Canada, « Comprendre l’état de santé mentale perçu des Canadiens avant la pandémie de COVID-19 » dans Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, 2019 (6 août 2020). Lien : https://bit.ly/3hmrWdX
  15. Statistique Canada, « Les principales causes de décès, population totale, selon le groupe d’âge », tableau 13-10-0394-01 (consulté le 13 août 2020). Lien : https://bit.ly/2QphM0l
  16. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  17. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 1er au 3 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 526 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  18. Robert Cribb, « Youth Mental Health Deteriorating Under Pandemic Stresses, New CAMH Study Reveals » dans The Star (28 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3ikLMaf
  19. Jeff Semple, « Kids Help Phone Calls for Back Up Amid Record Demand – and Canadians Respond » dans Global News (28 juin 2020). Lien : https://bit.ly/3gbeDMr
  20. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  21. Ibidem
  22. Ibidem
  23. Angus Reid Institute, Kids & COVID-19: Canadian Children Are Done with School from Home, Fear Falling Behind, and Miss Their Friends (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3kVRReK
  24. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  25. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur les familles et les enfants canadiens » dans Le Quotidien (9 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/3liSn6u
  26. Paul W. Bennett, « This Grand Distance-Learning Experiment’s Lessons Go Well Beyond What the Students Are Learning » dans CBC News (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/33bNEgo
  27. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  28. UNICEF Canada, U-Report Canada: Impacts of the COVID-19 Pandemic on Young People in Canada – Poll 2: Examining the Issues (mai 2020). Lien : https://bit.ly/2YuMCcr (PDF)
  29. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  30. Statistique Canada, « Enquête canadienne sur l’utilisation de l’Internet » dans Le Quotidien (29 octobre 2019). Lien : https://bit.ly/2EtokZ4
  31. Association d’études canadiennes, Les impacts de la COVID-19 sur la jeunesse canadienne.
  32. Canadian Medical Association Journal, « Indirect Adverse Effects of COVID-19 on Children and Youth’s Mental, Physical Health » dans EurekAlert (25 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2BWMvOr
  33. Michael Baker, « Industrial Actions in Schools: Strikes and Student Achievement » dans Canadian Journal of Economics (mars 2011). Lien : https://bit.ly/3gaona6
  34. Michèle Belot et Dinand Webbink, « Do Teacher Strikes Harm Educational Attainment of Students? » dans Labour Economics, vol. 24, no 4, p. 391-406 (2010). Lien : https://bit.ly/3aYuJI3
  35. Keith Meyers et Melissa A. Thomasson, « Paralyzed by Panic: Measuring the Effect of School Closures During the 1916 Polio Pandemic on Educational Attainment » dans NBER Working Paper Series 23890 (septembre 2017). Lien : https://bit.ly/3hSzswU (PDF)
  36. Catherine Haeck et Pierre Lefebvre, « Pandemic School Closures May Increase Inequality in Test Scores » dans Série de cahiers de recherche du Groupe de recherche sur le capital humain (juin 2020). Lien : https://bit.ly/30elgbN (PDF)
  37. Carly Weeks, « Rising Rates of COVID-19 in Children, Adolescents Spark Concerns About Back to School Plans » dans The Globe and Mail (23 juin 2020). Lien : https://tgam.ca/3hTmFuk

 

L’IMPACT DE LA COVID-19 : Les familles et le logement au Canada

Nadine Badets, Gaby Novoa et Nathan Battams

21 juillet 2020

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La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions sur les familles et la vie de famille partout au Canada, et les mesures de confinement économique et de distanciation physique ont eu une incidence sur le paysage socioéconomique, culturel et contextuel qui teinte le bien-être des familles. Le logement n’y fait pas exception : les acheteurs potentiels voient le secteur immobilier ralenti par l’incertitude, et les mesures de distanciation physique ne sont pas facilement applicables pour de nombreuses familles vivant dans des logements surpeuplés ou inadaptés.

Le confinement dû à la COVID-19 a considérablement ralenti le marché immobilier au Canada

Dans la plupart des grandes villes du Canada (16 sur 27), le prix des logements neufs n’a pratiquement pas changé en avril 2020. Cependant, les ventes de maisons neuves et la revente de maisons moins récentes partout au Canada ont diminué considérablement au plus fort de la pandémie. Les constructeurs interrogés par Statistique Canada en avril 2020 ont déclaré avoir observé une baisse de près des deux tiers (64 %) des ventes de maisons neuves par rapport au même mois en 2019. L’Association canadienne de l’immeuble a signalé une diminution de 58 % des reventes de maisons en avril entre 2020 et 20191.

Compte tenu de la fermeture des économies et des pertes d’emplois importantes, les provinces et les territoires ont imposé des interdictions d’expulsion et des suspensions de paiement pour soutenir les locataires. La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) a également exhorté tous les propriétaires, y compris ceux qui bénéficient d’une assurance ou d’un financement de la SCHL, à s’abstenir d’expulser les locataires pendant la pandémie de COVID-192. Cependant, au fur et à mesure que les restrictions liées à la pandémie seront levées, de nombreuses personnes et familles au Canada pourraient être confrontées à une expulsion et/ou être tenues de rembourser des sommes importantes en raison d’un loyer impayé.

La demande dans les refuges pour sans-abri a augmenté considérablement pendant le confinement

Avant la pandémie de COVID-19, les problèmes d’accessibilité et d’abordabilité du logement étaient inégalement et excessivement répandus parmi certains groupes au Canada, notamment chez les nouveaux arrivants et les réfugiés, les groupes racialisés, les personnes LGBTQ2S, les personnes âgées, les Autochtones et les personnes handicapées ou souffrant de problèmes de santé mentale3.

L’itinérance4 est particulièrement préoccupante pendant la pandémie, car elle expose les gens à des conditions de vie dangereuses qui peuvent présenter des conséquences graves pour la santé physique et mentale, en plus de rendre difficile le respect des nouvelles ordonnances de santé publique telles que la distanciation physique.

Qu’elles déménagent de domicile en domicile (ce que l’on qualifie souvent de « sans-abri cachés »), passent du temps dans des refuges5, vivent selon des modalités provisoires ou dorment à divers endroits, ou encore qu’elles conjuguent une combinaison de ces options, les personnes en situation d’itinérance se trouvent souvent à proximité de plusieurs autres personnes et n’ont pratiquement pas accès aux ressources nécessaires pour appliquer les pratiques d’hygiène recommandées6.

En 2014, on estimait que le Canada comptait au moins 235 000 sans-abri au cours d’une année donnée, et environ 35 000 au cours d’une nuit donnée. En général, les individus passent en moyenne 10 jours dans des refuges, et les familles y passent le double de ce temps7. Tout au long de la pandémie de COVID-19, les refuges situés dans les villes canadiennes ont signalé leur utilisation accrue par la clientèle habituelle et de nouveaux bénéficiaires8. Cependant, en raison des restrictions relatives à la distanciation physique, les refuges ont dû réduire considérablement le nombre de lits et de places qu’ils offrent, ce qui a privé beaucoup de gens d’un endroit où loger9, 10.

L’augmentation du nombre de signalements de violence familiale11, de maltraitance12 et de problèmes de santé mentale13 a également laissé de nombreuses personnes et familles sans logement. Plusieurs refuges ont augmenté le soutien aux sans-abri en créant des places dans des centres communautaires, des hôtels et des logements permanents, mais ils n’ont pas la capacité financière de répondre à la demande accrue pour des services d’hébergement14, 15.

Les problèmes de logement dans les collectivités des Premières Nations et des Inuits sont associés à l’augmentation du risque lié à la COVID-19

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, les dirigeants et les peuples autochtones ont attiré l’attention sur la dévastation continue causée par la tuberculose chez les Premières Nations, les Inuits et les différentes collectivités, rappelant au Canada que la COVID-19 n’est pas la seule pandémie à laquelle ils sont confrontés16, 17.

En 2017, le taux associé à la tuberculose chez les Inuits était de 205,8 cas pour 100 000 habitants, et il était de 21,7 cas pour 100 000 habitants au sein des Premières Nations (dans les réserves). La tuberculose était également répandue chez les immigrants, avec un taux de 14,7 pour 100 000 habitants chez les personnes nées à l’extérieur du Canada, alors que pour les personnes non autochtones nées au Canada, ce taux était de 0,5 pour 100 000 habitants18. Au 19 avril 2020, la seule région inuite à avoir signalé des cas de COVID-19 était le Nunavik, avec 14 cas (5 guéris et 9 actifs)19. Chez les Premières Nations, les données recueillies auprès des différentes collectivités montrent qu’au 10 mai 2020, on dénombrait 465 cas de COVID-19 et 7 décès20.

En 2016, les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat21 (la patrie des Inuits) étaient plus susceptibles de vivre dans des ménages surpeuplés22 (52 %) et dans des maisons nécessitant des réparations majeures23 (32 %)24. Le logement inadapté est également répandu chez certaines Premières Nations, où des problèmes tels que le surpeuplement des ménages (27 %)25, 26 et les maisons nécessitant des réparations majeures (24 %)27 sont beaucoup plus fréquents que chez les non-Autochtones au Canada (9 % et 6 %)28.

Le surpeuplement des ménages aggrave le risque de contracter des maladies respiratoires infectieuses comme la tuberculose et la COVID-19, cette dernière étant considérée comme encore plus contagieuse que la tuberculose29. Les conditions de logements insalubres ont été directement associées à la qualité de la santé et du bien-être, et des études montrent un risque accru de propagation des maladies infectieuses et respiratoires, de maladies chroniques, de blessures, de malnutrition, de violence et de troubles mentaux30. Le surpeuplement des ménages complique aussi – et exclut peut-être – la distanciation physique et l’isolement des personnes malades au sein d’un ménage. Les maisons nécessitant des réparations majeures peuvent poser divers risques pour la santé. En particulier, l’accès insuffisant aux infrastructures d’approvisionnement en eau chez certaines Premières Nations engendre des risques supplémentaires d’infection et de transmission.

Les ménages multigénérationnels se heurtent à davantage d’obstacles à la distanciation physique

Les ménages multigénérationnels constituent un atout important pour de nombreuses familles au Canada, car ils peuvent faciliter les soins et le soutien entre les générations, permettre à certains parents d’économiser sur les services de garde, en plus de faciliter l’apprentissage intergénérationnel31. Entre 2001 et 2016, les ménages multigénérationnels ont connu la croissance la plus rapide au Canada, soit une augmentation de 38 % pour atteindre près de 404 000 foyers32.

Ces types de ménages peuvent être confrontés à des obstacles particuliers à la distanciation sociale, étant donné que les personnes âgées vivant au sein du foyer sont considérées comme faisant partie des populations les plus vulnérables au virus33.

En 2016, 11 % des immigrants vivaient dans des ménages multigénérationnels34, tout comme 5 % des non-immigrants35. Les enfants autochtones de 0 à 14 ans étaient plus susceptibles de vivre au sein de ménages multigénérationnels36 que les enfants non autochtones (8 %), avec 13 % des enfants des Premières Nations, 13 % des enfants inuits et 7 % des enfants métis37.

Le développement durable est intimement lié au logement

La pandémie de COVID-19 a touché de nombreux aspects du logement au Canada et intensifié les inégalités préexistantes chez les communautés marginalisées du pays. Comme le Canada s’est engagé à mettre en œuvre les objectifs de développement durable des Nations Unies – lesquels portent sur des facteurs comme la pauvreté (ODD 1), la santé et le bien-être (ODD 3) et la réduction des inégalités (ODD 10) –, le logement sera un élément important des réponses et des discussions stratégiques sur ce sujet, ce qui revêt une importance particulière dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Gaby Novoa est responsable des communications à l’Institut Vanier de la famille.

Nathan Battams est directeur des communications à l’Institut Vanier de la famille.

 


Notes

  1. Statistique Canada, « Indice des prix des logements neufs, avril 2020 » dans Le Quotidien (21 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2Cw1Tlo
  2. Société canadienne d’hypothèques et de logement, « COVID-19 : Expulsions – Interdictions et interruptions pour soutenir les locataires » (25 mars 2020). Lien : https://bit.ly/3jetOH6
  3. Homeless Hub, « Communautés racialisées » (s.d.). Lien : https://bit.ly/3fLQjkB
  4. On peut décrire l’itinérance comme étant de très courte durée (être sans logement pendant une nuit ou plus), épisodique (entrer et sortir de l’itinérance) ou chronique (de longue durée). Pour plus d’information, consultez le site Web de Homeless Hub. Lien : https://bit.ly/2OK81Jo
  5. Les refuges comprennent les refuges d’urgence pour sans-abri, les refuges pour femmes victimes de violence et les logements institutionnels temporaires. Pour plus d’information, consultez le site Web de Homeless Hub. Lien : https://bit.ly/32HhzwO
  6. Jennifer Ferreira, « The Toll COVID-19 Is Taking on Canada’s Homeless » dans CTV News (22 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2N7AcB8
  7. Stephen Gaetz, Erin Dej, Tim Richter et Melanie Redman, « L’état de l’itinérance au Canada 2016 » dans Observatoire canadien sur l’itinérance, Alliance canadienne pour mettre fin à l’itinérance (2016). Lien : https://bit.ly/3fYiL2s (PDF)
  8. Ferreira, « The Toll COVID-19 Is Taking on Canada’s Homeless ».
  9. Nicole Mortillaro, « It’s Heartbreaking: Homeless During Pandemic Left Out in the Cold – Figuratively and Literally » dans CBC News (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2NcOQao
  10. Matthew Bingley, « Coronavirus: Toronto Officials Call for Provincial Pandemic Plan for Shelters to Avoid “Mass Outbreaks” » dans Global News (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3dhnWII
  11. Cec Haire, « Increase in Domestic Violence Calls Persists Throughout Pandemic, Says Non-Profit » dans CBC News (2 juillet 2020). Lien : https://bit.ly/32eJp3p
  12. Santé publique Ontario, « Examen rapide : Mesures communautaires de santé publique en situation de pandémie (dont la COVID-19) : répercussions négatives sur les enfants et les familles » (2020). Lien : https://bit.ly/3jki8Tl (PDF)
  13. Aisha Malik, « CAMH Expands Virtual Mental Health Services Amid COVID-19 Pandemic » dans MobileSyrup (4 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3gVt73i
  14. Mortillaro, « “It’s Heartbreaking”: Homeless During Pandemic Left Out in the Cold – Figuratively and Literally. »
  15. Ferreira, « The Toll COVID-19 Is Taking on Canada’s Homeless ».
  16. Olivia Stefanovich, « COVID-19 Shouldn’t Overshadow Ongoing Fight Against TB, Inuit Leaders Say » dans CBC News (12 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3doVTr3
  17. John Borrows et Constance MacIntosh, « Indigenous Communities Are Vulnerable in Times of Pandemic. We Must Not Ignore Them » dans The Globe and Mail (mis à jour le 21 mars 2020). Lien : https://tgam.ca/2YYhTDY
  18. M. LaFreniere et autres, « La tuberculose au Canada, 2017 » dans Relevé des maladies transmissibles au Canada (7 février 2019). Lien : https://bit.ly/3fFFWP3
  19. Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, « COVID-19 : 14e CAS CONFIRMÉ AU NUNAVIK », communiqué (19 avril 2020). Lien : https://bit.ly/32qU5vH (PDF)
  20. Courtney Skye, « Colonialism of the Curve: Indigenous Communities and Bad Covid Data », Yellowhead Institute (12 mai 2020). Lien : https://bit.ly/37W5kgi
  21. L’Inuit Nunangat est composé de quatre régions inuites : le Nunatsiavut (nord du Labrador), le Nunavik (nord du Québec), le Nunavut et la région désignée des Inuvialuit (nord des Territoires du Nord-Ouest). Inuit Tapiriit Kanatami, « Inuit Nunangat Map » (mis à jour le 4 avril 2019). Lien : https://bit.ly/2WgN4de
  22. Statistique Canada (Recensement de la population, 2016). « Personnes par pièce » est un indicateur du niveau de surpeuplement dans un logement privé. On l’obtient en divisant le nombre de personnes dans le ménage par le nombre de pièces se trouvant dans le logement et les logements comptant plus d’une personne par pièce sont considérées comme surpeuplés. Dans Dictionnaire, Recensement de la population, 2016 (3 mai 2017). Lien : https://bit.ly/2ZC1hmN
  23. Les réparations majeures, telles que définies par Statistique Canada (Recensement de la population, 2016), comprennent une plomberie ou une installation électrique défectueuse, et les logements qui ont besoin de réparations structurelles aux murs, aux sols ou aux plafonds. « État du logement » dans Dictionnaire, Recensement de la population, 2016 (3 mai 2017). Lien : https://bit.ly/2ZCxB9d
  24. Thomas Anderson, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada » dans Recensement en bref (25 octobre 2017). Lien : https://bit.ly/3eEolpe
  25. Ibidem
  26. Statistique Canada, « Logement » dans Un aperçu des statistiques sur les Autochtones : 2e édition (24 décembre 2015). Lien : https://bit.ly/3fEQ5eO
  27. Anderson, « Les conditions de logement des peuples autochtones au Canada ».
  28. Institut Vanier de la famille, « Les familles autochtones au Canada » dans Faits et chiffres (13 juin 2018).
  29. Olivia Stefanovich, « COVID-19 Shouldn’t Overshadow Ongoing Fight Against TB, Inuit Leaders Say ».
  30. Centre de collaboration nationale de la santé autochtone, « Le logement : un déterminant social de la santé des Premières Nations, des Inuits et des Métis » (2017). Lien : https://bit.ly/30lIwn2 (PDF)
  31. Asfia Yassir, « Having Grandparents at Home Is a Blessing » dans South Asian Post (4 mars 2018). Lien : https://bit.ly/2WhlrR5
  32. Institut Vanier de la famille, « Les données du Recensement de 2016 mettent en relief la diversité familiale au Canada » (25 octobre 2017).
  33. Caroline Alphonso et Xiao Xu, « Multigenerational Households Face Unique Challenges in Battling Spread of Coronavirus » dans The Globe and Mail (mis à jour le 21 mars 2020). Lien : https://tgam.ca/2O9ss24
  34. Définis par Statistique Canada (Recensement de la population de 2016) comme les ménages où au moins une personne vit avec un enfant et un petit-enfant.
  35. Statistique Canada, « Catégorie d’admission et type de demandeur (47), statut d’immigrant et période d’immigration (11B), âge (7A), sexe (3) et certaines caractéristiques démographiques, culturelles, de la population active et de la scolarité (825) pour la population dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires et régions métropolitaines de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) », tableaux de données, Recensement de 2016 (mis à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/3fP0tko
  36. Définis comme vivant dans un ménage avec au moins un parent et un grand-parent.
  37. Statistique Canada, « Caractéristiques de la famille des enfants, incluant la présence de grands-parents (10), identité autochtone (9), statut d’Indien inscrit ou des traités (3), âge (4B) et sexe (3) pour la population âgée de 0 à 14 ans dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) », tableaux de données, Recensement de 2016 (mis à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/39e0VGr

 

Incertitude et report : Les conséquences de la pandémie sur la fécondité au Canada

Ana Fostik, Ph. D.

30 juin 2020

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Au cours des premières semaines suivant l’adoption des mesures de santé publique et le début du confinement en réponse à la pandémie de COVID-19, la vie sociale de millions d’adultes a été soudainement interrompue, et plusieurs se sont vus contraints de passer toutes leurs journées à la maison. Certaines personnes se sont donc interrogées sur la possibilité que l’on assiste à une hausse des naissances neuf mois plus tard. Pourrait-il y avoir une génération « coroniale », un baby-boom dû au fait que les couples passent plus de temps ensemble1?

Bien que de nombreux couples se soient côtoyés davantage, ceux-ci ont également été confrontés à une multitude de défis et à des transitions difficiles – une réalité inédite pour les générations actuelles : le système de santé a été fortement touché par la pandémie, les enfants ont soudainement dû quitter leur milieu de garde ou leur école et ont eu besoin d’un enseignement à domicile, certains adultes ont dû se tourner vers le télétravail tout en s’occupant des jeunes enfants du ménage, et beaucoup d’autres ont rencontré des difficultés financières, certains ayant perdu leur emploi ou dû réduire leurs heures de travail et faire face à une baisse de revenus.

En effet, des millions de travailleurs ont perdu leur emploi ou vu leurs heures de travail diminuer en raison des mesures de confinement instaurées, et le taux de chômage a atteint le sommet historique de 13,7 % en mai 2020, comparativement à 5,6 % seulement trois mois auparavant. Près de la moitié des travailleurs autonomes ont connu une baisse de leurs heures de travail, qui s’est accompagnée, dans la plupart des cas, d’une perte de revenus. Par conséquent, ce mois-là, plus de 1 adulte sur 5 vivait dans un ménage éprouvant des difficultés financières à respecter ses obligations de base, comme payer le loyer, l’hypothèque et l’épicerie2.

« Les projets familiaux, dans ces conditions-là, ça m’étonnerait qu’ils ne changent pas », souligne Benoît Laplante, professeur de démographie familiale à l’Institut national de la recherche scientifique de Montréal. En effet, les données disponibles indiquent une très faible probabilité que la fécondité augmente neuf mois après le début du confinement : au contraire, selon les recherches antérieures, on devrait plutôt s’attendre à une réduction de l’indice synthétique de fécondité à court terme. Les périodes de récession ou de ralentissement économique, l’incertitude sur le marché du travail et, de façon plus générale, l’incertitude sociétale globale et les perspectives négatives concernant l’avenir ont toutes été associées à la mise en suspens des projets de procréation, et donc à une réduction du nombre de naissances au sein d’une population.

L’incertitude sur le marché du travail a une incidence sur les projets en matière de procréation

Dans le cadre d’une méta-analyse récente réalisée en Europe à propos des effets du chômage et de l’emploi temporaire sur la fécondité, il a été démontré que les personnes qui se retrouvaient momentanément au chômage avaient tendance à retarder la planification d’une naissance3. Alors que le chômage entraîne une perte de revenus et augmente l’incertitude quant aux perspectives d’emploi futures, les projets de création ou d’agrandissement de la famille au cours d’une telle période sont plus susceptibles d’être interrompus jusqu’à ce que la situation financière s’améliore.

C’était particulièrement vrai chez les couples hétérosexuels lorsque le partenaire masculin se retrouvait au chômage. Cela avait une incidence non seulement sur la décision d’avoir un premier enfant, mais aussi sur les projets visant à agrandir la famille, lorsque les couples avaient déjà des enfants. Les données ont également montré que le chômage avait eu un effet négatif de plus en plus important sur la procréation entre 1970 et 2015, les conditions sur le marché du travail se faisant plus difficiles et les emplois permanents, moins fréquents.

Par ailleurs, les femmes de certains pays profitaient au contraire de leurs périodes de chômage pour réaliser leurs plans en matière de fécondité et avoir des enfants au cours de celles-ci, ces moments leur offrant plus de temps pour la procréation et l’éducation des enfants, alors que les coûts de renonciation étaient moins importants (par rapport au temps passé sur le marché du travail pour acquérir une expérience qui leur permette de faire progresser leur carrière professionnelle). Ce ne fut toutefois pas le cas dans les pays d’Europe du Sud les plus touchés par la Grande Récession de 2008 (c.-à-d. en Italie et en Espagne), là où l’on retrouvait également les taux de fécondité les plus faibles.

On a également constaté que les personnes qui avaient un emploi temporaire étaient moins susceptibles d’avoir des enfants en période d’incertitude économique, surtout lorsqu’il s’agissait d’avoir un deuxième ou un troisième enfant, et ce, comme l’indique l’étude, en raison de l’impact financier accru lié à l’élargissement de la famille. Chez les hommes, le chômage était par ailleurs un obstacle plus important que le fait d’avoir un emploi temporaire, particulièrement lorsque l’on s’attendait à ce qu’ils soient les principaux pourvoyeurs financiers du ménage : pour fonder ou agrandir la famille, il vaut mieux avoir un emploi, peu importe la nature de celui-ci, que de ne pas en avoir du tout.

La Grande Récession est associée à la baisse de la fécondité en Europe

Les crises économiques peuvent avoir une incidence sur les intentions en matière de fécondité et la procréation, même lorsque les individus ne sont pas personnellement touchés par la perte d’un emploi ou de revenus, car les ralentissements se traduisent par une réduction de la croissance du PIB et une hausse du chômage. En période d’incertitude quant aux perspectives économiques et à la stabilité du marché du travail, les gens ont tendance à devenir réfractaires à la prise de risques et à éviter tout engagement à long terme, et le fait de donner naissance à un enfant est certes l’engagement le plus irréversible qui soit. Lorsque l’avenir est entrevu de façon négative, de nombreuses familles tendent à reporter leurs projets de procréation jusqu’à ce qu’elles puissent à nouveau envisager un avenir plus prévisible4.

Le cas récent de l’Europe illustre bien cette situation, car les taux de fécondité y augmentaient depuis le début des années 2000. Or, pendant et après la Grande Récession de 2008-2009, les taux de fécondité se sont stabilisés, puis ont diminué dans la plupart des régions européennes, particulièrement celles qui ont été les plus touchées par la récession.

Un article récent s’intéressant aux répercussions de cette récession sur la fécondité dans 28 pays européens s’est penché sur l’impact du chômage, du chômage de longue durée et de la baisse du PIB sur les taux de fécondité, entre les années 2000 et 2014. L’étude a révélé que lorsque le chômage augmentait, les taux de fécondité diminuaient considérablement. En outre, l’impact du chômage s’est avéré plus important pendant la période de récession (entre 2008 et 2014) qu’avant celle-ci, ce qui suggère que l’impact négatif du chômage sur le comportement en matière de fécondité peut être amplifié en période de récession5.

Les recherches indiquent qu’un contexte de « grande incertitude » a une incidence sur les projets en matière de procréation

Si l’économie européenne a su se redresser après la Grande Récession, la fécondité dans de nombreux pays européens n’est pas pour autant revenue à ce qu’elle était auparavant, et elle a même continué de décliner. Ce fut particulièrement le cas dans certains pays nordiques, où les effets de la Grande Récession ont été modérés, et où la fécondité a connu un déclin plus tardif, qui s’est poursuivi au-delà de 2014, après que les conditions macroéconomiques se furent améliorées. Cela a amené certains chercheurs à se concentrer sur l’existence d’une « grande incertitude » relativement à l’avenir et son incidence sur les aspirations familiales. Ceux-ci font valoir qu’une grande incertitude quant à l’avenir de l’économie, mais aussi des systèmes politiques à l’échelle mondiale, peut avoir des répercussions sur les témoignages, les perspectives et la vision qu’ont les gens du monde qui les entoure, peu importe qu’ils aient eux-mêmes un emploi précaire ou qu’ils soient au chômage. À mesure que les « témoignages d’incertitude » se répandent, les projets de naissances sont retardés, même si l’économie devait se redresser6.

Une étude sur les répercussions d’une crise financière en Italie en 2011-2012 révèle que lorsque les individus utilisent le terme technique « spread » (qui signifie « propagation ») sur un moteur de recherche (un indicateur utilisé par les économistes pour mesurer le manque de confiance dans un système financier), le nombre de naissances observé neuf mois plus tard chute de façon importante. Ils estiment que les naissances diminuent de 2,5 % à 5 % à la suite de tels « témoignages d’incertitude »7.

De récentes études suggèrent que la pandémie de COVID-19 a une incidence sur les projets en matière de procréation

Une récente enquête menée auprès d’adultes de 18 à 34 ans dans plusieurs pays européens (c.‑à‑d. en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni) a permis d’estimer la proportion de naissances prévues pour 2020 qui ont été reportées. On a demandé aux adultes qui disaient prévoir, au début de l’année 2020 (c’est-à-dire avant l’apparition du coronavirus), la conception ou l’adoption d’un enfant avant la fin de l’année, si la pandémie avait modifié ces projets de quelque manière que ce soit. L’étude a révélé que certains individus avaient en effet modifié leur projet de fécondité, et ce, dans tous les pays étudiés, celui-ci ayant été retardé ou abandonné pour cette année.

L’impact varie selon les pays, mais en Italie et en Espagne, près du tiers de ceux qui prévoyaient une naissance en 2020 ont abandonné le projet pour l’année en cours. Plus de la moitié des personnes interrogées en Allemagne, en France, en Espagne et au Royaume-Uni ont affirmé quant à eux qu’ils maintenaient leur projet d’avoir un enfant un peu plus tard au cours de l’année8.

Les naissances prévues chez les mères de 40 ans et plus risquent d’être fortement affectées

Comme en témoignent les crises économiques et sanitaires passées (comme la pandémie de grippe de 1918), certaines des naissances qui sont reportées en périodes de bouleversements sont souvent « rattrapées » par la suite9. Les gens attendent parfois que les temps soient moins incertains avant de donner suite à leurs projets d’avoir un enfant.

Monsieur Laplante souligne que la différence entre le fait de retarder une naissance et celui d’abandonner complètement le projet d’avoir un enfant peut devenir particulièrement floue dans le contexte actuel. « Ce qui est beaucoup plus probable […] c’est que les gens vont reporter ou abandonner [leurs projets d’avoir des enfants] […] et quand on reporte, après un certain temps, ça va finir par abandonner… et là, tout le monde est dans l’incertitude. Est-ce qu’il va y avoir un vaccin? Dans deux ans, peut-être. » Celui-ci présume que les femmes dans la trentaine qui prévoyaient avoir deux enfants, et qui ont décidé d’attendre qu’un vaccin soit disponible avant de planifier la prochaine naissance, pourraient manquer de temps pour concevoir leur premier ou leur deuxième enfant avant d’être contraintes par une limite biologique.

Il est donc possible que certains de ces projets de naissances ne soient pas « rattrapés ». Dans plusieurs pays occidentaux, les femmes attendent de plus en plus longtemps avant d’avoir leur premier enfant, alors qu’elles sont nombreuses à souhaiter d’abord parfaire leur trajectoire scolaire et professionnelle. Le nombre de naissances chez les mères dans la quarantaine a d’ailleurs augmenté au cours des dernières décennies, celui-ci représentant une proportion croissante des premières naissances10. En 2014, on estimait que 3,6 % de toutes les naissances au Canada étaient de mères âgées de 40 ans et plus11.

Chez les femmes de 40 ans et plus, une proportion importante des naissances est facilitée par les techniques de procréation assistée12. Or, étant donné que bon nombre de ces procédures ont dû être interrompues pendant plusieurs mois au cœur de la pandémie, les naissances prévues à un âge plus avancé pourraient être plus gravement touchées. En effet, dans les sociétés où une forte proportion des naissances est associée aux femmes de plus de 40 ans, certaines des naissances prévues qui ont déjà été retardées pourraient ne jamais voir le jour : l’horloge biologique pourrait sonner l’heure de la fin avant que le marché du travail et les systèmes de santé ne reviennent aux normes antérieures.

Les données au Québec et en Ontario montrent une incidence sur la fécondité au-delà de la reprise économique

L’indice synthétique de fécondité est un indicateur « ponctuel », c’est-à-dire une estimation du nombre d’enfants que les femmes auraient en moyenne, au cours de leur vie, si les conditions de fécondité actuelles demeuraient stables durant toute leur vie reproductive. C’est pourquoi nous pouvons nous attendre à une réduction des taux de fécondité lors d’une période de turbulence et/ou d’incertitude socioéconomique, suivie d’une reprise une fois la crise terminée : seule une partie des naissances qui ont été reportées sont simplement « rattrapées » – pourvu que les projets et les idéaux en matière de reproduction demeurent inchangés.

Monsieur Laplante nous met en garde en indiquant qu’au Québec et en Ontario, les taux de fécondité ont commencé à baisser lors de la Grande Récession de 200813, et, comme cela s’est produit dans les pays européens, ils ont continué à baisser après que le ralentissement économique fut terminé et que les taux de chômage eurent redescendu. Il se demande maintenant pourquoi la fécondité n’a pas connu de remontée dans ces deux provinces canadiennes : sommes-nous exposés à des changements plus fondamentaux qui ne résultent pas seulement de bouleversements temporaires?

Seul le temps nous dira si les générations touchées par la crise de la COVID-19 parviendront à avoir autant d’enfants qu’elles le prévoyaient, bien que cela puisse être retardé, ou si le nombre d’enfants qu’elles souhaitaient avoir changera dans ce contexte. Si certains adultes décident de renoncer totalement à la procréation en raison des nouveaux défis posés par la pandémie et la crise économique qui lui est associée, les plus jeunes générations pourraient être plus susceptibles de ne pas avoir d’enfants. Il est actuellement trop tôt pour le dire, mais les recherches sur l’évolution des intentions en matière de fécondité avant et après la pandémie seront d’une importance cruciale afin de comprendre cet aspect de la vie familiale.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. À titre d’exemple, consultez l’article « Is the COVID-19 baby boom a myth? How relationships might be tested during the pandemic », CTV News (19 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3hCDUAy
  2. Statistique Canada, « Enquête sur la population active, mai 2020 » dans Le Quotidien (5 juin 2020). Lien : https://bit.ly/2ViQXO0
  3. Giammarco Alderotti et autres, Employment Uncertainty and Fertility : A Network Meta-Analysis of European Research Findings, Archives 2019-06 : documents de travail en économétrie, Universita’ degli Studi di Firenze, Dipartimento di Statistica, Informatica, Applicazioni “G. Parenti” (2019).
  4. Tomáš Sobotka, Vegard Skirbekk et Dimiter Philipov, « Economic Recession and Fertility in the Developed World » dans Population and Development Review, vol. 37, no 2, 2011, p. 267-306.
  5. Francesca Luppi, Bruno Arpino et Alessandro Rosina, The Impact of COVID‑19 on Fertility Plans in Italy, Germany, France, Spain and UK (2020).
  6. Daniele Vignoli et autres, Economic Uncertainty and Fertility in Europe: Narratives of the Future, Archives 2020_01 : documents de travail en économétrie, Universita’ degli Studi di Firenze, Dipartimento di Statistica, Informatica, Applicazioni “G. Parenti” (2020). Lien : https://bit.ly/3eIuVvS.
  7. Chiara L. Comolli et Daniele Vignoli, Spread-ing Uncertainty, Shrinking Birth Rates, Archives : documents de travail en économétrie, Universita’ degli Studi di Firenze, Dipartimento di Statistica, Informatica, Applicazioni “G. Parenti” (2019).
  8. Francesca Luppi, Bruno Arpino et Alessandro Rosina, The Impact of COVID‑19 on Fertility Plans in Italy, Germany, France, Spain and UK.
  9. Nina Boberg-Fazlić et autres, Disease and Fertility : Evidence from the 1918 Influenza Pandemic in Sweden, Discussion Paper Series, IZA – Institute of Labor Economics (2017); Sebastian Klüsener et Mathias Lerch, Fertility and Economic Crisis: How Does Early Twentieth Century Compare to Early Twenty-first Century?, document présenté à la Population Association of America; présentation virtuelle (2020).
  10. Eva Beaujouan, « Latest‐Late Fertility? Decline and Resurgence of Late Parenthood Across the Low‐Fertility Countries » dans Population and Development Review, 2020, p. 1-29. Lien : https://bit.ly/2AjlOD6
  11. Eva Beaujouan et Tomáš Sobotka, « Late Childbearing Continues to Increase in Developed Countries » dans Population and Societies, no 562 (janvier 2019).
  12. Eva Beaujouan, « Latest‐Late Fertility? Decline and Resurgence of Late Parenthood Across the Low‐Fertility Countries ».
  13. Melissa Moyser et Anne Milan, « Taux de fécondité et activité des femmes sur le marché du travail au Québec et en Ontario » dans Regards sur la société canadienne, no 75-006-X au catalogue de Statistique Canada. Lien : https://bit.ly/38iMxMG

 

Entretien avec Lucy Gallo à propos de l’accès, de l’adaptation et de la résilience chez les jeunes LGBTQI2S

Gaby Novoa

29 juin 2020

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Le bien-être financier, physique et mental des communautés LGBTQI2S au Canada a été affecté de façon disproportionnée par la pandémie de COVID-19. Une enquête nationale a révélé que 42 % des membres de la communauté LGBTQI2S ont signalé que la crise avait eu des effets importants sur leur santé mentale, contre 30 % des personnes non LGBTQI2S.

Le 23 juin 2020, nous avons communiqué avec Lucy Gallo, directrice des Services à la jeunesse et au logement de Friends of Ruby, pour découvrir comment les jeunes LGBTQI2S de Toronto ont vécu les derniers mois et de quelle façon son organisme s’est adapté pour continuer à servir et à soutenir ces jeunes.


Parlez-nous de la façon dont Friends of Ruby s’est adapté et a réagi tout au long de la pandémie de COVID-19 pour continuer à servir et à soutenir les jeunes LGBTQI2S.

Nous avons fermé notre espace d’accueil un vendredi, et le lundi suivant, nos conseillers étaient au téléphone pour communiquer avec nos jeunes – ils ont immédiatement assuré les services et les soins requis. Les conseillers ont rapidement adopté l’Internet pour offrir des séances téléphoniques et vidéo, ce qui les tient encore très occupés d’ailleurs, et nous sommes ravis d’avoir lancé un programme de counseling par clavardage. Tous les membres du personnel sont maintenant entièrement formés pour offrir également des services de counseling par clavardage.

Nous avons découvert qu’il y avait des jeunes qui vivaient toujours avec leur famille, à qui certains n’ont pas encore annoncé leur identité sexuelle, et qu’ils ne disposaient pas d’un espace privé pour avoir accès à du counseling téléphonique. Cette option de clavardage leur donne maintenant la possibilité d’accéder à du soutien, tandis que leurs parents croient qu’ils envoient simplement des textos à un ami. C’est un procédé que nous avons toujours souhaité élaborer, mais que nous n’avions jamais entrepris faute de ressources. La pandémie de COVID-19 a donc accéléré les choses et nous a obligés à agir sans attendre. J’ai rapidement organisé la formation des membres du personnel en deux demi-journées et ils peuvent continuellement recevoir de l’aide d’une personne expérimentée en counseling par clavardage.

Comme notre espace d’accueil n’était pas disponible pour les jeunes que nous accompagnons, l’un des thèmes qui ont été soulevés lors de nos conversations avec eux au début de la pandémie était la difficulté d’accéder à de la nourriture. Nous avons répondu en offrant des cartes-cadeaux, et avons également été en mesure d’envoyer des repas en partenariat avec un autre organisme, ce qui nous a permis de livrer deux repas par semaine à certains de nos jeunes.

En nous adaptant à la pandémie, nous avons également essayé d’organiser quotidiennement des groupes virtuels afin de permettre aux jeunes de continuer d’avoir accès à notre organisme au maximum. Cela nous a donné l’occasion de réunir les gens en ligne, de sympathiser et de partager leur quotidien. Notre groupe de discussion pour les personnes autochtones, noires et de couleur (PANDC) a été précieux, compte tenu de l’ampleur du racisme et de ce qui se passe actuellement dans le monde. Ce fut une période difficile pour les jeunes Noirs. Lorsque Toronto, au début de la pandémie, a commencé à annoncer qu’on allait demander aux gens qui sortaient de fournir des documents d’identité et qu’il était possible de dénoncer les autres, beaucoup de jeunes appartenant aux PANDC ne voulaient pas se rendre au centre de peur de subir davantage de racisme. Nous avons également ajouté des heures d’utilisation supplémentaires, en particulier avec notre personnel noir, afin de soutenir nos jeunes Noirs.

Parmi les autres programmes que nous avons continué d’offrir, mentionnons notre groupe d’art-thérapie, les séances virtuelles de l’espace d’accueil, les jeux vidéo et « art for change » (l’art comme moteur de changement). De plus, avec le soutien du Centre for Mindfulness Studies, deux de nos conseillers ont dirigé avec succès un groupe axé sur les compétences reliées à la pleine conscience en vue de faire face au stress et à l’anxiété (Mindfulness-Based Skills for Coping with Stress and Anxiety).

Nous avons également commencé à offrir du soutien en personne et des possibilités d’interaction. Nous avons de nouveau ouvert l’espace d’accueil, amorçant notre propre version de la « phase 2 ». Nous fournissons des produits essentiels que les gens peuvent venir chercher comme des repas à emporter, des trousses de réduction des risques, des trousses d’hygiène menstruelle et plus encore. Ils peuvent maintenant accéder à la gestion de cas en personne – nous avons ouvert une salle disposant de suffisamment de distance – et de plexiglas – et avons aménagé l’espace de telle façon qu’elle pourrait dès maintenant recevoir au moins six personnes. Nous avons également pensé que si un jeune ne pouvait pas joindre son conseiller depuis son domicile ou s’il ne voulait pas discuter en ligne, il pourrait venir dans cette salle et avoir l’intimité nécessaire pour communiquer virtuellement avec son conseiller.

Bon nombre des services que nous avons élaborés ou améliorés au cours des derniers mois seront également offerts après la pandémie. L’objectif est d’offrir ces nouvelles modalités à tous nos jeunes tout comme aux jeunes de partout au Canada qui désirent utiliser nos services de counseling ou communiquer avec nous en ligne.

Parlez-nous des thèmes communs que vous avez rencontrés pendant la pandémie chez les jeunes LGBTQI2S que vous accompagnez.

Je pense que le sentiment de solitude est un thème qui s’impose. Le fait de ne pouvoir accéder à nos locaux a créé beaucoup d’anxiété au début quant à la signification de tout ce phénomène. Comment cela affecte-t-il tout un chacun? Ne plus pouvoir compter sur notre habituelle communauté a été difficile, surtout pour les jeunes qui avaient l’impression de ne pas avoir l’intimité, l’espace ou la sécurité nécessaires à la maison avec leur famille.

Parlez-nous de certaines des leçons que vous avez apprises en adaptant Friends of Ruby afin de continuer d’accompagner les jeunes. Y a-t-il eu des surprises ou des prises de conscience?

Une chose intéressante, et je vais l’utiliser comme exemple parmi tant d’autres, c’est que si une personne a des idées suicidaires et qu’elle se trouve avec vous dans un local, vous pouvez évaluer la situation et, avec un peu de chance, la désamorcer, car cette personne se trouve en sécurité près de vous. Mais ce que j’ai constaté, c’est que lorsqu’on est en ligne et qu’on ne sait pas où se trouve la personne, comment peut-on lui procurer un sentiment de sécurité?

Nous avons dû créer rapidement des documents, puis demander aux jeunes de les lire et d’accepter de fournir des renseignements sur l’endroit où ils se trouvent, comme leur adresse et le moyen de communiquer avec eux si la ligne devait couper. Ce protocole s’applique également dans de nombreux cas. Lorsque nous dirigeons nos groupes thérapeutiques virtuels, comment savoir, lorsqu’une ligne se déconnecte, s’il s’agissait d’une déconnexion accidentelle et que la personne n’est pas contrariée, ou si elle n’a pas délibérément interrompu l’appel à cause d’un aspect du groupe qui l’a bouleversée? Ce sont là quelques-unes de nos prises de conscience. Lorsque la personne se trouve devant nous, la façon de travailler est tellement différente. Ce sont quelques-uns des moyens que nous avons dû adopter et instaurer pour la sécurité de tous.

Parlez-nous des expériences uniques ou des histoires d’adaptation ou de résilience des jeunes que vous accompagnez.

Il y a eu une résilience incroyable parmi nos jeunes à travers tout cela. Les gens que nous avons eu de la difficulté à suivre sont nos jeunes de passage, parce qu’ils n’avaient pas de coordonnées pour nous permettre de les joindre lorsque nous avons fermé nos portes. Puisqu’ils viennent généralement nous voir juste en passant, notre fermeture a complexifié nos contacts, même si quelques-uns sont passés nous saluer et nous dire qu’ils se débrouillaient très bien. Évidemment, nous n’avons pas pu voir tout le monde, mais les gens que nous avons vus ont fait preuve de beaucoup de résilience et d’adaptation.

Les conseillers nous ont dit que plusieurs jeunes n’étaient pas certains de vouloir faire du counseling en ligne. Cependant, une personne qui a continué de travailler pendant la pandémie a déclaré qu’elle appréciait réellement cette option, car elle pouvait suivre un programme de counseling sans avoir à se déplacer entre son lieu de travail et le centre. Cela facilite l’accès au counseling pour certains.

Qu’espérez-vous ou qu’envisagez-vous pour les mois à venir?

À l’heure actuelle, nous prévoyons ouvrir davantage l’espace d’accueil, à mesure que la Ville ouvrira de nouveaux espaces. L’objectif est de permettre à plus de gens de venir sur place et, espérons-le, de favoriser un plus grand sentiment communautaire. Chaque conseiller compte deux ou trois personnes qui attendent une consultation en personne. Nous envisageons de faire venir ces conseillers afin qu’ils puissent voir les personnes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas faire de counseling en ligne. Pour le groupe de discussion des PANDC, nous envisageons de l’animer virtuellement, mais aussi en personne.

Pendant ce temps, les gens pourraient venir sur place pour faire partie du groupe, tandis que d’autres seraient aussi connectés virtuellement : nous pourrions ainsi répondre aux besoins des gens à la fois hors ligne et en ligne. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous envisageons de lancer une autre session de groupe sur les compétences reliées à la pleine conscience en vue de faire face au stress et à l’anxiété vers la mi-juillet, si possible. Au cours des prochaines semaines, le personnel continuera de discuter des moyens d’étendre nos services, et nous continuerons d’offrir des repas à emporter ainsi que de la gestion de cas, tant en personne que virtuellement.

Communiquez avec Friends of Ruby sur les médias sociaux (Twitter, Facebook, Instagram, LinkedIn) pour suivre l’évolution de leur offre de services et de programmes.

Gaby Novoa, Centre de connaissances sur les familles au Canada, Institut Vanier de la famille

Cet entretien a été révisé afin d’atteindre une longueur, une fluidité et une clarté optimales.

 

Insécurité alimentaire et finances familiales pendant la pandémie

Nadine Badets

12 juin 2020

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Le confinement lié à la COVID‑19 et les répercussions économiques qui en découlent ont engendré un stress financier important chez les familles au Canada. Entre février et avril 2020, environ 1,3 million de personnes au Canada étaient au chômage, dont environ 97 % avaient récemment été mis à pied sur une base temporaire, ce qui signifie qu’elles peuvent s’attendre à retrouver leur emploi lorsque les restrictions liées à la pandémie seront assouplies1.

Des recherches ont démontré que l’insécurité financière peut considérablement limiter l’accès à la nourriture pour les familles à faible revenu en plus d’accentuer les inégalités socioéconomiques2. D’autres facteurs, comme la santé et l’incapacité, le niveau de soutien social et la disponibilité restreinte de certains produits alimentaires, contribuent également à l’insécurité alimentaire pendant la pandémie de COVID‑19.

Les inégalités financières sont renforcées en ces temps de distanciation physique et de confinement

Dans l’ensemble, 5,5 millions d’adultes au Canada ont été touchés par la perte d’un emploi ou ont vu leurs heures de travail diminuer pendant le confinement lié à la COVID‑19, ce qui indique que ces personnes et leur ménage ont subi une importante réduction de leurs revenus destinés aux nécessités, comme la nourriture et le logement3. En 2018, environ 3,2 millions de personnes vivaient en deçà du seuil officiel de la pauvreté au Canada4, et il est fort probable que ces chiffres aient augmenté compte tenu des répercussions économiques de la pandémie.

Ce contexte contribue également à accentuer les inégalités financières actuelles5. En 2015, la fréquence du faible revenu à l’échelle nationale au Canada était de 14 %, mais elle était beaucoup plus élevée chez certains groupes, comme les immigrants (les Arabes, les Asiatiques occidentaux, les Coréens, les Chinois), les peuples autochtones (les Premières Nations, les Inuits, les Métis) et les Noirs6, 7. Ces groupes étaient plus susceptibles de vivre avec un faible revenu avant le confinement lié à la COVID‑19, et d’indiquer que la pandémie avait eu un effet négatif sur leurs finances. Selon les données d’un récent sondage mené par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger8, plus de la moitié des minorités visibles (51 %) ont vu leurs revenus diminuer pendant le confinement, et les Autochtones (42 %) étaient plus susceptibles de signaler avoir éprouvé de la difficulté à respecter leurs obligations financières, notamment à payer leurs factures à temps9, 10.

Le recours aux banques alimentaires de partout au Canada est en forte hausse depuis le début de la pandémie de COVID‑19

Avant la pandémie de COVID‑19, l’organisme Banques alimentaires Canada estimait que la fréquentation des banques alimentaires à l’échelle du pays s’était stabilisée, ayant comptabilisé en 2019 presque le même nombre de visites qu’en 2018, soit un niveau semblable à celui de 2010. Au cours du mois de mars 2019, on enregistrait près de 1,1 million de visites dans les banques alimentaires dans l’ensemble du pays, et plus de 374 000 visites visaient à nourrir les enfants11.

Statistique Canada estime qu’en 2017-2018, environ 9 % des ménages canadiens, soit 1,2 million, étaient en situation d’insécurité alimentaire, ce qui signifie qu’ils éprouvaient des difficultés financières à se procurer de la nourriture et qu’ils n’en avaient pas suffisamment pour que tous les membres du ménage puissent manger des repas nutritifs sur une base régulière12, 13. Comme dans le cas de l’insécurité financière, l’insécurité alimentaire touche certains groupes de manière disproportionnée au Canada. Par exemple, en 2014, l’insécurité alimentaire chez les Noirs (29 %) et les Autochtones (26 %) était plus de deux fois supérieure à la moyenne nationale (12 %)14.

Les recherches démontrent systématiquement que les personnes vivant dans des collectivités isolées et du Nord sont plus susceptibles de connaître l’insécurité alimentaire, c’est notamment le cas des collectivités inuites de l’Inuit Nunangat, la terre natale des Inuits15. Il a également été constaté que les peuples autochtones vivant en milieu urbain sont particulièrement touchés par l’insécurité alimentaire. En 2017, 38 % des Autochtones de 18 ans et plus vivant en milieu urbain étaient en situation d’insécurité alimentaire16.

Depuis le début de la pandémie de COVID‑19, l’organisme Banques alimentaires Canada a signalé une augmentation moyenne de 20 % de la demande pour les services des banques alimentaires dans l’ensemble du pays, se rapprochant de façon alarmante de l’augmentation de 28 % observée pendant la Grande Récession. Selon les projections de Banques alimentaires Canada, on estime que la demande pourrait continuer d’augmenter pour atteindre des niveaux de 30 % à 40 % supérieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie. Certaines banques alimentaires – comme The Daily Bread à Toronto, l’une des plus grandes banques alimentaires au Canada – ont vu la demande augmenter de plus de 50 %17.

L’augmentation des ventes d’épicerie est associée à l’obtention du soutien financier de la PCU

Au début de la pandémie (entre la fin de mars et le début d’avril 2020), 63 % des gens ont déclaré avoir fait des provisions de produits alimentaires et pharmaceutiques essentiels par mesure de précaution18.

Les ventes d’épicerie à l’échelle du Canada ont connu une forte hausse en mars 2020, augmentant de 40 % vers la fin du mois et demeurant élevées jusqu’à la mi-avril19. L’octroi d’une aide financière fédérale aux chômeurs, comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU)20, semble directement relié à une augmentation des ventes d’épicerie, ce qui contribue probablement à atténuer l’insécurité alimentaire pour certains Canadiens21.

Actuellement, les bénéficiaires de la PCU ne peuvent toutefois soumettre leur demande de prestations que quatre fois, pour un total de 16 semaines. Or, à l’approche du mois de juillet 2020, de nombreux Canadiens utiliseront leur dernier versement de PCU, et ils ne seront pas tous admissibles à un transfert vers l’assurance-emploi, ce qui pourrait avoir de graves conséquences sur l’insécurité alimentaire au Canada.

Les parents seuls et les aînés disposant d’un faible niveau de soutien social sont ceux qui éprouvent le plus de difficultés à se procurer des denrées alimentaires

Les mesures de distanciation physique (sociale) ont également créé de nouveaux obstacles pour les individus et les familles qui tentent de s’y retrouver dans les nouvelles règles indiquant quand et comment s’y prendre pour faire l’épicerie, ou auprès de qui ils peuvent ou devraient se tourner pour faire faire leur épicerie. Pour certains, comme les aînés, les parents seuls, les personnes ayant des incapacités et celles qui ont un système immunitaire affaibli (ou qui s’occupent d’une personne présentant une telle condition), le fait de disposer de moyens financiers limités et d’un faible soutien social peut restreindre sérieusement l’accès à la nourriture.

En 2017-2018, les parents célibataires ayant des enfants de moins de 18 ans connaissaient les niveaux d’insécurité alimentaire les plus élevés au Canada. Les mères de famille monoparentale affichaient le plus fort taux d’insécurité alimentaire avec 25 %, suivies par les pères de famille monoparentale avec 16 %22. À titre comparatif, les hommes et les femmes vivant seuls affichaient un taux de 12 %, les couples avec enfants de moins de 18 ans, 7 %, et les couples sans enfant, 3 %23.

Les mesures de distanciation physique peuvent s’avérer particulièrement complexes pour les parents seuls n’ayant pas accès à des services de garde, car ils peuvent être contraints d’emmener les enfants à l’épicerie, enfreignant ainsi les règles de distanciation physique et risquant d’exposer les enfants au virus, ou encore de s’adresser à des organismes comme les banques alimentaires pour obtenir du soutien24.

Les aînés ayant un faible revenu sont moins susceptibles de bénéficier d’un haut niveau de soutien social (77 %) que les aînés vivant avec un revenu élevé (89 %). Durant les périodes d’isolement, comme dans le cas du confinement actuel, l’accès aux produits essentiels comme la nourriture peut être complexe, surtout pour les aînés ayant un faible revenu qui sont malades, inquiets pour leur santé ou incapables de se rendre à l’épicerie par eux-mêmes en raison de restrictions physiques ou financières25.

L’accaparement de certains aliments limite l’approvisionnement et l’accès pour les familles à faible revenu et les banques alimentaires

La pandémie de COVID‑19 a engendré dans le monde entier une série de tendances d’achats dictées par la panique, notamment de désinfectant pour les mains et de papier hygiénique26. Plusieurs épiceries et pharmacies ont vu certains de leurs stocks de produits épuisés à plusieurs reprises au cours de la pandémie.

À la mi-mars 2020, les ventes d’aliments secs et en conserve au Canada dépassaient celles des aliments frais et surgelés. Les ventes de riz ont augmenté de 239 % comparativement à la même période en 2019, les ventes de pâtes de 205 %, les ventes de légumes en conserve de 180 % et les ventes de préparations pour nourrissons de 103 %27. Ces aliments ayant une longue durée de conservation constituent en général une part importante des produits fournis par les banques alimentaires28, mais ont été plus difficiles à trouver pendant la pandémie, ce qui a limité l’approvisionnement pour les familles en situation d’insécurité alimentaire29.

Il serait nécessaire de procéder à des recherches supplémentaires afin de mieux comprendre les effets de la pandémie sur la faim, la nutrition et l’insécurité alimentaire dans les ménages du Canada en vue de soutenir et d’élaborer des programmes visant à réduire les inégalités liées à l’accès à la nourriture.

Pour trouver une banque alimentaire locale ou faire un don, visitez le site Web de Banques alimentaires Canada.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Statistique Canada, « La COVID‑19 et le marché du travail en avril 2020 » dans Infographies (8 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3csM8HC
  2. Visitez le site Web de PROOF Food Insecurity Policy Research pour en savoir plus sur l’insécurité alimentaire et les inégalités sociales. Lien : https://bit.ly/2MQH8T8
  3. Statistique Canada, « La COVID‑19 et le marché du travail en avril 2020 ».
  4. Statistique Canada, « Défis en matière de santé et enjeux sociaux liés à la situation de la COVID‑19 au Canada » dans Le Quotidien (6 avril 2020). Lien : https://bit.ly/36UnyhJ
  5. Pour en savoir plus au sujet de l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les inégalités au Canada, consultez la Déclaration – Les inégalités amplifiées par la crise de la COVID-19 de la Commission canadienne des droits de la personne (31 mars 2020).
  6. Statistique Canada, « Minorités visibles (15), statistiques du revenu (17), statut des générations (4), âge (10) et sexe (3) pour la population âgée de 15 ans et plus dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) » dans Tableaux de données, Recensement de 2016 (mis à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/2YEGihM
  7. Statistique Canada, « Identité autochtone (9), statistiques du revenu (17), statut d’Indien inscrit ou des traités (3), âge (9) et sexe (3) pour la population âgée de 15 ans et plus dans les ménages privés du Canada, provinces et territoires, régions métropolitaines de recensement et agglomérations de recensement, Recensement de 2016 – Données-échantillon (25 %) » dans Tableaux de données, Recensement de 2016 (mise à jour le 17 juin 2019). Lien : https://bit.ly/3eJOx2m
  8. Le sondage réalisé par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril, du 24 au 26 avril, du 1er au 3 mai et du 8 au 10 mai 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. De plus, du 1er au 10 mai environ, un suréchantillon de 450 Autochtones a été ajouté. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  9. Il est important de souligner qu’il existe une grande diversité au sein des groupes de minorités visibles et des populations autochtones. Tous ces groupes connaissent des expériences uniques et distinctes en matière d’insécurité financière et alimentaire, tout comme le sont les histoires, les régions, les cultures, les traditions et les langues qui leur sont propres.
  10. Pour en savoir plus sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur les familles d’immigrants et les Premières Nations, les Métis et les Inuits, consultez Laetitia Martin, « Les familles nouvellement établies au Canada et le bien-être financier pendant la pandémie » (21 mai 2020) et Statistique Canada, « Premières Nations, Métis, Inuits et la COVID-19 : Caractéristiques sociales et de la santé » dans Le Quotidien (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2N2v8ht
  11. Banques alimentaires Canada, « Bilan-faim 2019 ». Lien : https://bit.ly/2Mkxp78
  12. Ibidem
  13. Statistique Canada, « Sécurité alimentaire du ménage selon la disposition de vie », tableau 13-10-0385-01 (consulté le 27 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2yXGVtP
  14. Santé Canada, Insécurité alimentaire des ménages au Canada : Survol (dernière mise à jour le 18 février 2020). Lien : https://bit.ly/30un7K5
  15. Valerie Tarasuk, Andy Mitchell et Naomi Dachner, « L’insécurité alimentaire des ménages au Canada, 2014 », PROOF Food Insecurity Policy Research (19 mai 2016). Lien : https://bit.ly/2Bw77Nd (PDF)
  16. Paula Arriagada, « L’insécurité alimentaire chez les Inuits vivant dans l’Inuit Nunangat » dans Regards sur la société canadienne, no 75‑006X au catalogue de Statistique Canada (1er février 2017). Lien : https://bit.ly/2YpZcbR
  17. Paula Arriagada, Tara Hahmann et Vivian O’Donnell, « Les Autochtones vivant en milieu urbain : Vulnérabilités aux répercussions socioéconomiques de la COVID‑19 » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur (26 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2Y0Uv8u
  18. Beatrice Britneff, « Food Banks’ Demand Surges Amid COVID‑19. Now They Worry About Long-Term Pressures », Global News (15 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3boEHRe
  19. Statistique Canada, « Comment les Canadiens vivent-ils la situation liée à la COVID‑19? » dans Infographies (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2BsWieL
  20. Statistique Canada, « Étude : Les consommateurs canadiens s’adaptent à la COVID‑19 : un aperçu des ventes d’épicerie canadiennes jusqu’au 11 avril » dans Le Quotidien (11 mai 2020). Lien : https://bit.ly/3e8GPis
  21. En avril 2020, le gouvernement fédéral du Canada a créé la Prestation canadienne d’urgence (PCU), qui fournit 2 000 $ toutes les quatre semaines aux travailleurs qui ont perdu leur revenu en raison de la pandémie. Cette prestation vise les personnes qui ont perdu leur emploi, qui sont malades, qui sont mises en quarantaine ou qui prennent soin d’une personne atteinte de la COVID‑19. Elle s’applique aux salariés, aux travailleurs contractuels et aux travailleurs autonomes qui sont dans l’incapacité de travailler. Les personnes peuvent gagner jusqu’à 1 000 $ par mois tout en percevant la PCU. En raison de la fermeture des écoles et des garderies partout au Canada, la PCU est offerte aux parents qui travaillent, mais qui doivent rester à la maison sans rémunération pour s’occuper de leurs enfants jusqu’à ce que les écoles et les garderies puissent rouvrir et accueillir à nouveau les enfants de tous âges en sécurité. Gouvernement du Canada, « Plan d’intervention économique du Canada pour répondre à la COVID-19 ».  Lien : https://bit.ly/36UssLS
  22. Statistique Canada, « Étude : Les consommateurs canadiens s’adaptent à la COVID‑19 : un aperçu des ventes d’épicerie canadiennes jusqu’au 11 avril ».
  23. Statistique Canada, « Sécurité alimentaire du ménage selon la disposition de vie ».
  24. Ibidem
  25. La Banque d’alimentation d’Ottawa, « COVID‑19 Response Webinar – The First 5 Weeks » (13 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2MsQCUl
  26. Kristyn Frank, « La COVID‑19 et le soutien social des aînés : les aînés ont-ils quelqu’un sur qui compter pendant les périodes difficiles? » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur (30 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3dsQlN6
  27. Statistique Canada, « Les consommateurs canadiens se préparent pour la COVID‑19 » dans Série analytique des prix (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2MsReJD
  28. Ibidem
  29. Banques alimentaires Canada, « Soutenez votre banque alimentaire locale ». Lien : https://bit.ly/2U79s7x

 

Les finances familiales et la santé mentale pendant la pandémie de COVID‑19

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

26 mai 2020

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En mars 2020, la pandémie de coronavirus a entraîné l’interruption soudaine des activités socioéconomiques dans l’ensemble du Canada, les données montrant d’importantes répercussions sur l’activité du marché du travail. Selon de récentes estimations de Statistique Canada, le nombre de Canadiens ayant un emploi en mars s’élevait à un million de moins qu’en février, ce qui a affecté la participation habituelle au marché du travail de 3,1 millions de Canadiens (c.-à-d. qu’ils ont travaillé moins d’heures ou perdu leur emploi)1.

D’après des données recueillies lors d’un sondage mené du 10 au 12 avril 2020 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes (AEC) et la firme Léger2, 38 % des hommes et 34 % des femmes de 18 ans et plus ont déclaré avoir perdu leur emploi de façon temporaire ou permanente ou avoir subi des pertes de salaire ou de revenus en raison de la pandémie de COVID‑19. Dans ce contexte, 27 % des hommes et 25 % des femmes ont dit subir des conséquences financières négatives (affectant leur capacité à payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures).

C’est sans surprise que Statistique Canada a récemment constaté que les adultes ayant subi des répercussions importantes ou modérées de la pandémie étaient beaucoup plus susceptibles de déclarer une santé mentale passable ou faible que ceux qui ont été moins touchés (25 % et 13 %, respectivement)3.

Les données recueillies à la mi-avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger montrent que les plus jeunes adultes ont été particulièrement touchés : plus de la moitié (52 %) des 18 à 34 ans ont déclaré avoir subi des répercussions négatives sur leur participation au marché du travail (pertes d’emploi, de salaire ou de revenus), par rapport à 39 % des adultes de 35 à 54 ans et à 21 % des 55 ans et plus. Cette situation se reflète également dans la proportion d’adultes ayant subi des conséquences financières négatives immédiates, qui ont été signalées par 33 % des adultes de moins de 55 ans et 15 % des 55 ans et plus.

Les adultes en difficulté financière sont plus susceptibles de signaler des problèmes de santé mentale

Parmi la population en âge de travailler (de 18 à 54 ans), un peu plus de la moitié a indiqué éprouver souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (53 %), de l’irritabilité (49 %) ou de la tristesse (48 %) pendant la pandémie de COVID‑19, selon le sondage mené par l’Institut Vanier, l’AEC et la firme Léger. Quatre personnes sur 10 ont affirmé avoir souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (40 %) ainsi que des sautes d’humeur (40 %).

Parmi les personnes ayant essuyé des conséquences négatives immédiates, comme l’incapacité de payer le loyer, l’hypothèque ou les factures, environ 6 sur 10 ont dit avoir ressenti souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (63 %), de l’irritabilité (60 %) ou de la tristesse (57 %), alors que la moitié a indiqué avoir eu souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (50 %) ou des sautes d’humeur (52 %) (figure 1).

Les femmes en difficulté financière souffrent de problèmes de santé mentale dans des proportions plus élevées que les hommes

D’après l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes de 2018, les femmes étaient légèrement moins susceptibles que les hommes de signaler avoir une santé mentale excellente ou bonne (66 % et 71 %, respectivement)4. Pendant la pandémie de coronavirus, toutefois, Statistique Canada a constaté que la différence était beaucoup plus marquée, avec 49 % des femmes et 60 % des hommes ayant une bonne ou une excellente santé mentale5.

Les données du sondage de l’Institut Vanier, de l’AEC et de la firme Léger montrent que les femmes de 18 à 54 ans déclarant connaître souvent ou très souvent des problèmes spécifiques de santé mentale sont représentées dans des proportions beaucoup plus grandes que les hommes du même groupe d’âge. Environ 6 femmes sur 10 ont indiqué ressentir souvent ou très souvent de l’anxiété ou de la nervosité, de l’irritabilité ou de la tristesse, comparativement à 4 hommes sur 10. De même, environ la moitié des femmes ont eu souvent ou très souvent de la difficulté à dormir ou des sautes d’humeur, par rapport à 3 hommes sur 10 (figure 1).

Cette différence entre les sexes à l’égard des problèmes de santé mentale déclarés est maintenue même lorsque l’on compare les proportions d’hommes et de femmes ayant subi des conséquences financières négatives immédiates et les proportions de ceux qui n’en ont pas subi. Par exemple, les trois quarts des femmes (76 %), par rapport à la moitié des hommes (51 %), qui ont eu de la difficulté à payer leur hypothèque, leur loyer ou leurs factures ont dit ressentir souvent ou très souvent de la nervosité ou de l’anxiété. Près de 7 femmes sur 10 ayant des difficultés financières éprouvent de l’irritabilité (67 %) ou de la tristesse (67 %), comparativement à environ la moitié des hommes vivant la même situation (53 % et 48 %, respectivement) (figure 1).

Environ 6 femmes sur 10 ayant des difficultés financières disent avoir souvent ou très souvent de la difficulté à dormir (55 %) et des sautes d’humeur (62 %), par rapport à 4 hommes sur 10 vivant la même situation (45 % et 42 %, respectivement) (figure 1).

Les adultes ayant des difficultés financières, qu’ils vivent ou non avec de jeunes enfants, signalent des problèmes de santé mentale semblables

Si les femmes sont beaucoup moins susceptibles que les hommes de déclarer une santé mentale positive pendant la pandémie, même en tenant compte des répercussions financières, quels facteurs peuvent entrer en jeu dans l’établissement de ces différences entre les sexes? Ces problèmes de santé mentale peuvent-ils être associés aux responsabilités familiales?

Une analyse des données recueillies du 10 au 12 avril 2020 indique que la présence d’enfants à la maison ne semble pas associée à l’aggravation des symptômes d’une mauvaise santé mentale. Les femmes vivant avec des enfants de 12 ans et moins au sein de leur ménage disent éprouver souvent et très souvent de l’anxiété ou de la nervosité (69 %), de l’irritabilité (60 %), de la tristesse (59 %), de la difficulté à dormir (51 %) et avoir des sautes d’humeur (51 %) dans des proportions semblables à celles des femmes vivant sans enfant (63 %, 57 %, 60 %, 47 % et 48 %, respectivement). Les hommes vivant avec de jeunes enfants signalent également de tels problèmes dans des proportions semblables à celles des hommes vivant sans enfant (figure 2).

Parmi les femmes en difficulté financière, on observe peu de différences entre les proportions de celles déclarant l’un ou l’autre de ces problèmes de santé mentale, qu’elles aient ou non de jeunes enfants au sein du ménage. Cela est également le cas pour les femmes qui n’ont pas subi de conséquences financières négatives immédiates : la cohabitation dans le ménage avec des enfants de 12 ans et moins ne semble pas changer les choses (figure 2).

L’analyse de l’état de santé mentale autodéclaré démontre la persistance de certaines différences selon le sexe lorsque l’on tient compte de la province de résidence, de l’âge, de la difficulté financière, de la perte d’emploi ou de salaire, de la présence d’enfants de 12 ans et moins, du revenu du ménage, de l’état matrimonial et du niveau de scolarité. En contrôlant ces variables et en les comparant à celles des hommes qui sont en difficulté financière, les femmes en difficulté financière sont environ deux fois plus susceptibles de souffrir d’anxiété, de tristesse ou de sautes d’humeur. Parmi les adultes n’ayant pas subi de conséquences financières négatives, on n’observe aucune différence marquée entre les hommes et les femmes à l’égard de la santé mentale, une fois ces facteurs contrôlés.

Cette analyse n’a pas permis d’identifier les raisons potentielles expliquant pourquoi les femmes sont plus susceptibles que les hommes de signaler des symptômes de mauvaise santé mentale, mais les recherches futures pourraient se concentrer sur les différences psychologiques qui existent entre les femmes et les hommes lors d’une situation de crise, afin de déterminer si oui ou non les femmes et les hommes réagissent différemment dans une situation de crise ou devant une menace immédiate pour la santé ou le bien-être de leur famille ou d’eux-mêmes. Des recherches plus approfondies examinant l’impact des aspects sexospécifiques par rapport à la charge de travail et à la prestation de soins au sein du ménage, y compris la charge mentale associée à ces tâches non rémunérées, pourraient également contribuer à faire la lumière sur ces différences.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Statistique Canada, « Les répercussions de la COVID-19 sur le marché du travail canadien » dans Infographies (9 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3cQDBzj
  2. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril et du 24 au 26 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  3. Statistique Canada, « Série d’enquêtes sur les perspectives canadiennes 1 : Répercussions de la COVID‑19 sur la sécurité d’emploi et les finances personnelles, 2020 » dans Le Quotidien (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3e7yaMC
  4. Leanne Findlay et Rubab Arim, « Les Canadiens perçoivent leur santé mentale comme étant moins bonne pendant la pandémie de COVID-19 » dans StatCan et la COVID‑19 : Des données aux connaissances, pour bâtir un Canada meilleur, no 45-28-0001 au catalogue de Statistique Canada (24 avril 2020). Lien : https://bit.ly/36l4Gs7
  5. Ibidem

 

Réflexions parentales sur l’avenir postpandémie au Canada

Nadine Badets

6 mai 2020

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Les restrictions relatives à la pandémie de COVID-19 ont transformé la vie des familles au Canada. En raison de la fermeture des écoles, des garderies, des restaurants et de plusieurs commerces, ainsi que des importantes pertes d’emplois et des nouvelles mesures favorisant le travail à domicile, plusieurs parents et enfants passent beaucoup plus de temps ensemble qu’auparavant.

Comment les familles conçoivent-elles la vie après la pandémie? Selon des données recueillies pendant six semaines par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, les familles ne sont pas prêtes à renvoyer leurs enfants à l’école cette année, mais les parents sont disposés à réintégrer leur milieu de travail après la pandémie. C’est ce qu’indiquent certains résultats de cette série de sondages en cours1.

La peur du coronavirus est plus forte chez les familles qui ont des enfants

Au 6 mai 2020, les enfants et les adolescents de 19 ans et moins représentaient une faible proportion des cas de COVID‑19 au Canada (5 %)2. Toutefois, près de 30 % des adultes vivant avec des enfants et des adolescents de moins de 18 ans craignent fortement qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID-19, comparativement à 22 % de ceux qui vivent sans enfant3 (figure 1).

Malgré cela, plus de la moitié des adultes vivant avec des enfants (56 %) affirment qu’ils appuieraient une politique gouvernementale visant à assouplir les restrictions de distanciation sociale (physique) pour toutes les personnes de moins de 65 ans, alors que 42 % des personnes vivant sans enfant appuieraient une telle politique.

La plupart des parents ne veulent pas que leurs enfants suivent des cours d’été pour rattraper le retard

Plus de 80 % des parents vivent avec leurs enfants pendant la pandémie, et 7 % partagent la garde de leurs enfants avec un parent vivant au sein d’un autre ménage. Six parents sur 10 (60 %) déclarent qu’ils discutent davantage avec leurs enfants actuellement qu’ils ne le faisaient avant le confinement. Les parents d’enfants d’âge scolaire explorent également le système éducatif avec leurs enfants en tant que nouveaux enseignants, tuteurs et aides aux devoirs. L’éducation à domicile est difficile pour plusieurs familles4, en plus de susciter des inquiétudes à l’égard du retard que prennent les élèves.

La plupart des provinces n’ont pas encore annoncé leur intention de rouvrir les écoles, et les trois territoires ont confirmé qu’ils comptaient maintenir les écoles fermées jusqu’en septembre. Toutefois, le Québec s’est engagé à rouvrir la plupart des écoles primaires le 11 mai et, en date du 29 avril 2020, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont prévu des dates d’ouverture provisoires plus près du mois de juin, mais leurs dates butoirs changent constamment5. Lorsqu’on les a interrogés à cet égard, les deux tiers (66 %) des parents ont affirmé que, même si les écoles au Canada ouvrent avant la fin de juin, ils préfèrent que leurs enfants ne retournent en classe qu’en septembre, plutôt que d’aller à l’école durant l’été (en juillet et en août) en vue de rattraper le temps perdu.

Plus de la moitié des parents sont disposés à retourner au travail, mais ils ne veulent pas utiliser les transports en commun

La pandémie de COVID-19 a engendré d’innombrables pertes d’emplois à l’échelle du pays6, et les parents vivant avec des enfants qui considèrent la crise sanitaire comme une « menace importante » pour leur emploi sont plus susceptibles d’affirmer se sentir tristes, anxieux ou nerveux, par rapport aux personnes vivant sans enfant7.

Parmi les personnes qui ont conservé leur emploi, celles qui vivent avec des enfants sont plus susceptibles de se déclarer satisfaites des mesures instaurées par leur employeur afin de réagir à la COVID‑19 (59 %) que les personnes sans enfant (37 %). Cet écart peut s’expliquer par le fait que la situation permet aux parents de travailler à domicile tout en s’occupant de leurs enfants, les garderies et les écoles étant fermées. Environ 55 % des adultes vivant avec des enfants déclarent travailler actuellement à domicile (figure 2). Les personnes vivant avec des enfants sont également plus susceptibles (54 %) que les personnes sans enfant (37 %) d’affirmer qu’elles seraient à l’aise de réintégrer leur milieu de travail une fois les restrictions liées à la COVID‑19 levées.

Cependant, plus de 60 % des parents ont affirmé qu’ils ne seraient pas à l’aise d’emprunter les transports en commun, et ce, même lorsque les restrictions liées à la COVID‑19 commenceront à être assouplies, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les déplacements lorsque les gens se rendront à leur lieu de travail (figure 3). Les adultes vivant avec des enfants sont plus susceptibles de dire qu’ils préféreraient se rendre au travail seulement lorsque c’est nécessaire (39 %) que les personnes sans enfant (27 %).

Les parents abandonnent leurs projets de vacances, la plupart ne voyageront pas en 2020

En plus d’exprimer leur malaise à l’égard des transports en commun, les parents ne se disent pas moins préoccupés par rapport aux voyages. Environ 6 adultes sur 10 (59 %) vivant avec des enfants ont indiqué avoir dû modifier leurs projets de vacances en raison de la pandémie de coronavirus de 2020, probablement en lien avec le confinement au Canada et la fermeture des frontières autour de la semaine de relâche. Lorsqu’on leur a demandé s’ils comptaient prendre des vacances en 2020, 72 % des parents ont répondu que c’était peu probable.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

 


Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril, du 17 au 19 avril et du 24 au 26 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de ceux du 10 au 13 mars et du 24 au 26 avril, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Agence de la santé publique du Canada, Maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) : Mise à jour quotidienne sur l’épidémiologie (consulté le 6 mai 2020). Lien : https://bit.ly/2z9rMFJ
  3. Voir la note 1.
  4. Jessica Wong, « Frustrated Parents in Ontario Pivot from Official Distance-Learning Program Amid COVID-19 », CBC News (30 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3aTOMFR
  5. CBC Kids News, When Will Your School Reopen? Check Out This Map (29 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2KMhcGW
  6. Statistique Canada, « Enquête sur la population active, mars 2020 » dans Le Quotidien (9 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2YDGkIm
  7. Jennifer Kaddatz, « Les familles peinent à composer avec les conséquences financières de la pandémie de COVID‑19 », Institut Vanier de la famille (9 avril 2020).

 

Les familles au Canada expriment une « vive préoccupation » à l’égard de la santé et du bien-être des aînés durant la pandémie de COVID‑19

Nadine Badets et Ana Fostik, Ph. D.

30 avril 2020

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L’Agence de la santé publique du Canada considère que les personnes plus âgées sont particulièrement vulnérables à la COVID‑19, qui les expose à un risque élevé de maladie grave et de décès1. En 2019, 9,1 millions de Canadiens étaient âgés de 60 ans et plus, ce qui correspond environ au quart de l’ensemble de la population2.

Au 27 avril 2020, environ 37 % des cas confirmés de COVID‑19 au Canada avaient été diagnostiqués chez des adultes âgés de 60 ans et plus, et ce groupe d’âge représentait plus de la moitié (56 %) de tous les cas de coronavirus avec pneumonie. Les adultes de 60 ans et plus affichaient les plus fortes proportions de conséquences graves, soit 66 % des hospitalisations, 63 % des admissions aux unités de soins intensifs et 95 % des décès déclarés liés à la COVID‑193.

La forte sensibilité des personnes plus âgées au virus a engendré un niveau de stress accru chez les aînés, leur famille et leurs aidants alors qu’ils sont confrontés à la pandémie de COVID‑19.

Faits et statistiques clés :

  • Environ 37 % des cas confirmés de COVID‑19 au Canada ont été diagnostiqués chez les adultes de 60 ans et plus (27 avril 2020).
  • Les adultes de 60 ans et plus représentaient 66 % des hospitalisations, 63 % des admissions aux unités de soins intensifs et 95 % des décès déclarés en lien avec la COVID‑19 (27 avril 2020).
  • Chez les adultes de 18 ans et plus, 70 % ont affirmé avoir assez ou très peur qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID‑19 (27 avril 2020).
  • Parmi les adultes, 15 % ont indiqué que certains de leurs proches âgés vivent actuellement dans des CHSLD ou des établissements de soins de longue durée, et 85 % d’entre eux se disent préoccupés par la santé de ces membres de leur famille (27 avril 2020).
  • Près de 8 décès sur 10 (79 %) liés au coronavirus au Canada sont survenus dans des CHSLD et des établissements de soins de longue durée (28 avril 2020).

Les familles comptant des proches aînés vivant en CHSLD sont les plus préoccupées

Dans le cadre d’un sondage mené du 17 au 19 avril 2020 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, près de 70 % des adultes de 18 ans et plus ont affirmé avoir assez ou très peur qu’un membre de leur famille immédiate contracte la COVID‑194. Pour remettre les choses en perspective, Statistique Canada révélait en 2018 qu’environ 7,8 millions d’adultes de 15 ans et plus prenaient soin d’un membre de la famille ou d’un ami5, et que près de 4 bénéficiaires de soins sur 10 au Canada en 2018 étaient âgés de 65 ans et plus6.

Pendant la pandémie de COVID‑19, 11 % des adultes ont déclaré qu’au moins un proche aîné vivait avec eux7. Près de 47 % ont indiqué que les aînés de leur famille habitaient séparément dans leur propre maison, et 15 % ont affirmé que certains de leurs proches aînés vivaient actuellement dans des CHSLD ou des établissements de soins de longue durée.

La plupart des adultes (85 %) dont les proches aînés vivent dans des établissements de soins se disent préoccupés par la santé de ces membres de leur famille, alors qu’une proportion légèrement plus faible d’adultes vivant avec des aînés (77 %), ou dont les membres âgés de la famille vivent dans une maison séparée (72 %), ont exprimé leur inquiétude à l’égard de la santé de ces aînés.

Les aînés vivant dans des établissements de soins de longue durée peinent à s’adapter aux restrictions liées à la pandémie

La dévastation causée par la pandémie de coronavirus s’est produite en grande partie dans les CHSLD et les établissements de soins de longue durée. La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, a annoncé à la mi-avril 2020 qu’environ la moitié des décès dus à la COVID‑19 au Canada était liée à des éclosions dans des établissements de soins de longue durée pour aînés8, et qu’en date du 28 avril 2020, près de 8 décès sur 10 (79 %) liés au coronavirus au Canada étaient survenus dans des CHSLD et des établissements de soins de longue durée9.

Près de 61 % des proches ont affirmé se sentir assez ou très inquiets à propos de la qualité des soins offerts aux aînés dans les CHSLD et les établissements de soins de longue durée. Par ailleurs, près des deux tiers (63 %) des adultes dont des proches aînés vivent dans des établissements de soins de longue durée croient que ces membres de leur famille éprouvent assez ou beaucoup de difficulté à s’adapter aux restrictions liées à la COVID‑19, comme celle les obligeant à rester dans leur chambre sans pouvoir recevoir de visiteurs ou entrer en contact avec d’autres personnes. Environ 12 % sont incertains quant à la réaction de leurs proches à l’égard de ces restrictions.

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Agence de la santé publique du Canada, Personnes susceptibles d’être gravement malades si elles contractent la COVID‑19 (20 avril 2020). Lien : https://bit.ly/3eZIqI2
  2. Statistique Canada. Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe (tableau 17-10-0005-01). Lien : https://bit.ly/2xlmw18
  3. Agence de la santé publique du Canada, Maladie à coronavirus de 2019 (COVID-19) : Mise à jour quotidienne sur l’épidémiologie (29 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2VLV7ik
  4. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril, du 10 au 12 avril et du 17 au 19 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Tous les échantillons, à l’exception de celui du 10 au 13 mars, comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  5. Statistique Canada, « Les aidants au Canada, 2018 » dans Le Quotidien (8 janvier 2020). Lien : https://bit.ly/2yRDWCP
  6. Statistique Canada, « Les soins en chiffres : Les bénéficiaires de soins au Canada, 2018 » dans Infographies, no 11‑627‑M au catalogue de Statistique Canada (22 janvier 2020). Lien : https://bit.ly/2Siz40t
  7. Sondage mené du 17 au 19 avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger (voir note 4).
  8. Olivia Bowden, « Long-term care homes with the most coronavirus deaths in Canada » dans Global News (17 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2Y2Lihn
  9. Beatrice Britneff et Amanda Connolly, « Coronavirus Spread Slowing in Canada; Death Rate Rises Due to Long-Term Care Fatalities » dans Global News (28 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2xlWjQ4

 

Les habitudes en matière de santé pendant la pandémie de COVID-19

Jennifer Kaddatz et Nadine Badets

27 avril 2020

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Au Canada, le confinement lié à la pandémie de COVID-19 a infligé de lourdes restrictions aux personnes et aux entreprises, ce qui a engendré des changements dans la pratique de nombreuses activités courantes, comme la préparation et la consommation d’aliments, les achats, l’exercice physique et le temps passé à l’extérieur. La santé des adultes au Canada est en pleine métamorphose, non seulement à cause du virus, mais aussi en raison des habitudes en matière de santé déjà instaurées ou nouvellement adoptées.

Depuis le début de cette période d’isolement social, les adultes consacrent plus de temps à préparer des repas et à boire de l’alcool à la maison, mais ils passent moins de temps à faire de l’exercice et à aller dehors, selon des données recueillies dans un récent sondage réalisé sur quatre semaines par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger1 ainsi que d’autres sources de données portant sur la pandémie.

Il sera important de suivre l’évolution de ces habitudes pendant toute la durée de la pandémie, compte tenu des conséquences potentielles qu’elles peuvent avoir sur la santé physique et mentale des familles dans l’ensemble du pays.

Environ 4 adultes sur 10 consacrent plus de temps à préparer des repas à la maison

Une alimentation saine est primordiale pour avoir une bonne santé : elle constitue un facteur essentiel au développement optimal de l’humain en plus d’être importante pour réduire le risque associé à plusieurs maladies chroniques. Le fait de préparer et de cuisiner de la nourriture à la maison permet à la fois de diminuer la quantité de sodium, de sucre et de graisses saturées qui se retrouvent dans nos repas, mais aussi d’augmenter notre consommation de légumes, de fruits, de grains entiers et de protéines végétales. Par conséquent, manger ou commander des mets qui viennent de l’extérieur peut avoir un impact négatif sur notre santé, car il est possible que les mets soient plus fortement transformés, et qu’ils contiennent moins de légumes, de fruits et de grains entiers2.

Il était donc prévisible qu’au cours de l’isolement relié à la COVID-19, les Canadiens soient plus nombreux à manger des repas faits maison. En effet, 41 % des adultes disent consacrer actuellement plus de temps à préparer des repas qu’ils ne le faisaient avant la pandémie, selon des données recueillies du 9 au 12 avril (figure 1). Les femmes, en particulier, semblent passer plus de temps dans la cuisine, alors que 44 % d’entre elles indiquent préparer des repas « plus souvent », contre 38 % des hommes. Notamment, près de la moitié des femmes (48 %) de 35 à 54 ans consacrent plus de temps à préparer des repas, ce qui est le cas de 44 % des hommes de ce groupe d’âge.

Par ailleurs, une plus faible proportion de femmes (18 %) que d’hommes (24 %) ont commandé des mets pour emporter d’un restaurant dans la semaine précédant le sondage du 9 au 12 avril, bien que les femmes sont presque aussi susceptibles (18 % c. 16 %) que leurs homologues masculins de se faire livrer de la nourriture à la maison ou au travail (figures 2 et 3). Les jeunes hommes de 18 à 34 ans sont plus susceptibles d’avoir commandé des mets pour emporter (24 %) au cours de la semaine précédente, alors que les jeunes femmes de 18 à 34 ans constituent l’association sexe-groupe d’âge le plus susceptible de se faire livrer de la nourriture (27 %).

Un adulte sur 5 boit plus d’alcool à la maison

L’alcool peut avoir d’importantes conséquences sur la santé physique et mentale si on le consomme en grande quantité, ce qui peut aggraver les problèmes de santé mentale actuels, augmenter le risque de blessure ou de maladie aigüe à court terme et accroître le risque de maladies graves à long terme, comme les maladies du foie et certains cancers3. Par conséquent, si la consommation d’alcool augmente pendant la crise du coronavirus, on pourrait observer, suivant la pandémie, d’importantes répercussions sur la santé des personnes et de leur famille ainsi que sur le système de santé au Canada.

Un sondage mené par Statistique Canada du 29 mars au 3 avril a révélé que 20 % des Canadiens de 15 à 49 ans boivent davantage d’alcool à la maison pendant la pandémie de COVID-19 qu’ils ne le faisaient avant qu’elle débute4. D’ailleurs, un autre sondage mené du 30 mars au 2 avril par Nanos pour le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a permis de constater que 21 % des adultes de 18 à 34 ans et 25 % de ceux de 35 à 54 ans s’étaient mis à consommer davantage à la maison depuis le début de la crise de COVID-195.

Les répondants du sondage Nanos ayant déclaré rester davantage à la maison et boire plus d’alcool ont indiqué que leur consommation avait principalement augmenté en raison de l’absence d’horaire régulier (51 %), ainsi qu’en réaction à l’ennui (49 %), au stress (44 %) ou à la solitude (19 %).

Selon des données recueillies du 9 au 12 avril par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, 14 % des adultes se sont rendus dans un magasin de vins et spiritueux au cours de la semaine précédente, les hommes (18 %) l’ayant fait davantage que les femmes (11 %).

Près de 4 adultes sur 10 font moins souvent d’exercice

Si le fait d’être confinés à la maison semble avoir augmenté la quantité d’alcool que les adultes consomment, il ne semble pas avoir eu le même impact sur la quantité d’exercices physiques qu’ils pratiquent.

Au contraire, près de 4 femmes sur 10 (38 %) et 33 % des hommes affirment, comme le montrent les données recueillies du 9 au 12 avril, qu’ils font actuellement « moins souvent » de l’exercice qu’ils n’en faisaient avant la pandémie. Les Québécois (42 %) sont d’ailleurs ceux qui déclarent avoir le plus réduit leur fréquence d’exercice, comparativement aux habitants des autres provinces.

Du reste, il semble que les jeunes familles consacrent plus de temps à faire de l’exercice. Une plus grande proportion d’adultes vivant avec des enfants (23 %) disent faire plus souvent de l’exercice depuis le début de la pandémie, comparativement à ceux qui vivent sans enfant (18 %) (figure 4). Par ailleurs, près de 3 adultes sur 10 de 18 à 34 ans (28 %) affirment qu’ils font plus souvent de l’exercice depuis le début de la crise, contre 14 % des adultes de 55 ans et plus.

L’augmentation de l’anxiété liée à la COVID-19 et la diminution de l’exercice peuvent être reliées

Selon la Société canadienne de psychologie, une activité physique régulière peut réduire le stress quotidien, prévenir la dépression et les troubles de l’anxiété, en plus de s’avérer aussi efficace que les traitements psychologiques et pharmaceutiques dans les cas de dépression et d’anxiété6. D’un autre angle, il est possible qu’il soit plus difficile pour une personne souffrant de problèmes de santé mentale, comme l’anxiété et la dépression, d’adopter ou de poursuivre un programme d’exercice, plus particulièrement pendant une période inhabituelle.

En fait, les données recueillies du 9 au 12 avril révèlent que les personnes qui déclarent éprouver « très souvent » de l’anxiété ou de la nervosité depuis le début de la crise de COVID-19 sont plus susceptibles d’affirmer qu’ils font actuellement « moins souvent » de l’exercice (20 %) qu’ils n’en faisaient avant la pandémie, alors que 13 % disent en faire « aussi souvent » qu’avant le début de la crise de COVID-19.

Par comparaison, les adultes qui disent avoir ressenti « très peu » d’anxiété ou de la nervosité depuis le début de la pandémie sont plus susceptibles d’affirmer que leur fréquence d’exercice n’a pas changé depuis le début de la pandémie (24 %) que de dire qu’ils en font actuellement plus souvent (17 %) ou moins souvent (17 %).

Près de la moitié des adultes vont moins souvent à l’extérieur

Passer du temps en plein air, dans la nature, a une incidence importante sur la santé mentale et le mieux-être7. Par ailleurs, en 2016, l’Enquête sociale générale de Statistique Canada a révélé que 7 Canadiens sur 10 prenaient part à au moins une activité extérieure, ce qui démontre que le temps passé en plein air fait partie intégrante du mode de vie des Canadiens8.

Néanmoins, pendant la pandémie de COVID-19, près de la moitié des femmes (46 %) et des hommes (45 %) déclarent aller dehors moins souvent actuellement qu’ils ne le faisaient avant la crise. La proportion des personnes disant aller dehors moins souvent varie selon la province, oscillant entre un faible 39 % au Québec ainsi qu’au Manitoba et en Saskatchewan et un maximum de 49 % en Ontario.

Ce qui s’avère particulièrement intéressant, toutefois, est d’observer comment la proportion des personnes qui vont dehors moins souvent varie selon la région urbaine ou rurale de résidence. Plus de la moitié (54 %) des citadins déclarent qu’ils vont présentement dehors moins souvent qu’avant la pandémie, contre 45 % des adultes vivant en banlieue et 29 % des personnes vivant en région rurale.

À l’autre extrémité, à propos de ceux qui affirment aller dehors plus souvent, on constate qu’une plus forte proportion de femmes (25 %) que d’hommes (15 %) signalent en ressentir un effet positif.

Il sera intéressant d’observer, au moment où le printemps fera place à l’été, si les proportions de Canadiens qui vont dehors et qui font de l’exercice plus souvent augmenteront en même temps que les températures.

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Nadine Badets, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données de recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Santé Canada, Guide alimentaire canadien. Lien : https://bit.ly/2W54WH8
  3. Peter Butt, Doug Beirness, Louis Gliksman, Catherine Paradis et Tim Stockwell, L’alcool et la santé au Canada : résumé des données probantes et directives de consommation à faible risque, Ottawa (Ontario), Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies (25 novembre 2011). Lien : https://bit.ly/3eVZZZQ (PDF)
  4. Statistique Canada, « Comment les Canadiens vivent-ils la situation liée à la COVID-19? » dans Infographies (8 avril 2020). Lien : https://bit.ly/2VBpZ4R
  5. Entre le 30 mars et le 2 avril 2020, Nanos a mené un sondage aléatoire hybride par téléphone et en ligne à double base d’échantillonnage (lignes terrestres et cellulaires par composition aléatoire) auprès de 1 036 Canadiens de 18 ans et plus dans le cadre d’un sondage omnibus. Les participants ont été recrutés au hasard par téléphone par l’entremise d’agents réels et ont répondu à un sondage en ligne. La marge d’erreur pour ce sondage est de ±3,1 points de pourcentage, et ce, 19 fois sur 20. Cette recherche a été commandée par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances et a été menée par Nanos Research. Lien : https://bit.ly/3aybEue (PDF)
  6. Société canadienne de psychologie, Série « La psychologie peut vous aider » : L’activité physique, la santé mentale et la motivation (novembre 2016). Lien : https://bit.ly/3d04dxN (PDF)
  7. Conseil canadien des parcs, Connecter les Canadiens à la nature : un investissement dans le mieux-être de notre société (2014). Lien : https://bit.ly/33LBQBs
  8. Statistique Canada, Les Canadiens et le plein air (26 mars 2018). Lien : https://bit.ly/2S6HM1E

Les adultes en couple ont-ils une meilleure santé mentale durant la pandémie de COVID‑19?

Ana Fostik, Ph. D., et Jennifer Kaddatz

22 avril 2020

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Près de la moitié des adultes de 18 ans et plus au Canada disent se sentir « très souvent » ou « souvent » anxieux ou nerveux (47 %) ou encore tristes (45 %) depuis le début de la crise de COVID‑19, selon les données d’un sondage mené par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, recueillies du 9 au 12 avril 20201 (figure 1).

Quatre adultes sur 10 affirment se sentir irritables (39 %) et environ le tiers disent éprouver des troubles du sommeil (35 %) et des sautes d’humeur (32 %) « très souvent » ou « souvent » depuis le début de la crise (figure 1).

Mais les adultes qui sont actuellement en couple – qu’ils soient mariés ou en union libre – sont-ils aussi susceptibles que les personnes célibataires ou séparées, divorcées ou veuves de se sentir déstabilisés?

L’anxiété ou la nervosité et la difficulté à dormir durant la pandémie ne semblent pas liées à l’état matrimonial

Les adultes vivant au sein d’un couple (48 %), les célibataires (47 %) ou les personnes séparées, divorcées ou veuves (43 %) (figure 1) sont tous, dans une proportion similaire, susceptibles d’affirmer se sentir anxieux ou nerveux très souvent ou souvent.

De même, la probabilité d’éprouver très souvent ou souvent de la difficulté à dormir est également comparable pour les personnes en couple (35 %), les adultes célibataires (36 %) et les personnes séparées, divorcées ou veuves (35 %).

Célibataires ou en couple, les femmes disent éprouver de l’anxiété et des troubles du sommeil plus fréquemment que les hommes

Des études antérieures sur la santé mentale ont révélé que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de souffrir de troubles anxieux et de dépression2. Il semble que ce soit également le cas en période de pandémie.

Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’affirmer qu’elles éprouvent très souvent ou souvent de l’anxiété durant la pandémie de coronavirus : près de 6 femmes sur 10 vivant en couple (58 %) ou célibataires (59 %)3 déclarent se sentir anxieuses ou nerveuses très souvent ou souvent, comparativement à moins de 4 hommes sur 10 vivant en couple (37 %) ou célibataires (37 %) (figure 2).

En ce qui concerne les troubles de sommeil, plus de 4 femmes 10 indiquent avoir très souvent ou souvent de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie, qu’elles soient en couple (44 %) ou célibataires (44 %). En comparaison, ils sont moins de 3 hommes sur 10, qu’ils soient en couple (26 %) ou célibataires (29 %), à connaître les mêmes troubles.

Les célibataires sont plus susceptibles d’éprouver de l’irritabilité et des sautes d’humeur

L’irritabilité et les sautes d’humeur sont plus fréquentes chez les personnes qui sont actuellement célibataires (figure 1). Près de la moitié des adultes célibataires (48 %) déclarent se sentir très souvent ou souvent irritables depuis le début de la pandémie, comparativement à 37 % des adultes en couple et à 30 % de ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs. Les adultes célibataires (39 %) disent aussi éprouver des sautes d’humeur dans des proportions plus élevées que ceux qui sont en couple (31 %) et que ceux qui sont séparés, divorcés ou veufs (27 %).

Encore une fois, les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sont plus susceptibles que les hommes d’éprouver de l’irritabilité ou des sautes d’humeur. Environ 6 femmes célibataires sur 10 (59 %) et 42 % des femmes en couple déclarent se sentir irritables très souvent ou souvent depuis le début de la pandémie. Quant aux hommes, ils disent se sentir irritables très souvent ou souvent dans des proportions plus faibles que les femmes, qu’ils soient célibataires (38 %) ou en couple (32 %) (figure 2).

Les femmes célibataires (46 %) présentent la plus forte probabilité d’éprouver très souvent ou souvent des sautes d’humeur depuis le début de la crise de COVID-19, suivies par les femmes en couple (38 %). Les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’indiquer qu’ils ont des sautes d’humeur fréquentes, mais ceux qui sont célibataires (31 %) ont tendance à éprouver des sautes d’humeur très souvent ou souvent dans de plus fortes proportions que les hommes en couple (23 %).

 

Les femmes séparées, divorcées ou veuves sont plus susceptibles de ressentir de la tristesse

Les adultes séparés, divorcés ou veufs (51 %) et les célibataires (48 %) sont plus nombreux que les adultes en couple (43 %) (figure 1) à déclarer se sentir très souvent ou souvent tristes durant la crise de coronavirus.

Les fréquents sentiments de tristesse sont également plus courants chez les femmes, qu’elles soient célibataires (59 %) ou en couple (53 %), que chez les hommes, qu’ils soient célibataires (37 %) ou en couple (33 %) (figure 2).

La santé mentale a une incidence sur le bien-être des familles

Il sera important de surveiller, à court, à moyen et à long termes, les tendances en matière de santé mentale, en fonction de l’état matrimonial et du sexe, ainsi que d’autres facteurs, dans le contexte de la pandémie de COVID‑19. Une première analyse a permis de démontrer que la perte de revenus ou d’emploi et les contraintes financières immédiates affectent également les symptômes de santé mentale, comme l’anxiété et la difficulté à dormir pendant la pandémie. Par ailleurs, la santé mentale et la santé physique sont interreliées : les personnes souffrant de troubles de l’humeur sont beaucoup plus susceptibles de développer un problème de santé à long terme que celles qui n’en ont pas4.

Les problèmes de santé mentale peuvent avoir une incidence profonde sur la scolarité, le travail et la vie sociale d’une personne, ainsi que sur les interactions qu’elle entretient avec sa famille5. Parmi les Canadiens dont au moins un membre de la famille souffrait d’un problème de santé mentale en 2012, plus du tiers (35 %) considéraient que la santé mentale de ce dernier avait affecté leur vie et, de ce nombre, environ 71 % ont affirmé avoir prodigué des soins à ce membre de la famille6.

Ainsi, le bien-être des familles au Canada repose sur la santé mentale des personnes qui les composent. Une prise de décision fondée sur des données probantes permettra de mieux orienter les mesures de soutien sociales ciblées, tant pour les personnes sur le plan individuel que pour les familles, suivant l’évolution de cette période de coronavirus tout comme lorsque la crise actuelle sera passée.

Ana Fostik, Ph. D., Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

  1. Un sondage de l’Institut Vanier de la famille, de l’Association d’études canadiennes et de la firme Léger, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril 2020 et du 9 au 12 avril, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars, du 3 au 5 avril et du 9 au 12 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.
  2. Caryn Pearson, Teresa Janz et Jennifer Ali, « Troubles mentaux et troubles liés à l’utilisation de substances au Canada » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (septembre 2013). Lien : https://bit.ly/2KsCEAW (PDF)
  3. Les comparaisons selon le sexe sont impossibles à obtenir pour les adultes séparés, divorcés ou veufs sur cette question en raison du faible taux de réponse.
  4. Patten et autres, « Long-Term Medical Conditions and Major Depression: Strength of Association for Specific Conditions in the General Population » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 50, p. 195‑202, 2005. Comme mentionné dans le texte du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), intitulé « Mental Illness and Addiction: Facts and Statistics ». Lien : https://bit.ly/3eEjyWc
  5. Commission de la santé mentale du Canada, Changer les orientations, changer des vies : Stratégie en matière de santé mentale pour le Canada (Calgary, Alberta, 2012). Lien : https://bit.ly/2XXTM9q (PDF)
  6. Caryn Pearson, « L’incidence des problèmes de santé mentale sur les membres de la famille » dans Coup d’œil sur la santé, no 82‑624‑X au catalogue de Statistique Canada (7 octobre 2015). Lien : https://bit.ly/3eJVl0Q

Un sondage révèle des écarts entre les sexes par rapport aux expériences et aux réactions relatives à la pandémie de COVID-19

16 avril 2020

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Pendant une pandémie, comme c’est le cas dans la vie en général, les femmes et les hommes ont souvent des réalités et des comportements différents. Selon les données du sondage réalisé au cours des trois dernières semaines1 par l’Institut Vanier de la famille, l’Association d’études canadiennes et la firme Léger, une proportion plus élevée de femmes que d’hommes perçoivent la pandémie de COVID-19 comme une menace et ont subi des conséquences physiques, émotionnelles et sociales résultant de la distanciation sociale et de l’isolement à domicile.

  • Les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’éprouver de l’anxiété ou de la nervosité, de la tristesse, de l’irritabilité ou de la difficulté à dormir durant la pandémie.
  • Les femmes sont également plus susceptibles de respecter les consignes de sécurité, se disent satisfaites des mesures fédérales et provinciales mises en œuvre pour aplanir la courbe et affirment qu’elles accepteraient des mesures d’application plus strictes.

Les femmes sont plus susceptibles de percevoir le coronavirus comme une menace, mais avec le temps, les différences convergent

En général, les femmes perçoivent la COVID-19 comme une menace plus grave que ne la perçoivent les hommes à l’égard de ses répercussions sur la société. Dans le plus récent cycle du sondage, mené du 3 au 5 avril 2020, une plus forte proportion de femmes que d’hommes disent percevoir le virus comme une menace pour l’économie canadienne (94 % c. 91 %), une menace pour la vie quotidienne au sein de leur communauté (81 % c. 75 %) et une menace pour la santé de la population dans son ensemble (83 % c. 74 %). Une proportion égale de femmes et d’hommes (53 %) affirment que la COVID-19 est une menace pour leur situation financière personnelle.

À l’égard de l’impact personnel sur la santé*, les femmes ont également tendance à exprimer une inquiétude plus vive. Près de 7 femmes sur 10 (68 %) de 18 ans et plus indiquent qu’elles ont « très peur » ou « assez peur » de contracter le coronavirus, par rapport à 63 % des hommes (figure 1). En parallèle, 8 femmes sur 10 (80 %) craignent qu’un membre de leur famille en soit infecté, comparativement à 73 % des hommes.

Lorsqu’on leur demande si le pire de la crise est derrière nous, si on le vit actuellement ou s’il est à venir, 69 % des femmes indiquent qu’elles croient que le pire est à venir, par rapport à 64 % des hommes. À l’autre extrémité, 11 % des femmes et 18 % des hommes disent penser que le virus ne constitue pas une menace réelle et qu’on le présente de façon « démesurée »*; néanmoins, les données se rapportant aux femmes et aux hommes recueillies au cours des trois dernières semaines suggèrent qu’avec le temps, ces écarts se sont resserrés (figures 1 et 2).

On remarque des différences marquées entre les sexes chez les jeunes adultes à l’égard des relations avec la famille et les amis

Les données montrent que les femmes et les hommes au Canada se sont appliqués à aplanir la courbe de la COVID-19. Près de 9 femmes et hommes sur 10 disent pratiquer la distanciation sociale, maintenir une distance sécuritaire de 2 mètres des autres personnes, laver leurs mains plus souvent qu’à l’habitude et ne sortir que lorsque c’est nécessaire (figure 3).

Les différences entre les femmes et les hommes sont peu prononcées par rapport aux activités d’achat déclarées au cours de la dernière semaine. Les femmes sont légèrement moins susceptibles de s’être rendues à l’épicerie (69 % c. 72 %), dans un magasin de vins et spiritueux (13 % c. 17 %) ou à un comptoir de mets à emporter d’un restaurant (20 % c. 22 %). Toutefois, les écarts sont plus importants entre les femmes et les hommes ayant fréquenté un dépanneur au cours des 7 derniers jours (15 % c. 22 %).

Des différences plus marquées entre les sexes ont été relevées en matière de gestion des relations avec la famille et les amis durant la pandémie, plus particulièrement lorsque l’on prend l’âge en considération. Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes de déclarer avoir demandé aux autres de pratiquer la distanciation sociale (86 % c. 79 %), comme le montre la figure 3. L’écart entre les sexes le plus marqué à cet égard se trouve chez les femmes et les hommes de 18 à 24 ans (une différence de 13 points de pourcentage), mais il demeure perceptible à une échelle réduite au sein du groupe des 35 à 54 ans (une différence de 2 points de pourcentage) et de celui des 55 ans et plus (une différence de 8 points de pourcentage), comme on peut le constater à la figure 4.

Par ailleurs, les hommes – plus particulièrement les jeunes hommes – sont plus susceptibles de visiter les amis et la famille durant la pandémie de COVID-19 : 30 % des hommes de 18 à 34 ans affirment avoir visité des amis ou des membres de la famille depuis le début de la crise du coronavirus, ce qui représente plus du double de la proportion (14 %) des femmes du même groupe d’âge et environ quatre fois la proportion des hommes (8 %) et des femmes (6 %) de 55 ans et plus (figure 5).

Les femmes acceptent mieux les mesures potentiellement plus strictes visant à aplanir la courbe

Près des trois quarts des femmes au Canada (74 %) sont satisfaites des mesures instaurées par le gouvernement fédéral dans le but de combattre la COVID-19, et 84 % le sont des mesures instaurées à l’échelle provinciale, selon les résultats du sondage réalisé du 3 au 5 avril 2020. Ces données sont comparables à 69 % et à 79 % des hommes, et révèlent un écart entre les sexes semblable à ce qui avait été observé lors du cycle du sondage du 10 au 13 mars.

Les femmes indiquent aussi plus couramment être en accord avec des mesures potentiellement plus strictes qui pourraient être appliquées afin de contenir la pandémie de COVID-19. Comme le montre le sondage du 3 au 5 avril, 7 femmes sur 10 (68 %) sont entièrement d’accord à ce que les policiers puissent remettre des contraventions aux citoyens qui ne respectent pas les mesures instaurées, comparativement à 62 % des hommes, alors que 49 % des femmes et 46 % des hommes sont d’avis que les policiers devraient même pouvoir arrêter des gens. Si les villes devaient se mettre en quarantaine complète, 43 % des femmes affirment qu’elles seraient entièrement d’accord avec cette mesure, comparativement à 36 % des hommes.

Une proportion plus élevée de femmes éprouvent de l’anxiété, de la tristesse, de l’irritabilité et de la difficulté à dormir

Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de déclarer qu’elles ont « très souvent » ou « souvent » éprouvé de l’anxiété ou de la nervosité, de la tristesse, de l’irritabilité ou de la difficulté à dormir depuis le début de la pandémie de COVID-19. En effet, c’est à l’égard de ces indicateurs que l’on observe la plus grande différence entre les sexes dans le cadre du sondage mené du 3 au 5 avril, avec une proportion de femmes plus importante de 9 à 15 points de pourcentage par rapport aux hommes affirmant avoir connu de tels épisodes (figure 6).

Les jeunes femmes, de 18 à 34 ans, sont plus particulièrement susceptibles de déclarer éprouver « très souvent » ou « souvent » de l’anxiété ou de la nervosité comparativement à leurs homologues masculins (63 % c. 40 %). En outre, elles sont aussi beaucoup plus susceptibles de déclarer ressentir de la tristesse (56 % c. 36 %) et de l’irritabilité (61 % c. 41 %). Près de la moitié (45 %) des femmes de 18 à 34 ans indiquent éprouver de la difficulté à dormir, comparativement à moins de 3 hommes sur 10 (29 %) du même groupe d’âge.

Les hommes se sentent plus proches de leur partenaire, mais sont aussi moins susceptibles d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas d’urgence

Malgré certaines différences qui existent entre les sexes en matière de sentiments et de réactions à l’égard de la pandémie de COVID-19, les femmes et les hommes déclarent en proportions égales qu’ils gèrent mieux (7 %), à peu près de la même façon (65 %) ou moins bien (25 % à 26 %) leur vie qu’avant la pandémie.

Il est toutefois intéressant de noter qu’une plus grande proportion d’hommes mariés ou vivant en union libre indiquent que la pandémie de COVID-19 les a rapprochés de leur conjoint(e) (49 %) et/ou a donné lieu à des conversations plus enrichissantes (52 %), comparativement aux femmes (41 % et 49 %).

Pour ce qui est d’avoir quelqu’un sur qui compter en cas d’urgence, près de 9 femmes et hommes sur 10 (85 % dans chacun des cas) disent avoir des personnes sur qui ils peuvent compter. Toutefois, 6 % des hommes, comparativement à 3 % des femmes, affirment n’avoir personne sur qui compter dans une période de crise.

Jennifer Kaddatz, Institut Vanier, en détachement de Statistique Canada

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Notes

1. Le sondage, mené du 10 au 13 mars, du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril 2020, comprenait environ 1 500 personnes de 18 ans et plus qui ont été interrogées à l’aide d’une technologie ITAO (interview téléphonique assistée par ordinateur) dans le cadre d’une enquête en ligne. Les échantillons du 27 au 29 mars et du 3 au 5 avril comprenaient également un échantillon de rappel d’environ 500 immigrants. À l’aide des données du Recensement de 2016, les résultats ont été pondérés en fonction du sexe, de l’âge, de la langue maternelle, de la région, du niveau de scolarité et de la présence d’enfants dans le ménage, afin d’assurer un échantillon représentatif de la population. Aucune marge d’erreur ne peut être associée à un échantillon non probabiliste (panel en ligne, dans le présent cas). Toutefois, à des fins comparatives, un échantillon probabiliste de 1 512 répondants aurait une marge d’erreur de ±2,52 %, et ce, 19 fois sur 20.

* Les données portant sur la menace relative à leur propre santé, sur la menace relative à la santé d’un membre de leur famille et sur le fait que le virus constitue une menace réelle ou démesurée excluent les femmes et les hommes ayant indiqué qu’eux-mêmes ou un membre de leur famille a déjà contracté le virus ou ayant répondu « Ne sais pas » à la question sur la menace concernée (ces personnes ont été incluses dans les données des autres questions du sondage faisant l’objet de ce rapport).

Entretien avec Rachel Margolis sur les tendances en matière de divorce au Canada

Nathan Battams

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(10 février 2020) Les familles canadiennes ont considérablement évolué au fil des générations, et ce fut également le cas pour les modèles d’union (p. ex. : le mariage, la vie en union libre) et de désunion (p. ex. : la séparation et le divorce) qui touchent les familles et leur bien-être. Bien qu’un nombre de plus en plus important de recherches sur la famille documentent l’impact que le divorce peut avoir sur les individus et leur famille, notre compréhension de cette évolution a été grandement affectée par le manque de données statistiques sur l’état civil accessibles au public au cours de la dernière décennie au Canada.

Rachel Margolis, Ph. D., professeure agrégée au sein du Département de sociologie de l’Université Western Ontario et panéliste lors de la Conférence sur les familles au Canada 2019, s’est entretenue avec Nathan Battams, gestionnaire des communications de l’Institut Vanier, afin de discuter de l’évolution du paysage des données au Canada, un sujet qu’elle évoque dans sa récente étude publiée dans Demographic Research portant sur les récentes tendances en matière de divorce et l’utilisation des données administratives pour combler le manque de données sur le divorce.


Parlez-moi de votre dernière étude sur le divorce au Canada, et de ce qui vous a amenée à traiter du sujet…

Cette étude, qui a été financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), porte sur un problème auquel je réfléchis depuis longtemps déjà. Au fil des ans, pendant que je me consacrais à mon étude tout en enseignant la démographie, j’ai souvent été confrontée au fait que nous ne disposons plus de mesures nationales sur le mariage et le divorce au Canada depuis 2008, l’année où Statistique Canada a cessé d’analyser et de recueillir les données statistiques sur l’état civil. Mes collaborateurs, Youjin Choi, Feng Hou et Michael Haan, ont tous collaboré avec moi à ce projet afin d’en apprendre davantage sur les récents changements en matière de divorce.

La véritable motivation pour mener cette étude était d’approfondir notre compréhension des changements démographiques au Canada.

C’est un enjeu important, car les données sur le mariage et le divorce fournissent des mesures importantes et uniques pour l’étude des familles et de la vie de famille. Ces données permettent de comprendre les tendances en matière de fécondité, car les unions formelles sont le contexte dans lequel naissent la plupart des bébés. Ces données permettent également de comprendre les finances familiales, puisque les unions formelles sont le moteur de l’accumulation de richesses, et elles peuvent d’ailleurs nous en apprendre beaucoup sur les ressources et les dispositions familiales, comme le logement et la prestation de soins. La véritable motivation pour mener cette étude était d’approfondir notre compréhension des changements démographiques au Canada.

Par le passé, les renseignements sur le mariage et le divorce au Canada étaient recueillis et gérés par un système qui s’appelait Statistiques de l’état civil. La plupart des pays disposent de statistiques de l’état civil, sous une forme ou une autre, qui servent à recueillir des données démographiques sur des sujets comme le mariage, le divorce, les naissances et les décès, bien que certains pays aient récemment délaissé ce mode de collecte de données pour explorer d’autres stratégies. Aux États-Unis, le National Center for Health Statistics (NCHS) a cessé de collecter des données sur le divorce et le mariage en 1996, lorsque l’on a constaté qu’il était possible de recueillir de telles données plus facilement et de façon moins coûteuse par le biais d’enquêtes, que l’on utilise maintenant pour collecter des renseignements sur les taux de mariage et de divorce.

Et bien que Statistique Canada n’ait publié aucunes données sur les tendances en matière de mariage et de divorce depuis 2008, aucune autre source de données n’a été instaurée, contrairement à ce qui a été fait aux États-Unis. La décision de cesser la publication de ces données a été prise pour diverses raisons, notamment des contraintes budgétaires, certains problèmes liés à la compatibilité des données entre les provinces et territoires, ainsi qu’une sous-utilisation de ces donnée en ligne. Mais en l’absence de toute autre source, le Canada ne dispose d’aucunes données sur le mariage et le divorce depuis une décennie.

La première carence en matière de données que cette étude a cherché à combler était de savoir si d’autres types de données pouvaient répondre à ce manque. Bien que certains chercheurs aient déjà utilisé des données administratives pour étudier l’effet des changements d’état civil dans d’autres domaines, nous n’avons pas vraiment évalué la qualité de ces mesures à l’égard du divorce1.

Deuxièmement, nous ne disposons d’aucunes données nationales sur l’évolution du taux de divorce au Canada depuis la fin de la collecte des données statistiques sur l’état civil en 2008. Depuis, la recherche sur le divorce au Canada repose sur les renseignements relatifs à l’état matrimonial ou conjugal actuel des individus, ce qui ne permet pas d’obtenir le taux de divorce. Il est important de suivre ce dernier, car il est très évocateur de l’évolution de la situation au fil du temps. L’état matrimonial actuel n’est pas un indicateur efficace de divorce, car plusieurs personnes qui divorcent finissent par établir une nouvelle union ou se remarier. Notre étude a utilisé des données administratives anonymes tirées des dossiers fiscaux pour parvenir à estimer le taux de divorce – et c’est la première à le faire.

Une troisième lacune est que nous ne disposons pas d’information sur l’évolution de la courbe des âges reliée au divorce au Canada depuis 2008. Nous savons toutefois que des changements importants se produisent dans des pays comparables au nôtre, comme les États-Unis, et d’autres pays d’Europe. Nous savons que le taux de divorce chez les 50 ans et plus – que l’on qualifie souvent de « divorce gris » – a doublé aux États-Unis au cours des années 1990 et 2000. Plusieurs raisons expliquent la situation, mais il est probable que les tendances qui se dessinent au sein de la génération américaine du baby-boom s’appliquent également à cette même génération au Canada. Mais, en l’absence de données, nous ne pouvons pas confirmer si le Canada a également connu une « révolution du divorce gris ».

Qu’est-ce que votre étude a permis de constater à l’égard du divorce au Canada?

D’abord, nous avons constaté qu’il était possible de mesurer, somme toute assez bien, le taux de divorce au Canada à l’aide des données administratives, en établissant une comparaison avec les données statistiques sur l’état civil d’avant 2008. En extrapolant les données pour les années suivant 2008 à l’aide de cette approche, nous observons une baisse du taux de divorce annuel entre 2009 et 2016. Au début des années 2000, le taux de divorce annuel se chiffrait à environ 10 divorces pour 1 000 femmes mariées, et il a diminué à partir de 2006, pour atteindre 6 divorces pour 1 000 femmes mariées en 2016.

Deuxièmement, nous avons observé un changement dans la répartition selon l’âge chez les personnes qui divorçaient. Au début des années 1990, la plupart des divorces au Canada étaient accordés à des personnes dans la vingtaine et la trentaine. Globalement, 51 % de tous les divorces ont été consentis à des femmes de 20 à 39 ans, 42 % à des femmes de 40 à 59 ans et seulement 7 % à des femmes de 60 ans et plus. Au cours des 20 dernières années, il est devenu plus fréquent que les divorces surviennent plus tard. Par exemple, en 2016, seulement 28 % des divorces ont été accordés à des femmes de 20 à 39 ans, 57 % à des femmes de 40 à 59 ans et 15 % à des femmes de 60 ans et plus. Le divorce est donc devenu de plus en plus courant à un âge plus avancé.

De moins en moins de gens se marient et ceux qui le font sont plus susceptibles d’appartenir à des groupes où le taux de divorce est inférieur.

Troisièmement, on a observé des changements dans le taux de divorce, autant chez les jeunes Canadiens que chez les plus âgés. Le taux de divorce chez les adultes dans la vingtaine et la trentaine a diminué d’environ 30 % au cours de la dernière décennie. Les recherches menées dans d’autres pays permettent d’expliquer la situation, à savoir que de moins en moins de gens se marient et que ceux qui le font sont plus susceptibles d’appartenir à des groupes où le taux de divorce est inférieur (les personnes très scolarisées et bénéficiant de nombreuses ressources); ils sont par conséquent moins susceptibles de divorcer dans ce groupe d’âge, et ceux qui se marient forment des mariages potentiellement plus forts que par le passé2. Même si le taux de divorce selon l’âge est plus élevé chez les jeunes femmes, il a diminué au cours de la période touchée par notre analyse.

Par ailleurs, le taux de divorce chez les personnes plus âgées au Canada a légèrement augmenté dans les années 1990 et 2000, mais pas dans les mêmes proportions qu’au cours de la « révolution du divorce gris » des États-Unis, et cette augmentation semble aujourd’hui s’être résorbée. Aux États-Unis, le taux de divorce chez les personnes de 50 ans et plus a doublé entre 1990 et 2010, passant de 4,87 à 10,05 divorces pour 1 000 personnes mariées3. Nous avons observé que l’augmentation comparable qui a eu lieu au Canada entre 1991 et 2008 passait de 4,02 à 5,17 divorces pour 1 000 personnes mariées au cours de cette période (augmentation de 25 %). Depuis 2008, nous n’avons décelé aucune nouvelle augmentation du taux de divorce chez les personnes âgées au Canada.

Le taux de divorce chez les personnes plus âgées au Canada a légèrement augmenté dans les années 1990 et 2000, mais pas dans les mêmes proportions qu’au cours de la « révolution du divorce gris » des États-Unis.

Notre quatrième constatation a été de comparer les tendances canadiennes en matière de divorce à ce qui a été observé aux États-Unis. Nous avons constaté que les tendances liées au divorce au Canada sont semblables aux tendances américaines. Le taux de divorce était relativement stable dans les années 1990 et au début des années 2000, puis il a diminué plus récemment (voir figure 1). Cependant, une différence importante est que le taux de divorce au Canada s’élève à environ la moitié de celui des États-Unis. Par exemple, pour la majeure partie des années 1990 et du début des années 2000, le taux de divorce américain se chiffrait à environ 20 divorces pour 1 000 femmes mariées, alors que le taux canadien était d’environ 10 divorces pour 1 000 femmes mariées. Plus récemment, le taux de divorce aux États-Unis s’élevait à 16,7 divorces pour 1 000 femmes mariées en 2016, et le chiffre comparable au Canada était de 6,22.

Dans l’ensemble, nous avons constaté que les données fiscales nous ont fourni des indications précieuses sur les tendances récentes en matière de divorce au Canada, ainsi que sur la possibilité d’utiliser les données administratives pour combler le manque de données sur le divorce. Cependant, nous avons également relevé des mises en garde importantes concernant la qualité des données recueillies au cours des dernières années, car le taux de couverture des personnes divorcées dans les données fiscales a diminué dans une certaine mesure (c.-à-d. que le nombre de divorces a été sous-estimé dans les données fiscales par rapport aux statistiques sur l’état civil). Cette situation pourrait s’avérer problématique, car elle pourrait nous amener à sous-estimer de plus en plus le divorce dans les données fiscales au fil du temps, et il pourrait devenir difficile de déterminer dans quelle mesure la diminution des divorces au cours des dernières années pourrait être attribuable à une diminution de la qualité des données.

En songeant à l’avenir, en tant que chercheuse sur la famille, comment compléteriez-vous la phrase « Ne serait-ce pas formidable si… »?

Afin de combler les lacunes qui existent en matière de données, le Canada et d’autres pays s’appuient de plus en plus sur les données administratives plutôt que sur les données d’enquête pour en apprendre davantage sur leur population. Il y a de nombreuses raisons à cela et ce n’est pas nécessairement négatif, mais il nous faut être attentifs aux différents problèmes qui peuvent survenir à propos de la qualité des données – et c’est ce que nous avons constaté lorsque nous avons utilisé les données fiscales pour étudier les tendances en matière de divorce.

Donc, pour répondre à cette question, je dirais « Ne serait-ce pas formidable si nous pouvions ajouter des questions relatives au mariage et au divorce au cours de la dernière année dans le cadre d’une grande enquête annuelle au Canada pour laquelle on obtient généralement un taux de réponse élevé? » Une enquête ayant un échantillon suffisamment important, comme l’Enquête sur la population active de Statistique Canada ou le questionnaire détaillé de recensement, serait un véhicule efficace et fiable pour la collecte de ces données.

Nous pouvons également nous inspirer de nos voisins du Sud, qui ont ajouté des questions sur les récents changements d’état civil à leur enquête American Community Survey en 2008. Cela pourrait fournir des indications sur l’évolution du mariage et du divorce ainsi que du pourcentage de mariages se terminant par un divorce – il s’agit de renseignements précieux pour les chercheurs, les décideurs, les prestataires de services et tout autre intervenant s’intéressant aux familles canadiennes.

Rachel Margolis, Ph. D., est professeure agrégée au sein du Département de sociologie de l’Université Western Ontario et collaboratrice à l’Institut Vanier de la famille.

Nathan Battams est gestionnaire des communications pour l’Institut Vanier de la famille.

Consultez l’étude sur Demographic Research (libre accès) :

Rachel Margolis, Ph. D., Youjin Choi, Ph. D., Feng Hou, Ph. D., et Michael Haan, Ph. D., « Capturing Trends in Canadian Divorce in an Era Without Vital Statistics » dans Demographic Research, vol. 41, article 52 (20 décembre 2019). Lien : https://bit.ly/39lHEBD

Pour en apprendre davantage sur Rachel Margolis :

  • Rachel Margolis, La santé des grands-parents et le bien-être de la famille, L’Institut Vanier de la famille. Lien : https://bit.ly/37Y5LpV
  • Rachel Margolis et autres, « Use of Parental Benefits by Family Income in Canada: Two Policy Changes », dans Journal of Marriage and Family, vol. 81, no 2 (13 novembre 2018). Lien : https://bit.ly/2RTPSuN
  • Rachel Margolis et Laura Wright, « Healthy Grandparenthood: How Long Is It, and How Has It Changed? », dans Demography, vol. 54 (10 octobre 2017). Link: https://bit.ly/36W9ClM
  • Rachel Margolis, « The Changing Demography of Grandparenthood », dans Journal of Marriage and Family, vol. 78, no 3 (14 mars 2016). Lien : https://bit.ly/380Ow7c
  • Rachel Margolis et Natalie Iciaszczyk, « The Changing Health of Canadian Grandparents», dans Canadian Studies in Population, vol. 42, nos 3-4, p. 63-76. Lien : https://bit.ly/36TLNv1

Notes

  1. Cette étude ne portait pas sur la séparation. Par rapport au nombre de personnes divorcées, le nombre de personnes légalement séparées mais non divorcées est faible, et la plupart des séparations se terminent par un divorce. De plus, le taux de séparation ne constitue pas une mesure démographique conventionnelle.
  2. Phillip N. Cohen, « The Coming Divorce Decline », dans Socius: Sociological Research for a Dynamic World, vol. 5 (28 août 2019). Lien : https://bit.ly/2RK7J7j
  3. Susan L. Brown et Lin I-Fen, « The Gray Divorce Revolution: Rising Divorce Among Middle-Aged and Older Adults, 1990–2010 », dans The Journals of Gerontology: Series B, vol. 67, no 6 (2012). Lien : https://bit.ly/2UdlDAB

Les mots pour le dire : définir la famille dans la diversité sociale

Alan Mirabelli

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Depuis plus de 50 ans, l’Institut Vanier de la famille a agi à titre de ressource nationale dédiée à l’exploration et à la compréhension des familles du Canada dans toutes leurs diversités. Au cours de cette période, l’Institut aura cherché à mobiliser les connaissances et à approfondir sa compréhension des familles canadiennes en faisant des recherches pour exposer la richesse et la complexité de la vie de famille, des familles elles-mêmes, ainsi que de leur réalité, leurs attentes et leurs aspirations. Depuis la fin des années 80, l’Institut exerce ses activités de recherche autour d’un axe central, soit la définition fonctionnelle de la famille.

L’Institut Vanier définit par le terme « famille » toute forme d’alliance durable entre deux ou plusieurs personnes, que ce soit par des liens de consentement mutuel ou par procréation, adoption ou placement, et qui assument conjointement des rôles dans des domaines de responsabilités tels que : soutien et soins offerts aux membres du groupe sur le plan physique, ajout de nouveaux membres par la procréation, l’adoption ou le placement; socialisation des enfants; encadrement social des membres; production; consommation et distribution de biens et services; soutien affectif (c’est-à-dire amour).

L’Institut Vanier cherchait une définition de la « famille » autour de laquelle on pourrait discuter plutôt que débattre. À cet égard, il était primordial de respecter le principe d’inclusion, si bien qu’il fallait nécessairement que cette définition s’applique à toutes les réalités familiales, peu importe les antécédents, la nationalité, le statut socioéconomique, l’appartenance ethnoraciale, l’orientation sexuelle ou le type de structure familiale. Or, à cette époque, les définitions utilisées par les organismes et les individus faisaient surtout écho à la réalité personnelle des intervenants appelés eux-mêmes à en formuler les termes. À partir de leur propre vécu familial, ceux-ci avaient tendance à projeter leur perception dans la sphère des politiques publiques ou dans les échanges sociologiques et communautaires.

L’Institut Vanier cherchait une définition de la « famille » autour de laquelle on pourrait discuter plutôt que débattre. À cet égard, il était primordial de respecter le principe d’inclusion.

Tout cela est tout à fait concevable, puisque les gens perçoivent généralement les institutions sociales à partir de leur propre réalité et du contexte où ils évoluent. Il est vrai que les familles n’ont jamais été homogènes, même à l’époque des débuts de l’Institut Vanier où leur structure et leur composition étaient moins diversifiées. Par conséquent, cette définition initiale de la famille ne tenait pas compte de certains modèles de famille comme les familles monoparentales, les familles reconstituées et les familles LGBTQI+. Plutôt que de s’intéresser à l’image que projettent les familles, l’Institut s’en est quant à lui plutôt remis à une définition fondée sur leur manière d’être, sans égard à leur structure particulière ou à la répartition des rôles au sein de celles-ci.

Toutefois, le caractère volontairement générique de la définition de l’Institut Vanier a d’abord suscité une certaine controverse. Dès les premières publications de l’Institut, les médias ont voulu savoir si cette définition touchait, par exemple, les familles dirigées par des parents LGBTQI+. Sans hésiter, on a répondu par l’affirmative : oui, parce que cette définition englobe sans distinction tous ceux et celles qui s’emploient à élever une nouvelle génération. Cette première controverse était sans doute inévitable. En tout cas, elle était nécessaire pour ne pas renier l’approche inclusive choisie par l’Institut.

La définition de l’Institut Vanier n’est pas conditionnée par le statut des adultes qui s’occupent de leurs enfants. La famille représente plutôt un ensemble de relations liant plusieurs individus sur une certaine période et basées sur l’entraide. Il n’est pas nécessairement question de mariage, mais plutôt d’une forme quelconque d’engagement, qu’il s’agisse d’une union de fait, de soutien monoparental ou de toute autre structure familiale. Selon une telle définition, les enfants ne sont pas une condition absolue, mais il faut nécessairement des liens entre un adulte et une autre personne, et qu’ils s’inscrivent dans une certaine continuité, ce qui suppose alors une forme d’engagement. Somme toute, la définition ne renvoie ni à un cadre ni à une structure familiale en particulier.

Plutôt que de s’intéresser à l’image que projettent les familles, l’Institut Vanier s’en est plutôt remis à une définition fondée sur leur manière d’être.

Au cours des années ayant précédé l’Année internationale de la famille, en 1994, cette définition fonctionnelle s’est révélée particulièrement pertinente, alors que les gouvernements exploraient diverses définitions de la famille pour fonder leurs politiques publiques familiales. Jusque-là, les gens cherchaient encore à légitimer la famille nucléaire ou leur propre réalité familiale, plutôt que de chercher une approche globale qui rendrait mieux compte de l’ensemble des familles. Vers le milieu des années 90, on a commencé à reprendre la définition de l’Institut Vanier dans divers ouvrages, si bien qu’elle figure aujourd’hui parmi les plus citées à l’échelle nationale dans le domaine des études sur la famille.

Du reste, cette définition engendre des échanges intéressants parce qu’elle met en relief le fait que toutes les familles accomplissent les mêmes choses, en adoptant cependant des moyens différents (même si elles semblent parfois bien similaires). Au siècle dernier, il fallait cultiver pour nourrir sa famille, c’est-à-dire préserver la nourriture en conserves ou autrement, l’apprêter et la servir aux autres membres de la famille. Quelques générations plus tard, la nourriture se trouvait plutôt à l’épicerie et les gens n’avaient plus qu’à cuisiner pour garnir les assiettes de la famille autour de la table. Désormais, les restaurants proposent aussi des plats préparés à déguster en compagnie des proches. Et cette évolution a entraîné l’apparition des supermarchés d’aujourd’hui, où l’on trouve des mets préparés tout autant que des ingrédients de base pour nourrir les familles contemporaines. Or, les familles assument toujours la même fonction essentielle, soit l’alimentation, mais grâce à des moyens différents. Autrement dit, les familles sont de nature dynamique, en ceci qu’elles accomplissent toujours les mêmes fonctions tout en s’adaptant au contexte socioéconomique et culturel en constante évolution.

Enfin, le caractère bidirectionnel des liens entre la famille et la société se reflétait aussi dans cette définition : la famille réagit et se moule aux facteurs socioéconomiques et culturels, mais elle influe également sur ces mêmes forces. En fonction des aspirations familiales, de sa volonté de participer ou non au marché du travail, ou de ses choix de consommer certains produits et services, elle provoque le changement dans son propre microcosme. Collectivement, ces petits changements s’accumulent au fil du temps pour susciter une transformation à grande échelle, c’est-à-dire dès lors que les institutions et les organismes réagissent aux modèles comportementaux des familles. Ces dernières ne sont pas seulement un pôle autour duquel les politiques gouvernementales ou de l’emploi sont élaborées : elles y prennent part, y résistent ou contribuent à les modifier en fonction de leurs besoins immédiats et personnels. Il s’agit donc d’un processus permanent de négociation et de renégociation entre la famille et la culture. Agissant comme agent de changement, les familles se conforment aussi, à certains égards, aux normes culturelles.

« L’Institut Vanier de la famille doit s’intéresser de près à la vie de famille dans toute sa diversité, c’est-à-dire non pas à l’idéal familial, mais plutôt à la réalité des gens. »
– Beryl Plumptre (ancienne directrice générale de l’Institut Vanier), 1972

Il ressort de la définition de l’Institut Vanier une certaine constante au fil du temps : en cherchant à préparer les jeunes à l’économie et à la société qui les attend, les familles adoptent diverses mesures au bénéfice de leurs membres et pour l’avancement de la société. De fait, la société tire profit de l’éventuelle contribution de ces enfants, qui deviendront bientôt la prochaine génération d’employés, de contribuables et de membres de la collectivité.

Puisqu’elle reconnaît la diversité, la complexité et la nature dynamique de la famille, la définition retenue par l’Institut Vanier favorise le dialogue au sujet des familles et de la vie de famille, sans privilégier les intérêts d’un type de famille au détriment d’un autre. C’était d’ailleurs un problème récurrent avant la formulation de cette définition, puisque l’on avait tendance à juger un type de famille par rapport à un autre selon sa structure ou sa composition. Cette approche était sans doute accablante pour les familles ciblées et dommageable pour notre culture. Pour paraphraser Elise Boulding, il n’y a pas assez d’amour en ce bas monde pour se permettre de rejeter certains liens affectifs, quelle que soit leur forme. En s’intéressant à la manière d’être des familles, il est plus facile d’adopter le point de vue du témoin plutôt que du critique. Cette approche renforce l’idée que tout ce que les familles et les parents mettent en mouvement finit par rejaillir sur la culture collective.

D’une certaine façon, tous ces aspects de la définition ne décrivent pas seulement la famille en soi, mais aussi toute la collectivité qui l’entoure. Cette dernière joue un rôle à chaque tournant, parce qu’elle reprend le flambeau là où s’arrête le rôle de la famille. D’ailleurs, le caractère très inclusif de cette définition s’explique ainsi : c’est une façon de dire que nous avons tous et toutes une responsabilité à assumer et c’est une responsabilité commune. Nous n’élevons pas seulement des individus, mais nous formons une culture par l’agrégation de familles qui remplissent les mêmes fonctions au nom de la société.

 


Pendant plus d’une trentaine d’années, Alan Mirabelli a été un membre engagé de l’équipe de l’Institut Vanier, où il a notamment agi comme directeur général (volet administration) et directeur des communications. Alan Mirabelli est décédé paisiblement le 20 décembre 2017 à l’âge de 69 ans. Que ce soit comme ami, collègue ou mentor, son départ laisse un grand vide. L’Institut Vanier de la famille bénéficiera indéfiniment de ses réalisations et de sa contribution.

Publié d’abord sous forme d’article dans le magazine Transition, en décembre 2015.

Mise à jour et nouvelle notice biographique le 21 août 2018.

 

La santé des grands-parents et le bien-être de la famille

Rachel Margolis, Ph. D.

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Au Canada, quelque 7,1 millions de grands-parents et d’arrière-grands-parents procurent un apport unique, diversifié et précieux aux familles et à la société, entre autres par leur mentorat, leur rôle d’éducateurs et leur savoir-faire, ou en tant que dépositaires de la mémoire familiale. À l’instar de la population canadienne, le groupe démographique des grands-parents connaît un vieillissement rapide qui suscite certaines préoccupations dans les médias et l’opinion publique quant à l’impact éventuel de ce « tsunami gris ».

Toutefois, même s’il gagne en âge, le groupe des grands-parents serait en meilleure santé qu’il y a 30 ans si l’on se fie aux statistiques dans ce domaine. Il s’agit là d’une tendance éventuellement favorable aux familles, puisque la bonne santé des grands-parents leur permet de mieux contribuer à la vie de famille et d’aider les plus jeunes générations à assumer diverses responsabilités familiales, comme les soins aux enfants et le budget du ménage.

L’amélioration de la santé des grands-parents leur permet de mieux contribuer à la vie de famille et d’aider les plus jeunes générations à assumer leur diverses responsabilités familiales.

Le Canada vieillit, et les grands-parents aussi…

Le vieillissement du groupe démographique des grands-parents fait écho à celui de l’ensemble de la population canadienne. Selon les plus récentes données du Recensement de 2016, les aînés occupent désormais 16,9 % du poids démographique au pays, soit presque deux fois plus qu’en 1981 (9,6 %). Il s’agit de la proportion la plus élevée jamais enregistrée jusqu’ici, et cette croissance devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies : si la tendance se maintient, les Canadiens de 65 ans ou plus représenteront près du quart de la population (23 %) d’ici 2031. En outre, la tranche des Canadiens les plus âgés (100 ans ou plus) connaît actuellement la croissance la plus rapide : on comptait 8 200 centenaires en 2016 (soit 41 % de plus qu’en 2011), et ils seront vraisemblablement 40 000 d’ici 2051.

Dans un tel contexte, le vieillissement global du groupe démographique des grands-parents n’est pas une surprise. Ainsi, alors que 41 % des grands-parents avaient 65 ans ou plus en 1985, cette proportion était passée à 53 % en 2011. La représentation des grands-parents âgés de 80 ans ou plus a connu une croissance encore plus marquée, passant pratiquement du simple au double pour atteindre 13,5 % en 2011 (contre 6,8 % en 1985).

Des grands-parents plus âgés compte tenu de l’espérance de vie

L’augmentation de l’espérance de vie figure parmi les facteurs qui sous-tendent le vieillissement du groupe démographique des grands-parents. Statistique Canada estime que l’espérance de vie à la naissance suit une courbe ascendante constante, qui atteignait 83,8 ans chez les femmes et 79,6 ans chez les hommes pour la période de 2011 à 2013. Il s’agit d’un gain d’environ une décennie de vie en à peine un demi-siècle : les hommes et les femmes vivent respectivement 9,5 années et 11,2 années de plus qu’en 1960-1962.

Par ailleurs, puisque le taux de mortalité recule chez les personnes de moins de 65 ans, le nombre de Canadiens à passer ce cap s’accroît. Selon les données colligées par Statistique Canada, 86 % des filles nées entre 1980 et 1982 pouvaient espérer franchir le cap des 65 ans, mais 92 % de celles nées entre 2011 et 2013 pouvaient en espérer autant. Chez les garçons nés durant les mêmes intervalles, la proportion est passée de 75 % à 87 %.

Du reste, les gens vivent aussi plus longtemps au sein du groupe des aînés, comme en fait foi l’augmentation constante de l’espérance de vie à l’âge de 65 ans. (Cette mesure s’avère particulièrement utile pour évaluer le bien-être des populations plus âgées puisqu’elle ne tient pas compte du taux de mortalité des personnes qui n’atteignent pas 65 ans.) Selon les estimations de Statistique Canada pour la période de 2011 à 2013, l’espérance de vie à l’âge de 65 ans se situait à 21,9 années pour les femmes et à 19 années pour les hommes, soit respectivement 3 années et 4,4 années de plus qu’en 1980-1982.

Les femmes deviennent mères plus tardivement qu’auparavant, ce qui se répercute sur l’âge auquel on devient grands-parents. Par conséquent, le groupe démographique des grands-parents augmente en âge.

Parmi les facteurs responsables du vieillissement du groupe démographique des grands-parents, il faut aussi tenir compte du fait que, en règle générale, les femmes deviennent mères plus tardivement qu’auparavant, et cette tendance de la fécondité fait augmenter l’âge auquel on devient grands-parents. Depuis 1970, l’âge moyen des mères à la naissance d’un premier enfant a suivi une ascension soutenue, passant de 23,7 ans pour atteindre 28,8 ans en 2013. De même, le nombre de mères âgées de 40 ans ou plus à la naissance d’un premier enfant est en hausse : on en comptait 3 648 en 2013, comparativement à 1 172 en 1993 (+210 %). Par conséquent, si les femmes sont de plus en plus nombreuses à retarder l’âge de la procréation, elles repoussent vraisemblablement l’âge de la grand-parentalité. De nos jours, les nouveaux grands-parents sont des baby-boomers, cette génération qui a différé l’âge de la procréation des femmes pour leur permettre de se consacrer à leurs études et d’acquérir de l’expérience professionnelle. Dans le sillage de celles-ci, la génération suivante tend aussi à avoir des enfants tardivement. L’effet cumulatif de ces deux générations influence certainement la tendance à la hausse de l’âge d’accession au statut de grands-parents.

Cependant, même si le groupe démographique des grands-parents se fait vieillissant, la grand-parentalité occupe une portion de l’existence plus longue qu’auparavant. De fait, si les grands-parents accèdent à ce statut plus tard, ils vivent aussi plus longtemps pour en profiter. Cet allongement favorise les occasions de nouer, d’entretenir et de consolider des relations avec les plus jeunes générations. D’après les conclusions de mes récents travaux, compte tenu du portrait démographique actuel au Canada, les femmes pourraient être grands-parents pendant 24,3 ans en moyenne au cours de leur vie, et les hommes durant 18,9 ans. Bref, ils auront plus ou moins deux décennies pour assumer ce rôle important pour la vie de famille.

Des grands-parents plus âgés, mais en meilleure santé

Selon les données de l’Enquête sociale générale (ESG), non seulement les grands-parents canadiens vivent-ils plus longtemps, mais ils sont également susceptibles de vivre en meilleure santé qu’auparavant. Alors que 70 % d’entre eux qualifiaient leur santé de « bonne, très bonne ou excellente » en 1985, cette proportion atteignait 77 % en 2011. Corollairement, la proportion de grands-parents estimant leur état de santé « passable ou mauvais » avait reculé de 31 % à 23 % dans le même intervalle. Dans l’ensemble, les grands-parents étaient 44 % plus susceptibles de s’estimer en bonne santé en 2011 qu’en 1985.

Durant le dernier demi-siècle, diverses tendances ont favorisé la santé des grands-parents et de l’ensemble des aînés au Canada. D’une part, d’importants progrès en santé publique ont amélioré la prévention, le dépistage et le traitement des maladies. Combinés à d’autres éléments, ces progrès ont contribué à réduire considérablement les décès causés par les maladies du système circulatoire (ex. : cardiopathies), soit l’un des principaux facteurs ayant permis d’allonger l’espérance de vie chez les hommes depuis 50 ans.

D’autre part, l’amélioration de l’état de santé des grands-parents au Canada est aussi attribuable à l’augmentation du niveau de scolarité au sein de ce groupe démographique. En effet, des études ont montré que l’éducation peut avoir des incidences favorables directes et indirectes pour la santé au cours de la vie. Parmi les retombées directes, on compte notamment l’amélioration de la littératie ou des connaissances en matière de santé, des rapports entre les patients et le système de santé, ainsi que de la capacité et de la volonté de ces derniers de faire valoir leur point de vue auprès des fournisseurs de soins de santé. Quant aux retombées indirectes, elles concernent notamment la diversification des ressources disponibles (notamment les revenus) et des possibilités d’emploi (travail à plus faible risque ou moins exigeant physiquement, emploi assorti d’indemnités en cas de maladie, etc.).

Il existe un lien entre le niveau d’éducation et l’état de santé : il s’agit là d’un facteur important puisque la proportion des grands-parents ayant fait des études postsecondaires a plus que triplé en trois décennies.

Il s’agit là d’importants facteurs à prendre en compte en contexte canadien, puisque la proportion de grands-parents ayant un diplôme d’études postsecondaires a plus que triplé au pays depuis trois décennies, passant de 13 % en 1985 à près de 40 % en 2011.

La santé des grands-parents au bénéfice de la famille

L’état de santé des grands-parents peut avoir des répercussions importantes pour les familles. De fait, lorsque la santé de l’un ou de plusieurs grands-parents se dégrade, les membres de la famille sont souvent les premiers à fournir et à structurer les soins pour contribuer à leur bien-être, et à en payer la facture. Cet état de fait n’est pas à négliger dans le portrait des soins à domicile au pays, puisque les aidants familiaux assument de 70 % à 75 % des soins à domicile fournis à l’ensemble des aînés, selon le Conseil canadien de la santé.

D’après l’ESG de 2012, près des trois dixièmes des Canadiens (28 %) affirmaient avoir prodigué des soins à un membre de la famille durant l’année précédente, et le motif le plus souvent évoqué à cet égard concernait les problèmes liés au vieillissement (28 % des aidants). De tous les bénéficiaires de soins au Canada, 13 % étaient des grands-parents, et ces derniers représentaient aussi le principal groupe de bénéficiaires des jeunes aidants (de 15 à 29 ans). De fait, les quatre dixièmes d’entre eux affirmaient que leur principal bénéficiaire était un grand-parent.

Même si 95 % des aidants disent s’acquitter plutôt bien de leur charge de soins, des études ont montré que de telles responsabilités entraînent parfois des répercussions négatives selon les contextes, notamment pour le bien-être, l’avancement professionnel et le budget de la famille. Ces risques guettent particulièrement ceux qui occupent aussi un emploi rémunéré, ce qui implique les trois quarts des aidants et le tiers de tous les Canadiens en emploi.

Par contre, lorsque les grands-parents sont en bonne santé, ce sont les familles elles-mêmes qui peuvent en bénéficier, de diverses façons. Non seulement ces grands-parents nécessiteront-ils moins de soins, mais ils seront mieux à même de contribuer de manière constructive à la vie de famille, entre autres en s’occupant des enfants et en participant financièrement au budget familial.

Des grands-parents pour s’occuper des enfants des générations montantes

Bon nombre de grands-parents jouent un rôle de premier plan en s’occupant de leurs petits-enfants, épaulant ainsi les parents de la « génération intermédiaire » qui tentent de conjuguer soins aux enfants et responsabilités professionnelles. Au cours des dernières décennies, certaines tendances socioéconomiques et contextuelles convergentes ont accentué l’apport important de ces grands-parents soucieux de participer aux soins aux enfants pour le bien-être des familles.

Bon nombre de grands-parents jouent un rôle de premier plan en s’occupant de leurs petits-enfants, épaulant ainsi les parents de la « génération intermédiaire » qui tentent de conjuguer soins aux enfants et responsabilités professionnelles.

Au Canada, le nombre de couples à deux soutiens est en hausse depuis 40 ans. Alors que seulement 36 % des familles avec enfants comptaient sur deux soutiens en 1976, cette proportion a pratiquement doublé pour atteindre 6 % en 2014. Or, plus de la moitié de ces couples (51 %) sont des parents qui travaillent tous deux à plein temps. Dans un tel contexte, les services de garde non parentaux sont de plus en plus sollicités. Les données de l’ESG de 2011 en font foi : alors que presque la moitié (46 %) de tous les parents disaient avoir eu besoin de services de garde quelconques pour leurs enfants de 14 ans ou moins durant l’année précédente, cette proportion était plus marquée chez les couples de parents à deux soutiens ayant des enfants de 0 à 4 ans (71 %) ou de 5 à 14 ans (49 %).

Compte tenu de l’évolution de la structure et de la composition des familles au fil des générations, un nombre accru d’entre elles se tournent désormais vers les services de garde non parentaux. Par exemple, la proportion de familles monoparentales a fait un bond important depuis un demi-siècle : alors que celles-ci représentaient 8,4 % de toutes les familles en 1961, elles occupaient une portion de 16 % en 2016. Les données recueillies dans le cadre de l’ESG de 2011 montrent que près des six dixièmes (58 %) des parents seuls ayant des enfants de 4 ans ou moins recouraient à des services de garde non parentaux.

Dans certains cas, en l’absence de génération intermédiaire (c’est-à-dire les parents), ce sont les grands-parents qui assument l’entière responsabilité d’élever leurs petits-enfants. Cette situation touchait 12 % de tous les grands-parents vivant sous le même toit que leurs petits-enfants selon l’ESG de 2011, qui fait état de 51 000 familles caractérisées par « l’absence d’une génération » au Canada. Les familles sans génération intermédiaire sont plus fréquentes parmi certains groupes, notamment chez les Premières Nations (28 %), les Métis (28 %) ou les Inuits (18 %), comparativement à 11 % au sein de la population non autochtone.

Enfin, lorsqu’il s’avère impossible de dénicher une place en service de garde structuré et de qualité au sein de leur collectivité, plusieurs parents se tournent vers les grands-parents. En 2014, les centres de la petite enfance réglementés ne pouvaient accueillir plus du quart (24 %) des enfants de 5 ans ou moins au pays. Même s’il s’agit là d’une amélioration notable par rapport au taux de 12 % enregistré en 1992, il n’en demeure pas moins que plus des trois quarts des enfants de ce groupe d’âge n’ont pas accès à une place en garderie réglementée. La disponibilité (ou le manque) de places en garderie n’est pas négligeable : pour les familles formées d’un couple de parents, il s’agit d’un élément déterminant susceptible d’influencer la décision de participer ou non au marché du travail.

Par ailleurs, le coût des services de garde pourrait également inciter certains parents à faire appel aux grands-parents pour s’occuper des enfants, particulièrement pour les familles vivant dans les centres urbains. En 2015, une étude sur le coût des services de garde dans les villes canadiennes a été réalisée à partir de données administratives sur les frais de garde et au terme de divers sondages téléphoniques aléatoires auprès de garderies à domicile ou de centres de la petite enfance. On a constaté que les tarifs les plus élevés au Canada étaient concentrés à Toronto, où le coût médian des services de garde non subventionnés était évalué à 1 736 $ par mois pour la garde à plein temps d’un nourrisson (moins de 18 mois) et à 1 325 $ pour les tout-petits (d’1 an et demi à 3 ans).

L’engagement des grands-parents peut favoriser le bien-être des enfants

Peu importe les raisons qui motivent les grands-parents à consacrer du temps à leurs petits-enfants, il n’en demeure pas moins que leur engagement dans la vie de famille peut contribuer au bien-être de ces derniers. Des études ont permis de constater que l’implication des grands-parents dans la vie de famille exerce un ascendant marqué sur le bien-être des enfants, et pourrait notamment favoriser leur engagement scolaire et l’adoption d’un comportement social positif. D’ailleurs, cette situation n’est pas seulement bénéfique aux enfants puisque, comme l’ont révélé d’autres travaux de recherche, les relations étroites entre grands-parents et petits-enfants ont des retombées positives pour la santé mentale des uns et des autres. Au sein des familles des Premières Nations, les grands-parents jouent aussi un rôle important auprès des générations montantes quant aux aspects culturels associés à la santé et à la guérison.

Selon certaines études, l’implication des grands-parents dans la vie de famille exerce un ascendant marqué sur le bien-être des enfants, et pourrait notamment favoriser leur engagement scolaire et l’adoption d’un comportement social positif.

Dans l’ensemble, l’amélioration de la santé des grands-parents représente une bonne nouvelle pour de nombreuses familles. En effet, plus ceux-ci sont en santé, plus ils seront en mesure de participer à diverses activités avec leurs enfants et petits-enfants. À cet égard, des études ont montré que l’état de santé des grands-parents influence directement la qualité de leurs interactions avec les jeunes.

Un appui financier important de la part de nombreux grands-parents

En outre, les grands-parents en meilleure santé sont plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré pour consolider leur propre situation financière ainsi que leur capacité d’aider les plus jeunes générations à cet égard.

Les grands-parents en meilleure santé sont plus susceptibles d’occuper un emploi rémunéré pour consolider leur propre situation financière tout comme leur capacité d’aider les plus jeunes générations.

Il n’existe pas beaucoup de données récentes portant précisément sur les tendances de l’emploi des grands-parents au Canada, mais l’augmentation du nombre d’aînés qui travaillent est largement documentée depuis quelques décennies. Pour la période de 1997 à 2003, le taux de participation des aînés au marché du travail a oscillé entre 6 % et 7 %, avant de connaître une hausse constante jusqu’à atteindre environ 14 % pour la première moitié de 2017 (le taux étant encore plus élevé pour le groupe des 65 à 69 ans, à hauteur de 27 %). Par conséquent, puisqu’environ 80 % des aînés au pays sont aussi des grands-parents, on peut penser qu’un nombre croissant de grands-parents occupent un emploi à l’heure actuelle.

Sachant que 8 % des grands-parents vivent au sein d’un ménage multigénérationnel, leur capacité d’y contribuer financièrement n’est donc pas à négliger. D’après les données du Recensement de 2016, ce type de ménage connaît la plus forte croissance à l’heure actuelle, en fonction d’une augmentation de près de 38 % entre 2011 et 2016, culminant à 403 810 foyers. De même, le nombre de familles sans génération intermédiaire connaît une tendance similaire, et ce mode de cohabitation s’avère plus fréquent parmi les familles autochtones et immigrantes, lesquelles occupent une portion grandissante du portrait familial au Canada.

Les ménages sans génération intermédiaire sont plus fréquents parmi les familles autochtones et immigrantes, lesquelles occupent une portion grandissante du portrait familial au Canada.

D’après les données de l’ESG de 2011, plus de la moitié (50,3 %) des quelque 584 000 grands-parents ayant adopté de tels modes de cohabitation affirmaient jouer un certain rôle sur le plan financier au sein du ménage. Toutefois, la participation au budget familial est variable et s’avère beaucoup plus élevée chez les grands-parents vivant au sein d’un ménage sans génération intermédiaire (80 %) ou d’un ménage multigénérationnel où la génération intermédiaire se compose d’un parent seul (75 %).

Diversification des liens familiaux avec les grands-parents

Au Canada, le vieillissement de la population totale en général – et du groupe démographique des grands-parents en particulier – pose certains défis sociétaux, notamment en ce qui a trait aux soins communautaires, au logement, au transport et à la sécurité du revenu. En contrepartie, l’augmentation de l’espérance de vie des grands-parents ainsi que l’amélioration globale de leur état de santé ouvre certains horizons pour les individus et leur famille. Plusieurs grands-parents contribuent déjà aux diverses responsabilités familiales en aidant les plus jeunes générations, entre autres pour les soins aux enfants et la gestion du budget familial, et cette tendance devrait se poursuivre au cours des années à venir. Il s’agit là d’une facette positive parfois oubliée lorsqu’il est question du « tsunami gris ».

Par ailleurs, puisque leur état de santé s’est généralement amélioré, bon nombre de grands-parents peuvent désormais entretenir de meilleures relations avec les plus jeunes au sein des familles, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. En misant sur leur capacité de s’adapter et de réagir au contexte socioéconomique et culturel, les grands-parents continueront de jouer un rôle important – et probablement grandissant – dans la vie de famille, au bénéfice des générations à venir.

 


Rachel Margolis, Ph. D., est professeure agrégée au Département de sociologie de l’Université Western Ontario.

 

Vous trouverez toutes les références et les sources d’information dans la version PDF de cet article.

Publié le 5 septembre 2017

La mobilité pour l’emploi et l’embourgeoisement familial à Montréal

Steven High (Université Concordia)
Lysiane Goulet Gervais (Université Concordia)
Michelle Duchesneau (Université Concordia)
Dany Guay-Bélanger (Université Carleton)

L’évolution de l’économie canadienne suppose un éventail de possibilités et de contraintes, en fonction desquelles les familles doivent s’adapter pour assumer efficacement leurs responsabilités à la maison et au travail. Au sein des familles, cette adaptation suppose bien souvent de parcourir de grandes distances pour le travail, ou de s’absenter durant plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Depuis 2012, le Partenariat en mouvement1 s’intéresse au phénomène de la mobilité géographique pour le travail (MGPT), et il en ressort que les Canadiens sont plus nombreux que jamais à devoir parcourir régulièrement de grandes distances pour se rendre au travail, et ce, suivant des modèles « complexes et nuancés »2.

Lorsqu’il est question de la mobilité pour le travail et de ses incidences, la plupart des gens pensent d’abord à certains milieux en contexte rural, comme les chantiers miniers ou les exploitations gazières et pétrolières des régions plus au nord. À cet égard, on oublie généralement les centres urbains au Canada. Pourtant, ces nouvelles tendances du travail touchent plusieurs types de collectivités en redéfinissant leur contexte socioéconomique.

Au cours des deux dernières années, dans le cadre du Partenariat en mouvement, nous avons étudié les incidences de la mobilité au travail dans les centres urbains en réalisant des entrevues exhaustives auprès de Canadiens et de Canadiennes touchés par cette question, qu’il s’agisse de travailleurs effectuant une longue migration journalière ou contraints à d’importants déplacements géographiques en territoire québécois et ailleurs dans le monde. Les travailleurs et les familles que nous avons interrogés pour cette étude habitaient dans le sud-ouest de Montréal, c’est-à-dire dans les quartiers de la Petite-Bourgogne, de Saint-Henri et de Pointe-Saint-Charles. Après avoir connu une forte industrialisation, ces centres urbains se sont rapidement désindustrialisés durant les années 60, 70 et 80, ce qui a entraîné des changements socioéconomiques importants. Dans le sillage de ces bouleversements, ces quartiers ont connu une phase d’embourgeoisement familial, alors que plusieurs familles de la classe moyenne s’y sont progressivement installées avec leurs proches.

Les familles des travailleurs mobiles privilégient la « proximisation » des ressources pour mieux assumer leurs responsabilités

Dans le cadre de nos entretiens, nous avons constaté qu’il existe un lien entre la mobilité pour le travail et le phénomène d’embourgeoisement familial. En effet, certaines familles suffisamment à l’aise financièrement choisissent de s’installer dans ces quartiers des centres urbains pour « proximiser » d’autres aspects de leur vie. Cette proximisation concerne notamment la volonté de se rapprocher des ressources communautaires comme les garderies et les écoles de quartier, les parcs, les commerces et le transport en commun (en particulier le métro et les navettes express vers l’aéroport), et ce, au bénéfice des ménages dont l’un des membres occupe un emploi nécessitant une mobilité professionnelle.

La mobilité d’un des deux parents entraîne souvent l’immobilité relative des autres membres de la famille : la proximité des services communautaires devient alors un élément central.

De fait, l’accès facile au centre-ville compense l’absence prolongée d’un proche ayant à s’éloigner pour le travail. Parmi les familles comptant deux parents, la mobilité d’un des deux parents entraîne souvent l’immobilité relative des autres membres de la famille : la proximité des services communautaires devient alors un élément central.

La mobilité pour le travail complique les rapports familiaux et la vie de famille

Dans le cadre de cette étude, les parents interrogés ont partagé leur point de vue sur l’impact de la mobilité professionnelle sur leurs enfants et la vie de famille. L’une des mères rencontrées, Imane3, se dit préoccupée par les répercussions de la mobilité pour le travail sur la santé physique de ses enfants : « Ce qui est curieux, c’est que les jeunes enfants vivent du stress, mais rien n’y paraît. Leur seule façon de l’exprimer, c’est de tomber malades. Quand mon conjoint voyage beaucoup, ils sont souvent malades : c’est leur façon de dire que la situation leur déplaît. »

« … les jeunes enfants vivent du stress, mais rien n’y paraît. Leur seule façon de l’exprimer, c’est de tomber malades. Quand mon conjoint voyage beaucoup, ils sont souvent malades : c’est leur façon de dire que la situation leur déplaît. » (Une participante de l’étude)

Quant aux proches dont le travail exige une mobilité professionnelle, ils se disent préoccupés par les difficultés à assumer leur rôle parental lorsqu’ils sont loin du foyer. Certains évoquent la tristesse ressentie, leur désir d’être plus impliqués dans la vie de leurs enfants, et leur frustration de devoir faire cadrer les activités des enfants selon leurs déplacements. Cet aspect est souvent revenu durant les entretiens.

Kate est maman et travailleuse mobile. Lorsqu’elle revient au foyer après plusieurs semaines d’absence, elle a l’impression d’avoir manqué de grands pans du développement et de la croissance de son fils. Son conjoint Russell est également travailleur mobile. Chez eux, lorsque l’un des partenaires rentre à la maison, il n’est pas rare que l’autre doive bientôt partir. Alors, la vie n’est plus tout à fait pareille, admet Kate : « Que ce soit le tour de Russell ou le mien, on a toujours l’impression d’un entre-deux, de remettre la vie à plus tard. »

Parmi tous les répondants, c’est sans doute Imane qui en avait le plus à dire à propos des répercussions sur la vie de famille en lien avec la mobilité pour le travail. S’il fallait trouver une thématique à son entrevue, ce serait la « complexité » de sa vie de famille à cause de la mobilité pour le travail. En réponse à une question sur l’impact familial des déplacements de son mari, elle répond : « C’est plutôt compliqué, parce que nous avons besoin d’aide pour les enfants. Je dois préparer les filles le matin. » Alors que l’aînée part pour l’école avec des amies, Imane reconduit sa plus jeune à la garderie. Elle repasse les prendre en fin de journée et prépare le souper, sans l’aide de son conjoint. « Il ne s’agit pas seulement de s’occuper des enfants, mais il y a tout le reste à faire soi-même, comme l’entretien ménager, les épiceries, les repas, et aussi les activités, l’école et la garderie. La vie devient compliquée. » Lorsque son mari s’absente, le fardeau familial s’alourdit et elle n’a pratiquement aucune marge de manœuvre. « Je n’ai même pas le luxe de tomber malade », dit-elle.

Les parents qui « restent à la maison » s’adaptent à la mobilité de leur partenaire

Comme travailleuse autonome, Imane doit souvent poursuivre son travail après que les enfants sont au lit : « Mais lorsqu’il [mon mari] n’est pas là, je suis si fatiguée que je n’ai plus la force de travailler quand les filles sont couchées. » Par conséquent, elle prend souvent du retard dans son travail, ce qui est pour elle une source de stress. Heureusement, la mère d’Imane habite à Montréal et lui donne un coup de pouce pour l’aider à assumer les responsabilités et les rôles familiaux, comme cuisiner, faire la lessive ou passer prendre les filles. Imane insiste sur l’importance de garder une routine, même lorsque son mari s’absente pour une période prolongée : « La vie ne change pas lorsqu’il n’est pas là… Il faut continuer comme d’habitude. » Imane résume ainsi : « Tous ceux qui ont des enfants connaissent cette routine et cet horaire chargé, et il faut continuer. »

Bref, la vie de famille suit son cours même si l’un des parents s’absente. Comme le dit Pierre, lui-même travailleur mobile, ses déplacements ne causaient pas vraiment de problèmes avant la naissance de sa fille. Désormais, il s’inquiète de ne pas lui consacrer assez de temps à cause de ses longues migrations journalières : sa fille dort encore le matin à son départ et est déjà au lit à son retour, la plupart du temps. Il s’inquiète aussi des répercussions de cette mobilité sur sa capacité d’assumer sa juste part des responsabilités familiales. Plusieurs répondants racontent qu’ils avaient pris l’habitude de se déplacer en famille lorsque l’un des parents avait à travailler à l’extérieur, ce qui devient impossible dès que les enfants atteignent l’âge scolaire. C’était le cas de la famille d’Imane, mais il est rare maintenant que la famille puisse partir avec le père au risque de multiplier les absences à l’école.

Les technologies au secours des familles pour faciliter et consolider les liens familiaux

Pour participer autant que possible à la vie familiale et se rapprocher malgré la distance, les familles recourent de plus en plus aux technologies et aux nouveaux médias. Même si elles n’ont pas toutes accès à de tels outils, cette forme d’« intimité virtuelle » est une réalité de plus en plus courante et favorise une certaine continuité des liens et des rituels familiaux malgré l’éloignement d’un être cher4.

Cette forme d’« intimité virtuelle » est une réalité de plus en plus courante et favorise une certaine continuité des liens et des rituels familiaux malgré l’éloignement d’un être cher.

Un certain nombre de participants de notre étude ont évoqué l’importance de FaceTime, de Skype et d’autres médias sociaux pour maintenir les liens avec la famille malgré l’éloignement. Par exemple, durant ses séjours à l’extérieur, Russell « continue de participer aux rituels quotidiens avec les enfants via Skype, comme pour les chansons ou les histoires avant le dodo ». Sa partenaire, Kate, rajoute : « Il y a une douzaine d’années à peine, ces moyens-là n’existaient pas. C’était tout simplement impossible, et la facture d’interurbains aurait été astronomique! [rires] De nos jours, on peut communiquer à peu de frais, voire gratuitement. Ça aide beaucoup, beaucoup, beaucoup… » Toutefois, Imane considère que les communications sont tout de même difficiles lorsque son mari est à l’étranger. S’il est en Inde ou au Pakistan, il faut compter 10 ou 11 heures d’écart, si bien qu’il n’est pas facile de coordonner tout le monde. Elle ajoute : « Les filles n’aiment pas trop parler au téléphone, alors ce n’est pas facile. » Elle relate que c’est tout juste si sa fille aînée dit : « Allo, ça va. Oui, tout va bien. Je te passe maman. » Quant à la cadette âgée de seulement 3 ans, elle ne parle pas encore vraiment au téléphone.

Les enfants sont sensibles aux changements de routine associés à la mobilité

Afin de mieux comprendre les incidences de la mobilité pour le travail d’un point de vue intergénérationnel, nous avons interrogé quatre enfants âgés de 5 à 7 ans dans le cadre de cette étude. La plupart d’entre eux ont corroboré la situation évoquée par leurs parents, mais certains volets des entretiens révèlent aussi une autre perspective. En effet, même si la chose n’est pas surprenante, on constate avec intérêt que les enfants semblent surtout marqués par les perturbations de la routine.

Ainsi, ils se souviennent très bien d’avoir eu la chance de se coucher plus tard ou de manger certaines gâteries lors de petits moments privilégiés, pendant que l’autre parent était en voyage. June, pour sa part, se dit affectée par l’absence de sa mère Laura, mais se réjouit tout de même que son papa lui consacre plus de temps et lui accorde plus de privilèges : « C’est triste que maman soit partie, mais je suis quand même contente parce que je peux me coucher plus tard. » D’autres enfants évoquent les cadeaux qu’ils ont reçus ou offerts au retour d’un parent, et le plaisir d’être confiés aux soins d’autres personnes, comme les grands-parents, les proches, les amis, etc.

Les familles s’adaptent pour assumer leurs responsabilités

Notre examen de la mobilité pour le travail était fondé sur une approche géographiquement ciblée axée sur trois secteurs distincts, ce qui nous a permis d’analyser la mobilité sous un autre angle. Une telle approche a mis en lumière certaines incidences sur la vie de famille tout en tenant compte du spectre complet de la mobilité pour le travail, qu’il s’agisse d’un emploi nécessitant d’importantes migrations journalières ou des déplacements fréquents à l’étranger occasionnant des absences prolongées. Notre approche nous a aussi incités à tenir compte des liens entre la mobilité pour le travail et la fixité familiale (soit les aspects de la vie de famille qui sont statiques ou fixes sur le plan géographique), particulièrement en ce qui touche les motifs « locaux » de l’embourgeoisement urbain. En somme, notre étude montre que, malgré les incidences familiales de la mobilité pour le travail, les familles évoluent et s’adaptent par divers moyens pour assumer leurs multiples responsabilités, notamment en se rapprochant des services communautaires, en ajustant leurs rapports familiaux ou en mettant à profit les technologies.

Notes

  1. L’initiative En mouvement est un partenariat intersectoriel réunissant une quarantaine de chercheurs issus de 17 disciplines et représentant 22 universités du Canada et d’ailleurs. Le partenariat est financé grâce à une subvention du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH).
  2. Michael Hann, Deatra Walsh et Barbara Neis, « At the Crossroads: Geography, Gender and Occupational Sector in Employment-Related Geographical Mobility » dans Canadian Studies in Population, vol. 41, nos 3-4 (2014).
  3. Les prénoms ont été remplacés pour des raisons de confidentialité.
  4. R. Wilding, « “Virtual” Intimacies? Families Communicating Across Transnational Contexts » dans Global Networks, vol. 6, no 2 (28 février 2006). doi:10.1111/j.1471-0374.2006.00137.x

Steven High est professeur d’histoire à l’Université Concordia, et cofondateur du Centre d’histoire orale et de récits numérisés.

Lysiane Goulet Gervais est nouvellement diplômée du programme de maîtrise en art-thérapie de l’Université Concordia.

Michelle Duchesneau est étudiante de cycle supérieur à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia.

Dany Guay-Bélanger étudie actuellement au programme de maîtrise en histoire publique de l’Université Carleton.

Photo : Nouveaux complexes de condominiums le long du canal Lachine, à Montréal. Photographe : David W. Lewis.

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Publié le 25 avril 2017

 

Le polyamour au Canada : étude d’une structure familiale émergente

John-Paul Boyd, M.A., LL.B.

Directeur général
Institut canadien de recherche sur le droit et la famille (Université de Calgary)

En juin 2016, l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille a commencé à s’intéresser aux diverses perceptions concernant la notion de polyamour au Canada. Le projet n’en est encore qu’à mi-parcours, mais les données colligées jusqu’ici pourraient avoir une incidence importante sur la législation et les politiques au cours des prochaines décennies, suivant l’évolution constante de la notion de famille.

Le terme polyamour est formé du préfixe grec poly (qui signifie « plusieurs » ou « en abondance ») et du mot d’origine latine amour. En accord avec cette étymologie, les polyamoureux vivent donc plusieurs relations intimes simultanées, ou manifestent une telle préférence. Certains polyamoureux sont engagés dans des relations amoureuses stables à long terme impliquant deux ou plusieurs autres partenaires, alors que d’autres entretiennent simultanément plusieurs relations plus ou moins durables ou engagées. Dans certains cas, les relations simultanées se vivent à court terme ou sur une base purement sexuelle, et parfois elles sont plus durables et se caractérisent par un engagement affectif plus marqué.

 

Polyamour
Pratique ou condition se caractérisant par la participation à plusieurs relations intimes simultanément, sans motivation religieuse ni obligation découlant du mariage.

Polygamie
Pratique ou condition se caractérisant par le fait d’avoir plusieurs époux ou épouses simultanément (habituellement des femmes), la plupart du temps pour des motifs religieux.

 

Polyamour et polygamie

Lorsqu’il est question de polyamour, on pense souvent à la série Sister Wives de TLC, ou encore à la communauté religieuse de Bountiful, en Colombie-Britannique. Cependant, il faut établir plusieurs distinctions entre le polyamour et la polygamie, que préconise notamment l’Église fondamentaliste de Jésus-Christ des saints des derniers jours (celle-ci étant d’ailleurs le point commun entre Sister Wives et Bountiful). En ce sens, la polygamie désigne les mariages entre un homme et plusieurs femmes (le suffixe d’origine grecque « gamie » signifie mariage), et cette union répond à une obligation nettement patriarcale dictée par les écritures.

A contrario, les polyamoureux que nous avons interrogés vivent des relations avec deux ou plusieurs autres adultes, mais affirment que l’égalité des partenaires occupe une place prépondérante, sans égard au genre ou à la situation parentale. Ils considèrent généralement que leurs partenaires devraient avoir leur mot à dire dans l’évolution des relations et que chacun est entièrement libre de mettre fin à son engagement à n’importe quel moment.

Statistique Canada ne collige pas de données sur le nombre de Canadiens polyamoureux ou engagés dans une relation polyamoureuse. Par ailleurs, dans le cadre de notre propre enquête sur le polyamour, annoncée principalement dans les médias sociaux, nous avons reçu 547 réponses valides en seulement trois semaines.1</ŝup> Plus des deux tiers des répondants (68 %) disent être actuellement engagés dans une relation polyamoureuse. Parmi les autres, les deux cinquièmes (39,9 %) affirment avoir vécu une telle relation au cours des cinq dernières années. Au moins huit répondants sur dix (82,4 %) pensent que le nombre de personnes se disant polyamoureuses tend à augmenter, et à peu près la même proportion de répondants (80,9 %) pensent qu’il y a aussi augmentation du nombre de relations ouvertement polyamoureuses.

Or, si le nombre de personnes engagées dans une relation polyamoureuse augmente effectivement, il faudra s’attendre à d’importantes répercussions sur le plan économique et légal, puisque la plupart des grandes institutions sociales au Canada sont fondées sur le principe de dualité des relations entre adultes.

Or, si le nombre de personnes engagées dans une relation polyamoureuse augmente effectivement, il faudra s’attendre à d’importantes répercussions sur le plan économique et légal, puisque la plupart des grandes institutions sociales au Canada sont fondées sur le principe de dualité des relations entre adultes. Ainsi, le Régime de pensions du Canada ne verse des allocations de survivant qu’à un seul conjoint, et la même situation s’applique relativement à l’allocation au conjoint du Programme de sécurité de la vieillesse. De même, dans ses formulaires de calcul des obligations fiscales, l’Agence du revenu du Canada prévoit que les contribuables puissent entretenir des relations successives, mais pas simultanées. Le même postulat ressort dans la législation provinciale sur le droit successoral et, la plupart du temps, dans les dispositions régissant les relations familiales.

Des polyamoureux plus jeunes et des relations plus diversifiées au Canada

La plupart des répondants à notre sondage proviennent de la Colombie-Britannique (144), suivis de ceux de l’Ontario (116), de l’Alberta (71) et du Québec (37). L’âge moyen des répondants est généralement inférieur à celui de la population canadienne. En effet, 75 % des répondants appartiennent au groupe des 25 à 44 ans (alors que cette tranche d’âge occupe 26 % de l’ensemble de la population), et seulement 16 % des répondants sont âgés de 45 ans et plus (comparativement à 44 % au sein de la population totale).

La majorité des répondants à notre sondage ont fait des études secondaires (96,7 %), et leur niveau de scolarité le plus élevé concerne des études de premier cycle universitaire (26,3 %), des études professionnelles ou de cycles supérieurs (19,2 %) ou des études collégiales (16,3 %). Les répondants présentent un niveau de scolarité largement supérieur à l’ensemble de la population canadienne. De fait, 37 % des répondants détiennent un diplôme de premier cycle universitaire (par rapport à 17 % pour l’ensemble de la population), et 19 % d’entre eux ont un diplôme d’études professionnelles ou de cycles supérieurs (comparativement à 8 % au sein de la population totale).

De même, dans le cadre de notre sondage, les répondants déclarent des revenus supérieurs au reste de la population canadienne. En effet, les revenus annuels inférieurs à 40 000 $ sont moins fréquents parmi nos répondants (46,8 %) qu’au sein de la population totale (60 %), et la proportion de répondants ayant un revenu annuel supérieur à 60 000 $ s’avère plus importante (31 %) que dans l’ensemble de la population (23 %). Même si presque la moitié des répondants ont un revenu annuel inférieur à 39 999 $, près des deux tiers des personnes interrogées (65,4 %) comptent aussi sur un autre soutien au sein du ménage, et plus des trois cinquièmes des répondants (62,3 %) vivent au sein d’un ménage où le revenu total annuel se situe entre 80 000 $ et 149 999 $.

Un peu moins du tiers des répondants se disent de genre masculin (30 %) et près des trois cinquièmes de genre féminin (59,7 %), les autres s’identifiant comme intergenres (3,5 %), de genre fluide (3,2 %), transgenres (1,3 %) ou « autres » (2,2 %). Quant à l’orientation sexuelle, un nombre important de répondants se définissent comme hétérosexuels (39,1 %) ou bisexuels (31 %).

La plupart des personnes interrogées dans le cadre de notre sondage se disent soit athées (33,9 %) ou agnostiques (28,2 %). Parmi les répondants se réclamant d’appartenance confessionnelle, la plupart sont chrétiens (7,2 % sans confessionnalité particulière; 3,2 % catholiques; 1,3 % protestants). Enfin, plus d’un cinquième des répondants (22,1 %) s’identifient à une « autre » catégorie religieuse (notamment Quakers, païens et polythéistes).

Nous avons également tenu compte du type de relations et du mode de cohabitation de nos répondants. Près des deux tiers d’entre eux (64,6 %) affirment que leur relation implique trois personnes, 17,9 % disent faire partie d’une relation à quatre personnes, et 13,8 % vivent une relation impliquant six personnes ou plus. Par ailleurs, seulement un cinquième des répondants affirment que leur relation se vit au sein d’un seul et même ménage (19,7 %). Les autres vivent donc une relation répartie dans plusieurs ménages, c’est-à-dire surtout deux ménages (44,3 %) ou trois ménages (22,2 %).

S’agissant des répondants dont la relation se vit dans un seul ménage, les trois cinquièmes (61,2 %) attestent la présence d’un couple marié (mais jamais plus d’un seul couple). Parmi les répondants dont la relation est répartie dans plusieurs ménages, près de la moitié (45,4 %) rapportent la présence d’au moins un couple marié (un seul couple marié : 85 %; deux couples mariés : 12,9 %; trois couples mariés : 1,4 %; plus de trois couples mariés : 0,7 %).

Près du quart des personnes interrogées (23,2 %) affirment qu’au moins un enfant de moins de 19 ans vit à plein temps au sein du ménage sous la responsabilité d’au moins un parent ou tuteur, et 8,7 % des répondants déclarent qu’au moins un enfant vit à temps partiel au sein du ménage sous la responsabilité d’au moins un parent ou tuteur.

 

En résumé, les répondants à notre sondage étaient généralement plus jeunes et plus éduqués et affichaient un meilleur taux d’emploi que l’ensemble de la population canadienne. Deux fois plus de répondants s’identifiaient au genre féminin comparativement au genre masculin, et la répartition d’hétérosexuels et de bisexuels était similaire. Au moment de répondre au sondage, la plupart des répondants étaient engagés dans une relation polyamoureuse avec deux autres personnes. Toutefois, plusieurs répondants vivaient une relation avec trois autres personnes ou plus. Enfin, pour la majorité des répondants, ces relations se vivaient au sein de deux ménages ou plus.

Pour les polyamoureux interrogés, l’égalité est importante au sein de la relation et dans les décisions familiales

Notre sondage s’intéresse aussi à la manière dont les répondants perçoivent les relations polyamoureuses et les liens entre les personnes qui y sont engagées, ainsi qu’à leur opinion sur la perception du public à leur endroit.

Dans l’ensemble, les répondants sont particulièrement attachés au principe d’égalité des personnes engagées dans la relation, peu importe le genre ou le statut parental. Plus des quatre cinquièmes des répondants (82,1 %) sont « tout à fait d’accord » et 12,5 % sont « d’accord » avec l’énoncé selon lequel chacun des membres d’une relation polyamoureuse mérite d’être traité équitablement sans égard au genre ou à l’identité de genre. Plus de la moitié (52,9 %) sont « tout à fait d’accord » et 21,5 % sont « d’accord » avec l’assertion selon laquelle chacun des membres d’une relation polyamoureuse mérite d’être traité équitablement sans égard aux responsabilités en tant que parents ou tuteurs.

De même, une forte majorité des répondants conviennent que tous les membres d’une telle union devraient avoir leur mot à dire concernant l’évolution de la relation. Environ huit répondants sur dix (80,5 %) sont « tout à fait d’accord » ou « d’accord » pour dire que les décisions concernant la nature de la relation concernent équitablement chacun des membres d’une relation polyamoureuse. Par ailleurs, 70,3 % se disent « tout à fait d’accord » ou « d’accord » avec l’affirmation voulant que chacun des membres d’une relation polyamoureuse ait pleinement voix au chapitre concernant l’arrivée d’une nouvelle personne au sein de la relation. Plus des neuf dixièmes des répondants (92,9 %) sont « tout à fait d’accord » et 6,3 % sont « d’accord » pour dire que chacun des membres d’une relation polyamoureuse peut librement mettre fin à son engagement au sein de la relation à tout moment.

L’attachement manifesté par nos répondants vis-à-vis des principes d’égalité, d’autonomie et de participation des membres concorde avec une autre conclusion importante de notre étude : 89,2 % des répondants sont « tout à fait d’accord » et 9,2 % sont « d’accord » pour dire que chacun des membres d’une relation polyamoureuse doit faire preuve d’honnêteté et de franchise envers les autres.

En ce qui concerne la perception de l’opinion publique à l’égard du polyamour, il ne fait aucun doute que certaines émissions de télévision à succès (Sister Wives et My Five Wives du réseau TLC, ainsi que l’émission Big Love de HBO) ont contribué à brouiller les pistes en faisant un amalgame avec la notion de polygamie. La publicité entourant la récente poursuite en justice à l’endroit de certains leaders de la communauté de Bountiful en vertu de l’article 293 du Code criminel a aussi alimenté certaines perceptions. D’ailleurs, les répondants eux-mêmes semblent avoir été influencés par la teneur des articles 291 et 293 du Code criminel, qui interdisent respectivement la bigamie et la polygamie.

Ainsi, même si la majorité des répondants (72,6 %) croient que la tolérance du public s’améliore vis-à-vis du polyamour, plus des quatre cinquièmes d’entre eux (80,6 %) pensent que les gens considèrent les relations polyamoureuses comme une sorte de perversion ou de fétichisme. De même, seulement 16,7 % des répondants sont d’avis que les gens considèrent les relations polyamoureuses comme une structure familiale parfaitement légitime.

Familles polyamoureuses : des rapports uniques et complexes vis-à-vis de la loi

Les personnes engagées dans une relation à long terme au sein de familles polyamoureuses sont confrontées à plusieurs difficultés pour parvenir à assumer leurs responsabilités, surtout lorsqu’il faut traiter avec des personnes hors de la famille, solliciter des services gouvernementaux ou faire valoir leur statut légal. De fait, à peu près toutes les facettes de la vie au Canada posent des obstacles aux familles polyamoureuses – et particulièrement celles ayant des enfants :

  • Qui sera reconnu comme parent ou tuteur aux yeux des autorités scolaires? Qui aura le droit de passer prendre les enfants à l’école? À qui reviendra-t-il d’autoriser les sorties scolaires ou de participer aux rencontres de parents avec l’enseignant?
  • Qui sera désigné pour traiter avec les médecins, les dentistes, les conseillers ou les autres professionnels de la santé?
  • Qui sera désigné comme bénéficiaire d’un régime d’assurance collective offert par un employeur? Qui sera couvert en vertu des régimes provinciaux de soins de santé (ex. : RAMO en Ontario, MSP en Colombie-Britannique)?
  • Qui aura droit aux prestations des régimes publics, comme les allocations au conjoint du Programme de sécurité de la vieillesse, ou les allocations au survivant du Régime de pensions du Canada?
  • Quels seront les droits et privilèges de chacun des adultes concernés dans le cadre provincial du droit successoral ou de la législation fédérale en matière d’immigration?
  • Combien d’adultes pourront légalement réclamer le statut parental d’un enfant en vertu des lois régissant l’adoption ou la procréation assistée?
  • Compte tenu des législations provinciales sur les relations domestiques, de quels droits et privilèges bénéficieront ceux et celles qui mettront fin à leur engagement au sein d’une famille polyamoureuse?

Pour trouver des réponses à plusieurs de ces questions, il faut s’en remettre à certaines définitions dans le libellé des lois, des politiques et des règlements, notamment celles de parent, époux ou tuteur, et celles de partenaire interdépendant adulte (en Alberta) ou conjoint de fait (dans la plupart des lois fédérales).

Les personnes engagées dans une relation à long terme au sein de familles polyamoureuses sont confrontées à plusieurs difficultés pour parvenir à assumer leurs responsabilités, surtout lorsqu’il faut traiter avec des personnes hors de la famille, solliciter des services gouvernementaux ou faire valoir leur statut légal.

Même si les écoles et les hôpitaux se basent généralement sur la véritable nature des relations entre les individus concernés plutôt que sur une définition normative de la notion de « parent », les organismes chargés d’administrer les programmes d’allocations s’en tiennent en revanche à une terminologie plus restrictive. Ainsi, certaines familles polyamoureuses en viennent à devoir déterminer quel adulte de leur famille sera désigné comme l’« époux » ou l’« épouse » de l’employé aux fins du régime de soins de santé et d’assurance-médicaments, les autres étant dès lors exclus de la couverture.

Toutefois, la question qui est sans doute la plus pressante concerne les droits et les obligations des individus en vertu des législations provinciales sur les relations domestiques. En effet, les difficultés qui surviennent lors de la rupture d’une relation polyamoureuse ne sont pas différentes de celles affectant un couple monogame. Selon les circonstances, il risque d’y avoir des désaccords lorsqu’un ou plusieurs membres d’une famille polyamoureuse décident de partir. Où les enfants vivront-ils? Comment se prendront les décisions parentales? Comment répartir la cohabitation des enfants de part et d’autre? Une pension alimentaire sera-t-elle exigée? Si oui, qui paiera la note? Faudra-t-il verser une pension de soutien au conjoint? Si oui, qui devra payer? Comment répartir les dettes et les actifs immobiliers? L’un des membres peut-il revendiquer un droit de propriété sur un bien détenu par les autres membres de la famille?

Les difficultés qui surviennent lors de la rupture d’une relation polyamoureuse ne sont pas différentes de celles affectant un couple monogame.

Dans les provinces régies par la common law, la législation a tendance à s’assouplir lorsqu’il est question des droits et des obligations envers les enfants, mais l’approche est souvent plus tranchée en ce qui concerne le partage des biens ou le soutien à verser à un conjoint.

L’intérêt prioritaire de l’enfant étant au cœur des Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, les dispositions législatives des provinces canadiennes régies par la common law prévoient que les beaux-parents ou toute autre personne ayant un rôle parental auprès d’un enfant puissent se voir imposer le paiement d’une pension alimentaire, et ce, sans égard au fait qu’une autre personne y soit déjà contrainte. Par conséquent, on peut envisager que tous les membres d’une famille polyamoureuse pourraient être tenus d’assumer un tel soutien financier pour l’enfant d’un autre membre de la famille, surtout si l’enfant vivait principalement au sein du ménage polyamoureux.

Par ailleurs, un adulte à charge pourrait être admissible à des versements de soutien au conjoint de la part d’un autre membre d’une famille polyamoureuse :

a) si la personne est mariée à l’autre membre de la famille;

b) si, vis-à-vis de l’autre membre de la famille, la personne répond à la définition de partenaire interdépendant adulte (Alberta), de conjoint non marié (Colombie-Britannique, Ontario, Île-du-Prince-Édouard, Saskatchewan), de partenaire (Terre-Neuve-et-Labrador) ou de conjoint de fait (Manitoba, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse)2</ŝup> .

On peut aussi imaginer qu’un adulte à charge soit admissible à plusieurs versements de soutien au conjoint de la part des autres membres d’une famille polyamoureuse, si la législation n’exclut pas nommément les relations conjugales simultanées (comme en Alberta) ou si la personne répond à la définition de partenaire ou conjoint non marié vis-à-vis des autres membres (comme ce serait le cas en Colombie-Britannique).

Dans la plupart des provinces régies par la common law (sauf en Alberta et au Manitoba), les parents peuvent partager la garde d’un enfant et bénéficier de droits afférents, c’est-à-dire le droit de s’informer de l’enfant et de prendre des décisions à son égard, et ce, conjointement avec :

a) d’autres membres de la famille répondant à la définition légale de tuteur (Colombie-Britannique, Nouvelle-Écosse) ou de parent (Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, Ontario, Île-du-Prince-Édouard);

b) tout autre membre de la famille, lorsque la législation autorise la garde d’un enfant même sans lien biologique (Colombie-Britannique, Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse, Ontario, Île-du-Prince-Édouard, Saskatchewan).

En Colombie-Britannique ainsi qu’à Terre-Neuve-et-Labrador, lorsque l’enfant a été conçu par procréation assistée, la législation permet que d’autres personnes que les parents biologiques obtiennent la reconnaissance du statut parental.

À l’exception du Manitoba, toutes les provinces régies par la common law autorisent les parents à partager la garde de leur enfant avec un ou plusieurs autres membres de la famille (ainsi que les obligations inhérentes en tant que fiduciaires du patrimoine de l’enfant).

Dans les provinces régies par la common law (sauf en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Saskatchewan), les droits légaux concernant la propriété et la possession de biens se limitent aux conjoints mariés, si bien que les membres non mariés d’une famille polyamoureuse doivent s’en remettre :

a) aux dispositions générales régissant la copropriété de biens immobiliers ou personnels;

b) à tout autre principe d’équité ou de common law jugé pertinent compte tenu de la nature de la relation.

En Colombie-Britannique, au Manitoba et en Saskatchewan, les membres des familles polyamoureuses bénéficient de droits de propriété prévus par la loi en vertu des dispositions touchant les conjoints non mariés (Colombie-Britannique, Saskatchewan) ou les conjoints de fait (Manitoba). En effet, la législation dans ces provinces n’interdit pas explicitement les relations conjugales simultanées.

Perspectives…

Depuis le début de l’ère industrielle, on assiste à une évolution de plus en plus rapide du modèle pratiquement inaltéré durant plus d’un millénaire de la famille nucléaire occidentale traditionnelle – c’est-à-dire celui de parents mariés hétérosexuels et de leurs descendants légitimes. Et les conceptions ainsi que les structures légales qui l’encadrent évoluent à l’avenant. Les incapacités de droit qui touchaient les femmes mariées ont été les premières à tomber, entre autres le refus au droit de propriété ou l’impossibilité de détenir une entreprise en leur nom. D’autres incapacités légales ont ensuite été améliorées, notamment en ce qui concerne les liens de filiation, comme le droit d’hériter ou de faire valoir un titre paternel.

Promulguée en 1968 par le gouvernement fédéral, la Loi sur le divorce légitimait la cessation du mariage autrement que par décès au Canada. La génération des baby-boomers (dont les plus âgés ont atteint l’âge de 65 ans en 2011) a donc été la première à traverser l’âge adulte sous un régime fédéral où le divorce était autorisé. Non seulement cette transition a-t-elle largement dissipé les préjugés, mais elle a contribué à la progression continue du taux de remariage et de nouvelles unions durant les deux dernières décennies, ainsi qu’à l’augmentation du nombre de familles recomposées (qui semblent désormais aussi communes que les familles non reconstituées).

Vers le milieu des années 90, l’orientation sexuelle a finalement été admise comme motif de discrimination illicite. Dans le sillage de ce changement, l’Ontario a légalisé les mariages homosexuels dès 2002, et huit autres provinces et territoires lui ont rapidement emboîté le pas. Finalement, en 2005, le gouvernement fédéral adoptait la Loi sur le mariage civil qui légalisait le mariage entre conjoints de même sexe à l’échelle pancanadienne. Entre-temps, la Saskatchewan adoptait, en 2001, une législation conférant aux couples non mariés vivant ensemble les mêmes droits de propriété que les couples mariés, ce que le Manitoba a décidé d’imiter (en 2004), tout comme la Colombie-Britannique (en 2011).

Au Canada, la famille s’affranchit désormais de toute notion liée au mariage, au genre, à l’orientation sexuelle, à la reproduction ou à l’éducation des enfants. La prochaine étape consistera à revoir le précepte selon lequel toute relation affective se vit seulement entre deux personnes simultanément, qu’il s’agisse de relations informelles, de cohabitation ou de liens conjugaux.

À la lumière des données somme toute restreintes qui existent à l’heure actuelle au sujet des relations polyamoureuses, il est permis de croire que ce type de relations concerne aujourd’hui un nombre relativement important de personnes, et que la progression pourrait se poursuivre. Selon un article publié dans Newsweek en 2009, plus de 500 000 Américains vivraient au sein de relations ouvertement polyamoureuses et on compterait même environ « 15 000 lecteurs habituels » du magazine Loving More destiné aux polyamoureux. Dans son ouvrage intitulé Polyamory in the Twenty-First Century, l’auteure Deborah Anapol estime qu’environ un Américain sur cinq cents se désigne comme polyamoureux aux États-Unis. Le site Web de la Canadian Polyamory Advocacy Association (www.polyadvocacy.ca) dresse une liste d’autres organismes nationaux de soutien et de réseautage pour les polyamoureux, notamment 2 autres organismes nationaux ainsi que plusieurs organismes semblables à l’échelle régionale, soit 8 dans les Maritimes, 36 au Québec et en Ontario, 23 dans les Prairies et 22 en Colombie-Britannique.

Par le passé, nous avons su très bien accueillir la profonde transformation qu’a connue la famille. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci?

L’augmentation du nombre de relations polyamoureuses exigera des changements importants touchant nos coutumes et nos institutions sociales. Une telle évolution nécessitera de revoir notre conception de la parentalité ainsi que le partage des responsabilités parentales. Il faudra réévaluer les frontières des relations entre adultes pour déterminer quelles obligations et quels privilèges s’appliquent ou non en vertu du cadre législatif, et définir leurs modalités d’application au sein d’une relation comptant plus de deux personnes.

Malgré l’ampleur des changements à envisager, ceux-ci se feront progressivement. Nous aurons le temps de nous faire à l’idée et de nous adapter à l’augmentation du nombre de personnes et de familles polyamoureuses. Par le passé, nous avons su très bien accueillir la profonde transformation qu’a connue la famille. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci?

 

Notes

  1. Données de sondage non pondérées.
  2. Il est à noter que le Québec applique le Code civil plutôt que la common law, si bien que la législation québécoise se distingue des autres provinces canadiennes. Par conséquent, la situation québécoise déborde du cadre de la présente démarche.

John-Paul Boyd, M.A., LL.B., est directeur général de l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille, un organisme multidisciplinaire sans but lucratif affilié à l’Université de Calgary.

Pour en savoir davantage au sujet des travaux de John-Paul Boyd sur le droit de la famille et les relations polyamoureuses, consultez l’article « Polyamorous Families in Canada: Early Results of New Research from CRILF » publié par l’Institut canadien de recherche sur le droit et la famille.

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Publié le 11 avril 2017

Faits vécus : comprendre les familles touchées par l’incarcération

Farhat Rehman

L’incarcération touche des milliers de familles au Canada. Les proches des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement sont souvent profondément affectés par la séparation d’un fils, d’une fille, d’un frère, d’une sœur, d’un parent ou d’un autre membre de la famille. Au surplus, ils doivent généralement vivre avec les préjugés, la culpabilité ou la honte, d’autant plus si la personne condamnée souffre de troubles mentaux, une réalité qui touche plusieurs détenus et leur famille.

Lorsque mon fils a été incarcéré après sa condamnation en 2001, ma vie de famille s’est littéralement écroulée. Le gouffre du système carcéral s’est alors refermé sur lui, et le monde s’est assombri. Dès cet instant fatidique, toute lueur d’espoir s’est éteinte et nos vies ont pris un virage brutal. Notre vie de famille et nos relations familiales ont été bouleversées à jamais.

En tant que mère, je me suis mise à ruminer sans cesse, malgré moi, les raisons qui avaient poussé mon fils à commettre un acte criminel aussi grave. Pourquoi son esprit raisonne-t-il ainsi? Comment aurait-on pu éviter une telle catastrophe? Pourquoi était-il passé à travers les mailles du filet malgré autant d’années de soins en santé mentale? Comment aurais-je pu agir différemment pour prévenir ce crime qui a déchiré deux familles? Chaque fois que je lui parle ou que je lui rends visite en prison, ces pensées reviennent me hanter. Pour nous, sa famille, les répercussions des actes commis par mon fils s’alourdissent au fil du temps. Le cauchemar de la prison a gravement miné sa santé mentale, l’entraînant dans un tourbillon vertigineux devenu source constante d’inquiétude pour notre famille.

 

Le cauchemar de la prison a gravement miné sa santé mentale, l’entraînant dans un tourbillon vertigineux devenu source constante d’inquiétude pour notre famille.

 

Les impacts de l’incarcération sur les relations, les traditions et les perspectives familiales

Comme nous avons pu le constater, les visites en milieu carcéral sont parfois traumatisantes du point de vue du visiteur, qui doit d’abord se soumettre à de multiples contrôles de sécurité, notamment le scanner à ions (qui détecte la présence de drogues, mais donne souvent des résultats faux positifs). En cas de problème, le visiteur risque de ne pas être admis, au désarroi de la personne incarcérée.

L’absence de mon fils me pèse chaque fois que nous célébrons quelque chose en famille. Malgré l’ambiance festive, les rires et les bons petits plats lors des rassemblements familiaux, c’est la quintessence du bonheur qui nous échappe, mais personne n’ose en parler ouvertement.

Bien que la famille et les amis lui envoient des cartes d’anniversaire ou nous demandent de ses nouvelles, ils hésitent à aborder un sujet aussi triste au risque d’alourdir l’atmosphère. Après seize ans d’absence, les uns et les autres finissent par s’habituer à l’éloignement d’un membre de la famille, et la situation se banalise sur l’« échelle sismique » de la vie de famille.

Ces jours-ci, quand j’envisage l’avenir, je me demande si mon fils pourra bientôt opérer un virage dans sa vie. Réussira-t-il à convaincre les autorités de la sincérité de ses remords et de sa volonté de ne plus jamais récidiver? Jugera-t-on qu’il mérite d’être remis en liberté sous condition et réinséré dans la collectivité, où il pourra amorcer le long processus de guérison et de réparation des dommages causés par cette longue incarcération? Saura-t-il reprendre sa place au sein de notre famille, à qui il a manqué atrocement, mais qui a réussi à s’adapter entre-temps?

Amour et soutien pour épauler les familles

Assaillie quotidiennement par ces questionnements, j’ai la chance de bénéficier du soutien de mon entourage. Lorsque mon fils a d’abord été confronté au système de justice – et toute la famille dans son sillage –, je me suis retrouvée sur une route sans balises. Même si j’étais bien présente dans ma collectivité, je n’avais personne qui puisse réellement comprendre ce que ressent une mère dont le fils est en prison.

Même si j’étais bien présente dans ma collectivité, je n’avais personne qui puisse réellement comprendre ce que ressent une mère dont le fils est en prison.

 

En novembre 2010, j’ai fait la connaissance d’une autre mère dont le fils était incarcéré, par l’entremise d’une experte et militante communautaire rattachée au Conseil des Églises pour la Justice et la Criminologie, et aussi travailleuse en intervention d’urgence auprès de la John Howard Society (JHS). Nous nous sommes rencontrées pour la première fois en décembre 2010 dans les bureaux de la JHS : trois mères partageant leur réalité commune et leurs buts.

Cette mise en commun de nos expériences a mené à la création de l’organisme Mothers Offering Mutual Support (MOMS), un groupe de soutien à l’intention des femmes. La toute première rencontre officielle de « MOMS » a eu lieu le 15 décembre 2010. Nous nous réunissons dans les locaux de la JHS, le premier jeudi de chaque mois. La JHS nous offre gracieusement l’accès à ses locaux, ce qui nous procure un cadre privé.

Notre organisme compte désormais 45 membres, qui se disent extrêmement reconnaissantes de pouvoir, par ces rencontres, sortir un peu du trou béant dans lequel elles sont tombées quand leur enfant a été condamné à l’emprisonnement pour des motifs criminels. Nos rencontres visent à favoriser l’entraide et à trouver des avenues concrètes et constructives pour progresser. Les nouvelles venues au sein du groupe peuvent même compter sur le soutien et les conseils d’autres mères dont le fils a obtenu sa libération conditionnelle ou définitive.

De l’extérieur des murs, toute famille aimante est appelée à jouer un rôle important auprès du détenu pour lui témoigner de l’affection, le soutenir financièrement et le représenter le mieux possible, dans le but d’atténuer les conséquences durables de l’incarcération. Par l’entremise de l’organisme MOMS, nous nous entraidons pour mieux soutenir nos enfants en incarcération.

De l’extérieur des murs, toute famille aimante est appelée à jouer un rôle important auprès du détenu pour lui témoigner de l’affection, le soutenir financièrement et le représenter le mieux possible, dans le but d’atténuer les conséquences durables de l’incarcération.

 

Certes, nos réunions ne nous soustraient pas à la dure réalité de l’incarcération, mais nous pouvons nous aider mutuellement à vivre un jour à la fois. Nous avons fait des démarches pour que le système judiciaire facilite la réinsertion et l’éducation en misant sur le bien-être physique et mental des détenus, et en accompagnant nos fils et nos filles tout au long de leur peine pour mieux préparer leur avenir. Dans le cadre de ces démarches, nous avons eu l’occasion d’aborder la question des droits de la personne avec divers représentants gouvernementaux et leaders communautaires. Notre vécu et notre point de vue comme mères sont utiles pour orienter les politiques et les programmes, et nous constatons que le public est de plus en plus conscientisé à l’égard de ces questions, ce qui est encourageant.

Évidemment, à cause des préjugés et craignant pour leur sécurité, certaines mamans et leur famille hésitent à parler publiquement de ces enjeux, mais elles n’en sont pas moins épuisées par les nuits blanches et maladivement inquiètes pour leur enfant. Faudrait-il au surplus prêter flanc aux propos insensibles ou négatifs qui s’ajouteraient à la honte et à l’inquiétude?

Nous nous réunissons régulièrement parce que, en tant que mères touchées par l’incarcération, nous voulons partager notre expérience et verbaliser ce choc, cette douleur, ce déchirement. Ensemble, nous cherchons l’énergie nécessaire pour mieux comprendre et privilégier les meilleures approches susceptibles de préserver l’espoir et la santé, pour nous-mêmes et nos proches. Ces êtres chers en milieu carcéral méritent un traitement juste et humain, et c’est à cela que nous travaillons résolument, unies par notre condition de familles confrontées à l’incarcération.

 


Farhat Rehman est cofondatrice de l’organisme Mothers Offering Mutual Support (MOMS), un groupe de soutien pour femmes dont l’un des proches a été incarcéré.

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Publié le 14 mars 2017

Les conflits travail-famille chez les parents seuls des Forces armées canadiennes

Alla Skomorovsky, Ph. D.

Les responsabilités inhérentes à la vie militaire représentent parfois une importante source de stress pour les familles des militaires, au gré des déploiements, des déménagements, des aléas de la vie à l’étranger et de l’éloignement familial, sans compter les risques de blessures ou de décès pour les militaires, ou encore les heures de travail longues et imprévisibles.

Même si les familles des militaires parviennent généralement à faire face aux difficultés, des études ont montré que certaines d’entre elles finissent par se sentir débordées devant ces exigences concurrentes et cumulatives. Il s’agit là d’une réalité particulièrement éprouvante pour les parents seuls au sein des Forces armées canadiennes (FAC), qui comptent bien souvent sur des ressources limitées pour assumer leurs responsabilités multiples. C’est l’une des raisons pour lesquelles plusieurs parents seuls engagés dans la vie militaire (hommes ou femmes) semblent tirer une moindre satisfaction de ce mode de vie que leurs homologues en couple, selon les données d’une étude antérieure.

Par définition, les conflits travail-famille surviennent lorsque les exigences professionnelles sont difficilement conciliables avec les exigences du domaine familial. Au Canada, même s’il semble de plus en plus évident que les conflits travail-famille représentent un problème éventuellement important pour les familles des militaires, il n’existe encore que très peu de recherches portant précisément sur le sujet. Dans une étude qualitative récente, la majorité des parents seuls des FAC affirmaient être en mesure de concilier travail et famille, tout en admettant qu’il leur était difficile d’y parvenir, surtout parce qu’ils sont souvent les seuls pourvoyeurs de soins et de ressources financières pour leur famille. Voici les commentaires de l’un des participants à cet égard :

“Jusqu’ici, je parviens assez bien à équilibrer ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Par contre, je dois dire que ce n’est pas toujours facile parce que je n’ai personne d’autre sur qui compter, par exemple lorsque je dois rester plus tard au travail ou terminer ma journée à partir de mon téléphone. Mon BlackBerry est devenu essentiel, parce que je ne peux pas rester trop tard au travail, en tout cas pas aussi longtemps qu’avant. Mais en général, ça se passe plutôt bien.”

Peu d’études sur les conflits travail-famille chez les militaires canadiens

Dans certains cas, les parents seuls qui œuvrent dans les FAC vivent de multiples déploiements, et sont alors séparés de leurs enfants sans possibilité de s’occuper d’eux. Il va sans dire que pour ces familles, les arrangements pour la garde des enfants ne sont pas simples. Par exemple, pendant que papa ou maman est en mission, les enfants doivent parfois s’installer chez leurs grands-parents dans une autre ville. Par ailleurs, les parents seuls qui vivent de fréquentes réaffectations risquent d’éprouver des difficultés à créer ou à recréer des réseaux sociaux, qui sont pourtant une précieuse source de soutien.

Quelques études ont montré que les familles militaires monoparentales font face à des défis uniques au quotidien, et sont confrontées à d’importants conflits travail-famille. Toutefois, il n’existe encore que très peu de travaux qui ciblent le contexte canadien en particulier. Dans le but d’y remédier et pour mettre en relief les principales préoccupations des parents seuls des FAC, le personnel du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) (DGRAPM) a mené un sondage électronique dans le cadre duquel on a soumis un questionnaire à un groupe de parents choisis au hasard parmi des parents seuls, divorcés, séparés ou veufs de la Force régulière des FAC, ayant à leur charge des enfants de 19 ans ou moins. Au total, les résultats reflétaient le point de vue de 552 parents seuls.

On a constaté que les difficultés financières figurent parmi les principales préoccupations des parents seuls, ce qui corrobore les données d’études précédentes selon lesquelles les pressions financières sont l’une des principales sources de stress pour les parents seuls, qu’il s’agisse de militaires ou de civils. L’autre difficulté évoquée par les parents seuls concernait la santé et le bien-être de leurs enfants. Aucune étude sur les parents seuls du domaine civil ou militaire n’avait encore mené à de telles conclusions, mais on peut penser que ces préoccupations ressortent ici en raison des multiples absences des parents, qu’il s’agisse de déploiements, d’entraînements ou encore du nombre imprévisible et variable d’heures de travail ou d’heures supplémentaires, qui sont des facettes caractéristiques du mode de vie des militaires. En somme, plus de 60 % des répondants affirment que les pressions financières et les préoccupations quant à la santé et au bien-être de leurs enfants sont importantes ou extrêmement importantes (voir la figure 1). Dans une forte proportion (plus de la moitié), ces parents s’inquiètent aussi de la période de l’adolescence, au cours de laquelle ils souhaiteraient être présents pour leurs enfants tout en assumant leur charge de travail et leurs responsabilités contraignantes.

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Responsabilités parentales et professionnelles : conciliation difficile, mais pas impossible

On a demandé aux parents seuls d’indiquer dans quelle mesure ils parviennent à concilier les exigences du service militaire avec leurs responsabilités parentales. La plupart pensent que la tâche n’est pas impossible (voir la figure 2). Toutefois, environ 55 % des répondants se sentent divisés entre leurs responsabilités professionnelles et familiales, et admettent qu’il n’est pas facile d’être à la fois de bons parents et de bons militaires. Environ 44 % de ces parents croient qu’il est difficile de concilier les responsabilités parentales et celles de la vie militaire. Ces constatations corroborent les données d’études antérieures selon lesquelles les parents seuls parmi les militaires sont vulnérables aux conflits travail-famille.

 

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Deux des questions posées aux participants concernaient les défis pour la vie de famille en lien avec la vie militaire. Au sujet des répercussions du travail sur la vie de famille, la vaste majorité des militaires en situation monoparentale reconnaissent une certaine influence de la sphère professionnelle à cet égard (voir la figure 3). Environ 70 % des répondants soulignent que les exigences professionnelles sont parfois en concurrence avec celles de la vie de famille, et 64 % d’entre eux admettent avoir déjà raté certaines activités familiales en raison de leurs responsabilités professionnelles.

Pour jeter un éclairage sur les mesures de soutien en milieu de travail offertes aux parents seuls, on a demandé à certains d’entre eux de citer des programmes et politiques des FAC susceptibles de les aider à concilier les exigences familiales et professionnelles. D’après les résultats, on constate que de nombreux parents seuls des FAC ne sont pas au courant des services offerts. À titre d’exemple, moins de 10 % des participants disent connaître l’existence des services offerts aux parents seuls par l’entremise des Centres de ressources pour les familles des militaires. Il s’agit d’une situation à laquelle faisait écho l’un des participants de l’étude qualitative évoquée précédemment :

Les services ne sont pas toujours bien annoncés. Il faut faire des démarches et poser des questions. Quand on déménage dans une grande ville, il vaut mieux chercher un logement à proximité d’un CRFM [Centre de ressources pour les familles des militaires].

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Sensibilisation et soutien à la conciliation travail-famille : des atouts pour les parents seuls des FAC

De nombreux parents seuls des FAC sont confrontés à des difficultés, mais pour certains d’entre eux, les conflits travail-famille représentent une préoccupation centrale. L’un des participants à l’étude qualitative s’exprimait ainsi :

“Ce qui m’inquiète le plus, c’est que mon poste au sein des Forces canadiennes peut me placer devant une situation imprévue où il me faudra choisir entre ma carrière et mes enfants.”

Les parents seuls au sein des FAC bénéficieraient sans doute d’une meilleure sensibilisation aux services offerts, et d’un meilleur accès aux diverses initiatives de soutien et autres programmes d’aide familiale (ex. : Plan de garde familiale), notamment en ce qui a trait aux services de consultation. De plus, la flexibilité et la capacité d’adaptation en milieu de travail pourraient gagner en efficacité si les gestionnaires et les dirigeants connaissaient mieux les défis inhérents aux conflits travail-famille auxquels sont confrontés les parents seuls des FAC. Enfin, en misant sur des programmes et services sur mesure qui visent à optimiser l’encadrement affectif et pratique des parents seuls (ex. : groupes de soutien), il serait possible d’accroître leur capacité de concilier les responsabilités professionnelles et familiales.

Ces travaux portent sur les conflits travail-famille et les principales difficultés qui touchent les parents seuls des FAC, mais il ne s’agit là que d’un premier pas vers une compréhension élargie des facteurs uniques qui influent sur leur bien-être. Dans le but de combler les lacunes dans les connaissances actuelles à cet égard, le DGRAPM a mis sur pied un programme de recherche exhaustif axé sur les familles des militaires, en étroite collaboration avec le domaine de la recherche (notamment par l’entremise de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans). Ce regroupement de chercheurs a pour mandat d’accroître la qualité de vie des militaires et des vétérans canadiens, ainsi que de leur famille. Le principe de soutien aux familles a d’ailleurs été enchâssé dans l’Engagement des Forces canadiennes à l’endroit des familles, qui reconnaît les liens intrinsèques entre la situation des familles des militaires et la capacité opérationnelle des FAC.

Nous sommes conscients de la contribution importante des familles à l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes et nous reconnaissons la nature unique du mode de vie militaire. Nous honorons la résilience des familles et rendons hommage aux sacrifices qu’elles font pour soutenir le Canada.

Engagement des Forces canadiennes à l’endroit des familles

Dans le droit fil des principes énoncés dans l’Engagement à l’endroit des familles, il importe de continuer à développer l’expertise nécessaire pour mieux s’occuper de ces familles, et pour trouver des moyens de mieux répondre à leurs besoins uniques afin d’assurer le bien-être de chacun sur le plan individuel et familial.

 


Alla Skomorovsky est psychologue en recherche pour le compte du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) (DGRAPM), où elle dirige une équipe de recherche sur les familles des militaires. Elle y mène des études quantitatives et qualitatives sur la résilience, le stress, l’adaptation, l’identité et le bien-être des familles des militaires.

Mme Skomorovsky a été la toute première lauréate du prix Colonel Russell-Mann en reconnaissance de la qualité de ses travaux de recherche sur les conflits travail-famille et le bien-être des parents des FAC. Cette distinction lui a été décernée dans le cadre du Forum 2015, une activité chapeautée par l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans.

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Suggestions de lecture

T. Allen, D. Herst, E. Bruck et M. Sutton (2000). « Consequences Associated with Work-to-Family Conflict: A Review and Agenda for Future Research » dans Journal of Occupational Health Psychology, vol. 5, no 2, p. 278-308.

G.L. Bowen, D.K. Orthner et L. Zimmerman (1993). « Family Adaptation of Single Parents in the United States Army: An Empirical Analysis of Work Stressors and Adaptive Resources » dans Family Relations, no 42, p. 293-304.

A.L. Day et T. Chamberlain (2006). « Committing to Your Work, Spouse, and Children: Implications for Work–Family Conflict » dans Journal of Vocational Behavior, vol. 68, no 1, p. 116-130.

Bullock (2015). The Impact of Military Life on Single-Parent Military Families: Well-Being and Resilience (Rapport technique du Directeur général – Recherche et analyse (Personnel militaire) – DRDC-RDDC-2015-R099), Ottawa (Ontario), Recherche et développement pour la défense Canada.

Les soins familiaux au Canada : une réalité et un droit

Nathan Battams

Au moins une fois dans sa vie, chacun sera probablement appelé à prodiguer des soins à un proche, ou à en bénéficier. En règle générale, les membres de la famille sont les premiers à fournir et à encadrer de tels soins et, dans certains cas, à payer pour ceux-ci. Qu’il s’agisse de reconduire un frère ou une sœur à un rendez-vous médical, de préparer les repas pour un grand-parent ou encore de passer à l’école prendre un enfant qui ne se sent pas bien, s’occuper de la famille semble si naturel et englobe un si vaste éventail d’activités qu’on finit souvent par oublier qu’il s’agit de soins familiaux… Ces quelques exemples font pourtant partie de cette « réalité des soins » à laquelle nous sommes habitués.

Les familles disposent d’une grande capacité d’adaptation, et les gens trouvent habituellement les moyens de mener de front leurs responsabilités, leurs engagements et leurs obligations multiples sur le plan professionnel et familial. Toutefois, puisque la plupart des aidants sont aussi sur le marché du travail à plein temps, il peut s’avérer difficile de concilier travail et prestation de soins. En vertu de la notion de « situation de famille » aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, l’employeur peut être contraint de consentir certaines mesures d’adaptation à son employé qui, ayant épuisé tous les autres recours raisonnables, serait contraint de choisir entre ses obligations professionnelles et les soins à prodiguer à un membre de sa famille. De fait, les droits de la personne assurent aux travailleurs un cadre de droits et la flexibilité nécessaire afin de conjuguer leurs obligations professionnelles et leur charge de soins.

Mesures d’adaptation en vertu des droits de la personne : flexibilité de part et d’autre

La conciliation harmonieuse des soins et du travail dépend d’une certaine ouverture de l’employeur à l’égard du fait que les circonstances familiales nécessitent parfois une attention soutenue. Idéalement, ce dernier aura instauré des politiques inclusives favorisant la flexibilité en milieu de travail (réduisant ainsi le nombre de demandes individuelles) et le traitement des demandes personnalisées d’adaptation, lorsque la flexibilité ne suffit pas.

Ces demandes personnalisées d’adaptation sont fondées sur la situation familiale et s’appliquent lorsque l’employé est confronté à des obligations contraignantes en matière de soins, contrairement à celui qui ferait simplement le choix personnel d’aider un membre de sa famille. À titre d’exemple, un parent qui s’absente du travail pour reconduire son enfant à des activités parascolaires le fait par choix personnel, mais s’il doit reconduire son enfant à l’hôpital faute de trouver un aidant, on parle plutôt d’une obligation.

La conciliation harmonieuse des soins et du travail dépend d’une certaine ouverture de l’employeur à l’égard du fait que les circonstances familiales nécessitent parfois une attention soutenue.

Du reste, l’obligation n’est pas toujours un motif suffisant : l’employé doit aussi prouver qu’il a véritablement envisagé toutes les solutions possibles pour tenter de concilier ses responsabilités professionnelles et la prestation de soins. Devant une demande personnalisée d’adaptation, l’employeur est tenu d’évaluer si l’employé est victime d’un préjudice causé par des règles ou des pratiques en milieu de travail éventuellement inconciliables avec ses responsabilités de soins. Le cas échéant, il accordera à l’employé le temps d’évaluer les solutions possibles, discutera avec lui de la situation, procédera à une évaluation des circonstances individuelles, et envisagera le recours à des modalités de travail flexibles (MTF).

L’employeur peut toutefois refuser d’offrir des mesures d’adaptation, mais il doit prouver qu’une telle éventualité causerait à son organisation un « préjudice injustifié » résultant de la modification des politiques, des pratiques, des règlements ou de l’espace physique. Du point de vue légal, il n’existe pas de définition précise de la notion de préjudice injustifié, chaque cas étant un cas d’espèce influencé par les particularités du milieu de travail et des besoins opérationnels. De même, les dispositions en matière de droits de la personne prévoient l’évaluation individuelle des demandes d’adaptation, en tenant compte des attentes de la famille et des rôles au sein de celle-ci. S’il considère qu’il y a préjudice, l’employeur est tenu de fournir des preuves quant à la nature et à l’importance de celui-ci.

L’affaire Johnstone c. Canada a fait jurisprudence sur le principe de situation de famille. En effet, le jugement rendu dans ce dossier a contribué à clarifier les circonstances devant lesquelles un employeur devrait consentir certains arrangements à son employé compte tenu des obligations de ce dernier envers son enfant. Fiona Johnstone et son mari élevaient leurs deux bambins tout en travaillant à plein temps pour le compte de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), où ils devaient composer avec des quarts rotatifs et imprévisibles. Le mari de Mme Johnstone était aussi appelé à se déplacer pour le travail. Pour réussir à assumer ses responsabilités parentales, cette dernière a donc demandé un horaire de travail à plein temps à heures convenues, une requête qui lui a été refusée au motif que les horaires à heures fixes, selon les politiques de l’ASFC, n’étaient possibles qu’à temps partiel. Du point de vue de l’ASFC, les responsabilités inhérentes aux soins des enfants résultaient d’un choix personnel et l’employeur n’avait pas « l’obligation de prendre des mesures d’adaptation ».

Le Tribunal canadien des droits de la personne a finalement tranché en faveur de Mme Johnstone, reconnaissant qu’elle avait été victime de discrimination. La Cour fédérale a refusé la requête en révision judiciaire du Procureur général, confirmant ainsi la portée et le sens du principe de « situation de famille » aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne en ce qui a trait à l’obligation parentale de s’occuper des enfants. Refusant la demande de contrôle judiciaire qui lui était adressée dans l’affaire Johnstone c. Canada, l’honorable juge Mandamin déclarait :

« … il est difficile d’envisager la famille sans tenir compte des enfants qui existent au sein de cette famille et des liens qui existent entre les enfants et les parents. L’aspect le plus important de cette relation est l’obligation qu’ont le père et la mère de prendre soin de leurs enfants. Il me semble que, si le législateur fédéral avait eu l’intention d’exclure les obligations parentales, il aurait employé des mots qui expriment clairement son intention en ce sens. »

En 2014, la Cour d’appel fédérale a également maintenu ce jugement, cité à maintes reprises depuis dans plusieurs dossiers et devant diverses instances au Canada. Malgré tout, certaines divergences législatives persistent au pays à cet égard. Ainsi, le principe de « situation de famille » n’est pas encore considéré parmi les motifs de discrimination illicite au Nouveau-Brunswick; en Ontario, la notion se limite aux relations parents-enfants, mais s’applique toutefois aux aidants auprès d’un parent vieillissant.

Mesures d’adaptation pour les soins : des coûts moindres pour l’employeur et pour l’employé

Le respect et la reconnaissance des droits de la personne ne sont pas les seuls motifs qui incitent un employeur à consentir certains arrangements pour les soins : la possibilité de réduire les coûts éventuels entre aussi en ligne de compte, et ce facteur joue autant en faveur de l’employeur que de l’employé. Dans une étude publiée récemment, Janet Fast estimait que les coûts pour l’aidant sont de trois ordres : la prestation des soins, les limitations professionnelles et les dépenses directes.

La prestation des soins suppose des coûts pour l’employé, sous forme de temps passé auprès du bénéficiaire de soins, de temps consacré pour ce dernier (ex. : prise de rendez-vous), de temps pour se rendre auprès de lui, et de temps lié au suivi et à l’encadrement des soins. Les limitations professionnelles concernent la nécessité de réduire ses heures de travail ou de quitter son poste, la perte de productivité et les conséquences éventuelles, c’est-à-dire la baisse ou la perte de revenus et les effets sur le cheminement de carrière. Enfin, les dépenses directes touchent divers aspects comme le logement, les services communautaires, les fournitures et le transport que les aidants doivent parfois assumer.

L’incapacité de concilier les obligations concurrentes de la prestation de soins et du travail rémunéré entraîne des pertes annuelles en main-d’œuvre équivalant à près de 558 000 employés à plein temps au Canada.

Les coûts auxquels l’employé est confronté en lien avec la prestation de soins ont aussi des répercussions pour l’employeur, de façon directe et indirecte. En termes de coûts directs, l’employeur est notamment confronté à un taux de roulement élevé, à une augmentation du taux d’absentéisme et à divers coûts supplémentaires en avantages sociaux (ex. : réclamations pour soins de santé ou congés d’invalidité pour employés assumant un rôle d’aidant). Les coûts indirects se manifestent par une baisse de rentabilité par employé et une perte de productivité, sans oublier les effets corollaires pour les collègues, les superviseurs, les fournisseurs et la clientèle. À terme, c’est l’ensemble de l’économie qui accuse le coup. Selon l’étude de Mme Fast, l’incapacité de concilier les obligations concurrentes de la prestation de soins et du travail rémunéré entraîne des pertes annuelles en main-d’œuvre équivalant à près de 558 000 employés à plein temps au Canada.

Pourtant, les organisations qui soutiennent leurs employés dans leur rôle d’aidant familial bénéficient de nombreux avantages, notamment la possibilité de consolider leur réputation et leur image publique tout en harmonisant leurs engagements en termes de responsabilité sociale d’entreprise (RSE). De plus en plus d’études tendent à montrer que les milieux de travail flexibles favorisent la productivité, le rendement au travail, le recrutement et la rétention des employés.

Une variété d’approches pour faciliter les soins à la famille

Lorsqu’il est question de soins familiaux, chaque situation est unique, en fonction des aidants et des bénéficiaires eux-mêmes, de la nature des soins requis, du type d’emploi qu’occupe l’aidant et de la culture organisationnelle qui prévaut dans son milieu professionnel. Bref, il n’existe aucune « solution universelle ».

De plus en plus d’études s’intéressent aux avenues à privilégier pour favoriser l’instauration et l’intégration de modalités de travail flexibles. À cet égard, la Commission canadienne des droits de la personne a publié un Guide sur la conciliation des responsabilités professionnelles et des obligations familiales des proches aidants, qui met en relief diverses MTF favorables aux mesures d’adaptation, notamment le télétravail, le travail partagé, la souplesse des heures de début et de fin de quart, les horaires comprimés, l’allongement des congés parentaux ou de maternité, les échanges de quart, les congés de soignant, les congés discrétionnaires et autres congés auprès d’un membre de la famille dans le besoin, les congés en cas d’urgence ou d’imprévu auprès d’un enfant ou d’un aîné, le travail à temps partiel avec avantages sociaux proportionnels, ou encore la rotation ou la mise en commun des tâches et des responsabilités professionnelles.

Hausse anticipée de la fréquence des soins à la famille

Les soins sont une réalité commune au sein des familles (de même qu’entre elles), peu importe leur lieu de résidence ou leurs origines. Compte tenu de la réduction de la taille des familles, du vieillissement de la population canadienne et, par conséquent, de l’augmentation en nombre et en complexité des cas d’incapacité, il est de plus en plus pertinent de privilégier les mesures d’adaptation favorables aux soins familiaux. Cette nouvelle réalité met en relief le « manque à gagner » en matière de soins au Canada.

Selon Statistique Canada, près de la moitié (46 %) des Canadiens de toutes les régions du pays (soit 13 millions de personnes) ont procuré des soins à un moment ou un autre de leur vie auprès d’un ami ou d’un membre de la famille en raison de l’âge, d’une maladie chronique ou d’une incapacité. Au cours de l’année 2012 seulement, leur nombre s’élevait à 8 millions de personnes (soit 28 % de la population).

Partout au pays, le vieillissement de la population canadienne influence les besoins en matière de soins. On prévoit que les aînés représenteront presque le quart de la population d’ici 2030 (comparativement à 15,3 % en 2013), et que le nombre de centenaires sera alors passé de 6 900 à plus de 15 000. Par ailleurs, non seulement les aînés seront-ils plus nombreux, mais ils vivront plus longtemps : à l’âge de 65 ans, les femmes peuvent espérer vivre encore 22 années (soit jusqu’à 87 ans) et les hommes encore 19,2 années (soit jusqu’à 84,2 ans), alors que l’espérance de vie passé ce cap n’était que de 19 années et de 14,7 années respectivement, en 1981.

Du reste, le portrait des soins au Canada ne se limite pas aux aînés, puisque les enfants représentent aussi une portion importante des bénéficiaires. Cette génération a d’ailleurs grandi dans un contexte où le nombre de ménages à deux soutiens a connu une forte croissance : alors que 36 % des couples avec enfants vivaient dans un tel ménage en 1976, la proportion avait grimpé à 69 % en 2014. Les trois quarts de ces familles comptent deux conjoints travailleurs à plein temps. Bien entendu, il en résulte une augmentation des revenus de la famille, avec toutefois pour corollaire une diminution du nombre de personnes disponibles pour aider à concilier les responsabilités professionnelles et familiales.

À l’image des familles, les soins familiaux sont complexes et diversifiés

Les soins sont complexes et divers, et concernent plusieurs domaines d’activité. Dans son Enquête sociale générale sur les soins donnés et reçus, Statistique Canada dresse une longue liste – pourtant non exhaustive – des activités liées aux soins, notamment en ce qui a trait au transport, à la préparation des repas, aux soins médicaux, aux soins personnels, à l’entretien ménager et à la gestion des finances. Peu à peu, des réalités nouvelles et émergentes se présentent, par exemple lorsqu’une personne transgenre nécessite des soins de transition de la part d’un conjoint, ou encore lorsqu’un parent est sommé de se présenter en cour concernant la garde et les soins d’un enfant. De tels exemples témoignent encore de la diversité des familles et des besoins en matière de soins.

Il est d’autant plus difficile d’apprécier nettement la situation si l’on considère au surplus le caractère changeant et instable des relations de soins entre les individus. En effet, le type, la nature et la durée des soins varient selon les circonstances uniques du bénéficiaire (voir le tableau). Il s’agira tantôt de soins épisodiques ou à court terme (par exemple dans le cas d’un membre de la famille dont la mobilité est temporairement réduite après s’être fracturé une jambe), tantôt de soins intensifs ou à long terme (comme pour un membre de la famille confronté à une maladie mortelle et soigné dans un centre de soins palliatifs).

Certaines exigences liées aux soins sont prévisibles, si bien que l’aidant dispose d’un peu plus de latitude pour gérer son temps et ses ressources. Par contre, d’autres circonstances sont plus compliquées. Peu importe le type, la nature et la durée des soins, les aidants familiaux doivent trouver le moyen d’y conjuguer leurs obligations et engagements professionnels, et les employeurs ont un rôle à jouer pour soutenir et favoriser cet équilibre.

Concilier soins et travail : des bénéfices pour l’employeur et pour la famille

Un jour ou l’autre, la majorité des Canadiens se trouveront face à des responsabilités en matière de soins. Étant donné le caractère imprévisible des besoins et puisque ceux-ci ne surviennent pas uniquement hors des heures de travail, les employés et leurs employeurs devront trouver des avenues novatrices pour réussir à concilier les soins et le travail sans miner la productivité et le moral, faute de quoi ils seront confrontés à des coûts de part et d’autre. Dans une telle optique, il sera certainement bénéfique aux employés, aux employeurs et au marché du travail dans son ensemble de privilégier une approche ouverte et créative misant sur la flexibilité dans le but d’harmoniser les soins et le travail au Canada.

« Il s’agit d’un enjeu qui touche des millions de Canadiens et de Canadiennes à divers moments de leur existence, et qui occupera une place grandissante compte tenu des changements démographiques. La CCDP incite les employeurs, les employés et les syndicats à privilégier une approche concertée pour permettre aux aidants familiaux de continuer à participer pleinement et concrètement au marché du travail. »  [traduction]

David Langtry, président par intérim, Commission canadienne des droits de la personne (2014)

 


Nathan Battams est auteur et chercheur au sein de l’Institut Vanier de la famille.

L’état actuel de la recherche sur les familles des militaires

Heidi Cramm, Deborah Norris, Linna Tam-Seto, Maya Eichler et Kimberley Smith-Evans

Depuis les années 1990, on assiste à une transformation de la nature, de la fréquence et de l’intensité des opérations militaires. Or, cette transformation a aussi des conséquences sur les familles des militaires canadiens. De fait, le rythme des opérations s’est accentué et celles-ci se succèdent presque en continu, et le rôle du personnel des Forces armées canadiennes (FAC) est passé de « soldats de maintien de la paix à artisans de la paix à guerriers »1. En 2013, le Bureau de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes publiait un rapport majeur sur la santé et le bien-être des familles des militaires, sous le titre Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire. Ce rapport mettait en relief le contexte associé à l’évolution des opérations militaires des FAC, le sens à lui donner ainsi que les conséquences qui en découlent, et ce, tant du point de vue des militaires et des vétérans que de leur famille.

Le rapport de l’ombudsman insistait notamment sur les facteurs qui touchent la plupart des militaires et leur famille durant la majeure partie de la carrière militaire, soit la mobilité, l’absence du foyer et la notion de risque2. De fait, les familles des militaires canadiens sont appelées à déménager de trois à quatre fois plus souvent que les familles civiles, en ayant très peu d’influence sur le choix des endroits, du moment et de la durée à cet égard, ce qui perturbe entre autres la continuité des soins de santé et l’accès à ceux-ci. Les déménagements fréquents affectent aussi la participation à l’école et le rendement scolaire des enfants, en plus d’avoir une incidence sur l’accès aux services éducatifs pour les enfants ayant une incapacité ou des difficultés d’apprentissage particulières3. En outre, les réinstallations affectent les possibilités professionnelles des non-militaires de la famille, ainsi que la capacité des familles de s’occuper des proches plus vulnérables, comme les parents vieillissants. Il n’est pas rare pour celles-ci de devoir composer avec des absences prolongées en raison d’un déploiement ou d’un entraînement militaire, sans compter le caractère bien réel associé aux risques de blessures ou de maladies permanentes, ou même de décès, en lien avec les entraînements intensifs ou les déploiements4. Bien que les familles des militaires canadiens accordent beaucoup de valeur au service militaire dont s’acquitte l’un des leurs et qu’ils en tirent une grande fierté, il n’en demeure pas moins que la mobilité et l’absence du foyer de même que « les bouleversements incessants de la vie militaire5 » sont des agents perturbateurs importants pour celles-ci. Certains conjoints non militaires interrogés aux fins de cette étude estimaient que leurs enfants « payaient un prix pour le service au pays de leur parent6 ».

« Les facteurs qui touchent la plupart des militaires et leur famille durant la majeure partie de la carrière militaire [sont] la mobilité, l’absence du foyer et la notion de risque. »

Même si des recherches ont cours depuis environ un quart de siècle au sujet des familles des militaires canadiens, les initiatives concrètes visant à consolider ce créneau d’étude ont souffert – du moins jusqu’à tout récemment – de l’insuffisance des ressources financières en recherche civile et des difficultés à maintenir un cadre collaboratif. Toutefois, cette situation a évolué grâce aux réseaux mis sur pied par l’entremise de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. À l’heure actuelle, les études portant sur la situation des familles des militaires en service concernent très majoritairement la réalité vécue aux États-Unis. Ces dernières années, les textes spécialisés publiés dans le domaine mettaient surtout l’accent sur les conséquences de la vie militaire pour les familles, de même que sur les moyens de favoriser la résilience au sein des familles des militaires7. En ce sens, on entend par résilience la « force d’adaptation ou la capacité de maintenir ou de retrouver un état psychologique sain malgré l’adversité8 ». [traduction]

« Ces dernières années, les textes spécialisés publiés [sur les familles des militaires] mettaient surtout l’accent sur les conséquences de la vie militaire pour les familles, de même que sur les moyens de favoriser la résilience au sein des familles des militaires. »

Dans l’ensemble, les perspectives de la recherche axée sur les familles des militaires avaient principalement comme objet les risques ou les problèmes inhérents9. De fait, il n’existe que très peu d’études sur les facteurs (ou la combinaison de facteurs) favorisant la résilience perpétuelle qui sous-tend la vie de famille chez les militaires10. On sait peu de choses concernant les mécanismes qui soutiennent cette résilience. Au contraire, on s’est surtout penché sur les conséquences des déploiements en lien avec divers aspects psychologiques, sociaux, éducatifs et comportementaux11–14. Par exemple, on a constaté que la santé psychologique d’un parent en déploiement ou de celui qui reste au foyer est susceptible d’influencer les enfants à différents moments de leur développement. L’étude américaine Children on the Homefront portant sur les incidences des opérations militaires sur le bien-être des enfants a ainsi permis de constater que la santé mentale des parents qui restent à la maison pendant le déploiement du conjoint influence largement la prévalence de problèmes affectifs, sociaux et éducatifs chez les enfants, et ce, pendant et après le déploiement15. Dans un rapport publié récemment sur l’état actuel de la recherche au Canada et à l’étranger en ce qui a trait aux conséquences sur la santé et le bien-être de la famille à la suite de blessures de stress opérationnels (BSO)16, on soulignait les effets néfastes manifestes à cet égard sur la dynamique familiale de même que sur la santé et le bien-être des membres de la famille. En outre, ces familles seraient plus vulnérables que les autres aux difficultés affectives, psychologiques, comportementales, sociales et d’apprentissage, et leurs membres plus sujets à la négligence ou à la maltraitance17.

« La santé psychologique d’un parent en déploiement ou de celui qui reste au foyer est susceptible d’influencer les enfants à différents moments de leur développement. »

Or, il s’avère difficile de déterminer à quel point les conclusions de telles études sont pertinentes en fonction de la réalité canadienne. De fait, les familles des militaires canadiens (particulièrement ceux qui ne sont pas en service actif) déplorent le fait que « nous savons peu de choses sur le sujet dans le contexte canadien18 ». En effet, même s’il est possible d’élargir plusieurs de ces constats pour les appliquer à la réalité du Canada, il existe toutefois d’importantes différences qui justifieraient de chercher à mieux connaître les besoins uniques des enfants, des conjoints et des familles des militaires canadiens19. Au Canada, par exemple, contrairement à ce qui prévaut au États-Unis, les familles des militaires ont recours au système civil de soins de santé et, par conséquent, ont la responsabilité de trouver un médecin omnipraticien ou spécialiste suivant leurs besoins, et ce, tout en tenant compte bien souvent des particularités et des critères d’admissibilité des différents régimes provinciaux de soins de santé. Dès lors, les membres des familles de militaires sont privés du caractère permanent des soins et tributaires de nouvelles listes d’attente à chaque déménagement, ce qui mine effectivement la possibilité de bénéficier de soins réguliers auprès d’un professionnel de la santé attitré. Faute de pouvoir trouver un nouveau médecin, plusieurs familles de militaires canadiens n’hésitent pas à retourner consulter leur médecin traitant dans la région de leur affectation précédente. Lorsque certains membres de la famille ont besoin de soins médicaux particuliers ou sont atteints d’une incapacité, il peut s’avérer frustrant et coûteux de chercher des soins dans un nouveau régime de soins de santé, sans compter les difficultés résultant des divergences dans les critères d’admissibilité et les politiques de remboursement. Dans certains cas, les difficultés tiennent aussi au fait que certains médecins de famille « ont une compréhension superficielle des caractéristiques de la vie militaire, ce qui peut aussi avoir une incidence sur la qualité et la continuité des soins20 ».

Les difficultés vécues par les familles des militaires par rapport au système de soins de santé trouvent aussi écho dans le domaine de l’éducation. Il y a 20 ans, 80 % des familles des FAC vivaient sur une base militaire et y fréquentaient une école encadrée par le ministère de la Défense nationale. Or, non seulement ce système d’éducation est-il disparu, mais 85 % des familles des FAC vivent désormais à l’extérieur des bases militaires et fréquentent les écoles de quartier21, où le personnel enseignant non militaire connaît mal les facteurs de stress associés à la vie des militaires, de même que les répercussions sur leurs conjoints et enfants. De plus, contrairement à ce qui existe aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les ministères fédéraux du Canada ne versent aucun financement aux commissions scolaires des différentes provinces pour adapter les programmes d’éducation en fonction de la réalité des familles des militaires, qu’il s’agisse d’un transfert d’école, d’un déploiement ou des problèmes associés à une BSO chez l’un des parents22, 23. À chaque transfert d’école, les élèves atteints d’une incapacité ou nécessitant des services éducatifs particuliers doivent se soumettre à nouveau au processus d’évaluation et d’attribution des ressources, ce qui représente une importante source de stress pour ces familles24.

« Il faudra s’employer à définir clairement les enjeux et les besoins particuliers [en matière de santé] en contexte canadien. »

Le Canada s’est doté de programmes et de services ciblés au bénéfice des familles, notamment pour l’encadrement en situation de crise, le soutien par les pairs, les services de psychoéducation, ainsi que les services de consultation offerts par l’entremise de divers organismes, comme les Centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM), mais l’offre de tels services demeure inégale selon les régions et les centres urbains. Par ailleurs, le Canada a fait preuve de leadership en mettant sur pied divers programmes et services axés sur la famille, comme la production de la série de webinaires Le pouvoir de l’esprit25 destinée aux adolescents. Cependant, il n’a pas été démontré clairement dans quelle mesure la plupart de ces initiatives se fondent sur des éléments factuels, ni à quel point leur efficacité repose sur une évaluation rigoureuse.

Pour s’assurer que les conjoints et partenaires des militaires ainsi que les quelque 64 100 enfants canadiens qui grandissent au sein d’une famille de militaires puissent bénéficier des mêmes avantages en matière de santé que leurs concitoyens civils, il faudra s’employer à définir clairement les enjeux et les besoins particuliers en contexte canadien. Toutefois, malgré l’importance de cibler ces besoins, il faudra aussi que les chercheurs s’intéressent aux connaissances et aux compétences dont devront disposer les éducateurs, les fournisseurs de soins de santé et les partenaires communautaires afin d’épauler et soutenir efficacement les familles des militaires. À terme, ces constatations serviront de base à d’éventuels programmes et initiatives fondés sur des données probantes.

 


 

Auteurs

Heidi Cramm, School of Rehabilitation Therapy, Université Queen’s, Kingston (Ont.)

Deborah Norris, Département de gérontologie et d’études de la famille, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

Linna Tam-Seto, School of Rehabilitation Therapy, Université Queen’s, Kingston (Ont.)

Maya Eichler, Département de politique et d’études canadiennes, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

Kimberley Smith-Evans, Département de politique et d’études canadiennes, Université Mount Saint Vincent, Halifax (N.-É.)

 

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Cet article est tiré de « Making Military Families in Canada a Research Priority », qui présente une discussion sur les priorités de recherche futures. L’article original, publié en ligne dans le Journal of Military, Veteran and Family Health en novembre 2015 (Volume 1 n° 2), peut être consulté sur le site Web du journal.

 

NOTES

  1. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes (2013). Sur le front intérieur : Évaluation du bien-être des familles des militaires canadiens en ce nouveau millénaire, Ottawa, Bureau de l’Ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  2. Ibidem
  3. Bradshaw, CP., Sudhinaraset, M., Mmari, K. et autres (2010). « School Transitions Among Military Adolescents: A Qualitative Study of Stress and Coping » dans School Psychology Review, vol. 39, n° 1, p. 84-105.
  4. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  5. Ibidem
  6. Ibidem
  7. Saltzman, WR., Lester, P., Beardslee, WR. et autres (2011). « Mechanisms of Risk and Resilience in Military Families: Theoretical and Empirical Basis of A Family-Focused Resilience Enhancement Program » dans Clinical Child and Family Psychology Review, vol. 14, n° 3, p. 213-230. [MEDLINE : 21655938]
  8. Herrman, H., Stewart, DE., Diaz-Granados, N. et autres (2011). « What Is Resilience? » dans Canadian Journal of Psychiatry, vol. 56, n° 5, p. 258-265. [MEDLINE : 21586191]
  9. Easterbrooks, MA., Ginsburg, K. et Lerner, RM. (2013). « Resilience Among Military Youth » dans Future Child, vol. 23, n° 2, p. 99-120. [MEDLINE : 25518694]
  10. Palmer, C. (2008). « A Theory of Risk and Resilience Factors in Military Families » dans Military Psychology, vol. 20, n° 3, p. 205-217.
  11. Aronson, KR. et Perkins, DF. (2013). « Challenges Faced by Military Families: Perceptions of United States Marine Corps School Liaisons » dans Journal of Child and Family Studies, vol. 22, n° 4, p. 516-525.
  12. Cederbaum, JA., Gilreath, TD., Benbenishty, R. et autres (2014). « Well-Being and Suicidal Ideation of Secondary School Students from Military Families » dans Journal of Adolescent Health, vol. 54, n° 6, p. 672-677. [MEDLINE : 24257031]
  13. Cozza, SJ. (2011). « Children of Military Service Members: Raising National Awareness of the Family Health Consequences of Combat Deployment » dans Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine, vol. 165, n° 11, p. 1044-1046. [MEDLINE : 21727261]
  14. Chandra, A., Lara-Cinisomo, S., Jaycox, LH. et autres (2010). « Children on the Homefront : The Experience of Children from Military Families » dans Pediatrics, vol. 125, n° 1, p. 16-25. [MEDLINE : 19969612]
  15. Ibidem
  16. Norris, D., Cramm, H., Eichler, M., Tam-Seto, L. et Smith-Evans, K. (2015). Operational Stress Injury: The Impact on Family Mental Health and Well-Being. A Report to Veterans Affairs Canada.
  17. Ibidem
  18. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  19. Dursun, S. et Sudom, K. (2009). Impacts of Military Life on Families: Results from the Perstempo Survey of Canadian Forces Spouses, Ottawa, Recherche et développement pour la défense Canada.
  20. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  21. Services de soutien aux familles des militaires. Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (s.d.). Le mode de vie des familles des Forces canadiennes : mythes et réalité. (Page Web consultée le 10 septembre 2015)
  22. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  23. National Military Family Association (2006). Department of Defense Support to Civilian Schools Educating Military Children, Alexandria (Virginie), The Association.
  24. Ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes.
  25. Services de soutien aux familles des militaires. Services de bien-être et moral des Forces canadiennes (s.d.). Le pouvoir de l’esprit. Comprendre la BSO d’un membre de votre famille. (Page Web consultée le 10 septembre 2015)

 

Pour allier soins et flexibilité

Sara MacNaull

 

Que ce soit au domicile, au travail ou au sein de leur collectivité, les membres de la famille sont confrontés à de multiples responsabilités, obligations et engagements – souvent complexes. Or, les familles jouissent d’une grande créativité et d’une excellente capacité d’adaptation. Néanmoins, comme certaines études l’ont montré, les membres de la famille qui occupent un emploi souhaitent que leur employeur respecte leur vie personnelle et ont besoin de flexibilité pour assumer pleinement les multiples rôles qui leur incombent.

Au sein des familles canadiennes, les travailleurs sont de plus en plus nombreux à vouloir bénéficier de modalités de travail flexibles (MTF) pour être en mesure d’assurer les soins que nécessitent amis ou membres de la famille immédiate ou élargie. Les MTF permettent d’améliorer grandement la qualité de vie et la productivité des personnes qui, tout en occupant un emploi, assument parallèlement une charge d’aidant, que ce soit auprès d’un enfant, d’un aîné ou d’un parent malade, d’un frère, d’une sœur ou d’un conjoint atteint d’une incapacité, ou encore auprès d’un ami proche touché par une maladie chronique.

Le type de soins à prodiguer, leur nature et leur durée sont variables (voir le tableau) et sont fonction des circonstances particulières qui touchent le bénéficiaire. Même si certaines exigences de soins sont prévisibles et permettent plus de flexibilité dans la gestion du temps et des ressources, d’autres situations sont plus compliquées. Par exemple, lorsqu’un grand-parent ou un parent vieillissant a besoin de soins quotidiens ponctuels, l’aidant peut planifier certaines tâches en dehors de ses heures de travail (ex. : épicerie, travaux d’entretien, etc.). Par contre, lorsqu’il est question de soins palliatifs ou de fin de vie – qui sont par définition stressants et imprévisibles – les aidants familiaux sont alors confrontés à l’idée de perdre prochainement un être cher tout en ayant à composer avec les particularités du réseau de soins de santé.

Le vieillissement et les soins au Canada

Ce sont 13 millions de personnes qui ont dit avoir un jour agi comme aidant auprès d’un ami ou membre de la famille.

Parmi les aidants familiaux, 39 % ont pris soin d’un père ou d’une mère, 8 % d’un conjoint ou partenaire, et 5 % d’un enfant. Les autres (soit 48 %) disent s’être occupé d’amis ou d’autres membres de la famille.

D’après les prévisions, les aînés compteront pour environ le quart de la population canadienne d’ici 2036.

Source : Statistique Canada

De même, lorsque la maladie ou une blessure survient soudainement et sans avertissement (crise cardiaque, AVC, étirement d’un ligament, etc.), la famille et les proches doivent se mobiliser sur-le-champ pour assurer les soins et le soutien. Dans une telle situation, l’aidant qui est sur le marché du travail se trouve dans l’obligation d’examiner avec son employeur ou son superviseur les diverses MTF disponibles, et ce, pour une période déterminée ou non. Le degré d’ouverture du gestionnaire ou de l’employeur devant une telle requête aura éventuellement des incidences importantes sur la famille et la vie de famille.

Récemment, certaines décisions rendues par le Tribunal canadien des droits de la personne ont permis de mettre en relief les besoins complexes qui caractérisent les soins familiaux et, par conséquent, toute la valeur qu’il faut accorder aux MTF. Ce tribunal a entendu plusieurs causes où les aidants n’avaient pas pu bénéficier de la flexibilité souhaitée, et où le refus de collaborer de la part des employeurs a été jugé discriminatoire sur la base de l’état familial. La Commission ontarienne des droits de la personne définit l’état familial comme le « fait de se trouver dans une relation parent-enfant », ce qui fait aussi référence à une variété d’autres relations familiales sans lien de sang ou d’adoption, mais fondées sur des rapports en matière de soins, de responsabilité et d’engagement.

En tenant compte du vieillissement de la population canadienne et de l’évolution des besoins en matière de soins, qu’ils soient structurés ou non, il faudra mettre sur pied diverses modalités de travail flexibles ou personnalisées ainsi que certaines mesures en milieu de travail faisant écho à l’état familial. On entend par soins structurés les divers services rémunérés fournis par un établissement ou un individu à l’intention d’un bénéficiaire de soins, alors que les soins non structurés désignent plutôt les soins non rémunérés assurés par la famille, les amis et les bénévoles. Dans bien des cas, les plans de traitement et de rétablissement prévoient des soins structurés et non structurés. Or, les aidants à qui il revient d’assurer ces soins non structurés doivent pouvoir compter sur une certaine flexibilité pour coordonner leurs responsabilités personnelles et familiales avec les services du réseau de soins de santé, d’autant plus que les soins à prodiguer sont changeants et que les besoins fluctuent au fil du temps.

Les travailleurs ont tendance à considérer que cette flexibilité voulue n’est accessible qu’aux gestionnaires, sinon aux cols blancs et aux professionnels. Dans un rapport publié récemment par le Families and Work Institute sous le titre Workflex and Manufacturing Guide: More Than a Dream, on a toutefois constaté que même les entreprises du secteur manufacturier (où les milieux de travail sont généralement perçus comme inflexibles) sont de plus en plus soucieuses des besoins de leurs employés relativement aux soins. Pour répondre à ces besoins, on adopte ici et là des MTF créatives et novatrices afin d’accroître la productivité et la satisfaction des employés.

Ainsi, un certain employeur du secteur manufacturier a offert de payer la moitié du salaire de la cinquième journée de travail hebdomadaire lorsque l’employé atteint ses objectifs de productivité, ce dernier ayant alors la possibilité de garnir sa banque de congés rémunérés en accumulant des demi-journées. Dans une autre entreprise, l’employeur a choisi de miser sur la formation polyvalente, en proposant à ses employés des formations à plusieurs postes du processus de production, élargissant ainsi la flexibilité et la polyvalence des travailleurs tout assurant le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne pour mieux répondre aux besoins de l’entreprise.

Chez les travailleurs en situation précaire, les travailleurs saisonniers de même que les travailleurs autonomes, la flexibilité est en quelque sorte inhérente à la nature même de ce type d’emploi. Toutefois, lorsqu’une charge de soins se rajoute, ces derniers encaissent le coup plus durement, ce qui se traduit notamment par une baisse de revenus en raison des absences ou de la réduction de la charge de travail.

Au demeurant, la famille représente l’institution sociale sachant le mieux s’adapter, et cette aptitude est certainement liée à la nécessité de s’ajuster au contexte en perpétuelle évolution. Toute organisation, quelle qu’elle soit, est formée d’individus uniques enracinés chacun dans leur propre famille, où les réalités sont uniques. Cela étant, la flexibilité représente un atout essentiel pour favoriser la résilience des familles et consolider la main-d’œuvre, l’économie et la société dans son ensemble.

 


Sara MacNaull est responsable du réseautage, des projets et des activités spéciales au sein de l’Institut Vanier de la famille. Elle est en voie d’obtenir le titre de professionnelle agréée en conciliation travail-vie personnelle.

D’où vient le « F » du sigle PAEF? L’évolution de l’aide en santé mentale au travail

Craig Thompson

Depuis quelques décennies, la santé mentale préoccupe de plus en plus l’opinion publique, notamment parce que l’on comprend mieux les diverses répercussions de ces enjeux sur toutes les sphères de la société. Quand la santé mentale d’une personne se détériore, les premiers à en constater les effets sont souvent ceux et celles qui sont aux « avantpostes », c’est-à-dire les proches. La famille constitue l’entité la plus adaptable de notre société et, à ce titre, elle tend à se modeler le mieux possible aux besoins de ses membres. C’est la raison pour laquelle un nombre croissant d’organisations choisissent désormais de soutenir les employés et leur famille, et ce, par l’entremise de programmes d’aide aux employés et aux familles (PAEF), qui tiennent compte des questions de santé mentale au travail. En analysant l’évolution de ces services, on pourra sans doute expliquer d’où vient ce « F » ajouté au sigle PAEF, et mesurer son importance grandissante au fil du temps.

Les premières années : les programmes d’aide axés sur l’alcoolisme au travail

Au Canada, les premiers programmes d’aide axés sur l’alcoolisme au travail sont apparus vers la fin des années 1950. Ancêtres des PAEF, ces programmes visaient essentiellement les problèmes liés à l’alcool, et ses effets dévastateurs sur la santé et le bien-être des employés alcooliques. Ces programmes étaient généralement dispensés par les directions médicales et les services de santé au travail au sein des grandes organisations industrielles du secteur manufacturier.

Parfois, les employés sollicitaient eux-mêmes des services d’aide, mais la plupart du temps, c’était leur gestionnaire, leur superviseur ou leur représentant syndical qui les y incitait ou les orientait vers ces services. Or, cette aide était presque uniquement centrée sur l’employé alcoolique, sans égard à sa famille. Celui-ci était soumis à un programme strict, qui supposait notamment de participer à des réunions des Alcooliques anonymes, et le respect des exigences était suivi de près. Une rechute après le traitement entraînait généralement une mise à pied, sans aucune autre forme d’aide de la part de l’employeur. Dès lors, l’avenir de ces personnes dépendait entièrement du niveau de soutien des membres de leur famille. Du moins, pour ceux qui en avaient encore une…

La période de gestation : les programmes d’aide aux employés (PAE)

Durant les années 1970 et jusqu’au milieu des années 1980, les employeurs ont élargi la portée de ce type de programmes pour s’intéresser aussi à d’autres problèmes que l’alcoolisme, ce qui a donné naissance aux programmes d’aide aux employés (PAE). En effet, des études réalisées à cette époque sur la productivité en milieu de travail avaient révélé que l’alcoolisme ne constituait que l’un des multiples facteurs susceptibles de nuire au rendement, à la productivité et à la santé en milieu de travail.

L’alcoolisme était toujours considéré comme un problème, mais il semblait de plus en plus évident que les programmes d’aide en milieu de travail seraient plus efficaces si l’on se penchait aussi sur d’autres aspects limitant la productivité, comme la toxicomanie, la maladie mentale, les problèmes de santé graves ou les moments charnières de la vie (naissances ou décès). Dès lors, de plus en plus d’employeurs ont saisi l’importance d’adopter des PAE, si bien que ces programmes ont bientôt fait leur apparition dans les moyennes entreprises ou les sociétés régionales, nationales ou multinationales.

En règle générale, les PAE offraient alors des séances de consultation à court terme axées sur la recherche de solutions, lesquelles étaient payées par l’employeur en fonction d’un nombre moyen de séances ou d’un nombre maximum de rencontres prédéterminé. Puisque les traitements à longue échéance n’étaient pas l’objet des PAE, le fournisseur de services orientait le patient vers des ressources abordables et pertinentes si sa situation justifiait un suivi plus long. Au fil des ans, ce sont finalement les services des ressources humaines qui ont graduellement récupéré la gestion des PAE, prenant ainsi le relais des directions médicales ou des services de santé et sécurité au travail.

Au cours de leurs années les plus productives, plusieurs personnes éprouvent des préoccupations à propos de leur santé mentale, c’est pourquoi les PAEF sont susceptibles de leur être bénéfiques. Certaines études ont montré que les troubles de santé mentale sont non seulement coûteux pour les travailleurs eux-mêmes, mais aussi pour les organisations dont ils relèvent.

• D’ici 2020, à l’échelle mondiale, la dépression occupera le deuxième rang (après les maladies du cœur) parmi les principales causes d’incapacité.

• Au Canada, l’incapacité est responsable de 4 % à 12 % des coûts salariaux. Les réclamations associées à des problèmes de santé mentale (particulièrement la dépression) constituent désormais la catégorie de frais en plus forte croissance au pays pour une incapacité, surpassant ainsi les maladies cardiovasculaires.

Par la suite, certains employeurs ont peu à peu compris que, pour favoriser l’assiduité, le rendement et le niveau de concentration des employés, il fallait aussi prendre en considération leur famille dans l’équation. On s’est donc intéressé aux troubles émotionnels, aux relations personnelles et familiales, aux soins des enfants et des aînés, ainsi qu’aux soins de santé. En vue d’atténuer les répercussions de ces divers problèmes sur le rendement et la productivité, plusieurs employeurs ont cherché à conscientiser directement les proches de leurs employés, afin de leur faire connaître ces programmes et de les inciter à les utiliser. On a donc conçu de la documentation précisément destinée aux conjoints et aux personnes à charge, et des moyens novateurs ont été mis en œuvre pour rejoindre les membres des familles. Par ailleurs, l’admissibilité aux programmes a continué de s’étendre pour couvrir notamment les jeunes adultes admissibles inscrits à des programmes d’enseignement postsecondaire, ainsi que leur famille.

Au début, les proches se montraient réticents à utiliser ces services et programmes, ce qui explique sans doute qu’on ait accentué les efforts pour les conscientiser et les inciter à y recourir. La crainte que des renseignements personnels divulgués au thérapeute ou au spécialiste du PAE puissent créer des ennuis à l’employé au travail expliquait sans doute partiellement cette réticence. De fait, même si les services des PAE étaient confidentiels (et le sont toujours), l’inquiétude des utilisateurs potentiels à l’égard de la confidentialité et de la protection de la vie privée est tout à fait compréhensible. Au cours de cette période, on estime que 5 % à 7 % des employés avaient recours aux services des PAE annuellement, et que moins de 1 % des bénéficiaires étaient des membres de la famille.

Alors que les services de la première génération de PAE étaient assurés par du personnel à l’interne (généralement des médecins et des infirmières en santé du travail), la prestation de services de cette nouvelle génération de programmes était souvent confiée à des entreprises externes mettant à contribution un plus large éventail de professionnels et de spécialistes, y compris des psychologues, des thérapeutes et d’autres fournisseurs de soins de santé. Cette évolution a certes consolidé la légitimité des PAE, mais il n’en demeure pas moins que l’offre n’était toujours pas généralisée puisqu’elle demeurait concentrée dans les entreprises de plus grande envergure. Par conséquent, les travailleurs employés ailleurs étaient vraisemblablement mal desservis.

Les années de croissance : les programmes d’aide aux employés et aux familles (PAEF)

De la fin des années 1980 au milieu des années 1990, d’importants progrès ont été réalisés dans ce domaine. D’abord, les PAE ont commencé à offrir une gamme de services sans cesse plus diversifiée, notamment des mesures axées sur les dépendances, les problèmes conjugaux ou familiaux et les troubles psychoaffectifs. Ces PAE « à portée globale » reconnaissaient l’importance de traiter également les problèmes relationnels en milieu de travail, les problèmes d’ordre financier ou judiciaire, le vieillissement des parents, ainsi que d’autres préoccupations qui n’étaient pas nécessairement liées au travail. Cet élargissement de la portée des PAE a contribué à généraliser leur adoption au sein d’un plus large éventail d’industries, de secteurs et de milieux professionnels.

Au fil du temps, des études successives ont confirmé les diverses retombées en coûts-avantages découlant des investissements dans les PAE de la part des employeurs, notamment la réduction du taux d’absentéisme, du roulement de personnel et des frais médicaux, et l’augmentation globale de la productivité des employés. En misant sur ces études, les fournisseurs de services des PAE ont réussi à convaincre un nombre grandissant d’employeurs de la pertinence des PAE, en se tournant désormais vers d’autres secteurs et des entreprises de toute envergure. Dès lors, le niveau d’acceptation s’est accru considérablement, procurant ainsi à des milliers de familles et d’individus l’accès à de tels soins et ressources.

Peu à peu, les fournisseurs ont élargi leur offre de services à toute heure du jour ou de la nuit grâce à des lignes sans frais, dans le but d’aider les bénéficiaires en fonction de leurs besoins particuliers. Par ailleurs, on a cherché à conscientiser encore davantage les proches des employés vivant au sein de leur foyer, ce qui a permis d’accroître dans une certaine mesure leur recours aux PAE, mais il faut dire que les services dispensés aux personnes à charge ne représentaient en moyenne que 5 % à 10 % de l’ensemble des services fournis dans la plupart des programmes. Du reste, diverses ressources documentaires, des ateliers et des séminaires ont été mis de l’avant à titre de mesures de prévention et de promotion de la santé. On peut notamment souligner les ateliers sur la gestion du stress, qui ont bientôt occupé une part importante de ces mesures d’éducation et qui visaient à doter les participants de connaissances et d’outils pour favoriser leur santé et leur productivité au travail. Enfin, les PAE ont intégré des services axés sur la résolution de conflits en milieu de travail, la gestion réaliste de la charge de travail, ainsi que la communication efficace.

Distribution actuelle des motifs de consultations aiguillées par les PAEF : pourcentage des appels reçus selon le motif

45 %  Problèmes conjugaux et familiaux
25 %  Troubles psychologiques (dépression, anxiété, estime de soi)
15 %  Problèmes d’ordre professionnel
10 %  Toxicomanie ou alcoolisme
5 %    Crises ou traumatismes sur le plan personnel

Cette phase d’évolution se caractérise également par une autre avancée importante, soit le changement d’appellation des programmes, qui sont passés de « programmes d’aide aux employés » à « programmes d’aide aux employés et à leur famille », soit les PAEF. Même si, dans les faits, la plupart des programmes avaient déjà élargi leurs services aux familles, ce changement a permis d’officialiser le statut de la famille comme variable incontournable dans le processus d’aide. Il faut d’ailleurs reconnaître la sagesse et la vision des responsables du PAEF de la société MacMillan Bloedel, qui ont tenu à faire ressortir cet aspect du programme. L’entreprise a été la première à proposer ce terme pour définir de tels services, et l’appellation a été reprise partout au pays. Ce simple ajout contribuera par la suite à stimuler l’amélioration des programmes dans une perspective familiale au cours de la phase suivante de leur évolution.

L’âge de la maturité : les PAEF de nos jours

Au cours de la période allant du milieu des années 1990 jusqu’à aujourd’hui, la popularité des PAEF s’est accrue à un point tel que presque tous les employeurs de moyenne ou grande envergure proposent désormais ces programmes sous une forme ou une autre. Même les plus petits employeurs (c’est-à-dire de 50 employés ou moins) commencent à les offrir par l’entremise de régimes collectifs ou d’initiatives communautaires. En effet, les fournisseurs de PAEF et les compagnies d’assurance concluent des partenariats pour inclure ces services parmi les options du régime collectif offert par l’employeur. Selon la culture organisationnelle, le secteur de l’industrie et le type de programme, on a vu apparaître divers modèles de suivis (évaluations et consultations, thérapies à court terme, etc.) parmi lesquels les employeurs ont désormais la possibilité de choisir. Au cours de cette même période, on a aussi élargi l’offre de services au téléphone, en personne et, plus récemment, par voie électronique.

Les services en ligne ont ainsi permis d’accroître l’accessibilité puisque les bénéficiaires peuvent y recourir hors du milieu de travail à partir d’appareils mobiles et d’ordinateurs personnels. Grâce à ce mode de prestation, les proches sont aussi plus nombreux à utiliser les divers services, et on s’attend à ce que cette progression se poursuive. D’autres ressources en ligne (comme les modules de formation sur le rôle parental, la communication affective, les interrelations et le vieillissement des parents) sont désormais monnaie courante grâce à ces programmes, et sont accessibles à la maison ou sur la route.

En outre, les mesures de prévention et de promotion de la santé se soucient maintenant du bien-être, alors qu’un nombre croissant d’employeurs incitent leurs employés (et leur famille) à prendre en main leur état de santé général, y compris leur bien-être affectif, psychologique et physique. Les mesures d’évaluation des risques pour la santé sont de plus en plus répandues, et permettent à chacun de mieux estimer son état de santé et de minimiser les risques. À cet égard, plusieurs employeurs adoptent une approche holistique relativement à la santé et au bien-être des employés, et reconnaissent l’importance du noyau familial pour faire de meilleurs choix et maintenir de saines habitudes. Bref, l’état de santé global des employés est de plus en plus considéré comme l’un des facteurs essentiels pour bonifier les « résultats » de l’organisation, et cet état de fait résulte en partie des nombreuses recherches ayant permis d’établir les liens directs entre le bien-être des employés et leurs taux d’adhésion, d’absentéisme et de productivité.

Coûts de la maladie mentale dans le milieu de travail

  • Au cours d’une semaine typique, plus de 500 000 Canadiens s’absentent du travail pour cause de maladie mentale.
  • Les maladies mentales représentent plus de 30 % des réclamations pour une incapacité, et engendrent 70 % des coûts liés à une incapacité.
  • Chaque année, les maladies mentales entraînent des pertes d’environ 51 milliards de dollars au sein de l’économie canadienne.

Compte tenu des obligations juridiques actuelles ou éventuelles, un nombre grandissant d’employeurs ont désormais l’obligation de veiller à la sécurité psychologique en milieu de travail, et d’assurer un cadre relationnel civilisé et respectueux. En 2013, des lignes directrices ont été instituées dans le cadre de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail, et ce, afin d’aider les organisations à assurer la santé et la sécurité psychologiques des employés dans les milieux de travail.

Cette norme a été élaborée à partir de données de recherche fondées sur des éléments probants dans diverses disciplines scientifiques et juridiques. Les connaissances actuelles en matière de santé et de sécurité psychologiques des travailleurs y sont résumées, et on y retrouve les lignes directrices et les recommandations pertinentes pour la promotion et le maintien de milieux de travail sains. Même s’il s’agit d’une norme d’application volontaire, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence et la réglementation (actuelle ou éventuelle) poussent les employeurs à offrir un certain nombre de mesures d’aide à cet égard. Comme l’affirme Martin Shain, qui a signé de nombreux textes sur la sécurité psychologique au travail : « Veiller à la sécurité psychologique en milieu de travail, ce n’est plus considéré comme un beau geste, mais comme une nécessité » [traduction].

L’avenir pour les PAEF

À l’époque où les services étaient principalement axés sur les problèmes liés à l’alcool, les employeurs avaient la latitude de congédier sur-le-champ tout employé qui ne faisait pas l’affaire. Dans le contexte actuel, en vertu des lois et règlements ou encore des normes d’application volontaire, un plus grand nombre d’employeurs facilitent l’accès à divers traitements et mesures d’aide professionnelle concernant une panoplie de problèmes de santé physique ou mentale, qui risquent de miner le rendement d’un employé ou de le rendre inapte. Et lorsque ce dernier reçoit les soins requis, son employeur prend ensuite des mesures pour faciliter son retour au travail. Plus on discutera sérieusement des préjugés entourant ces questions, plus les travailleurs, les familles et les collectivités bénéficieront d’un meilleur accès aux soins.

L’évolution des PAEF témoigne de la volonté croissante des organisations d’épauler leurs employés, tout en prenant en considération et en favorisant le contexte familial. Que ce soit par souci de se conformer aux obligations réglementaires, d’accroître le rendement et la productivité, ou encore d’assurer le bien-être des travailleurs, de plus en plus d’employeurs prennent désormais au sérieux les questions de santé et de sécurité psychologiques en milieu de travail. Si les investissements et l’intérêt à l’égard des PAEF et du bien-être des employés continuent sur cette lancée, on est en droit de s’attendre à d’autres percées. Bien qu’il soit difficile de prédire l’avenir en ce qui a trait aux mesures d’aide aux employés, il semble acquis que la famille sera appelée à jouer un rôle central dans la définition des futures approches.

 


Cet article est déjà paru dans le magazine Transition au printemps 2014 (Vol. 44, no 1).

Craig Thompson, M. Éd., M.B.A., travaille depuis près de 30 ans dans le domaine des PAEF et de la gestion des limitations fonctionnelles, notamment comme clinicien, organisateur d’entreprise, gestionnaire de comptes et dirigeant d’entreprise. Au cours de cette période, il a collaboré avec des milliers d’employeurs, d’employés ainsi que leur famille dans le but d’améliorer la vie de chacun et d’accroître l’efficacité en milieu de travail.

La force de la diversité : l’impact positif des enfants ayant une incapacité

Michelle R. Lodewyks

Dans bien des cas, les études qui portent sur la réalité des familles où vivent des enfants atteints d’une incapacité s’intéressent essentiellement aux incidences négatives d’une telle situation pour l’entourage familial. Ces familles sont souvent perçues comme des « victimes », et l’on croit volontiers qu’elles croulent littéralement sous la charge de soins, la détresse émotionnelle, les exigences physiques, le fardeau financier et les difficultés interpersonnelles. Quant aux enfants eux-mêmes, on a tendance à les dépeindre avant tout comme une source de stress et d’anxiété. Devant un tel tableau un peu tragique, on a presque l’impression que les familles ayant des enfants handicapés vivent dans une « tristesse perpétuelle », et c’est précisément cette approche qui alimente l’idée généralisée selon laquelle l’incapacité est un péril qu’il vaudrait mieux éviter, voire éradiquer. Or, ce type d’interprétation influence considérablement la perception actuelle des gens – et leur réaction – à l’égard des personnes ayant une incapacité, y compris chez les professionnels dans leurs interactions avec les jeunes handicapés. Du reste, cette perception teinte effectivement toute l’approche qu’adopte la société à l’égard de ces enfants, et ce, dès leur naissance. Par conséquent, le public n’a pas pleinement conscience, en règle générale, des nombreuses retombées positives et de la contribution significative que les enfants atteints d’une incapacité procurent à leur famille, à leur collectivité et à l’ensemble de la société.

Afin de mieux comprendre les effets positifs pour ces familles, on a réalisé diverses entrevues dans le cadre d’une étude qualitative ayant pour but de juxtaposer divers faits vécus aux données de recherche existantes. Les parents et les enfants interrogés ont cité plusieurs effets positifs qu’ont ces enfants sur leur famille, ainsi que divers aspects favorables de leur contribution à la vie de famille. Ainsi, on ne sera pas surpris de constater qu’il n’existe souvent aucune différence entre un enfant handicapé et un autre enfant en ce qui a trait aux effets positifs et à la contribution de l’enfant pour sa famille. Néanmoins, puisque les enfants handicapés sont souvent catégorisés à part des autres et que leur influence positive sur la famille reste souvent en plan dans l’idée des gens, il s’avère essentiel de souligner de telles similitudes. Par contre, certaines conclusions de cette étude s’avèrent particulièrement révélatrices, notamment en ce qui a trait aux effets positifs uniques que l’on peut associer aux enfants ayant une incapacité, et au fait que leur apport à la famille et à la vie de famille s’avère tout aussi unique.

Élever un enfant ayant une incapacité favorise le développement individuel

Les parents qui ont participé à cette étude soulignent que leur parcours parental auprès d’un enfant handicapé leur a permis de mieux reconnaître et apprécier la valeur, le potentiel et les forces des personnes ayant une incapacité. Plusieurs d’entre eux expliquent d’ailleurs comment leur expérience les a amenés vers une meilleure acceptation des différences, à accroître leur capacité d’évaluer la valeur intrinsèque et immanente des personnes, et à « apprécier de manière plus rationnelle la nature des gens ».

L’une des participantes affirme que son expérience lui a permis de réévaluer l’aide qu’elle peut procurer aux personnes avec qui elle travaille, et dit avoir compris qu’il vaut mieux inciter les gens à progresser sur le plan personnel que de leur imposer des limites ou leur dire ce qu’ils peuvent faire ou ne pas faire. Les frères et sœurs d’enfants handicapés ont remarqué que leurs relations fraternelles particulières leur ont permis d’avoir un nouveau regard sur les personnes atteintes d’un handicap. En effet, le fait d’être exposé au handicap au sein même de leur milieu familial les rendrait plus à l’aise au contact d’autres enfants handicapés, voire plus portés à s’intéresser aux personnes handicapées en général. Par ailleurs, plusieurs de ces enfants ont déjoué les pronostics, c’est-à-dire que leur développement n’a pas nécessairement suivi la courbe qu’on avait prévue au départ : dans bien des cas, les prédictions les plus sombres de certains médecins n’avaient à peu près rien à voir avec la réalité. Voici les propos de l’un des participants : « Avant moi, je ne sais pas quelle était l’opinion de mes parents au sujet des personnes handicapées. Je crois que tout ça leur a permis de comprendre qu’il ne faut pas y attacher trop d’importance… Ces personnes peuvent être aussi productives que les autres, avoir des buts et faire preuve d’une grande détermination, même si ce n’est pas toujours facile. »

Tous les parents de l’étude considèrent qu’élever un enfant handicapé leur a permis d’acquérir ou d’améliorer certains traits de caractère positifs. Les membres de la famille admettent avoir changé à certains égards, notamment quant à la capacité de s’ouvrir aux autres et de se montrer plus aimants, chaleureux, empathiques, créatifs, équilibrés, doux, calmes, expressifs, responsables, autonomes et altruistes.

L’élévation de leur propre niveau de tolérance et d’acceptation figure souvent parmi les acquis les plus souvent évoqués par les parents d’un enfant handicapé. En effet, les membres de la famille apprennent nécessairement à mieux accepter la diversité et les comportements d’autrui, ce qui cultive chez eux un plus profond respect envers les autres familles ayant un enfant atteint d’une incapacité, de même qu’une plus grande compassion envers les gens en général.

En outre, plusieurs parents affirment que leurs enfants ont fait d’eux de « meilleurs individus », de « meilleurs parents », ou que les autres membres de la famille sont devenus de « meilleures personnes » grâce à eux. Certains de ces bienfaits ont même des échos en milieu de travail. Ainsi, l’un des participants pense être devenu une « meilleure personne au travail » à force de mieux comprendre le trouble de l’autisme dont son fils est atteint. Il affirme qu’un tel bagage a modifié sa propre manière d’être avec les gens, notamment avec ses collègues qu’il peut aider lorsqu’il s’agit de mieux comprendre et interpréter le comportement de l’un des employés, lui aussi autistique.

Fierté, joie et rapprochements pour les parents

Tous les parents ayant pris part à cette étude témoignent des émotions positives vécues grâce à leurs enfants. Le sentiment de fierté semble d’ailleurs commun à la plupart d’entre eux. À ce propos, l’un des parents avoue que cette fierté ne tient sans doute pas « aux mêmes accomplissements que chez les autres enfants du même âge [fusion_builder_container hundred_percent= »yes » overflow= »visible »][fusion_builder_row][fusion_builder_column type= »1_1″ background_position= »left top » background_color= » » border_size= » » border_color= » » border_style= »solid » spacing= »yes » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » padding= » » margin_top= »0px » margin_bottom= »0px » class= » » id= » » animation_type= » » animation_speed= »0.3″ animation_direction= »left » hide_on_mobile= »no » center_content= »no » min_height= »none »][que son fils] », ce qui ne l’empêche pas d’avoir de nombreuses raisons d’être fière. Les parents rapportent que la créativité de leur enfant ou les connaissances qu’il a acquises sont une véritable source de fierté ou d’admiration, tout comme son aptitude à distinguer le bien du mal, ses stratégies pour surmonter la peur, sa détermination à parvenir à ses fins, et sa capacité de défendre ses propres intérêts. Pour leur part, les dix enfants interrogés disent avoir constaté qu’ils suscitent eux-mêmes des émotions positives chez leurs proches, et plus de la moitié d’entre eux sont conscients d’être une source de fierté pour leur famille.

L’une des mères insiste aussi pour dire que sa fille lui a appris à apprécier les petites choses de la vie beaucoup plus que la moyenne des gens, si bien qu’elle « célèbre désormais de petits riens qu’il ne viendrait même pas aux autres l’idée de célébrer ». Aux yeux d’une autre mère, la fierté éprouvée pour sa fille se résume ainsi : « Je suis très fière d’elle parce qu’elle refuse de laisser ses incapacités prendre le contrôle de sa vie. Elle est atteinte de plusieurs incapacités, mais ce n’est pas ça qui va la ralentir… Elle pourrait se dire : “Ah! je n’y arrive pas”, et baisser les bras… Mais elle est toujours prête à repousser ses limites et à faire de son mieux. »

Plusieurs parents prétendent par ailleurs que leur enfant leur a permis de rencontrer des gens, de se lier d’amitié et d’établir de nouvelles relations. Certes, on peut dire de manière générale que tous les enfants contribuent plus ou moins à élargir le réseau social de leur famille, mais pour certains des répondants, leur contexte familial particulier est principalement en cause. L’un des couples évoque les liens particulièrement précieux créés avec d’autres familles par l’entremise du réseau de soutien pour les parents en situation similaire. Ces relations leur ont donné la chance d’aider d’autres parents qui leur demandaient conseil.

L’un des parents souligne que l’« éclatement » de la famille guette peut-être ceux et celles qui élèvent un enfant atteint d’une incapacité, mais beaucoup de parents considèrent que leur enfant a plutôt contribué à consolider leur mariage, à faire d’eux de meilleurs parents ou à renforcer les liens familiaux. Deux des parents affirment même que la communication s’est améliorée au sein du couple grâce à leur enfant. Le père se souvient des difficultés que sa conjointe et lui-même vivaient à l’époque où ils ont reçu le diagnostic de leur fils, et du rôle que chacun a dû jouer pour aider l’autre à « passer au travers ». Selon lui, ce cheminement leur a appris à « parler plus ouvertement de sentiments et d’autres choses », au bénéfice de la communication au sein du couple.

Certains parents insistent pour dire que la présence de leur enfant a apporté un vent de fraîcheur ou une nouvelle perspective au sein de la famille. L’un des pères dit d’ailleurs qu’il y a quelque chose de précieux dans la façon toute particulière de voir les choses chez son fils, et il ajoute que c’est l’un des aspects qu’il apprécie le plus chez lui : « Sa vision des choses est si différente de tout le monde. Il ne pense pas comme nous… J’adore l’entendre exprimer sa façon de penser. Il ajoute une tout autre dimension à notre foyer, et je n’imagine même pas comment ce serait sans cette dimension-là. C’est… c’est véritablement le cœur de ce que nous sommes. Il est fantastique! »

En faisant référence à ses talents innés pour l’écriture et pour la composition musicale, l’un des enfants se dit convaincu que son trouble autistique lui aura permis de réussir en musique grâce à sa grande capacité de concentration. Il conclut ainsi : « Je pense que la musique a des effets positifs pour moi, et que c’est aussi une source d’inspiration pour tout le monde qui en écoute. »

On a demandé à une autre enfant de définir la nature de sa propre influence au sein de sa famille : « J’imagine que l’ambiance familiale serait un peu moins animée sans moi. En tout cas, il y aurait moins souvent de conversations intéressantes au souper. » Elle évoque aussi « toute la question du yin et du yang », en présumant que sa présence fait probablement contrepoids à la douceur des gens de sa famille.

Les familles apprennent de leur expérience unique et cherchent à partager leurs acquis

Avant de conclure chacun des entretiens, on a demandé aux participants ce qu’ils souhaiteraient que les gens comprennent mieux à leur sujet, ainsi qu’à propos de leur famille et de leur réalité. Les parents ont répondu que leur expérience n’est pas « toujours rose », qu’ils ont été confrontés à des « défis », à des « problèmes », à des « obstacles » et à des « moments difficiles », mais qu’ils ne tiennent pas leur enfant responsable des aspects négatifs de leur parcours. L’un des parents admet d’ailleurs que les difficultés rencontrées pour s’adapter à l’incapacité de son enfant avaient moins à voir avec ce dernier qu’avec les idées préconçues des gens, ou avec la représentation que se font les autres parents de ce que serait leur propre vie dans un tel contexte : « C’est sûr qu’il faut traverser cette période difficile où on a un peu tendance à nier la situation, explique-t-elle. Tout cela cause un grand chagrin, mais on finit par comprendre que ces sentiments viennent de soi, de ses propres idées, ou de ce qu’en pensent les autres. »

D’autres parents de l’étude s’accordent pour dire que la colère, le stress, l’anxiété ou les crises sont moins liés à l’enfant lui-même qu’à l’ignorance des gens et à la compréhension insuffisante de cette problématique sur le plan sociétal. L’une des mères demande souvent aux gens de revoir leur manière de dire – ou de ne pas dire – les choses. À son avis, on a tendance à étiqueter les personnes ayant une déficience intellectuelle en évoquant une sorte de retard, alors que « le retard est bien souvent du côté des gens soi-disant “normaux” qui ne comprennent pas la situation ».

Ces conclusions corroborent celles d’une étude antérieure où les parents laissaient entendre que leur peine était principalement liée aux messages récurrents des gens, teintés de négativisme ou de désespoir, notamment de la part de professionnels, d’intervenants du système de santé, de membres de la famille élargie et d’amis. Il est donc permis de croire qu’il existe une source de stress et de négativisme qui est étrangère à l’enfant, et que l’attitude de la famille à l’égard de ce dernier est peut-être conditionnée – du moins en partie – par les croyances culturelles à l’égard de l’incapacité. Dès lors que la société entretient des préjugés négatifs vis-à-vis de tout handicap, et que les perceptions culturelles sont elles aussi essentiellement négatives, il va de soi que le négativisme risque d’affecter la famille et de teinter la perspective et le jugement des parents relativement à leur enfant et à leur propre rôle parental.

Les parents qui ont pris part à cette étude disent vouloir dissiper les présomptions négatives que l’on entretient au sujet de leur enfant, et élargir les horizons pour remettre en contexte toute forme de négativisme. Certains d’entre eux décrivent leur situation comme « un cadeau plutôt qu’un fardeau », en insistant pour dire qu’il n’y a rien d’intrinsèquement négatif dans le fait d’avoir un enfant atteint d’une incapacité au sein d’une famille. De leur point de vue, ils n’ont absolument aucun regret lié aux impacts de leur enfant dans leur vie. Tout en reconnaissant que l’éducation d’un enfant handicapé comporte son lot de stress, de travail acharné et de dévouement, certains parents mettent en relief la chance que d’autres n’ont pas de connaître toute la richesse d’une telle expérience. À ce propos, l’un des pères résume ainsi ce qu’il a vécu avec son fils : « Est-ce que c’est une catastrophe qu’il vous faut? Une tragédie? Alors donnez-moi un bout de papier et je vais vous en citer des catastrophes : cette personne qui est morte dans un accident de voiture ou encore cette jeune mère qui a été tuée, ou peut-être le tsunami… Voilà de véritables tragédies. Moi, je vois plutôt ça comme une balle courbe : il faut juste apprendre à frapper la balle courbe et tout est réglé… Je ne dis pas que c’est facile, mais on apprend à vivre avec ça. »

Ces parents affirment que ce qu’ils demandent le plus souvent aux autres, c’est de ne présumer de rien sur la base de l’incapacité de leur enfant, et de savoir reconnaître les aptitudes et le potentiel de celui-ci. En invitant les gens à faire un effort particulier pour apprendre au contact de ces enfants, ils tiennent à dire que leur enfant peut apporter beaucoup à la société et qu’il mérite tout le respect qu’on lui doit. À ce propos, l’un des parents ajoute : « Je pense à toute l’ampleur qui a été donnée à la question des personnes atteintes de trisomie 21 au sein de nos sociétés… On a littéralement cherché à éradiquer ce groupe de personnes en procédant à des analyses sanguines et par d’autres moyens. Tout cela contribue à déprécier l’existence qui est la leur. Pourtant, ils ont aussi quelque chose à offrir, quelque chose de très spécial qu’il faut prendre le temps d’observer parce qu’ils ont beaucoup à nous apprendre. »

Enfin, lorsqu’on demande aux enfants ce qu’ils ont à partager avec les autres, ils lancent aussi des messages fort éloquents. L’un des enfants souhaiterait que les autres « comprennent que j’ai certains handicaps, mais ça ne fait pas de moi une moins bonne personne ». Un autre tient à ce que les gens se souviennent de ceci : « Plusieurs pensent que je ne suis pas très vif d’esprit… Je tiens à leur dire que je comprends vraiment bien le monde qui nous entoure et tout ce qui s’y passe, et que ce n’est pas ma paralysie cérébrale ou mon fauteuil roulant qui m’en empêchent. Je ne suis pas simple d’esprit : j’ai de grandes ambitions et un bel avenir. Je ne veux pas qu’on me prenne en pitié, parce que je sais que j’aurai une très belle vie, qui sera riche et intéressante! »

Les bénéfices de la diversité au-delà du cercle familial

Apprendre à mieux comprendre les familles qui voient leur situation sous un angle positif entraîne divers effets positifs, tout comme le fait de communiquer cette perception au plus grand nombre en insistant pour dire qu’élever un enfant ayant une incapacité n’est pas nécessairement tragique, mais qu’il s’agit au contraire d’une expérience enrichissante et gratifiante. Sachant cela, les professionnels du monde médical (particulièrement au niveau du dépistage et du diagnostic prénataux) disposeront d’information concrète à partager avec les parents qui reçoivent un tel diagnostic. Cette perception positive bénéficiera par ailleurs aux autres parents d’un enfant handicapé, pour les inciter à miser davantage sur la plus-value que représente leur enfant dans leur vie.

Il va sans dire que les conclusions de cette étude n’enlèvent en rien les défis et les difficultés que vivent ces familles, et rien n’indique que de savoir ce qu’elles pensent améliorera automatiquement le sort des familles ayant un enfant handicapé. Toutefois, le seul fait de prendre conscience des forces et des aspects positifs favorise le changement et donne à penser qu’il est possible de mieux comprendre et de limiter le stress d’une telle expérience en misant sur la contribution et l’apport de ces enfants. L’adaptation progressive pourrait en bénéficier. Du reste, plus les familles verront leur propre expérience d’un bon œil, plus leur attitude contribuera à contrer les idées préconçues quant aux impacts de l’incapacité, à soutenir les nouveaux parents qui se trouvent dans cette situation, et à désamorcer en partie la peur et l’anxiété devant la perspective d’élever un enfant handicapé. En agissant de la sorte, il y a tout lieu de croire que l’on peut privilégier une approche plus positive à l’égard de l’incapacité.


Cet article s’inspire du texte Parent and Child Perceptions of the Positive Effects That a Child with a Disability Has on the Family.

Michelle Lodewyks travaille comme chargée d’enseignement au programme de soutien communautaire auprès des personnes handicapées du Collège Red River. Elle est titulaire d’une maîtrise en études de la condition des personnes handicapées de l’Université du Manitoba.

RESSOURCES

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